[Niort le 4 décembre]
Ses bottes baillaient. Il allait falloir qu'il les fasse réparer, la pluie lui mouillait le pied droit, et lui détrempait le gauche, il allai attraper la mort à ce rythme là, ou perdre ses semelles. Il était bien content d'arriver enfin, la fatigue de ces deux semaines de voyages commençait a se manifester. Même le chien, Fouinot, semblait terne, mais la gale avait entièrement disparue de son poil ! Remplacée par des tiques et des puces, quel réconfort. Sinople passa les portes de Niort, il serait bientôt chez lui ! dès le lendemain il pourrait s'acheter une coquette maison à La Rochelle, il planter des légumes, les cultiver, se reposer, et vivre de travails simples, essayer de s'intègrer a la ville, aidez Malvina et essayer d'en faire une jeune fille correcte... Il aurait une grande et belle maison ! L'or qu'il avait récupèré a Vendomes le lui permettrait ! Et il serait heureux ! Peut-être trouverait-il femme, mais se connaissant, il doutait d'avoir assez de charmes pour conquérir qui que se soit. Au moins il aurait le chien !
Sinople fut intrigué par Niort. La semaine passée il n'y avait pas autant de monde. Et il lui semblait que des gens tres enrubannés étaient dans les rues, il y régnait comme une agitation fébrile, une tension anormale. Barf ! Chaque ville a son ambiance, et sans doute était-ce là celle de Niort, il n'y était passé que tres brièvement la semaine dernière, dans sa hate d'en finir avec ce voyage et cette errance. Mais il y avait beaucoup de gens d'arme aussi... Curieux, jamais il n'avait tel déploiement d'homme depuis qu'il était en Poitou. Certes il n'y avait pas passé beaucoup de temps, mais une telle variété d'écus, de couleurs d'habit était rare et ne pouvait pas être que Poitevine. Une guerre ? ho on l'aurait bien prévenu à la Frontière, et ils ne voyait pas de couleur angevine dans les rues, beaucoup de lys.
Il s'arrêta dans une auberge pour pouvoir manger et boire un peu, son pain de route et sa viande sèchée allait arriver a terme de leur existence, et il lui faudrait refaire ses stocks. Alors qu'il prenait une tisane chaude, la serrant fort dans ses mains pour les réchauffer, il entendit la discussion de la table d'a côté:
- J'avions tout entendu j'ta dis ! Ils avions été attaqué sur l'route ent' 'ci et Poitio ! Que l'Grand l'aurait pris un coup d'bigorne qu'i zy dise ! ca fait tout tintsouin travers l'comta a l'royam !
- C'toi donc pour ço to ste belle monde qui grouillo en l'ville ?
- Dam' oui ! M'nan l'aut a l'cul d'vissé dans les plumes, ils doivent bailler corneilles a attend' qu'ça bouge. ca donne un air to drole a l'ville tio trouve ty pas ?
Sinople s'approcha, aparemment il s'était donc bien passé quelque chose en ville, ou au moins non loin:
Excusez moi, je vous entend parler d'accident, je vois bien que la ville semble un peu étrange, il s'est passé quoi au juste ? Pourquoi il y a tant de soldats dans les rues ?
- V'z'étions pas au courant ? L'roy l'a été attaqué sur l'route en v'nant ici, c'est a lui toutes l'gens qui pramène n'ville.
- Attaqué ? Attaqué par qui ?
- A ço s'toi pas not' affaire mon bon sire, mo l'leur, nous tant qu'on touche t'y pas à na champs, ço gène pas. Et puis c'stoi pas mi ventre qu'o été trifouillé à l'lame, mais celle d'l'roy, c'est pas mi affaires !
- Et le roy est mort ?
- Pour su' qu'non ! L'est l'cul vissé dans l'plume d'sa lit par là ville. L'a été blessé qui s'dit en ville, et qu'maintenant ses gens, pour la venger, vont ty prendre la chateau d'Poitio ! Tant qu'mon champ l'est pas pris et qu'j'avions pas a payer plus de taxes, ils y font c'qui'zy veulent.
Sinople remercia le paysan, vida son bol et sortit entièrement confu. C'était donc ça ? le roy était en ville ? Ou bien était-ce une lubie de ce paysan ? Il ressera la sangle de son bouclier pour qu'il bougea moins sur son dos et il toucha la lame. Celle de son père, celle qu'il avait reçu pour être entré au service de cet homme, le roy. Il défit son ceinturon et regarda la garde en forme de fleur de lys. Dessus était gravée la devise de son père "Ad Majorem Rex Gloriam", clairement copiée sur celle de l'Eglise, mais il savait combien elle comptait pour son père. C'était sans doute en la criant qu'il était tombé, puisqu'on dit qu'il allait pour répondre à la levée du ban royal. Verrait-il celui qui avait été le maitre de la vie de son père, celui qui l'avait guidé, celui pour qui il avait arrêté un comte fêlon (d'après ce que lui en avait dit sa mère), celui pour qui il était mort ? Sinople rattacha l'épée au fourreau vert et continua de marcher, perdu dans ses pensées. A un moment il fut dépassé par une cavalière, il s'écarta, assurément c'était une grande dame a en juger par son port. Mais voilà qu'elle s'arrêtait pour faire une annonce:
Citation:Niort, le 4 de Décembre 1456,
A tous ceux qui le présent écrit liront ou se feront lire, salut ;
Que soient connues ce jour les choses suivantes :
Hier, entre Niort et Poitiers, le Roy a été attaqué ; l'agresseur a été par nous identifié sous les traits de la Comtesse Icie ;
Demande est partie, de ma main, afin que la Comtesse soit livrée à la justice de la Couronne, et que le Comte Faooeit soit gardé à vue. Nous ne saurions imaginer qu'il s'agisse là d'un acte soutenu par le peuple poitevin, qui n'a à craindre des membres du cortège nul retour de bâton.
Nous savons quelles rumeurs courent, quant à notre volonté de nous emparer de votre château, ou de l'une de vos bonnes villes : il n'en est rien. Intentionnelles ou non, ces rumeurs sont infondées, et de la Couronne, source de droit, ne saurait issoir décision inique.
Au Comte Faooeit, qui depuis toujours dit assumer les actes de ses vassaux, nous demandons de se présenter devant la justice royale. Il sera entendu dans le respect de la Loy.
A la Comtesse Icie, nous demandons de se rendre, faute de quoi son refus serait considéré comme un aveu de culpabilité.
Aux membres des Ordres Royaux et de la garde royale, nous demandons de veiller à ce que règne le calme en les terres poitevines, et à ce que le feu de prairie des rumeurs s'éteignent sous le poids d'un discours raisonné.
Nous ne doutons point que l'honneur commandera au Comte Faooeit de répondre favorablement à la demande qui lui est faite via la présente. De toutes parts, nous parviennent des missives, qui inquiètes, qui vindicatives, et à leurs auteurs, nous souhaitons pouvoir répondre au plus vite "laissons d'abord parler la justice".
Dans l'une de ces missives, l'on m'a suppliée de ne point répandre le sang innocent. A quoi j'ai répondu que le sang innocent avait d'ores et déjà coulé, et que ce sang était celui de notre souverain. En posant des actes sensés, le Conseil du Poitou ainsi que la Couronne parviendront à n'en point faire couler davantage.
Que tous lisent en cette déclaration un appel au calme, et à se défier des bruits que l'on fait courir, que ce soit par oisiveté, pour se dédouaner, ou encore pour tenter d'envenimer une situation qui a déjà frappé tout le monde par sa gravité.
Armoria de Mortain,
Grand Maître de France
Grand Maistre de France... Bon sang ! Jamais il n'aurait cru voir un jour du si Haut monde ! Mais si le roy avait été blessé, la coure et la pairie ne laisserait pas passer un tel affront. Et c'était la noblesse Poitevine qui avait menée l'attaque ? Quoi qu'elle en dise, la répression était assurée... NOn ! Sa vie coquette qu'il souhaitait vivre a La Rochelle, son calme, sa tranquilité ne s'envoleraient pas comme ça ! Il ne le voulait pas ! Cette Dame disait que la paix serait respectée, sa mère ne l'avait trop mis en garde contre les grands qui avaient joués des tours a son père, et si le GMF, alors l'aimait bien, c'était le seul. Sa mère lui disait que son père avait toujours détesté la pairie, et son père d'après ce que lui en avait dit sa mère, était un homme sage, et la pairie il en avait soupé disait-elle. Sous le coup d'une impulsion venue d'il ne savait où, dans la fougue de sa jeunesse, Sinople lança:
Comment croire ce que vous dites ! Le roy est envoyé par Dieu, le régicide est crime si énorme qu'il ne peut être toléré ! Et même si Sa Majestée n'est pas morte, la tentative n'en deumeure pas moins ! Vous dites ne pas vouloir prendre une ville du Poitou, mais déjà le couple comtale est sommé de se rendre a la justice, ils seront donc interdit de gouverner, et ce sont les troupes de l'Ost Royale qui assureront la paix ! Cette paix me semble aux bords de l'annexion ma Dame !
Tout aussitôt qu'il eut fermé la bouche, Sinople sentit qu'il aurait du se taire, faire affront a un Pair n'était pas mieux que de tenter de poignarder le roy. Il se sentit rougir de confusion et de honte, mais trop tard, mal était fait et il lui faudrait assumer jusqu'au bout ses paroles, jusqu'au bout espèrait-il.