Baudet était aux anges. Cela faisait bien long qu'elle n'avait vu autant d'affluence auprès d'elle. Et même si elle ne reconnaissait pas beaucoup de visages, elle se faisait d'avance une joie de découvrir toutes les facettes et secrets qui entouraient chacun de ses interlocuteurs. A commencer par Ahl, le mystère de ses amants intriguait la pauvre vieille qui, depuis sa rencontre avec la petiote, tâchait vainement de relier les quelques neurones qui se battaient en duel dans sa caboche.
Elle salua d'un hochement de tête la pauvre femme qui devait se coltiner un énorme ventre. Celle-ci semblait intègre et tout ce qu'il y a de plus honnête. Mais derrière un dehors vertueux, n'y avait-il pas toujours une part d'ombre, un caché qu'on s'évertuait à enterrer toujours plus profondément pour qu'il ne soit jamais mis au grand jour ? Et ça, c'était ce qu'aimait découvrir la vieille Baudet. Lorsqu'on a jamais eut de vie captivante, ne se passionnait-on pas pour celle des autres ?
Perdue dans le déchiffrage des zones d'ombre qu'inspirait Andreia à Baudet, celle-ci échafaudait des histoires plus abracadabrantes les unes que les autres. Tellement bancales qu'il vaudrait mieux les taire et ne jamais les extraire de l'esprit Baudetien.
A cet instant, son regard fut attiré vers un visage qui semblait fort occupé avec le cou d'Ahl. Amant ? Mari ? Lorsque le personnage en question releva la tête avec un grand sourire, elle le reconnut et resta les yeux gros comme des soucoupes. Elle avait pensé à bien des hommes mais sûrement pas au grand échevin de la ville d'Uzès. Ahl montait dans son estime. Si elle arrivait à mener le bourgmestre à sa couche, tous les hommes avaient du y passer.
Une réflexion suivant toujours une autre... elle se demanda si elle n'en avait pas fait son métier ? Ne serait-ce pas la raison la plus logique à toute cette comédie ? Cela semblait extrêmement bizarre que Baudet ne l'ait pas appris plus tôt, mais après tout, lorsqu'on se faisait entretenir par les plus gros pontes du village - ou du comté? -, il valait mieux garder tout cela caché.
Baudet afficha un grand sourire qui n'annonçait rien de bon. Elle venait de découvrir ce secret qui la tracassait tant. Celui d'Ahl. Elle se faisait violence pour ne pas partir dans un énorme éclat de rire. Elle parvint à se contenir : elle rirait avec Diabolo lorsqu'elle lui contera tout.
Adissiatz Senhèr de consòl*. Comment allez-vous en cette belle soirée d'août ? Votre mariage avance bien ?
Et cette ironie dans ces paroles... et ce sourire narquois qui ne l'a pas quitté lorsqu'elle parlait. Elle se délectait de ce qui venait de se passer. Visiblement, Malkav n'avait pas eut l'intention de mettre au grand jour son aventure avec sa maîtresse. Et il avait, en plus de cela, bonne raison de le cacher. Son mariage pouvait en pâtir.
Et ce maudit sourire qui ne la quittait plus...
Elle songeait à la manière dont elle allait colporter ce ragot. Concernant la nouvelle activité d'Ahl, sa relation avec le maire et le mariage de celui-ci qui allait être annulé. Elle songea soudain qu'elle avait besoin de viande, la bouchère de son quartier lui en donnera volontiers lorsqu'elle sera mise au courant des informations de Baudet.
A cet instant, on entendit les grands cris d'un hystérique qui devait chercher son môme ou son chien, en même temps que la petiote éclata de rire. Baudet regarda cette dernière curieusement en songeant qu'elle devait aimer voir la carrière de ses amis et amants tomber en ruine, se disloquer, et ne laisser derrière que des ruines. Son Malkav ne pourra plus l'entretenir.
L'hystérique qui hurlait tantôt arriva à leur hauteur. Baudet cru la reconnaître... tant par sa folie que par son visage. Lorsqu'elle parla, la vieille reconnu la petite Lab à sa voix. Et ses paroles ne l'étonnèrent pas. Toujours aussi franche cette petiote. Elle l'aimait bien Lab.
Tu as bien grandi Lab. Pour t'avouer, j'me suis un peu cloîtrée chez moi à la mort de mon Gustave. Il est mort si rapidement... je n'ai rien vu v'nir. S'toi qui rayonne ma petiote. Ah! ça fait bien plaisir de te revoir! J'croyais que t'avais changé de village, j'entendais plus tes cris d'chez moi.
Elle savait que ce n'était pas bien de mentir, mais avoir porté un deuil est toujours extrêmement valorisant. Du moins, était-ce ainsi qu'elle l'avait toujours vu. De plus, elle n'allait pas tarder à recevoir leurs condoléances désolées, et même si elles n'étaient pas totalement franches, ça lui fera plaisir à la mère Baudet. Toujours vieille fille, qui n'a jamais su approcher l'homme qui lui plaisait à ses vingts ans et qui s'en est mordu les doigts tout le reste de sa maudite existence en tâchant de se rattraper comme elle le pouvait en courtisant des hommes trois fois plus jeunes et mûrs qu'elle.
* Je m'essaye à l'occitan. Excusez-moi si cela ne veut strictement rien dire. Ma tentative veut signifier : Bonsoir monsieur le maire ^^