Sardanapale

Cette fois-ci, la décision était prise. Foi de Hauteville, on n’allait pas leur refuser longtemps l’entrée dans le cénacle hautement convoité de la normanditude. Il fallait agir, être tous solidaires, et frapper d’un bon coup de poing la rumeur maligne qui salissait leur amour de leurs terres ancestrales.
La veille, à Bayeux, un conseil de famille s’était donc tenu, emprunt de gravité et d’indignation, et les membres de la secte des flamands léopardés avaient convenu très rapidement qu’après une attaque aussi sournoise, il fallait faire un coup d’éclat, pour revendiquer haut et fort ce sésame qu’on leur refusait.
De ses délicates mains qui ne maniaient guère en ce moment que les lettres d’amour, Adrienne confectionna des pancartes colorées, en prévision de la manifestation. Valentiane, quant-à elle, chargea leur gouvernante, Berthe, de ramener des cuisines autant de vieilles casseroles qu’il fallait pour faire un maximum de bruit. Sardanapale, comme à son habitude, se contenta de rédiger, inspiré qu’il était par la colère, la profession de foi la plus émouvante pour persuader les hautes instances d’accéder à leur requête. Dans les cuisines de la maison qui les abritait en attendant la fin des travaux de leur future demeure, Marguerite leur avait préparé des paniers-repas, agrémentés de calva et de cochonnailles en tout genre.
Ainsi, au petit matin du jour suivant, dès potron-minet, c’est une véritable procession de carrosses et de charrettes qui prit la route et s’achemina vers Rouen, coupant à travers la campagne ensommeillée, ne s’arrêtant que pour les nécessités de ces dames, traçant comme un cheval de poste piqué par une guêpe. Dans les coffres, de quoi mettre la pagaille dans les rues de la capitale.
Lorsque les voitures les déchargèrent devant le palais ducal, chacun s’extirpa de son véhicule avec un air défait et hagard, et un léger mal de mer provoqué par les cahots. Mais il n’était pas temps d’aller se reposer dans une taverne, aussi Sardanapale rassembla toute sa fratrie autour de lui, et déclara :
Mes amis, on nous ment, on nous spolie !! D’aucuns prétendent que nous ne sommes pas normands, et nient nos liens avec cette terre. À ceux-là, que devons-nous leur répondre ?
Derrière les têtes tournées vers lui, une petite voix lança alors :
C’est çui qui dit qui y est.
Sa consternation dut se lire très aisément à son visage ébahi, car aucun n’osa ni rire ni répondre, alors que Val et Adri regardaient en l’air, laissant passer l’ange.
Nous devons répondre « Halte à la haine » ! « Halte à l’ostracisme », continua-t-il en levant le poing, « n’ayons pas peur de celui qui est différent », à la rigueur, ou alors, un « HOUUUUUUUUUUUUU » conviendra parfaitement.
Brandissant le parchemin de sa profession de foi, il leur montra de la main, au premier étage du palais ducal, les croisées des appartements officiels, où leur sort allait se jouer.
Voilà notre revendication, nous ne quitterons pas cette place tant que nous n’aurons pas obtenu réponse satisfaisante. Sortez les pancartes, faites du bruit, il faut qu’on nous entende et qu’on nous restaure dans nos droits ancestraux.
Le Vicomte alors fit un signe à son serviteur, Ange Mathurin, et lui confia la lourde tâche de faire parvenir la missive entre les mains du Duc. Celui-ci s’inclina et courut vers la grande porte, serrant contre lui son précieux parchemin.
La veille, à Bayeux, un conseil de famille s’était donc tenu, emprunt de gravité et d’indignation, et les membres de la secte des flamands léopardés avaient convenu très rapidement qu’après une attaque aussi sournoise, il fallait faire un coup d’éclat, pour revendiquer haut et fort ce sésame qu’on leur refusait.
De ses délicates mains qui ne maniaient guère en ce moment que les lettres d’amour, Adrienne confectionna des pancartes colorées, en prévision de la manifestation. Valentiane, quant-à elle, chargea leur gouvernante, Berthe, de ramener des cuisines autant de vieilles casseroles qu’il fallait pour faire un maximum de bruit. Sardanapale, comme à son habitude, se contenta de rédiger, inspiré qu’il était par la colère, la profession de foi la plus émouvante pour persuader les hautes instances d’accéder à leur requête. Dans les cuisines de la maison qui les abritait en attendant la fin des travaux de leur future demeure, Marguerite leur avait préparé des paniers-repas, agrémentés de calva et de cochonnailles en tout genre.
Ainsi, au petit matin du jour suivant, dès potron-minet, c’est une véritable procession de carrosses et de charrettes qui prit la route et s’achemina vers Rouen, coupant à travers la campagne ensommeillée, ne s’arrêtant que pour les nécessités de ces dames, traçant comme un cheval de poste piqué par une guêpe. Dans les coffres, de quoi mettre la pagaille dans les rues de la capitale.
Lorsque les voitures les déchargèrent devant le palais ducal, chacun s’extirpa de son véhicule avec un air défait et hagard, et un léger mal de mer provoqué par les cahots. Mais il n’était pas temps d’aller se reposer dans une taverne, aussi Sardanapale rassembla toute sa fratrie autour de lui, et déclara :
Mes amis, on nous ment, on nous spolie !! D’aucuns prétendent que nous ne sommes pas normands, et nient nos liens avec cette terre. À ceux-là, que devons-nous leur répondre ?
Derrière les têtes tournées vers lui, une petite voix lança alors :
C’est çui qui dit qui y est.
Sa consternation dut se lire très aisément à son visage ébahi, car aucun n’osa ni rire ni répondre, alors que Val et Adri regardaient en l’air, laissant passer l’ange.
Nous devons répondre « Halte à la haine » ! « Halte à l’ostracisme », continua-t-il en levant le poing, « n’ayons pas peur de celui qui est différent », à la rigueur, ou alors, un « HOUUUUUUUUUUUUU » conviendra parfaitement.
Brandissant le parchemin de sa profession de foi, il leur montra de la main, au premier étage du palais ducal, les croisées des appartements officiels, où leur sort allait se jouer.
Voilà notre revendication, nous ne quitterons pas cette place tant que nous n’aurons pas obtenu réponse satisfaisante. Sortez les pancartes, faites du bruit, il faut qu’on nous entende et qu’on nous restaure dans nos droits ancestraux.
Le Vicomte alors fit un signe à son serviteur, Ange Mathurin, et lui confia la lourde tâche de faire parvenir la missive entre les mains du Duc. Celui-ci s’inclina et courut vers la grande porte, serrant contre lui son précieux parchemin.
Citation:
À Sa Grâce Patsy de Bec Thomas, Duc de Normandie,
Vôtre Grâce,
Il apparait, selon les informations qui me parviennent, qu’une missive est en mesure de faire taire de mauvaises rumeurs, et de rassurer certaines personnes que ma présence dans leur voisinage pourrait perturber. Comme je ne peux laisser de petites contrariétés venir jeter un voile de doute sur mes intentions réelles, et comme par ailleurs la démarche, ni ne me force en rien, ni ne demande de ma part un sacrifice démesuré, c’est bien volontiers que j’accède à une coutume normande, que je fais, dès lors, mienne.
Mais permettez-moi, auparavant, de dérouler à vos yeux le long fil qui relie ma famille à cette terre, et qui rend toute sa logique au choix que nous avons fait il y a quelques mois.
Il y a bien longtemps, du haut d’un tertre en plein Cotentin, entouré d’un village isolé et cerclé par de verts pâturages, un rameau septentrional, du lointain pays des vikings, est venu s’enraciner dans une terre noire et fertile, avec l’espérance de trouver dans ce nouveau monde un climat propice à sa descendance.
De cette souche, de nombreuses branches ont poussé, parfois très loin, se lançant à la conquête du monde et du bonheur, s’éparpillant aux quatre coins du monde connu comme les étincelles d’un brasier. Des décennies et des siècles plus tard, ces foyers secondaires ont fini par s’éteindre, et il n’est resté qu’une faible braise rougeoyante, résistant à l’extinction malgré les heurts de la vie, les vicissitudes et le mauvais sort.
De cette dernière braise, de cette souche, et de ce rameau initial, je suis venu au monde, ultime tentative d’une famille pour conjurer son extinction. Mais de la grandeur passée, de la gloire de nos aïeux, il ne restait qu’un souvenir, et l’espoir que nous contenions encore en nous la force pour nous redresser.
Je porte encore en moi la mémoire de mes parents, derniers représentants normands de cet espoir, mais que le destin n’a cessé d’affaiblir, à coup de maladies, de guerres et de malchance. Leur mort tragique, dans les larmes et la souffrance, m’a poussé à quitter ce berceau nourricier et à chercher ailleurs la fortune, que je me suis fait un devoir de mériter.
Aujourd’hui, je reviens sur la terre de mes ancêtres déposer sur la sépulture de mes parents l’honneur que j’ai acquis dans le Comté de Flandres, et l’espoir de descendance que le ventre de ma merveilleuse épouse porte en lui. Ce duché, je l’ai quitté pauvre comme Job, plus solitaire que le plus misérable des gueux, et je le retrouve en ayant le sentiment, qui me transporte de joie, que mes mains et mon âme ont gagné le pouvoir d’honorer la mémoire de ceux qui m’ont donné le jour, et qui se sont sacrifiés pour moi.
Vous comprendrez aisément, dès lors, que dans ma grande naïveté il ne m’a pas traversé l’esprit que je devais demander ma naturalisation, alors même que j’ai quitté mes terres, emportant mon épouse fidèle, ma cousine, et suivi de mes amis les plus chers, pour rebâtir un avenir dans la magnifique ville de Bayeux.
La certitude de l’évidence m’a donc trompé, et j’espère que cette missive pourra réparer mon erreur. Aussi, je vous prie de bien vouloir nous accorder l’honneur et la bénédiction de nous conférer, à ma famille et à moi-même, la naturalisation normande, citoyenneté qui coule dans nos veines et que nous avons toujours gardée chevillée au corps, même lorsque des lieux nous séparaient de la terre de notre enfance.
Je forme le vœu, Vôtre Grâce, que le Très Haut protège éternellement la Normandie, et accorde à votre personne, et à votre gouvernement, le succès qu’ils méritent.
Fait à Bayeux le vingt-sixième jour de novembre de l’an de grâce 1456.
Sardanapale de Hauteville, Vicomte de Termonde, seigneur de Meteren

Vôtre Grâce,
Il apparait, selon les informations qui me parviennent, qu’une missive est en mesure de faire taire de mauvaises rumeurs, et de rassurer certaines personnes que ma présence dans leur voisinage pourrait perturber. Comme je ne peux laisser de petites contrariétés venir jeter un voile de doute sur mes intentions réelles, et comme par ailleurs la démarche, ni ne me force en rien, ni ne demande de ma part un sacrifice démesuré, c’est bien volontiers que j’accède à une coutume normande, que je fais, dès lors, mienne.
Mais permettez-moi, auparavant, de dérouler à vos yeux le long fil qui relie ma famille à cette terre, et qui rend toute sa logique au choix que nous avons fait il y a quelques mois.
Il y a bien longtemps, du haut d’un tertre en plein Cotentin, entouré d’un village isolé et cerclé par de verts pâturages, un rameau septentrional, du lointain pays des vikings, est venu s’enraciner dans une terre noire et fertile, avec l’espérance de trouver dans ce nouveau monde un climat propice à sa descendance.
De cette souche, de nombreuses branches ont poussé, parfois très loin, se lançant à la conquête du monde et du bonheur, s’éparpillant aux quatre coins du monde connu comme les étincelles d’un brasier. Des décennies et des siècles plus tard, ces foyers secondaires ont fini par s’éteindre, et il n’est resté qu’une faible braise rougeoyante, résistant à l’extinction malgré les heurts de la vie, les vicissitudes et le mauvais sort.
De cette dernière braise, de cette souche, et de ce rameau initial, je suis venu au monde, ultime tentative d’une famille pour conjurer son extinction. Mais de la grandeur passée, de la gloire de nos aïeux, il ne restait qu’un souvenir, et l’espoir que nous contenions encore en nous la force pour nous redresser.
Je porte encore en moi la mémoire de mes parents, derniers représentants normands de cet espoir, mais que le destin n’a cessé d’affaiblir, à coup de maladies, de guerres et de malchance. Leur mort tragique, dans les larmes et la souffrance, m’a poussé à quitter ce berceau nourricier et à chercher ailleurs la fortune, que je me suis fait un devoir de mériter.
Aujourd’hui, je reviens sur la terre de mes ancêtres déposer sur la sépulture de mes parents l’honneur que j’ai acquis dans le Comté de Flandres, et l’espoir de descendance que le ventre de ma merveilleuse épouse porte en lui. Ce duché, je l’ai quitté pauvre comme Job, plus solitaire que le plus misérable des gueux, et je le retrouve en ayant le sentiment, qui me transporte de joie, que mes mains et mon âme ont gagné le pouvoir d’honorer la mémoire de ceux qui m’ont donné le jour, et qui se sont sacrifiés pour moi.
Vous comprendrez aisément, dès lors, que dans ma grande naïveté il ne m’a pas traversé l’esprit que je devais demander ma naturalisation, alors même que j’ai quitté mes terres, emportant mon épouse fidèle, ma cousine, et suivi de mes amis les plus chers, pour rebâtir un avenir dans la magnifique ville de Bayeux.
La certitude de l’évidence m’a donc trompé, et j’espère que cette missive pourra réparer mon erreur. Aussi, je vous prie de bien vouloir nous accorder l’honneur et la bénédiction de nous conférer, à ma famille et à moi-même, la naturalisation normande, citoyenneté qui coule dans nos veines et que nous avons toujours gardée chevillée au corps, même lorsque des lieux nous séparaient de la terre de notre enfance.
Je forme le vœu, Vôtre Grâce, que le Très Haut protège éternellement la Normandie, et accorde à votre personne, et à votre gouvernement, le succès qu’ils méritent.
Fait à Bayeux le vingt-sixième jour de novembre de l’an de grâce 1456.
Sardanapale de Hauteville, Vicomte de Termonde, seigneur de Meteren

