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[RP] L'Artemisium

Theognis
La question.
Le visage insondable et pourtant, des yeux légèrement rétrécis qui le scrutaient avec curiosité. Une économie de gestes, immobile comme le roc, noir et brillant, face aux vagues.
Théo apprécia cette image: l'océan, la liberté, rêveries du Baron, et la falaise, la citadelle, hérissée de remparts, la longue traine de titres derrière Son Altesse. Il devinait bien qu'elle ne le comprenait pas, et Théo doutait qu'elle ne le comprenne jamais. Lui-même, souvent, se laissait porter par le courant, amoureux des tempêtes, rêveur des grandes houles.
Attendu, il s'ennuyait très vite. Son plaisir était dans la surprise et la confusion. Aux grandes architectures, il préférait les forêts aux chemins secrets. Sa vie publique, en Bourgogne, il l'avait consacrée à l'union de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Cet idéal désormais lui paraissait vain, il n'avait ni le caractère ni les épaules pour le porter à bien. Sous le coup de la déception, il s'échappa, il fuit son pays, pour nouer autour de son cou les lacets des chemins.
Très vite, sous le soleil brûlant ou la pluie froide, l'horizon, ces virages cachés, ces arbres à l'épaisse futaie, ces villages blottis au creux des vallons ou perchés au sommet des collines, ces villageois à l'accueil incertain, le danger aux aguets, derrière chaque virage, arbre ou villageois, tout cela le ragaillardit.
Il se sentit vivre, à nouveau. Prêt à mener la vie aventureuse qu'il avait rêvé. Loin de son esprit, les problèmes bourguignons.
Mais, à nouveau, la déception. Moins amère mais plus cruelle, car mêlée de désabusement. Ce n'était pas l'échec de son élection à la Teste de Busch, qu'il voulait tranquillement piller, qui le marqua. La frilosité des dirigeants de la Gascogne, incapables de se saisir du fruit mûr de la Guyenne, le déçut davantage.
Remontant vers le Limousin, le pas d'armes fut un échec. Les nobles du Limousin, plus à l'aise dans leur bain que sur un terrain de lices, ne vinrent pas relever le gant jeté à leur visage poupon. Ainsi, la petite troupe du Cartel se dispersa.
Revenu en Bourgogne, Théo avait au moins appris une chose.


Hé bien, j'attends que tu m'accordes le droit de vivre comme ma noblesse l'exige. Je ne suis pas destiné à devenir professeur d'université: sitôt mes études militaires finies, je m'éloignerai des bâtiments universitaires.
Je ne suis pas non plus fait pour vivre comme un paysan: travailler dans les champs, ou égorger des cochons et des moutons, très peu pour moi.
J'avais à l'époque une petite forge, j'aimais bien ce métier. Mais un noble ne peut travailler de ces mains, n'est ce pas? Avant de partir, j'ai donc tout vendu: mon auberge et mon échoppe. Ainsi, je me suis rapproché de l'idéal de la noblesse.
Maintenant, je voudrai que tu m'accordes le droit de percevoir des taxes. Sur les routes du duché de Bourgogne, comme une sorte de droit d'octroi que tu m'attribuerai par un édit spécial. Ainsi, je pourrai vivre, non point comme un gueux, mais comme un homme fier de sa noblesse.

Il prononça les derniers mots comme un défi à l'éducation policée d'Ingeburge. Certes, malgré toute l'affection qu'il lui portait, il n'estimait pas à grand chose ses chances de réussir. Elle était, son plus grand défaut songea Théo, bien trop conformiste. Mais, aux poignets, les franges de son habit le grattaient.
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Partage des RP
Les Terres d'Arquian
Ingeburge
Elle le regardait franchement, ne se départant pas de son air indifférent, attendant qu'il lui dise enfin ce qu'il voulait et le rôle qu'elle aurait à jouer là-dedans. Il n'était pas toujours si mystérieux quand il s'agissait de faire connaître ses envies, il ne craignait pas toujours de dire ses volontés aussi, imaginait-elle le pire. Et elle se l'imaginait d'autant plus qu'il était franc sans l'être et qu'il entourait sa demande d'un babil des plus fournis.
Certes, elle était ravie de le revoir même si elle n'en disait rien et elle appréciait qu'il lui conte par le menu toutes les péripéties qui avaient été les siennes depuis son départ de Bourgogne. Mais elle savait que tout cela dissimulait autre chose et elle balançait entre la neutralité et un sentiment de déception. Etait-il seulement venu afin de lui exposer une requête? Ou se réjouissait-il lui aussi de ces retrouvailles qu'elle n'avait pas escomptées?

Elle voulut donc savoir à quoi s'en tenir, trouver des réponses à ses muettes interrogations. D'où sa question simple et dénuée de fioritures. Elle y exprimait tout sans pour autant se dévoiler.

Qu'attends-tu de moi?

Oui, Theo, dis-moi ce que tu caches, dis-moi ce que tu veux et cesse donc ce petit jeu. Exprime-toi clairement que je sois tout de suite déçue et que je remise vite cela tout au fond de mon esprit, que cette frustration légitime aille rejoindre toutes les autres.
Parle, vide ton sac que l'on en finisse. Ne te joue pas de moi avec tes fables relatant ton escapade dans le sud, parle, parle enfin sans détour.
Fais-moi part de tes désirs, expose-moi tes attentes au lieu de me relater tes exploits pour mieux m'endormir.

Perçut-il derrière ces cinq mots neutres dont l'impersonnalité était renforcée par son visage indifférent tout ce qu'elle taisait? Entendit-il ce qu'elle ne dit pas tout haut? Ou était-il bien trop intéressé par son propre cas pour essayer de la comprendre?
Mais qu'importe au fond qu'il se rendit compte ou pas de ses silencieuses demandes car il répondrait. Il répondrait car il avait quelque chose à dire, une requête à soumettre et qu'il était venu pour cela. C'était du moins ce qu'elle se disait, ne voulant pas penser autre chose et elle provoquait d'ailleurs cette déception qu'elle ressentirait quand il dirait ce qu'il attendait d'elle. Peut-être que si elle sortait de cette réserve glacée qui était la sienne elle pourrait obtenir plus d'honnêteté en retour?

Elle n'envisagea pas la question car déjà, il reprenait la parole. Si le début de son discours ne lui parut pas très clair, la suite en revanche, même si celle-ci demeurait quelque peu confuse, était limpide. Et, jamais elle ne se serait attendue à de telles exigences.

Sourcils légèrement haussés, elle le regarda plus intensément, sa curiosité piquée et elle ne pouvait s'empêcher de se repasser ce qui lui avait dit de son escapade dans le sud à l'aune de ce qu'il venait d'exiger. C'était donc cela qu'il avait fabriqué durant tout le temps où il était parti? Elle était plutôt surprise même si elle n'en montrait rien et cela confirmait des rumeurs qu'elle avait entendues, ragots récoltés on ne sait comment et certainement par des moyens qui confinaient à l'occulte — ou à la plomberie, faut voir. Elle n'avait jamais prêté foi à ces bruits, n'ayant aucune preuve et n'en ayant toujours pas d'ailleurs. Si elle avait bien compris...

Alors, elle croqua dans une de ces douceurs qui leur avaient été servies, préférant garder le silence maintenant qu'il s'était tu. Ses prunelles opalines ne quittaient pas le visage du Baron d'Arquian et l'observant toujours avec la même attention, elle porta un hanap finement ciselé à ses lèvres. Et elle sentit le vin couler dans sa gorge, elle goûta la force et la distinction de la terre bourguignonne, cette terre pour laquelle elle avait été prête à rompre ses vœux et à laisser couler son sang. Et lui, sérieux, exigeait d'elle qu'il puisse se comporter selon son bon plaisir sur les routes de ce duché blessé.

Ingeburge reposa la coupe finement ciselée avec force et rétorqua enfin :

— Un noble ne peut pas travailler de ses mains et tu serais le dernier des derniers si tu te mettais à planter du blé ou à forger des cerclages de tonneaux. En cela, nous sommes parfaitement d'accord et oui, en laissant derrière toi soc et enclume, tu t'es approché de l'idéal de noblesse.
Mais, que t'a appris cette proximité? Ma foi, pas grand chose puisque tu exiges de moi l'autorisation, comment dis-tu déjà, de percevoir des taxes sur les routes de Bourgogne. Ma foi, je ne savais pas qu'il revenait aux barons de jouer les sergents des aides et huissiers des tailles.


Elle conclut :
— Mais nous savons tous deux qu'il ne s'agit là ni de taille, ni de fouage mais bien de rançonner les pauvres voyageurs, n'est-ce pas?

Oh oui, dis-moi tout Theo, ne te fais pas prier.
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Theognis
Réaction éminemment prévisible. Le Baron considéra sans ciller le visage légèrement empourpré par le vin de la Duchesse, jusqu'au moment où il sentit le coin de ses lèvres se retrousser dans une esquisse de sourire. Il détourna la tête pour cacher son amusement. Mais il revint bien vite à lui, et au jardin, bazar végétal où se mêlaient dans une orgie somptueuse les essences les plus rocambolesques.
Étrange Duchesse, étrange femme, humble et abstinente, orgueilleuse et aimante. Toujours de noir vêtue, comme tenue par un deuil interminable, alors qu'elle portait la parole divine, l'espérance de la rédemption et la joie de la Création. Une bouche finement dessinée pour des mots simples, mais un caractère difficile et un goût démesuré pour le pouvoir: Princesse, Cardinale, Duchesse, etc etc....
Absurde Théo, pitoyable tentative de séduction, armé d'élans vaniteux et de phrases usées jusqu'à la corde, il voulait tenir entre ses mains cette illusion de gaze. Cette beauté glacée, altière, splendide, voix de l'Église aux piliers de pierre, chantait des phrases délicieusement tendres à l'oreille des hommes. Forcément absurde et attirant, comme le parfum de sa fine chevelure bouclée. Sinueux, tortueux. Personne n'évaluait Ingeburge d'un seul coup d'œil. Le Baron avait lui-même le plus grand mal à la cerner. Croyait-elle vraiment aux Anges et au Paradis? Par un curieux renversement des rôles, il lui semblait être l'idéaliste, quand elle était la plus grande des sceptiques. Ne la tenait-il pas pour Provençale, impression renforcée par cette musclée garde lombarde. Et qui était ces hommes? Organisait-elle avec eux des orgies digne de Sardanapale? Tout portait à le croire, et pourtant....Ce visage frais comme la neige trahissait peu d'émotions.
Ces phrases sans détour, rétorquées, exprimaient l'agacement, colère et déception. Quant à cette exigence....Théo n'avait rien exigé, mais il savait depuis longtemps que ce vieux défaut l'accompagnerait toujours. Dans sa bouche, une question devenait une réponse, une demande un ordre, une boutade de l'arrogance. Il n'aimait rien justifier, pas même ses pensées en mots ordinaires. Aussi s'était-il révélé très vite un piètre politique.
L'attitude de la Duchesse, ce visage sévère mêlé de curiosité, montrait qu'elle attendait de lui toute la franchise nécessaire. Voire davantage. Il se surprit à penser qu'elle voulait des mots d'amour, qu'il lui fasse assidument la cour et qu'il s'attache à ses pas comme un ruban de soie. Or, Théo avait la passion de la chair, du sang et de la sueur, des bouquets d'odeur et des couleurs vives. La Duchesse lui paraissait comme une beauté de marbre veiné de noir, que l'on respecte mais que l'on ne touche pas. Pourtant, ces gardes lombards....L'attirance de son regard....Les jeux subtils de ces mains, sa manière de porter les dragées à sa bouche carminée....
L'amitié sans la séduction, la coupe d'or ciselé sans le nectar couleur rubis. Le droit de passage sans le larcin, la dissimulation sans le délit. Jeux de dupes, jeu dangereux, gestes calculés, regards qui glissent sur la peau, souffle court et chaud, sourire caché dans un coin de la bouche. Vérités, mensonge, divine absurdité, noblesse d'échafaud.


Pauvres voyageurs....Ne pensez-vous pas que je leur ressemble? Bientôt, je ne pourrai même plus payer mon équipement. Je vous serai inutile....Or, je ne suis pas un pèlerin mendiant mon pain au bord des routes....Je vous dois la sécurité et le dévouement, autant que vous me devez protection et justice....

Laissant flotter ces mots quelques instants, il reprit après avoir bu une gorgée de vin.

Si vous m'accordiez le droit de....prélever ce droit de passage sur les gens croisant ma route, je pourrai ensuite combattre à vos côtés avec un équipement neuf....Mon château serait mieux entretenu, et mes gens prêts à vous servir avec grand dévouement. S'il s'agit d'un pauvre bourguignon, ou d'un membre de la noblesse, ou encore un respectable titulaire de la Toison, voire un agent ducal dans son sens général, je m'engagerai à rembourser tout ce que j'aurai pu prendre. Mais pour le reste....Il me faut bien vivre, et si ce n'est pas ici, ce sera ailleurs.
Je devrai partir vers les terres étrangères. Certes, mon idéal sera de servir la Bourgogne. Je ne vous cache pas que mon rêve serait de prendre Genève, ou de semer la panique en terre champenoise, pour nous venger de leurs forfaits précédemment commis. Ou encore le traître Languedoc, terre baignée du sang de notre cher Commandant....Mais si je pars, je ne pourrai plus défendre les terres bourguignonnes, ni vous revoir....
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Les Terres d'Arquian
Ingeburge
A quel point était-il sérieux? C'est ce qu'elle essayait de savoir maintenant qu'elle s'était tue.
Il s'était un instant détourné, sans qu'elle comprit bien pourquoi mais il lui faisait de nouveau face et leurs regards se croisèrent.
Oui, à quel point était-il sérieux? C'était là une question légitime tant Montereau, sous ses airs débonnaires et ouverts, paraissait parfois si fuyant.

Avait-il été sérieux à la Basilique Saint André?
Elle l'avait rencontré à la faveur de ses activités diplomatiques. Il était Chambellan de Bourgogne et elle était Secrétaire de la Congrégation des Saintes Armées. Ils ne se connaissaient pas mais d'entrée, il s'était montré séducteur et affable. Si elle avait été novice en matière de négociations, elle aurait pu se dire qu'il agissait de la sorte afin d'établir un dialogue cordial et libéré des tensions inhérentes aux discussions. Mais elle n'était pas une débutante et elle avait donc pu constater qu'il sortait de manière certaine du cadre de ses obligations. Elle en avait été un peu surprise mais elle était là pour sa proposition, il lui avait donc peu importé que son interlocuteur se montre caressant et flatteur. Elle avait choisi de dédier sa vie entière au Très-Haut, à Rome et aux Saintes Armées et avait déjà fait des sacrifices bien plus importants que celui de devoir subir des compliments.

Etait-il sérieux dans tout ce qu'il professait?
D'aucuns apportaient peu de crédit à ses paroles et à ses actes. Sûrement parce que nombreux étaient ceux qui se posaient, comme elle, des questions sur son comportement. L'on avait ainsi moqué son mariage avec la terrible Comtesse de Nozeroy — elle-même s'était toujours étonnée de cette union entre deux êtres si dissemblables, l'on avait chahuté son engagement politique avec sa liste en début de cette année et elle avait pu voir, notamment au conseil ducal qu'aux propositions du baron, certains, invariablement et quasi automatiquement, levaient les yeux au ciel, haussaient les épaules et lançaient quelques piques bien senties. Elle le regrettait du reste car il avait parfois des positions intéressantes et que c'était ces mêmes personnes qui reconnaissaient que son mandat de régent avait été correct en dépit du contexte troublé.
Mais elle le savait provocateur et elle avait parfois du mal à démêler ce qui tenait de la plaisanterie de ce qui tenait de la conviction. Et il en usait et voire même en abusait, au risque de n'être jamais écouté.

Et... elle le regarda plus intensément, cherchant à comprendre... avait-il était sérieux lors d'une certaine rencontre nuitamment survenue? Aujourd'hui encore, elle ne savait pas.
Il faut dire que Theo traînait derrière lui une effroyable réputation de séducteur, contant fleurette plus ou moins innocemment à tout ce qui portait jupons et le mariage n'avait en rien affaibli cette image que les gens avaient de lui. Il ne faisait rien pour démentir les ragots, semblant presque s'en jouer, amusé de ses liaisons plus ou moins véridiques qu'on lui prêtait volontiers. Elle-même avait dû faire face aux petits sourires de ceux se rendant compte de leur complicité et aux conseils de prudence plus ou moins voilés de certains. Comme si elle qui avait voué sa vie au sacerdoce se serait laissée corrompre.
Néanmoins, elle se serait menti en affirmant qu'elle n'avait pas été ébranlée et ce n'est pas tant ses vœux que sa volonté qui l'avaient été, simplement cette implacable conviction qu'elle avait eu raison de faire le vide autour d'elle. Il lui avait été agréable de se sentir choyée ne serait-ce que quelques minutes. Les mots murmurés ne lui avaient que peu importés car elle n'avait pas été tentée de pécher, son serment était inattaquable et si celui-ci n'avait été ne serait-ce qu'entamé, son être, lui, se serait tout entier révolté; sa chair et son cœur étaient morts depuis bien longtemps déjà.
N'empêche qu'elle demeurait humaine et à ce titre, fort curieuse. Peut-être qu'elle lui demanderait un jour, juste pour savoir. Car aujourd'hui plus que jamais, elle s'interrogeait.

Et ce n'était qu'une interrogation parmi d'autres tant elle se demandait si la requête qu'il était en train de lui exposer était sérieuse.
Ne voilà-t-il pas qu'il était en train de s'entêter alors qu'elle lui avait déjà signifié que ce qu'il lui demandait n'était rien d'autre que du brigandage? Cela, elle en était convaincue et il aurait beau enrober cela de toute l'éloquente garniture qu'il voudrait, cela ne serait rien de plus que du brigandage.
Ses yeux opalins étaient toujours posés sur lui, elle l'observer s'échauffer à mesure qu'il parlait, portant de temps à autre la coupe de vin à ses lèvres. Et elle retrouvait en lui un peu de passion elle qui s'était inquiétée, lorsqu'il avait quitté la Bourgogne, de son moral après les deux mois de régence éprouvante auxquels il avait dû faire face. Bien peu étaient ceux qui ne sortaient pas indemnes de l'exercice du pouvoir, on y perdait toujours, aussi minime fut-elle une part de son âme, elle-même savait qu'elle sortirait de son mandat un peu plus déçue que de coutume.
Oui, la passion était revenue même si la cause était des plus condamnables et elle le voyait maintenant, sur les routes, épée au clair, alpaguant les pauvres voyageurs ayant eu le malheur de croiser son chemin. Elle ne se l'imaginait pas autrement que gouailleur malgré la gravité de l'acte qu'il était en train de commettre, sourire aux lèvres et lueur amusée au fond de ses yeux sombres alors qu'il délestait ses victimes. Mais n'était-ce pas là une réalité romancée? Theo, brin de paille à la bouche, chapeau posé à la diable sur sa chevelure rebelle, sa carcasse dégingandée revêtue d'une casaque élimée mais portée avec cette élégance qui distingue les nobles des pécores; Theo en train d'appuyer la pointe de sa rapière émoussée contre le ventre d'un marchand trop gras pour être honnête, le verbe haut mais charmeur, débitant des menaces voilées par sa voix flatteuse... Mais elle ne devait pas le voir ainsi car la réalité ne pouvait être telle. Il ne s'agissait pas d'un conte. Errer sur les routes, guetter, tapi dans les buissons, la prochaine victime de ses forfaits, attaquer des personnes plus pauvres que soi... Elle le voyait maintenant comme elle voyait son regard sombre éclairé d'une lueur implacable et agressive, elle le voyait arracher avec force invectives une bourse peu remplie à des voyageurs pauvres, elle le voyait comptant d'un air peu satisfait le gain de la nuit, elle le voyait ruminer alors qu'il grattait le peu de viande enveloppant l'os de l'agneau égorgé plus tôt devant un maigre feu, elle le voyait avoir faim et froid et s'attaquer à des personnes aussi démunies que lui car les personnes aux bourses pleines savent toujours s'entourer. Mais était-ce là aussi la réalité? Elle ne pouvait accepter qu'il fut comme tous ces malandrins dont les exploits donnaient matière aux nantis pour contraindre davantage ceux qui n'avaient rien, elle ne pouvait se résoudre à le voir comme toutes ces graines de potence qui avaient finalement perdu toutes leurs illusions. Etait-il à ce point amer le fier Régent de Bourgogne qui avait commencé son règne des rêves plein la tête et des projets plein les poches? Avait-il était blessé au point de s'asseoir sur sa condition? Ou avait-il choisi la voix de la facilité si tant est qu'agresser ses semblables était facile?

Alors, était-il sérieux ce noble de Bourgogne qui plutôt que d'exploiter ses terres préférait moissonner des pèlerins aux buts divers — mercantiles, religieux ou récréatifs? Etait-il sérieux ce noble qui avait des titres mais rien dans les poches? Etait-il sérieux quand il la regardait sans sourciller et lui demandait l'autorisation d'écumer les routes de cette Bourgogne si souvent violentée par des brigands qui n'avaient rien d'élégant?


Ingeburge contempla un instant les jardins opulents de l'Artemisium, se refusant à répondre. Voilà qu'il recommençait avec ses séductions, glissant à demi-mot qu'elle risquait de ne plus le revoir. Elle le regarda alors, triste soudain qu'il tente de se jouer d'elle en essayant de toucher son cœur. Elle eut alors réponse à son interrogation, il n'avait pas été sérieux quand il lui avait murmuré son attirance pour elle car il essayait de nouveau. La prenait-il à ce point pour une idiote? Il était parti sans se retourner, insoucieux de ce qu'elle aurait pu penser, il était parti vers l'aventure et n'avait pas daigné lui écrire, tout pris qu'il était par ses nouvelles occupations et à ses nouvelles amours.
Et comme il se foutait d'elle maintenant avec ce vouvoiement qui lui était revenu — volontairement ou pas, elle n'en avait cure, il la vouvoyait.

Elle sourit, d'un de ces sourires qui étaient glaçants et elle planta son regard froid dans le sien. Elle déclara avec calme, sa voix peut-être un peu plus rauque que de coutume :

— Me servir? Que tu aimes la Bourgogne, cela est certain et je pense que tu désires contribuer à sa grandeur. Mais tu ne l'aimes pas assez car jamais sinon tu n'oserais me demander de te donner un blanc-seing pour saigner des voyageurs, tu le reconnais toi-même, qui sont certainement aussi indigents que toi.
Tu me demandes protection et justice, va, je tenterai de te protéger de tes démons, Theo. Car là réside le problème, tu choisis ce qui te paraît le plus simple et le plus accessible. Il existe pourtant des solutions qui n'impliquent pas que tu terrorises des personnes qui sont également sous ma protection. Alors, je veux bien t'aider mais pas ainsi.


Le sourire avait disparu, elle se sentait soudain très lasse. Elle l'observait toujours, désolée pour lui et un peu inquiète des conséquences de cette conversation dont elle craignait l'issue.
Alors, elle laissa échapper, énervée et attristée :

— Oh, si je refuse, tu partirais et tu ne pourrais plus me revoir? Mais que t'importe donc de me revoir puisque tu serais prêt à m'attaquer! Oh, de grâce, ne nie pas, nous savons tous deux qu'à la faveur de la nuit, on ne sait qui l'on peut aborder quand il s'agit de détrousser quelqu'un! On attaque et seulement après, on dévisage sa victime!

Elle serra les poings; elle l'aurait souffleté pour ce chantage qu'il avait osé lui jeter à la figure.
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Theognis
Ingeburge serra ses petits poings et Théo sourit. La Duchesse le dardait avec des yeux emplis de colère et le Baron s'en amusait en secouant la tête. Elle le tançait d'importance et il avait deviné depuis longtemps que sa requête serait dramatiquement inutile.
Une illusion, la grande Bourgogne, une chimère, le Grand Duché d'Occident. Rien dans ce duché n'est grand, pensa Théo, rien sauf la frilosité de ses habitants et la couardise de ses maîtres. La Bourgogne ne ferait jamais que de se défendre contre les brigands, et encore, avec l'autorisation du Roy.
De fait, Théo n'écoutait plus Ingeburge. Les mêmes arguments stupides, la même posture indignée, et cette dernière tentative pour l'attendrir....Lamentable. Elle ne l'avait jamais compris, et ne le comprendrait jamais.
Lui revint encore en mémoire, pendant que la conversation atteignait un blanc, le regret de sa Régence. Avoir été à la tête d'une armée, à Tonnerre, et n'avoir pas envahi la Champagne....Mais comment, en catimini? En toute discrétion, en cachant les étendards, comme un pleutre qui fuit les coups de bâton?
Le Baron regarda la Duchesse et il sut alors que jamais la distance entre eux n'avait été aussi grande. Elle était comme les autres, une banquière, le soir venu fermant le verrou pour mieux compter ses écus.
Paradoxalement, Théo ne demandait que les moyens de vivre comme son rang l'exigeait. Il voulait des écus, car il en avait assez de manger du pain tous les jours, au détriment de sa santé. Longtemps, il avait corrompu son rang en travaillant dans les champs....Et Ingeburge? Le Baron regarda plus attentivement ses mains, mais elle les cachait bien. Elle devait se livrer à bien des activités dégradantes pour survivre....Et elle se permettait de le juger!

L'ironie était amère pour Théo. Il devrait bientôt quitter la Bourgogne, puisqu'on lui refusait le pain et le sel. Il deviendrait un de ces cadets de noblesse, qui cherche la fortune en parcourant les chemins. Il reprendrait la voie de ses ancêtres....


Car qu'est ce que la noblesse, sinon des gens qui ont construit des tours au bord des routes pour offrir leur protection aux voyageurs comme aux paysans en les taxant?

Il se rendit compte, après un instant de silence, qu'il avait parlé à voix haute. Il ne lui avait même pas répondu, mais la question était si stupide qu'il dut se forcer à rétorquer.

Mais si tu me refuses le droit de percevoir ces taxes, je ne briganderai pas en Bourgogne. J'irai ailleurs, en Suisse, dans le Limousin, partout...Au moins, je m'ennuierai pas comme un rat mort dans une ville quelconque, à planter des choux pour gagner ma vie.
La Bourgogne me manquera, mais elle m'a tellement déçue que....

Il eut du mal, soudain, à finir sa phrase, mais il passa outre les sanglots inutiles, brûlés par la colère.

Il n'y a rien pour moi ici, sauf Arquian, que je continuerai à chérir. Grâce à Aelyce, je monterai ma petite compagnie privée et nous sillonnerons les routes du Royaume et d'ailleurs. Certes, je serai inutile pour ma suzeraine, mais au moins je ne serai pas frustré. Ton aide, je n'en veux pas. Elle ne suppose qu'ennui et désoeuvrement, car jamais tu ne me feras confiance pour des tâches importantes....Et encore....Quelles tâches? Dormir sur les remparts, attendre, étudier, et boire en taverne pour oublier l'ennui? Se parer d'un nouvel habit, d'un nouveau titre, se gargariser, glousser comme une poule et avoir peur du froid? Se répandre en gentillesses, en mièvreries imbéciles, se rouler dans un fatras dégoutant d'hypocrisie? Hurler au loup, sans jamais hurler comme un loup?
Et jamais un projet de conquête, jamais une politique ambitieuse, jamais une guerre pour nous dérouiller les os! Au contraire, la noblesse de Bourgogne est condamnée à la putréfaction. Pourquoi? Parce que nous avons peur, parce que nous sommes lâches, parce que nous sommes les gardiens d'une morale qui n'existe que dans les livres. Ou alors, argument plus méprisable encore, parce que nous avons peur des coups de baguette de notre Roy, devenu tout-puissant comme le Soleil, alors que nous sommes démunis et pleurnicheurs comme des fillettes.


Poussant un profond soupir de résignation, Théo conclut en contemplant le fouillis du jardin.

Alors, je te laisse, avec tes gestionnaires, discuter du prix du blé ou du temps qui fait. J'obtiendrai ce que je voudrai, à savoir la condamnation de ceux qui m'ont trahi, puis je partirai d'ici, sans état d'âme, mes regrets en besace et la route devant moi.

Il se tourna vers elle, les yeux étincelants, posant la main sur la table il montra ostensiblement qu'il voulait se lever, mais attendait sa permission pour se retirer, car elle était la Duchesse et lui le Baron.
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Partage des RP
Les Terres d'Arquian
Theognis
Bien des jours plus tard....

Ce n'était pas un pigeon, une mésange ou un aigle. Plutôt un mélange insolite entre le loup et le bouc. Point un bâtard: sa mère et son père ne s'aimaient pas, mais ils avaient été marié dans les règles, au cours d'une cérémonie funèbre zébrée d'éclairs. Les gens du cru n'auraient pas apprécié, car ils se chuchotaient dans les chaumières que l'orage portait malheur à l'union des époux. Mais il n'y avait personne, ou presque....Le père était orphelin, la mère, une fille de joie en voie de rédemption. Quant au curé, il ne s'en souciait guère. Au bénitier, il préférait la bouteille, alors la quête serait maigre mais toujours la bienvenue. Il célébra le mariage avec une rapidité foudroyante.
Le vougier leva les yeux vers la grille. Sous le casque bouclé, une perle graisseuse coula sur sa joue et s'arrêta en lisière de sa barbe fournie. L'homme cherchait à reprendre son souffle, le guet d'Arquian ne demandait pas ses efforts inhabituels, à force de tourner sur les remparts il s'était empâté.
Au demeurant, il n'avait jamais été soldat, tout au plus homme de main dans une milice, multipliant les coups de main sous les ordres du seigneur local. Pas l'actuel Baron d'Arquian: ce dernier le jugeait trop brutal. De fait, la baston, le viol et le meurtre furent pour lui d'agréables occupations, des actions stimulantes dans sa vie morne. Il ne connaissait ni la pitié ni l'amour, mais il trouvait une sorte de plaisir dans la peur des autres, l'adrénaline de leurs regards, leur souffle pétrifié. Souvent, il repensait à cette période, sans nostalgie et sans remords, comme un homme songeant à ses loisirs de jeunesse.
Au nouveau Baron d'Arquian, une doléance fut présentée, la première de toutes, la plus pressante. Se débarasser de ce fléau de Dieu, de ce démon qui prenait les traits de la mort dès que l'on croisait son regard. Cependant, dans les supersitions locales, on rendait des comptes au Très-Haut, mais aussi au Très-Bas. Satan était aussi craint que Dieu. Celui qui tuait sa bête, ne serait-il pas poursuivi par les flammes maléfiques du bourreau des âmes?
Aussi le châtelain avait du s'y résoudre: sa nouvelle demeure serait la prison du maléfique. Il ne commettrait plus ni viols, ni meurtres, ni pillages. Ses mains noeueuses caresseraient les merlons du rempart; s'imprégnant de la pierre, il deviendrait immobile.
En ce jour, il dépassait allégrement sa fonction. A nouveau, les chemins de Bourgogne avaient connu son pas, lourd, profond. Spécialiste de la découpe des jarrets des chevaux, ces bêtes ne l'aimaient pas et il leur rendait bien. Mais le voyage ne présentait aucun danger, pour personne: le Baron savait que le vougier n'avait aucun courage, tout seul. Il lui fallait du vent pour lui donner du souffle, un groupe pour lui offrir du mouvement, et le temps avait dispersé les braises de sa rage.
Il se présenta à la guérite. Sans un mot, il tendit un rouleau de parchemin camouflé dans une gaine de cuir. Nul besoin de préciser la destinataire, elle était évidente.




Votre Grasce,
Ingeburge,

Voilà des jours que je ne t'ai vu, ni au Conseil ni en public. Aussi, je te suppose malade et je te souhaite le meilleur des rétablissements. Ne te laisse pas abattre par le découragement, comme j'ai pu le faire, autrefois. Tu auras, je suis sûr, encore un beau mandat à offrir aux bourguignons.
Demain, à l'aube, je franchirai la limite des terres du duché. Je vais en Champagne, trouver le moyen de porter mon aide à l'Artois. Aide dérisoire, certes. Seul un homme m'accompagne. Mais si je ne peux faire tout, j'accomplirai au moins ma part.
Armoria, dans sa grande vilenie, m'a refusé le passage. Elle nie mon droit à combattre dans l'honneur au sein d'une armée opposée à la sienne et ordonne ma traque par les troupes champenoises. Aussi dois-je demeurer le plus discret possible, avec l'espoir de traverser leurs lignes. En Guyenne, j'ai appris certaines choses, mais on ne sait jamais vraiment avant la mise à l'épreuve de ses connaissances. Bientôt, je saurai.
Memento Audere Semper.

Puisses-tu me pardonner ma présomption,
Theognis d'Arquian

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Partage des RP
Les Terres d'Arquian
Ingeburge
Ses doigts se promenèrent longuement mais délicatement sur le sceau de gueules, ils en explorèrent les moindres aspérités, en découvrirent les moindres creux et finirent par connaître snas avoir l'air d'y toucher le dessin des armes incrustées dans la cire. Et la propriétaire de ses doigts délicats, elle, n'avait pas besoin d'une telle étude, non, les armoiries lui étaient bien familières.

Si elle se laissait aller à caresser ainsi la galette arrondie c'est qu'elle souhaitait par ce simple contact appréhender la réalité de ce qu'elle avait sous les yeux : une lettre de Théo.

Qui aurait cru que suite à leur étrange entretien, il lui aurait écrit et ici, à l'Artemisium. L'affaire ne concernait donc pas la Bourgogne, pas dans ses aspects officiels en tout cas. Mais alors?
Certes, ils s'étaient recroisés depuis cette inattendue entrevue mais jamais en des occasions où ils purent être seuls.
Elle repensa à cet après-midi dans les jardins de l'Artemisium et aux derniers propos que Montereau avait tenus. Elle avait eu la désagréable sensation qu'il ne l'avait pas écoutée et qu'il lui avait fourni une réponse toute prête. Elle l'avait regardé, un peu déçue, se convainquant au fur et à mesure de son discours qu'il effectuait là une récitation d'une leçon bien apprise. Ainsi, elle aurait pu dire n'importe quoi, il avait prévu son refus de principe et lui avait donc livré la réponse stéréotypée qu'il avait dû prévoir.
Avait-il simplement entendu ses arguments? Elle n'en était pas sûre et l'était d'autant moins que de son côté, elle avait tâché de l'écouter sans a priori.

Ils n'étaient pas en conflit, non mais cette missive déroulée qu'elle contemplait représentait à ses eux comme une trêve.
Elle se résolut donc à la lire, cela ne pourrait être pire que leur séparation après ce fameux entretien, non, cela ne pouvait être.

Quand elle eut terminé, elle était partagée entre le soulagement et l'inquiétude. Soulagement car leur amitié ne semblait pas avoir souffert de leur confrontation, inquiétude car cette tête brûlée avait décidé de reprendre la route pour rallier l'Artois.
Elle grommela :

— La peste soit les hommes, toujours présents dès lors qu'il s'agit de courir le guilledou ou d'aller à l'aventure.

Vaguement irritée, mis de cette irritation affectueuse que suscitait chez elle les pitreries du Comte de Nozeroy, elle fit réponse en espérant que sa lettre ne se perde pas en route :

Citation:

    Votre éternelle (?) Grandeur,


    Je dois avouer que ta lettre m'a réellement surprise et ce, à double titre. Tout d'abord, je ne l'attendais pas. Ensuite, je ne doutais pas que tu puisses t'inquiéter pour moi... je suis sincèrement touchée comme j'ai été touchée par tes encouragements et ta sollicitude.
    J'ai effectivement été souffrante mais je me rétablis, lentement, espérant tout de même pouvoir achever correctement mon mandat. Tu me connais, je ne puis souffrir de laisser les choses inachevées.

    Quant à ta présomption, ma foi, je la pardonne bien volontiers car je te sais en l'occurrence animé par la passion et non le calcul. Et comme tu l'affirmes, tu sauras, tu ne pourras donc qu'en ressortir grandi.
    Et j'espère, oh oui, je l'espère, que tu n'en sortiras néanmoins pas blessé ou pire encore, aussi insupportable sois tu, je préfère te savoir en vie et bien portant, qui autrement viendrait me faire enrager jusque chez moi?


    Que le Très-Haut te garde.

    Ingeburge.



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Asdrubaelvect
Un beau matin de 1457, un petit peu avant l'automne (oui bon, juste avant l'automne), une voiture aux armes de la famille de la Louveterie roulait sur les routes cahoteuses de Bourgogne, en direction d'un lieu étrange, mystique peut-être (qui sait ?) l'Artemisium.

Enfermé dans la petite pièce confortable, les deux enfants du Duc regardaient avec envie les grappes de raisin qu'ils voyaient défiler, les vendanges approchaient et les enfants, même s'ils ne buvaient pas de vin, aimaient le raisin et appréciaient cette époque et toute la tradition qui accompagnait l'événement annuel.
Le Duc quant à lui restait imperturbable, même les piaillements des enfants heureux et chamailleurs ne le sortait pas de ses pensées. Il se rappelait de la cérémonie d'allégeances, plus d'un mois auparavant, durant laquelle Ingeburge avait pour une fois montrer une amitié plus proche et démonstrative qu'à son habitude. Cela ne lui avait évidemment pas déplu mais il en avait été légèrement surpris et désœuvré ; car alors même qu'il était endeuillé et qu'il s'était retrouvé sans aucune arrière pensée dans ses bras, elle s'en était offusquée.
Et là, sans raison -apparente du moins- elle avait accepté et même prolongé le contact, et ce devant toute une foule de personnes en pleine cérémonie officielle.
Il pourrait donc l'avouer, c'était ce paradoxe auquel il réfléchissait, car l'autre sujet qui aurait pu l'ennuyer -à savoir le fait qu'il venait sans même prévenir son amie- ne lui effleurait même pas l'esprit.
Un sourire lui étirait par moment les lèvres lorsqu'il pensait qu'il n'était pas venu les mains vides. Sourire parfois entaché en se souvenant que s'il n'avait pu offrir ce cadeau à Inge, c'était à cause de la mort de son épouse... Deuil qu'il portait toujours, au fond de son cœur et le noir profond de ses vêtements l'illustrait.

Asdru avait fait vêtir ses deux enfants de charmants et simples vêtements, tous deux aimaient bien Ingeburge et même s'ils ne la connaissaient finalement que peu, ils étaient heureux et débordants d'énergie.

Lorsque le cocher annonça qu'ils étaient arrivés, les deux enfants sautèrent comme deux furies de la voiture et sautillèrent de joie, bienheureux d'être enfin arrivés. Le Duc quant à lui sortit plus lentement et se fit annoncer auprès de son amie.

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Ingeburge
Des jappements mais non pas agressifs comme la plupart des fois où Geri et Freki se mettaient à aboyer retentirent. Et à ses cris plus ou moins sonores, se joignaient des pépiements enfantins. Les sourcils d'Ingeburge prirent de l'altitude. Des enfants?
Délaissant la tâche qui l'absorbait depuis le début de la matinée, elle se leva et se rendit à la croisée, intriguée. Elle n'attendait personne et encore moins de si jeunes visiteurs et pour que les gardes et les chiens aient laissé entrer des chiens, c'est que forcément, elle savait de qui il s'agissait.

Parvenue à la fenêtre, elle en ouvrit l'un des panneaux et se pencha, son regard clair fouillant la cour. Et son visage s'éclaira fugitivement en reconnaissant ses hôtes improvisés : Asdru était là devant sa voiture, ombrageux à son ordinaire et il avait emmené avec lui ses deux plus jeunes enfants. Elle referma tout de suite la fenêtre et se précipita hors de sa chambre. Dans le corridor, elle croisa le valet venu la prévenir que le Duc d'Amboise demandait à être reçu et sans même s'arrêter, elle dévala les escaliers, sa main retenant ses jupes.

L'imposante porte d'entrée était ouverte, prête à laisser passer son ami et son exubérante progéniture. Mais elle sortit, voulant les recevoir elle-même et d'un pas plus mesuré cette fois, ayant repris son calme, elle gagna le perron sous l'œil attentif de ses gens toujours inquiets pour elle.

Ingeburge descendit les marches et se dirigea vers le Sombernon. D'une voix légèrement rauque, elle déclara simplement :

— Votre Grâce.
Elle ne dit pas un mot de plus mais finit par sourire. Elle était heureuse qu'il soit là.
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Asdrubaelvect
Le visage du duc s'éclaira sensiblement lorsqu'il vit qu'Ingeburge se déplaçait en personne pour venir l'accueillir, et même, il ne se força pas pour qu'un sourire apparaisse.

Quant aux enfants, ni une ni deux, ils s'approchèrent de leur hôte pour la saluer. Miguaël fonça pour se tenir aux jupes de sa marraine, presque s'y pendre comme il avait l'habitude de faire avec sa nourrice. Sa grande sœur était quant à elle déjà plus protocolaire et socialisée, elle se contenta donc de faire une révérence comme il était de coutume ; cela ne put qu'arracher un nouveau sourire au père d'Esyllt.

Un valet se proposait de décharger la malle que le Duc avait emmené, mais d'un signe de main, il l'en interdit, pour le moment.

Asdru s'avança vers Inge, et, en attendant que ses enfants eurent fini de l'embêter, il s'exprima en ces termes, taquin :


Votre Grâce, mes enfants m'offrent un répit inespéré, je ne sais toujours pas comment vous saluer... Et cela m'est très désagréable.

Malgré son air amusé, c'était une réelle inquiétude. Les réactions de son amie étaient pour ainsi dire très variées et vraiment différentes... Il ne savait plus s'il devait se montrer proche... Et il espérait bel et bien un indice pour gagner un peu de sérénité.
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Ingeburge
Ni une, ni deux, Miguaël se précipita dans ses jupes et elle ne put que détacher ses yeux de la sombre silhouette du Sombernon et se pencher légèrement afin de réceptionner son remuant petit colis. Interception effectuée, elle posa une main affectueuse sur la tête de l'enfant et déclara, amusée :
— Quel accueil monsieur mon filleul, je n'en attendais pas moins de vous.

Puis, elle répondit ensuite d'une légère inclinaison de la tête au salut gracieux d'Esyllt :
— Ma demoiselle.

Et voilà qu'Asdrubaelvect se mettait à la taquiner. Fort bien. Elle lui rendrait la pareille! Elle dit alors :
— Ma foi, Votre Grâce, tout dépend de l'objet de votre visite. Officielle? Amicale? Je n'ose croire, Votre Grâce, que vous ayez parcouru tout ce chemin pour me demander une audience solennelle.
Me trompè-je?


Souhaitant cacher l'hilarité qui commençait à la gagner, elle se baissa au niveau de son filleul qui savait pas relâché son étreinte et le prit dans ses bras. Elle se releva ensuite et demanda à la Petite Merveille :
— Comment pensez-vous que je doive accueillir Sa Grâce votre père?

Elle sourit franchement et finit par tendre celle de ses mains qui était demeurée libre vers le duc :
— Cette visite improvisée me fait grandement plaisir. Merci à vous.
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Asdrubaelvect
Quel amusant tableau, d'une part la petite Esyllt très bien élevée qui offrait une gracieuse révérence, d'autre part, Miguaël plus jeune qui profitait de l'attention que lui portait sa marraine pour se tenir dans ses bras ; et enfin cette dernière qui tendait à présent la main en direction du Duc.
Celui-ci la prit délicatement pour y déposer un baise-main, et se disait qu'elle ne perdait rien pour attendre : il saurait lui rappeler qu'elle savait être plus proche, quand elle le voulait.

Il posa une main sur l'épaule d'Esyllt pour la tenir près de lui et répondit à Inge :


Solennelle ? tout me laisse à penser que tu considères cette visite ainsi. Quelle peine ! Quel désespoir !
Et cette technique si habile de prendre mon fils à témoin de tes ruses... machiavélique ! j'avoue te reconnaître bien là.


Les taquineries qu'il débita à un rythme effréné se conclurent par un franc sourire.

Il me fait plaisir d'être ici, évidemment me diras-tu, je ne suis pas venu contre mon gré.
Sais-tu que Miguaël m'a demandé plusieurs fois depuis la dernière fois où il t'a vu de venir te revoir ?


Ces dernières paroles furent prononcés alors que le petit commençait à s'agiter et à jouer avec tout ce qui lui passait sous les mains : cheveux, étoffes, ...
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Ingeburge
Il lui baisa la main.

Un peu stupéfaite, elle le regarda se pencher et s'adonner au salut protocolaire. Pourtant, elle ne le lui avait pas présentée pour cela. Elle l'avait plutôt vu comme un geste amical et certainement pas comme une marque de déférence qui lui était due. Elle ne savait décidément pas y faire, c'était là un fait incontestable puisqu'il venait de se méprendre sur son geste. Et du reste, c'est ce qu'il fit comprendre.
Elle demanda, un peu stupide d'avoir tendu sa main :

— Une ruse?

Mais elle n'en dit pas davantage, préférant reporter son attention sur Miguaël qui jouait avec l'une des mèches de cheveux de sa marraine. L'enfant avait grandi mais ne l'avait manifestement pas oublié puisqu'il avait manifesté le désir de la revoir.
Elle demanda doucement, irrémédiablement foutue puisque conquise par la Petite Merveille dès qu'elle l'avait vue :

— Ainsi donc vous vouliez venir à ma rencontre? J'en suis touchée, je l'avoue et il me tardait également de vous revoir. Comme vous avez grandi!

Sa voix se brisa sur cette constatation, de voir combien Miguaël et Esyllt, surtout cette dernière, avaient changé ne pouvait que lui rappeler de manière cruelle que sa propre fille ne se trouvait pas à ses côtés. De sa fille, elle n'en savait que ce que lui en disait les lettres de sa sœur Marghrete, mais pas davantage. Le seul souvenir qu'elle avait de l'enfant était celui du visage d'un bébé qu'elle avait longuement contemplé en son berceau le jour de ses relevailles. Elle avait d'ailleurs posé un regard mitigé sur le poupon, des sentiments divers se bousculant en elle. Depuis, elle avait reçu deux ou trois portraits dont elle ne pouvait juger la fidélité.

Elle regarda à nouveau AsdrubaelVect et déclara, changeant tout à fait de sujet :

— Le temps est encore au beau, allons donc nous reposer dans les jardins.

Après avoir adressé quelques ordres à un valet afin que celui-ci fasse porter rafraîchissements et en-cas, elle passa devant son ami et se dirigea vers l'arrière de la propriété, contournant la bâtisse principale.
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Asdrubaelvect
A la lecture du visage de son amie, le Duc d'Amboise comprenait sans mal qu'elle autant que lui étaient surpris par leurs réactions mutuelles. C'était donc sur ce fort malheureux constat qu'il s'accorda silencieusement avec elle pour ne pas s'étendre sur le sujet ; ou bien de repousser une éventuelle réaction à plus tard.

Le petit Miguaël fut donc le centre de l'attention de sa marraine, et cela lui plaisait à vrai dire, lui qui après avoir perdu l'attention de sa mère décédée avait perdu celle de sa sœur partie en Touraine.
Celle de son père restait intacte mais... il était inutile d'expliquer la différence entre l'attention d'un homme et celle d'une femme envers un enfant !
Le louveteau balbutia quelques mots en réponse à sa marraine.

Oui marraine, je suis grand moi !
Et il se posa encore un peu plus contre elle pour lui faire un bisou affectueux sur la joue.


Suite aux paroles de son amie, le Duc la suivit et lui dit ces quelques mots :


Et bien oui, tu as raison ! Allons dans tes jardins.

Et il prit la main d'Esyllt pour suivre Inge. En chemin, il ne put s'empêcher d'attaquer immédiatement un sujet qui lui tenait à cœur.

J'ai compris que tu allais accompagner Ellesya à Paris, pour la faire présenter au roi de France. Même si je ne me suis que peu exprimer à ce sujet, je veux que tu saches que je suis heureux que tu ailles.
Je ne voulais pas que ma fille ait à souffrir de mon antipathie sévère envers les instances royales et en particulier envers cette cour pour laquelle je me retiens bien de trouver un qualificatif.
J'espère juste que tu m'excuseras de me défausser ainsi sur toi d'une responsabilité qui devait naturellement m'échoir...


Malgré la vive opposition qu'il avait déjà exprimée envers la connivence entre Inge et sa filleule pour trouver un mari à cette dernière. Il ne pouvait se résoudre à empêcher Ellesya de trouver un mari si c'est ce qu'elle désirait à présent. Soyons toutefois attentif, le caractère protecteur d'Asdru ne s'avouerait pas vaincu si vite !
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Ingeburge
Il lui étrange d'avoir cet enfant dans les bras elle qui était peu encline aux contacts, même innocents comme ceux de Miguaël. Et ce baiser qu'il venait de lui donner, avec franchise, avec spontanéité, ajoutait à son malaise.
Pour autant, elle n'en montrait rien afin de ne pas décevoir l'enfant et puis, bien que mal à l'aise, elle sentait qu'elle sen remettrait. Elle ne le lâcha donc pas, le regardant, un léger sourire aux lèvres et lui murmurant des banalités emplies de tendresse.

Elle se rendait aux jardins, son merveilleux filleul dans les bras, suivie par AsdrubaelVect et Esyllt.
Le Duc d'Amboise parla durant leur courte marche, évoquant sa plus grande fille et ce bal notamment dont parlaient toutes les pucelles. Il confiait là son peu d'envie de s'y rendre et la remerciait d'y chaperonner son aînée.
Elle le regarda longuement, il semblait un peu gêné et elle répondit :

— J'espère que tu te rends compte que je ne t'en veux pas le moins du monde. Je devais m'y rendre, je suis heureuse de pouvoir le faire en si agréable compagnie. J'accompagne Ellesya avec grand plaisir, car c'est ma filleule et que j'ai une grande affection pour elle. Je dirais même qu'au contraire, je suis sincèrement touchée que tu aies assez confiance en moi pour me la confier...

" Malgré nos positions divergentes sur son nécessaire futur mariage ". Voilà ce qu'elle tut, elle ne voulait pas troubler l'instant et gâcher cette entrevue. Le Sombernon et elle étaient diamétralement opposés sur l'avenir de la jeune fille, lui ne voulait pas la perdre — il avait du mal à l'admettre — elle, entendait bien lui dénicher un parti convenable. Elle ne comprenait d'ailleurs pas les craintes de son ami car à dire vrai, les prétendants de la petite Valkyrie devraient être s'y irréprochables que de trouver celui qui emporterait tous les suffrages ne serait pas des plus aisés. Et il le savait, le premier venu n'emporterait certainement pas la main de Sya.

Elle ne dit donc rien, préférant embrayer sur l'opinion du Duc toisonné d'or sur Paris. Elle déclara :

— Crois bien que voir tant de beaux noms aux si tristes et laides figures me laisse indifférente. Mais j'y vais car je suis feudataire du royaume. Et j'y vais surtout pour montrer que la Bourgogne n'a pas à rougir de ses positions et de ses désirs. Danser, boire, goûter à des mets fins, je puis faire cela à demeure, cela m'est même quotidien... en dehors de la danse s'entend.
Elle ponctua sa remarque d'une légère moue et continua :
— Ne seraient-ce que les intérêts bourguignons, je ne me serais pas rendue là-bas. Seule la Bourgogne compte, je suis prête à tout pour elle, même à devoir supporter les Pairs et les Grands Officiers de la Couronne.

Le petit groupe parvint dans l'écrin de verdure qui dans cet été finissant semblait plus exubérant que jamais lui qui bientôt allait se parer de reflets mordorés, roux et écarlates. Les senteurs éclataient dans les airs, entêtantes et florales, les frondaisons bruissaient sans pudeur sous la caresse du vent léger.
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