Voilà quelques jours que Tayabrina, la propriétaire de la Vieille Bâtisse Lochoise, s'était absentée et avait laissé Agesisel comme tavernier. Comme tous les jours, il était seul en taverne, après avoir vu quelques clients habituels. Il débarrassait les rares tables qui avaient servi de support à des chopines. Il laissait tremper les ustensiles dans un sceau remplie d'eau opaque, tout en passant un coup de chiffon sur les tables. Une vraie femme de ménage. Par contre, pour un coup de balai, faudra lui dire où il est.
C'est en essuyant les chopes avec le même bout de tissu qui sert à essuyer les tables que le tavernier eut l'idée d'écrire à Tayabrina, qui se demandait peut être comment allait sa taverne. Après tout, elle aurait pu être saccagée par des soiffards, brûlée par des brigands, détruite par une mini-tornade. Oui, faut pas s'emballer non plus. Et puis, c'était la moindre des choses que de la tenir informée, elle lui a quand même fait confiance pour entretenir la taverne.
Mais ne sachant pas écrire, il partit chercher Fortunat dans la petite bicoque délabrée qu'ils occupaient en dehors du village, avant de la ramener dans la taverne avec du papier et de l'encre. La blonde n'arrêtait pas de soupirer, agacée d'écrire tant de missives à cause de la correspondance qu'entretenait le cul-terreux avec une voyageuse partie en Bourgogne pour une escorte.
Pendant au moins un quart d'heure, Agesisel dictait, puis demandait de raturer. Fortunat, jalouse qu'il fasse tant d'efforts pour des femmes, rouspétait, mais finissait pas faire ce qu'il lui demandait. A la fin, la missive donnait ceci :
Citation:A Tayabrina, propriétaire de la Vieille Bâtisse Lochoise.
Je t'écris cette missive pour te donner des nouvelles de la taverne dont tu m'as confié l'entretien et l'animation durant ton absence. Je suis toute la journée en taverne, et pourtant, je ne croise pas grand monde. Dans les meilleurs jours, 5 personnes en une journée, dont la moitié sont des voyageurs. Quelques habitués viennent me voir, mais les sujets de conversation sont épuisés. Quand je suis seul, je nettoie les chopes et les tables, mais tu n'as pas pensé à me dire où était le balai.
Loches est toujours aussi calme. Le marché ne bouge pas trop malgré que nous approchons du mois de septembre, qui devait, pour les optimistes, être le mois des retours de retraites spirituelles.
Comme tu le sais sûrement, j'ai été débattre pour le programme de la liste Renaissance Tourangelle. J'ai d'ailleurs cru t'apercevoir, tu te faisais discrète, mais je t'avoue que j'avais hâte de partir après avoir entendu cet homme qui ne sait argumenter que par sarcasmes. Et en plus, il n'y avait non pas une, mais deux diaconesses. Imagine le cauchemar pour moi qui suis un Réformé. Enfin, je me suis forgé un opinion : ils sont égaux à des chiens qui se mordent la truffe pour le morceau de viande qu'est le conseil ducal. Par contre, j'ai été agréablement surpris d'entendre un noble dire qu'on ne servait pas la Touraine pour les titres, mais bel et bien pour servir son duché.
Je voulais aussi t'annoncer la bonne nouvelle : une conseillère municipale m'a envoyé une missive pour me prévenir que ma demande pour intégrer le conseil de Loches était à l'étude. Pendant ce temps, la maire me questionne dans son bureau.
C'est aussi suite à la demande de la conseillère qu'avec Fortunat, nous avons préparé le mannequin de ce fameux Valzan pour le pilori. J'ai indiqué le chemin de la hall à deux jeunes lochois, dont un a été voir, l'autre semblant s'en moquer éperdument, pour qu'ils viennent voir le spectacle.
Enfin, selon ma carte, tu devrais avoir bientôt fini le tour de la Touraine, à moins que tu restes plusieurs jours dans les même villages. En tout cas, je ne te cache pas que j'ai hâte de te revoir, je commence vraiment à avoir du mal à entretenir une conversation avec les clients, puisque les sujets se résument à quel genre de champs ils ont, des remarques de ma part sur le non-écoulement des marchandises, et quand je commence à parler de mes projets politique pour Loches, ils s'enfuient -en ayant payé leur bière bien sûr-.
En attendant de tes nouvelles,
Agesisel
Le vagabond regarda ensuite sa scribe avec ses yeux vitreux, sans rien dire. Fortunat soutenait son regard, haussant un sourcil, se demandant ce qu'il lui voulait encore, quand elle comprit.
Ah non, me demande pas ça ! s'exclama-t-elle en haussant le ton pour lui faire comprendre que c'était un refus catégorique.
Mais cela n'empêcha pas le gueux de continuer à la regarder, avec cet air inexpressif qui le caractérise, et ce regard intense dans lequel on pourrait se noyer. La blonde en armure finit par soupirer en baissant les yeux, signe qu'elle acceptait.
Et où veux-tu que je la trouve ? Je suis pas un Gros Pigeon Surentrainé.
Agessiel acquiesça d'un mouvement de la tête, pour dire qu'il était d'accord que cela posait problème. Il une carte de la besace qu'avait apportée Fortunat, l'étala sur la table, et réfléchit. Au bout d'une dizaine de secondes, il finit par poser sur son doigt sur la carte, là où il était marqué "Tours".
Le jour de son départ, elle est partie pour la capitale. La logique veut qu'elle fasse ce trajet, dit-il en faisant passer son doigt par Tours-Vendôme-Tours-Chinon-Loches. Rends-toi à Chinon, et renseignes-toi pour savoir si elle est là-bas. Si elle n'y est pas, va à Tours, et dans le cas improbable qu'elle n'y soit pas, Vendôme.
La blonde en armure s'était levée, et regardait par dessus l'épaule de Agesisel, avec une moue sur les lèvres.
C'est un sacré trajet. Un pigeon ensorcelé qui trouve toujours son destinataire serait plus approprié.
Non, rétorqua-t-il froidement.
Tu m'énerves. Alors, pourquoi t'envoies pas un pigeon à Chinon, pour qu'ils remettent la lettre à cette femme, et sinon, ils enverront un autre pigeon à Tours, puis Vendôme si il le faut.
Je n'ai confiance qu'en toi, finit-il par dire pour toucher le cur mou sous l'épaisse armure.
Fronçant les sourcils et retroussant son nez, Fortunat prit la lettre à contre-cur, et alla atteler sa monture pour apporter la missive. Elle pensait même à se faire payer par la destinataire. Après tout, ce serait bien fait pour elle. C'était son vagabond, pas celui de toutes ces femmes avec qui il communiquait. Pour être jalouse, elle l'était, surtout quand on lui fait traverser la Touraine pour remettre une lettre.