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[RP] Tant qu'on rêve encore

Ewaele
[Il était une fois, c’est comme ça qu’une histoire commence…]

Sur les routes… Jusqu'à lui.

Le temps s'en allait, il n'avait plus rien à faire dans cette histoire. Il s'en allait sans bruit, pendant qu'ils essayaient de vivre. A plein. A cent, à mille à l'heure, parfois sans bouger ou si peu... En apparence. En vrai, il créait, il s’offrait, il prenait, il se nourrissait des uns, des autres, juste omme cela.

La lune était pleine ce soir mais la nuit restait noire de jais. On s’y noyait à trop la regarder, leurs yeux se perdaient dans son immensité, leurs regards s’oubliaient dans l’infini qui les contemplait. Dans le marasme sonore, le monde s’endormait sous le joug, avec le goût de ces ténèbres enivrantes. Le ciel transpirait et sa sueur coulait le long de sa vie, le long de ses joues. Les branches étoilées s’éteignaient, s’étreignaient, embrassées les unes dans les autres. Son cœur lui semblait être comme ses étoiles, il s’éteignait, sa feue flamme glaçait son sang…Et puis la fatigue l’envahissait, elle l’assaillait de toute part. Son esprit s’obscurcissait, petit à petit il se teintait du lourd voile du sommeil, il se prêtait au jeu des rêves.

Son esprit voyageait, il voguait, évitait les quelques écueils. Douce réminiscence de son enfance. Elle ne le voyait pas ainsi, elle avait donc grandi dans une cage dorée.… La beauté du sale, la beauté du mal. Elle aimait caresser ses chimères et celle là comme les autres l’attirait. Et, lentement elle la dévorait, comme toujours. Elle se mourrait intérieurement, son souffle se faisait moins régulier, elle ne voyait plus que lui, il la hantait.

Elle mordait, les rabattements de sa mâchoire s’accéléraient, elle avait aperçu la lune entre deux cirrus, avalait son reflet, doux chatoiement, amer miroir de sa vie. Et le voilà, là… Devant elle, elle renaissait dans son cœur. Quelques braises incandescentes étaient donc encore disséminées dans son être. Lune essence de son âme qui s'enflammait, qui brillait de mille feux pour ressusciter. Ils s’aimaient, doux disque de velours tuant leurs démons. Un nouveau monde sortait du néant, une nouvelle vie pour une nouvelle journée. Les aigles planaient dans le ciel, il vibrerait encore longtemps dans leurs cœurs, lui avec elle.

Paris.

Petit matin de Septembre. Les premiers signes annonciateurs du jour traversaient les hauts feuillages des chênes, s’infiltraient dans la chambre par l’interstice des volets entrouverts. Un rai de clarté, timide intrus, se dessinait en oblique pâle sur le mur, progressait en éclaireur, comme pour prendre ses marques avant l’arrivée de l’armada solaire. L’air, encore moite des douceurs de la nuit, laissait s’évanouir des senteurs indéfinies, amalgamées, de végétaux, de sol terreux, humides. Quelques bruits assourdis, espacés, signalaient le proche réveil des êtres et des choses.

Le temps semblait suspendu dans cette frange délicate, ouatée, qui bordait l’ombre, frôlait la lumière. La conscience, imprégnée de rêve, peu à peu émergeait des profondeurs du sommeil, invitait à prolonger encore un instant cette promenade entre deux rives qui sentait bon l’apaisement. Les songes éveillés ramenait les images heureuses du passé ou celles, nées des désirs informulés, qui prenait vie dans l’irréalité, avec la force des constructions idéalisées. Confuse sensation de devoir quitter un monde de tiédeur douillette, pour basculer dans un autre, plus rude, trop connu!

Au fil des minutes, l’aurore prenait possession des lieux, se posait partout jusqu’aux moindres recoins, forçait le barrage de ses paupières, jusqu'à le faire céder. Sa caresse était si tendre sur ses yeux, que leur faible résistance était vite brisée. Forte envie d’ouvrir grand ceux des fenêtres pour laisser entrer les odeurs, les premiers pépiements d’oiseaux, mieux respirer la brise matinale d’été, faible et frais murmure en frissons sur la peau découverte. Elle laissait son esprit vagabonder, d’images en images, passant de l’une à l’autre en total illogisme.

Le bien être envahissait son corps engourdi. Comme il serait agréable de goûter plus longtemps au doux baiser de l’aurore, de retarder la proche percée des rayons du soleil et leur cortège de rumeurs croissantes. Bientôt ils rendraient intenable l’atmosphère paisible, légère et fraîche de la chambre, envahiraient les murs, projetteraient leurs spots violents sur les niches d’ombre, violant sans vergogne son espace de repos.

Les retrouvailles.

A l’extérieur le grand jour, rayonnant, impatient partenaire ou adversaire de ses joutes quotidiennes, n’attendait plus. Il, lui, l’attendait. Vite refermer les volets, ses volets, quelques heures, quelques minutes, quelques…

Et à ce petit jour sans heure, derrière les persiennes pétrifiées de lumière. Trois lignes d’horizon : ses yeux, sa bouche, leur rêve. Clair obscur aux courbes de son visage tranquille. Et sur les draps en chiffonnade son corps oblong. Comme échoué sur une plage blanche. Sa main reposait doux sur son cœur. Il tenait en sa paume la mémoire-caresses, et d’un souffle léger… Il dormait… Trois lignes d’horizons : ses yeux, sa bouche, leur éclat, se pourfendaient et répandaient dans la chambre. L’aube d’eux. L’hymne de leur vie…

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Nicotortue
Un mince rai de soleil franchissait le rideau des épaisses courtines de damas vert feuille voilant les fenêtres de la chambre principale de l'hostel parisien des Brassac et venait se perdre dans l'entrelacs des couleurs d'un somptueux tapis de Perse. Cette simple tache de lumière jurait avec la pénombre nimbant le reste de la pièce. Le soleil venait de se lever, rayonnant, et invitait le propriétaire des lieux à faire de même. Il n'en avait nullement l'intention, même s'il avait peu dormi, comme à son habitude. Trop de choses en tête, trop de tâches à effectuer, trop de détails à régler... il restait vautré, à demi-nu, parmi les draps et les couvertures renversés par une nuit trop agitée. Il ne voulait pas quitter le refuge de sa chambre, interdite à tous en cette heure matinale. Au moins, là, rien ne l'atteignait, rien ne le perturbait, rien ne lui rappelait les raisons de son départ précipité du Limousin, rien ne le faisait souffrir comme les ragots et les médisances des simples d'esprit et de coeur.

Pas un son ne filtrait derrière l'épais vantail de chêne dont le verrou n'avait pas même été poussé. Un simple mot du Comte suffisait à interdire sa porte à quiconque, y compris ses plus intimes amis. D'ailleurs, pour l'instant, aucun ne savait son retour à Paris. Il avait soigneusement évité d'informer qui que ce soit. Il voulait prendre le temps de réfléchir, seul, loin des siens, loin de ses amis, loin de celle qu'il croyait aimer encore et, surtout, loin des persifleurs, qu'ils aient raison ou tort. Tant de possibles trahisons, tant d'avérées déceptions en quelques jours, en quelques heures. Tous s'étaient précipités, comme à la curée, afin de jouir du spectacle de la puissance ébranlée, sous le couvert des meilleures intentions et du souci affiché. Un amoncellement de plis lui annonçaient les nouvelles, presque avec satisfaction derrière le ton mielleux des phrases, la rondeur des lettres et la douceur des mots se voulant réconfortant. Peu lui chalait la provenance des parchemins, le noms des informateurs, la véracité de leurs dires. Seule lui importait celle qui était à l'origine de ces rumeurs et dont les surnoms avaient surgi comme loups en période de famine. Où donc était-elle ? Que faisait-elle ? Avec qui ? Autant de questions sans réponses puisque, cela, on n'avait pas jugé bon de le lui dire. Il est vrai qu'il était plus judicieux de s'annoncer comme mauvais augure que comme simple observateur. Que l'humanité était donc méprisable, vautrée dans sa médiocrité et ses travers immortels !

Pour la première fois depuis fort longtemps, le Comte était désemparé. Pour la première fois depuis fort longtemps, il avait été exposé et son nom traîné sur la place publique, donnant aux lavandières et aux badauds matière à discussion. Le pire était qu'il n'en avait rien su, retiré derrière les murs épais et infranchissables d'un monastère durant presque 2 mois. Mais la tempête avait attendu sa sortie et il n'avait pas même atteint les murs de sa forteresse de Turenne que, déjà, les vautours se déchaînaient. Pour la première fois depuis fort longtemps, le Comte se trouvait dans une situation que, ni sa richesse, ni son influence, ni son rang, ni sa puissance, ne pouvaient résoudre. Il ne suffisait plus d'être Pair de France, de compter parmi les plus riches du Royaume, de posséder des fiefs si vastes qu'il fallait plusieurs jours pour les traverser. Non, tout cela était sans importance. Ses tourments étaient intérieurs, confortés par les doutes et les interrogations. Pour la première fois depuis fort longtemps, le Comte ne savait sur qui compter, à qui demander conseil et aide. Les siens avaient été parmi les principaux intéressés de l'affaire et n'avaient rien épargné à celle qui, dans l'absolu, rejoindrait toujours leurs rangs, si Aristote voulait que la confiance entre eux n'ait pas été mise à mal. Il les avait toujours protégés, toujours encouragés, de près ou de loin, et ils n'avaient pas eu la décence de faire de même, rendant presque impossible toute réconciliation entre celle qui restait toujours la future Comtesse de Turenne et le clan familial le plus en vue du Limousin, mais aussi le plus turbulent et polémique.
Le Comte était donc déchiré entre ceux qu'il aimait car ils étaient de son sang et avec lesquels les liens n'avaient jamais été rompus mais, au contraire, s'étaient renforcés au fil du temps, et celle qu'il aimait au point de prévoir d'en faire son épouse et la mère de ses futurs enfants et héritiers. Quant aux autres, jappant à ses pieds et attendant l'hallali, il n'en avait cure. Il n'avait jamais beaucoup prêté attention aux plus humbles que lui et surtout pas dans ce genre de situation. Que les gens parlent, cela les occuperait donc ! Pour beaucoup, ce n'était qu'une impression de revanche sur la vie facile que semblaient avoir les puissants. Tellement aisé et prévisible ! Les simples d'esprit ne pouvaient guère deviner, pas même appréhender, le mode de vie et de pensée de la très haute noblesse et les enjeux dont elle s'occupait. On ne réfléchissait pas de la même façon selon que l'on était Pair de France ou boulanger. Même les petits seigneurs provinciaux évoluaient dans une autre sphère, bien plus modeste.


Voilà à quoi pensait le Comte, confortablement installé sur son lit, les yeux à moitié ouverts, suivant d'un air absent la progression du rayon de soleil. D'abord sur le tapis, ensuite le long du bord d'un lourd coffre d'ébène et, pour finir, parmi les ors du velours d'un coussin négligemment jeté au sol. Les heures s'écoulaient ainsi, infiniment lentes mais aussi infiniment brèves. Dans l'écrin luxueux de sa retraite parisienne, il attendait. Quoi ? Il ne le savait pas, ignorant de tout ce qui pouvait bien se passer derrière les épais murs d'enceinte de sa demeure.
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Ewaele
Elle était là dans cet hôtel méconnu, dans cette chambre attenante à la sienne, si proche et en même temps si loin, et elle l’imaginait ne pouvant le voir, le toucher. Ses mains en repère poser sur le mur qui communiquait prenait la température, frôlement, caresses, se nourrissant d’une histoire sans doute passé ne voulant voir que celles à venir entre lui et elle. Elle avait tant marché, longé tant de devantures, traversé tant de places, tant marché sans rien voir, comme un voyage paupières closes dans les rues des boutiques obscures. Avec, une drôle de musique dans la tête : le claquement des semelles sur les pavés. Un pas, un siècle. Un pas, un autre bout du monde. Un pas. On ne se défait jamais de son ombre. Celle des autres vous collait longtemps à la mémoire… Partir encore. Partir plus loin. On ne savait jamais. Alors elle avait marché encore, encore, encore. Pour avaler la ville et bouffer du macadam. Droit devant. Semelles en cavale. Dans la part des choses, le choix était vite fait : lui et elle enfin réuni. Et son rythme s’était accéléré, qu’importe qu’elle se soit perdue, qu’importe qu’elle aille trop loin, qu’elle tourne, qu’elle vire, ou qu’il lui arrive quoique cela soit… Elle pousserait les portes de cet hôtel tôt ou tard, mais elle le trouverait.

Et elle était là enfin, arrivé par on ne sait quel miracle, mais belle et bien là. La nuit l’avait accueilli, comme un rempart pour celui qu’elle venait voir, retrouver, enveloppé et protégé par le noir. On lui avait refusé l’accès prétextant l’heure tardive, le repos du maître qu’il ne fallait surtout pas déranger. Elle aurait aimé crier. Il aurait fallut qu’elle trimballe son propre bâillon, mains collées sur ses lèvres à ravaler les mots, judas muet… Derrière le froid lisse d’une porte plombée, sangler les mâchoires, cisailler les cordes vocales quand trop d’amertume, de chagrin les brûle aux avalanches du verbe. Ravaler, refouler, avorter. Trop tard. Trop tout. Trop. Là où la ligne d’horizon inversé devenait trajectoire, cible, viser, tirer, tuer. Trop tard. Trop tout. Comme des airs d’invincible. L’impuissance au bout de ses doigts, et ça saignait dedans et ça saignait là où ça ne tarissait plus. Et puis c’était trop tard. Ils étaient là, violeurs de l’interdit. Ces mots là qu’il ne fallait pas prononcer. C’était trop tout, ça saignait là où ça cognait, et ses mots, son incompréhension, ses maux, dormir serait vain. Alors elle avait attendu patiente, observatrice, essayant de refouler l’aspect négatif de la situation.

Elle avait attendu le jour, et avec, sa lumière qui, elle le savait la régénérerait, la soulagerait car le temps des retrouvailles serait leur. Elle devait avoir les traits tirés, le teint blanchâtre, après avoir pendant deux mois parcouru le royaume sans prendre de repos. Répondant autant faire se peu par sa présence là ou on avait besoin d’elle. Qu’importe sa mise, après tout, pour elle là n’était pas l’important. Et ses mains toujours sur ce mur seul séparation de leur être, elle s’était prise a imaginer se moment béni ou enfin elle serait auprès de lui, ou enfin les barrières tomberaient. Elle laissait son corps vibrer par les sensations du jour qui pointait, par les bruits naissant d’une ville il y avait peu, encore endormie. Et elle le voyait là, comme par le passé, a travers ce murs épais elle le voyait dans son esprit fol… Enivrée de lui, ses souvenirs arrivant par vague, comme une mer trop longtemps en inactivité. Il l’envahissait, la recouvrait, elle se laissait noyer, l’écume recouvrant son corps en douceur, léchant sa peau et la faisant frissonner.

Elle n’avait déjà que trop attendu et sa patience s’amenuisait, elle devait le rejoindre coute que coute, quitte à passer par les fenêtres, quitte a faire voler en éclat sa porte close dont on lui refusait l’accès. Il y avait cette aube encore, un peu plus terne, un peu plus lourde, un peu comme une nuit qui ne voudrait plus mourir. L’aube douce amère en larmes roulées à charrier la pierre fatidique.
Et puis le battement fou d'un coeur qui accrochait de ses forces restantes l'échancrure du ciel, envoyant dans l'immobilité soudaine du temps son déploiement presque inaudible, comme un dernier S.O.S lancé à l'aveuglette. Sans attente. Elle sortie en trombe sans réfléchir, sans le vouloir, presque malgré elle. L’attente elle ne pouvait plus, elle ne le voulait plus. Elle n’avait déjà que trop attendu. Quelques pas, juste quelques pas, pour être là, vers lui et retrouver la chaleur de ses bras, s’enivrer de son odeur, de ses mots. Là chuchoter de lui à elle. Elle idéalisait l’instant, elle le voulait leur, elle voulait tout simplement. Couloir vide, de personne et de bruit, couloir vide et cette porte, la sienne. Fermée. Affrontement entre ce qui devait être ou pas, entre ce qui se faisait ou pas, entre ce qu’elle désirait, chérissait et qui lui martelait les veines, le corps, la tête, le cœur. Elle était fermée lourdement, engloutissant d'un bloc les couleurs qui l’entourait. Autour d'elle, elle, la porte, les murs s'élevaient jusqu'au ciel. Plus rien n’existait, avalé, empierré, figé dans l'opacité d'un obstacle qui n'en finirait donc jamais.

Les yeux exorbité, elle n’en pouvait plus de cette réclusion. Perpétuité au-delà du fond du fond de l'inimaginable. Cri muet. Pierres immaculées. Porte close. Nulle échappatoire. Néant à double-fonds multiples. Nausées. Rien. Elle poussa l’huis, elle déchira l’espace qui les séparait depuis si longtemps, elle franchit l’interdit se moquant de la résultante, se moquant de plaire ou de déplaire, de se faire glacer jusqu’au os par un de ses regards ou encore pire. Mais elle fut accueilli par un spectacle comme elle avait pu se l’imaginer qui l’a laissa stoïque dans le chambranle. Il était donc là allongé dans ce lit, dans son lit. Lui. Elle aurait voulu se précipiter, elle aurait voulu courir pour le rejoindre, elle aurait voulu, mais elle n’y arrivait pas. Ses jambes avait du mal à la porter, faire le pas qui les séparait, ce simple pas qui emplie de temps de promesse ne voulait pas venir. Pourtant il fallait, elle ne pouvait pas rester ainsi et être surprise par qui que ce soit dans l’interdit. Silencieuse comme jamais, accrochée là ou elle pouvait, elle avança juste pour refermer cette séparation qui lui avait si chèrement couté durant cette nuit. Et elle se laissa glisser dos contre le bois, glisser indéfiniment jusqu'à ce que son corps ne puisse plus aller plus bas. Le rai de lumière qui franchissait le rideau se fit aveuglant, ou alors c’était son regard qui se voilait…

Il faisait noir, tout noir, pourquoi si noir ? De ce noir lacéré de rouge. De ce rouge des battements suppliques de quelque chose, plus fort que le frémissement d’avant, plus fort que le rien d’avant encore le frémissement, des battements sourds, lancinants, impétueux, vifs ! Noir éclaboussé de rouge, des griffures, des nervures, des circulations de mouvements, des vagues, des flots, des tempêtes, le noir s’en allait, le noir se laissait manger par le rouge intense, rouge carmen, rouge… sang. Mur de marée rouge sang. Plus haut que le mur, plus haut que le sang, plus haut. Ciel de sang, monde de sang, sang chaos et ça tapait à l’intérieur. Crève-sang. Explosion. Crève sang. Un petit point, déchirure. Déchirure amplifiée. Déchirure éblouissement. Blanc : blanc aveuglant, blanc battement. Elle avait mal ! Quelqu’un, elle, respirer, ouvrir. Sang cœur, sang d’amour, d’amour ouvert, d’amour offert, quelqu’un rempli, quelqu’un débordant. Quelqu’un débordant. Débordant, quelqu’un prenait, supplique nommée, supplique de vie, éblouissement aveuglant du cœur battements, répandue, loin diffusée au bout du bout du monde, elle vibrait ! Coupées les couleurs de l’instant de ce qu’elle n’était déjà plus, sourd sur dans autour ce cœur chamade-doux-silence-rien, plus… plus… plus rien… noir sans sang. Noir !

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Nicotortue
Alors que le rayon de soleil continuait sa route solitaire, par un cheminement connu de lui seul, le Comte en était arrivé à oublier totalement son présent prédicament pour tourner et retourner dans sa tête un projet ambitieux qui nécessiterait habileté, diplomatie et, surtout, des fonds considérables. Sa mémoire l'avait ramené quelques mois en arrière lorsqu'il avait rendu visite à sa jeune cousine dans son splendide château d'Amboise. C'était alors qu'était né ce désir d'acheter ce duché où la vie paraissait si facile et douce. Il ne s'en était encore ouvert à personne, savourant d'avance ce qu'il lui faudrait mettre en oeuvre pour parvenir à ses fins. Enfin, pour peu qu'il y arrive... en tout cas, essayer serait en soi déjà suffisamment gratifiant. Cela le changerait agréablement des criailleries habituelles des éternels mécontents dont les cris envahissaient de plus en plus le Louvre et venaient troubler la quiétude des salons aux dorures et boiseries fanées par le temps.

Toujours vautré sur ses couvertures, le regard lointain, le Comte en était déjà à la restructuration d'une partie du château d'Amboise lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit à la volée, le ramenant soudainement à la réalité. Il n'eut pas même le temps de crier à l'importun de bien vouloir aller voir si l'herbe était plus verte ailleurs que ses yeux sortirent presque de leurs orbites devant le spectacle qui s'offrit à lui : elle, là, devant lui, défaite, l'air hagard. Il ne sut quoi dire, pétrifié sur sa couche, toute pensée enfuie, tout sentiment annihilé par la surprise de son apparition. Il la pensait à l'autre bout du royaume et elle se dressait là, sur le pas de la porte de sa chambre, si proche et à la fois si lointaine, si inaccessible. Que pouvait-il faire qu'il ne s'était déjà demandé un bon millier de fois, d'abord dans le coche fuyant le Limousin pour gagner la capitale, ensuite dans ce même lit depuis qu'il ne le quittait plus que pour les urgences. Il avait pensé à des dizaines de réactions différentes mais aucune qui le clouât au lit, muet de stupéfaction, dans une tenue des plus négligées, l'air hagard.

Sans le savoir, ce fut Ewa qui le tira de son indécision en s'affaissant petit à petit contre le battant de la porte. Son évanouissement le força à réagir et il se précipita pour la soutenir. Il l'enleva dans ses bras et vint la déposer délicatement sur l'épais matelas. Elle ne bougea pas davantage. Le Comte se précipita vers la porte, l'ouvrit à la volée et réclama d'une voix de stentor un broc d'eau qui ne mit pas plus d'une minute pour franchir les quelques étages qui séparaient les cuisines du la chambre du maître. Entre temps, le Comte s'était installé aux côtés de la Comtesse et lui avait dégagé le visage des mèches rousses qui le voilaient, dévoilant l'ovale de ses traits et la blancheur parfaite de sa peau, renforcée par la pâleur presque maladive due 'a l'insomnie et à la fatigue. Elle paraissait presque fragile, ce qui n'était pas si souvent.
A la voir ainsi, sans défense, complètement abandonnée à la violence de ses sentiments, les doutes et les incertitudes s'envolèrent comme neige au soleil. Il passa délicatement la main dans ses cheveux, avant de caresser la ligne de sa mâchoire, dans un geste dont l'intimité n'appartenait qu'à eux deux. Il continua ainsi, la couvant du regard, attendant qu'elle revienne à elle et profitant de l'instant présent, loin de leurs préoccupations et de leurs problèmes.

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Ewaele
Elle sentait son corps se soulever, quitter la rudesse du sol, la chaleur du bois où le rai de lumière était posé. Elle se sentait légère. Ce n'était pas un hasard si ce lieu l’attirait toujours. Tel un piège à l'appât alléchant, il ne lui suffisait pourtant pas de s'y être déjà fait prendre pour y revenir encore. Un court instant, Ewaële craignit d'être revenue par erreur dans le labyrinthe, que ses pensées confuses gelées par l'interstice ait été un terreau trop fertile pour faire croître ses peurs secrètes et la propulser sans pitié dans le monstrueux dédale. A perte de vue, la nature luxuriante et baignée de lumière se déployait avec délice, la rosée alourdissant les feuilles, rutilant comme autant de perles irisées. Elle s'attrista de constater que ses cauchemars puissent être si somptueux, si éclatants de vie. Elle ne s’expliquait pas le bien être qui l’envahissait et cet espèce de cocon dont elle était entouré, comme un halo, protégée par des sphères mystérieuses. Dans un ultime effort elle figea l’instant et, comme une épée déchirant l’air pour venir donner le coup de grâce, tout lui revint, un soubresaut, mais elle n’ouvrit pas les yeux. Elle savait, entendit sa voix comme si elle la découvrait pour la première fois à chaque instant, sans se soucier de savoir ou non si ses mots avaient fait mouche, d'autant plus qu'ils semblaient s'envoler de ses lèvres aussitôt prononcés, tel des oiseaux libérés de leur prison d'osier qu'elles auraient rendu au firmament sans un regard de plus pour leur belle envolée.

Il était là, à ses côtés et elle aurait pu entendre son cœur battre. La douceur de ses gestes, sa main sur sa joue dessinant la courbe de son visage, ses cheveux repoussés dans un geste presque singulier. Il était là et plus rien ne lui importait. Ni le voyage qu’elle avait pratiquement fait d’une traite pour rallier Limoges à Paris, après avoir répondu à plusieurs missions pour la Licorne. Ni cette nuit blanche qu’elle avait passé dans des songes, les mains sur ce mur à essayer de le sentir, de le ressentir. Depuis son départ de Lyon où elle avait escorté le Gouverneur en place, elle ne se nourrissait plus de façon régulière. Oubliant souvent les bienfaits que cela aurait pu avoir sur son corps. Dans sa fuite du Lyonnais où elle avait reçu des menaces, elle s’était enfermée dans une mélancolie. Le manque, les doutes, ses silences l’avait entrainée dans une chute. Elle n’avait pas changé et ses frères qui l’accompagnaient sur les routes du Royaume ne s’était, au début, rendus compte de rien… Après, à force d’observation, Breccan et Ethan étaient devenu plus soucieux, grands frères protecteurs, ils avaient prit le relais pour la surveiller d’un peu plus prés. Mais là, plus personne sur les talons de ses cuissardes pour dire ou faire quoi que ce soit, toute à sa précipitation de le savoir dans son hostel à Paris, elle avait galopé pour lui, pour elle, pour eux, faisant abstraction de ses besoins, n’écoutant que son cœur.

Elle finit par ouvrir les yeux car il y avait un temps pour tout. Quitter cette quiétude pour affronter ses démons… Les leurs. Elle battit des paupières, et comme pour illustrer sa pensée, toute anxiété s'évanouit de ses traits délicats, ancrée dans sa pâleur comme une morte saison sans pour autant en présenter l'insidieuse froideur. Après un regard désemparé qui avait englouti la pièce, la rouquine revint à son fiancé... Se transforma pour n'être différente en rien. Ses yeux exprimaient toujours la même mélancolie indescriptible, tels ces nuages si bleus dont on ne sait s'ils sont ciel ou non. Ses cheveux du même roux semblaient capturer les rais de lumière avec plus de réalisme, glissant sur les mèches claires avec une habileté renouvelée. Un bijou de jade brillait à son cou, facture gaëlique, seul héritage de son frère trop tôt disparu. Un habit de lin blanc drapait sa frêle silhouette, perdue entre l'enfance et l'âge adulte. Enfin, la même insouciance mêlée de gravité ou de feinte négligence imprégnait son être, s'envenimant parfois de remords ou de regrets. Pourtant, elle avait indubitablement changé, et un insoupçonné parfum de magie flottait dans l'air.

Surprenant furtivement le regard de Nico, alors qu'elle l'observait avec plus d'intensité que de coutume, son attention se laissa capturer ça et là à la manière d'un papillon amouraché d'un champ de fleurs, la Comtesse eut pour le Comte un regard intrigué. Inébranlable, elle ne lui opposa que le miroir scintillant de ses yeux d'une ineffable douceur. La compassion voila un instant le regard qu’elle crut voir, oiseau au sombre plumage égaré dans les forêts verdoyantes de ses grands yeux de femme, tandis qu'elle songeait au vide qui avait, de longues semaines, comblé son âme. Elle fixait Nico avec une curiosité désabusée, cherchant à déchiffrer sur sa paisible physionomie les questions dont il ne tarderait pas à l'assaillir. Ne lui avait-il pas montré clairement combien le dérangeaient illusions et faux-semblants? Avec des manières d'enfant fautif pris sur le fait, Ewa l’épiait, une vague de regret voilant son regard d’émeraudes étincelant, comme si elle regrettait d'avance de voir s'achever, impuissante, la part de rêve qu'ils avaient bâti tous deux. Pour sûr leur échange n'avait pas eu le sublime et mirobolant envoûtement propre aux chimères mais il avait dérobé aux songes un peu de leur invraisemblance, un pan de leur tissu éthéré et abscons.

Tiraillée par une brusque anxiété, la jeune femme, aux aguets tel un faon poursuivi par un fauve, peinait à s'interdire d'interpréter les attitudes de l’homme qu’elle aimait, tantôt dubitative, tantôt mêlée d'étonnement, comme autant de menaces à son encontre. Devait-elle fuir?

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Nicotortue
D'un regard attentif, le Comte suivait le cheminement des pensées de la Comtesse. Du moins essayait-il, cherchant à capter et déchiffrer son regard. Il l'avait veillée, n'avait pas cherché à la faire revenir à elle brusquement, se doutant bien que son malaise n'était que passager. Il vit donc les prunelles commençaient à bouger sous les paupières encore closes et cela l'amusa vaguement, à la pensée qu'elle les gardait fermées pour, peut-être, profiter du moment présent... tous les deux ainsi réunis, sans questions entre eux, sans doutes, sans rancune peut-être. Pourtant, ses sourcils se froncèrent à la pensée qu'elle restait ainsi pour éviter de croiser son regard, pour l'empêcher de briser trop tôt par des interrogations cet ineffable instant.

Lorsqu'enfin le vert de ses yeux apparut, il ne sut qu'y lire. Les émotions qui passaient dans le regard de la Comtesse étaient trop rapides, trop changeantes pour qu'il puisse tenter de les reconnaître, de les saisir, de les analyser. Avec un soupir, il se détacha d'elle et se leva, se dirigeant vers un guéridon où une carafe de verre vénitien était posée, toujours à moitié pleine. Il se saisit d'un hanap de vermeil gravé aux armes des Brassac et le remplit. Il se retourna, la regardant brièvement, l'air absent et revint vers la couche. Son corps portait les stigmates des semaines d'insomnie et de diète imposées par le souci : il avait perdu du muscle, en raison du manque d'exercice lors de sa retraite, et on pouvait deviner ses côtes sous la peau d'une blancheur lunaire. Toujours sans un mot, il tendit le gobelet à sa fiancée et la regarda boire, debout à côté de la ruelle. Quand elle eut fini, il lui prit le récipient des mains et alla le reposer où il l'avait pris.

Revenu dans le lit, il s'assit en tailleur face à elle et l'observa, cherchant dans ses traits les changements opérés durant ces mois loin l'un de l'autre. L'aimait-elle encore ou bien les rumeurs disaient-elles vrai ? Avait-elle changé au point qu'il ne la reconnaîtrait pas ? L'amour qu'il ressentait pour elle se changerait-il en mépris, peut-être même en haine ? Tant de questions lui brûlaient les lèvres qu'il ne savait par où commencer. Peut-être cela pouvait-il attendre un autre jour, peut-être pouvait-il en faire abstraction et faire comme si on ne lui avait rien dit. Peut-être pouvait-il lui faire aveuglément confiance et estimer que tout n'était que mensonge, racontars et autres ragots. Peut-être était-ce son propre amour qui n'était pas assez fort pour supporter la jalousie des autres et leurs médisances. Peut-être, encore une fois, cherchait-il une échappatoire à ses sentiments, une voie de secours qui lui permettrait de rompre le lien qui existait entre eux et la promesse faite.

Le silence devenait pesant et il paraissait incongru, voire dangereux, de le prolonger indéfiniment. Aussi, d'un ton aussi neutre que possible, le Comte prit-il la parole :

Te sens-tu mieux ?... quand es-tu arrivée ?
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Ewaele
Un soupir, son soupir… Tous ses sens se mirent en alerte. Puis il mit de la distance entre eux, cassant par la même le peu de magie qui les entourait encore. Elle suivit tous ses mouvements, le détaillant presque inconsciemment, ne pouvant détacher ses yeux de ce corps qui évoluait dans l’espace confiné de sa chambre. Etait-ce lui? Qu’est-ce qu’il y avait de changé? Il était plus émacié et ses traits étaient tirés, son regard trop indéfinissable pour elle, changeant… Absent! Etait-elle devenue si transparente pour lui qu’il ne daignait plus la regarder comme avant? Mais avant quoi? Elle se redressa prenant appui contre un oreiller puis saisi le hanap. Elle aurait aimé, à ce moment là, que ses doigts frôlent les siens, qu’un geste tendre la soulage des maux qui commençaient à faire rage en son être... Elle but. Aucun mot n’avait encore passé la frontière de leurs lèvres, comme si elles étaient cousues, comme si le fait de briser le silence mettrait un terme à quelque chose d’impalpable mais pourtant de si lourd. Elle sentait un danger, mais lequel. Une boule se forma au creux de son ventre sans qu’elle puisse en définir la réelle raison. Quand il s’installa sur le lit, prenant place face à elle, ses émeraudes glissèrent sur son visage, attentive.

Etait-il finalement assez humain pour ne pas s'intriguer de ce qui dépassait son entendement et les règles qu'il pensait inviolables en ce monde? Ce fut à cette conclusion que tendit la Comtesse lorsque Nico lui posa, comme si rien ne n’était passé, ces deux malheureuses questions. Elle frémit à cette pensée. Ewa je suis Ewa, se morigéna-t-elle, comme si elle craignait de laisser courir le temps un jour durant et de n'avoir plus que ses yeux pour pleurer sur sa triste destinée. Elle se sentait harcelée par une indicible urgence, comme si de ses mèches malignes, le temps pouvait la happer à chaque instant. Un air insidieux se mêla au frémissement de sa peau. Telle une mélopée chantée en une langue oubliée, les paroles s'en succédaient sur de subtiles sonorités aux accents de mystère teinté de regrets. La voix de son père vint caresser ses tympans dans un gaëlique parfait : "Le passé est une ancre pour nous rappeler à ce que nous avons été, il nous montre nos erreurs et nos peines, nos victoires et nos joies. Mais il nous scelle dans la vanité contemplative de ce qui ne sera jamais plus, telles les fleurs écrasées d'un herbier aux couleurs passées." Une brise légère et fraiche, de celle qui salue la mort de l'été égaya les mèches rousses de la jeune femme. Sur ses lèvres se dessinèrent un sourire tendre et presque peiné, lorsque son regard d'un vert perçant croisa celui de son fiancé.

Elle ne fit que hocher la tête à la première question ne voulant pas s’attarder sur son état. La suivante lui arracha un léger tortillement de nez en souvenir de son arrivée en la demeure du Comte de Turenne. Elle prit une profonde inspiration, ne sachant pas par quoi commencer, car de toute façon après ces questions en viendraient d’autres, et d’autres sans doute encore. Autant essayer d’être claire, précise et concise. Mais avait-elle assez de force et de courage pour faire face à cette situation qui la mettait mal à l’aise. Elle qui pensait retrouver la chaleur de ses bras ne savait plus à quoi s’attendre, glissa ses bras autour de ses genoux qu’elle remonta contre son ventre, puis vint poser son menton dans le creux de ses derniers. Un soupir s’échappa presque délicatement de sa bouche et enfin sa joue remplaça son menton, ses yeux vinrent se noyer dans les siens avec autant d’amour si ce n’était plus qu’avant leur séparation… Elle prit la parole.


J’ai reçu de cela quelques jours une missive de Marie qui m’annonçait qu’elle t’avait croisé, j’étais en Limousin, de toute façon je suis sur les routes depuis pratiquement deux mois maintenant. Un silence. Je n’ai pas vraiment cherché à comprendre, j’ai fait seller ma monture, laissant nos frères de la Licorne, et j’ai voyagé nuit et jour pour venir en cette ville… Pour toi. Arrivée dans la capitale j’ai dû laisser mon cheval, il était éreinté, j’ai fini mon chemin à pieds, espérant ne pas trop tourner dans les rues et trouver rapidement ton hostel. Mais ce ne fut pas le cas. Je suis arrivée au milieu de la nuit. Tes gens m’ont interdit l’accès de ta chambre et m’ont installée dans la pièce attenante.

Elle n’avait pas quitté ses traits pendant qu’elle lui répondait, scrutant la moindre de ses réactions, mais il était insaisissable, presque froid, distant. Elle avait mal, de ces maux qui vous crèvent le cœur et vous tireraient des larmes, mais elle ne se laisserait pas aller à nouveau dans le flot de ses sentiments. Elle l’aimait et elle le lui prouverait, quitte à en mourir sur place.
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Nicotortue
Il nota la position presque foetale ainsi que le soupir. Il savait pertinemment que l'attitude froide et distante qu'il avait adoptée la faisait souffrir mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir un certain sentiment de contentement. En même temps, une colère sourde montait en lui, nourrie par d'innombrables heures d'interrogations sans réponses. Elle éprouvait de la peine à le voir ainsi mais savait-elle seulement par quoi il était passé ces dernières semaines ? Il avait littéralement fui le Limousin et ses rumeurs, espérant qu'elles ne le rattraperaient pas à Paris. Il s'était terré dans son hostel, ne sortant que pour se rendre à la Pairie où ses devoirs, auxquels il ne pouvait se soustraire, l'appelaient. Dès qu'un regard accrochait le sien, il ne pouvait s'empêcher d'y chercher une quelconque moquerie, de la compassion, voire de la pitié. C'était une véritable torture, surtout lorsqu'on avait vécu jusqu'alors au-dessus de la tourbe des ragots. Cette sensation inconnue lui procurait des vertiges et il n'arrivait pas à trouver la sérénité depuis qu'il était sorti de sa retraite estivale. Après tout, n'était-ce pas humain de vouloir lui faire partager, en partie du moins, sa propre insécurité ?

Il fit cependant un geste de conciliation, ou ce qui pouvait du moins passer pour tel. Il s'assit non loin d'elle, parmi les couvertures en désordre. La distance qui les séparait sembla s'atténuer d'autant, virtuellement et symboliquement. Le Comte poussa lui-même un soupir auquel il aurait été bien en peine de donner une signification. Ne voulant pas encore entrer dans la partie la plus difficile de l'entretien qui s'annonçait, il rebondit sur la dernière phrase de la Comtesse et ses yeux s'allumèrent d'une étincelle colérique. Après tout, mieux valait passer sa mauvaise humeur sur ses gens que sur sa fiancée, surtout dans la situation actuelle.

PARDON ? Que dis-tu ? Mes gens t'ont interdit l'accès à ma chambre ? Ne t'en fais pas, je vais régler ce détail et je peux t'assurer que cela ne se reproduira. Les imbéciles ! Comme s'ils ignoraient à quel point j'attendais de tes nouvelles ! Alors, te voir...

Il se tut un instant, captant au passage le regard de la Comtesse, plein des sentiments qu'elle s'efforçait de lui faire passer. Il se força à les ignorer et continua sur un ton de banale conversation.

Je remercierai Marie d'avoir transmis l'information que je me trouvais ici. J'ai quitté le Limousin précipitamment. Certains diraient même que je l'ai fui et j'a gagné Paris aussi rapidement que possible. Si j'ai entendu beaucoup de choses, aucune ne mentionnait le lieu où tu te trouvais. Je pensais en apprendre davantage ici. Il est vrai que je n'ai pas pensé à Ryes. Cela paraissait logique puisque, apparemment, tu as passé ces 2 mois à sillonner le Royaume au service de l'ordre.

Il aurait fallu être particulièrement sourd et obtus pour ne pas entendre le lourd sous-entendu contenu dans sa dernière phrase. Alors qu'il la prononçait, ses yeux revinrent se ficher dans ceux d'Ewa, guettant sa réaction, espérant ne pas s'être trompé.
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Ewaele
Elle avait senti son mouvement, mais n’avait pas bougé, ne sachant pas trop à quoi s’attendre. Venir à elle pour mieux frapper après par des mots cinglants. Elle reprenait peu à peu du poil de la bête et se faisait de plus en plus méfiante. Quelque chose lui disait de rester attentive. Mais à quoi? Son emportement vis-à-vis de l’attitude de ses gens lui fit lever la tête quittant la chaleur de ses genoux. Son regard était devenu interrogateur. Pourquoi cette réaction? Après tout ils n’avaient fait qu’obéir à ses ordres non? Quelque chose la dérangeait, ce sentiment de ne pas maitriser ce qui allait arriver sous peu. Le calme avant la tempête? Elle continua pourtant à écouter attentivement ce qui vint après. Constatant, non douloureusement, la façon dont il ignorait ce que ses yeux essayaient de lui dire. Son ton la mettait mal à l’aise et intérieurement c’était une bataille qui faisait rage sur l’attitude à tenir face à ses provocations.

Ah… Tu as vu Marie? Elle haussa un sourcil. Et à aucun moment tu n’as pensé lui demander de mes nouvelles? Si une personne avait pu te répondre à mon propos, n’était-ce pas cette dernière? Puisque tu as entendu tant de choses, sauf le lieu où je me trouvais, tu devais être inquiet non? Et en la croisant à la Pairie, tu n’as pas cherché à savoir? Non mieux valait entendre toutes ces propos apparemment. J’espère au moins qu’ils étaient à la hauteur de ce que tu désirais? Mais non suis-je bête, si je suis attentive à ce que tu dis, ou pas, mais que tu laisses sous entendre, ce sont ces choses qui t’ont fait fuir le Limousin!

Elle avait parlé d’une voix monocorde, froide, on pouvait sentir en elle une tension monter. Ses muscles s’étaient raidis et elle avait étendu ses jambes, repoussant les couvertures loin d’eux. Mais ce qui la mettait dans cet état c’était sa dernière phrase. Il aurait fallut être bien sotte pour ne pas entendre la lourdeur de ce qu’il voulait évoquer. Plus de soupirs, plus de regard cherchant à lui parler, apparemment tout cela ne servait à rien. Son corps avait repris possession pour l’instant de tout ses moyens et chassez le naturel il revient au galop. La rousse sentait la moutarde monter au nez. Nez qui se releva fièrement face à cet homme pour qui, stupidement et amoureusement, elle s’était précipiter icelieu. Elle s’en souviendrait! Elle se leva et dans un mouvement d’humeur prit ses cheveux pour les attacher en natte lâche afin de dégager son visage où l’on pouvait voir sa mâchoire se contracter nerveusement. Elle alla se placer devant une fenêtre là ou le rai de lumière pénétrait dans la chambre. La luminosité passait à travers sa fine chemise de lin et mettait à nu ses formes par transparence.

Hé bien si tu avais demandé à notre amie commune elle aurait pu te dire comment j’avais occupé mes deux mois, le pourquoi de mon départ du Limousin…

Elle revint vers le lit, posa ses deux mains dessus et courba l’échine pour mettre son visage à la hauteur du sien et planter son regard dans ses émeraudes. Puisqu’il voulait la sonder il n’allait pas être déçu.

Mais puisque tu veux tout savoir sans rien demander ouvertement, allons-y. J’ai quitté le Limousin guère de temps après les élections comtales. Sache que j’ai eu une fin de mandat assez difficile. En effet, tu as peut être pu voir un dossier concernant une demande sur l’inéligibilité des deux listes qui se présentaient en Limousin. Oui j’ai bien dis pour moi les deux listes, chacune avait des choses qui ne correspondait pas à la loi en vigueur. Seulement voilà, moi et mon honnêteté je l’ai payé cher. Ta tendre cousine n’a pu s’empêcher de me salir et m’insulter à sa façon, on touchait à ses petits protégés encore. Et la Boësnière encore, en saisissant la Pairie en plus… Quel sacrilège j’avais commis là? Mais j’ai du quitter rapidement la Capitale, on avait retrouvé mon frère Psyk sans vie dans un fossé…

Seul moment où elle quitta le regard du Comte et où on put sentir sa peine et sa douleur, elle se reprit très vite, ne voulant pas, plus, lui faire montre de quoique ce soit.

Après avoir discuté avec Marie nous avions décidé de prendre les routes, elle voulait retourner en Bourgogne, en plus il y avait là-bas de l’agitation. Mais j’ai du finir mon mandat, je me suis organisée et j’ai quitté Limoges un jour après cette dernière. Je n’étais pas seule, je ne fus d’ailleurs jamais seule. Nous avons fini par rejoindre la Vicomtesse à Sémur et nous avons rallié Joinville ensemble pour voir si notre aide était nécessaire ou pas. Avec Breccan, nous avons décidé vu notre inutilité, de rejoindre le Lyonnais qui rencontrait des soucis au niveau de Montélimar. Mais une fois encore, notre arrivée fut trop tardive et nous avons accepté d’escorter le Gouverneur dans un déplacement en ses terres. Après, tout c’est enchainé, retour sur Lyon, des menaces me sont arrivées, on m’a fait quitter le Dauphiné et rejoindre le Bourbonnais-Auvergne où des frères m’attendaient… Puis ensuite avec eux de poste d’observation en poste d’observation nous avons chevauchés pour l’ordre jusqu'à ces derniers jours où je les ai quittés pour venir te rejoindre.

Elle avait un air hautain, froid, rien ne se lisait plus sur ses traits dans ses yeux, elle ne laissait plus rien transparaitre, il voulait jouer et faire mal? Elle aussi le pouvait. Lui chercher des poux alors qu’elle venait de faire des lieux et des lieux rien que pour lui… Elle espérait juste pouvoir garder son calme et ne pas partir dans une de ses nombreuses envolées et claquer plus vite qu’il faut pour le dire, la porte !
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