[Ô Dieux odieux invoqués le 29 septembre au petit matin sur un chemin poitevin]
La Vilaine décida de prendre son tour de garde et grimpa sur le guet pour admirer avec désolation que cette nuit du 28 au 29 septembre il n'y avait à nouveau aucun maréchaux sur les remparts de la capitale. Elle arpenta les ruelles écrasées par une atmosphère de latrines géantes, comprenant à chaque pas pourquoi les pictaves de pure souche souffraient d'une dégénérescence congénitale imposée par certains chers nobles vils. Les poux du Poitou la faisait souffrir sous son chignon et elle ne savait pas pourquoi. Comme si quelque chose la démangeait au delà de son entendement. Un canasson laissé hors d'une écurie avec une brouette de fourrage frappait le pavé du sabot. Elle s'approcha de la bête et comprit son énervement en découvrant un milicien endormi dans la paille.
Ralalalaaaaaaa, ils peuvent être fiers les pictaves mais leur vérité est bien étalée là, braies grandes ouvertes suite à un besoin inachevé d'arroser leurs murs pour y imprégner leur empreinte.
L'enchignonnée ne réfléchit pas, elle l'enfourcha le destrier, mâtant sa vivacité en lui enfonçant le mord dans les gencives. Elle savait la ville encerclée afin de mâter les révoltés et leur enfoncer sans remord leur tors dans les dents. La Vilaine voulait s'en assurer, ne se fiant plus aux rumeurs de vantards ignares ou autres braillards un peu couards au service du réseau de désinformation d'un comte bien plus vicelard qu'on ne pouvait le croire. Elle quitta Poitiers par la porte Est, celle qui menait à l'étable du Ptit Hi-han c'est à dire vers la très nouille La Trémouille. L'Kram l'y tenait son guet et serait heureux d'avoir une fiole pleine pour finir la nuit en bonne compagnie.
A peine avaient ils fait une lieue que des cris d'effroi émergèrent au milieu de nul part. Le brouillard automnal n'aidait en rien leur progression jusqu'au val en contrebas, sous une lueur encore trop faible pour annoncer l'avènement du jour. Les bruits se faisaient de plus en plus distincts. Rien à voir avec une truandaille qui défait quelques bourses trop garnies d'inconscients voyageurs. Des cliquetis d'armes, des destriers harnachés d'armure, des ordres compulsifs de mise à mort glacèrent le sang de la Vilaine. Ils arrivèrent juste à temps pour voir un valeureux guerrier peiner, genoux à terre, se cramponnant à son épée tandis que l'artillerie assassine s'était déjà empressée de quitter les lieux une fois leur méfait commis. La silhouette luttant contre le poids d'une Faucheuse déjà à l'affut ne lui était pas inconnue et s'effondra sous ses yeux, près d'un corps et d'une autre forme enveloppée dans des draps ou sacs en toile.
@l3x !!!!!!! mais c'est quoi ce bordel ?
La Vilaine se laissa glisser de son canasson improvisé et se jeta ce gaillard en qui elle avait confiance. Brave il l'avait toujours été et si un brin de vie était encore en lui, il le devait à son courage et à sa détermination d'excellent soldat comme il le lui avait prouvé il y a quelques jours en assaillant le château à ses côtés. Nessty serrait déjà les dents de rage, prête à égorger elle même ceux qui avaient oser porter une lame sur un tel homme. Elle s'accroupit près de lui pour lui prendre la tête, s'assurer que l'Ankou ne l'avait point encore mis sur sa charrette. Par bonheur non ! Le bougre était plus robuste qu'un roc même si sa poitrine ensanglantée ne laissait rien présager de bon. Souvenirs de ses compagnons tombés en Périgord qu'elle avait ramassé les uns après les autres, à tenter de les soulager avant qu'elle même se fasse poignarder dans le dos, la donzelle était peu effarouchée par la vue et l'odeur du sang. Elle prit instinctivement les mains d'@l3x pour faire pression sur ce qu'elle pensait être la plaie pendant que son féal Vilaine extirpait déjà de son paquetage onguent et déchiquetait une cape pour en faire des garrots dans l'urgence. Courageuse certes mais prise aux tripes à l'idée de revoir tel son Fantôche un autre vaillant combattant filer vers le Styx, elle ne cessait de lui murmurer, la gorge nouée à la fois par le choc, la compassion et la haine :
@l3x, tient bon... @l3x, tient bon... @l3x, tient bon... pendant que son pied tâtonnait déjà vers le corps inerte qu'il semblait avoir voulu protéger.
Quand la gueuse voulut retourner ce qu'elle croyait déjà être un cadavre, elle découvrit avec horreur qu'il y avait là un chignon et un visage de femme, ceux de la Chieuse. La rage déferla sur la Vilaine et elle se lâcha jusqu'à aller secouer Kissiou en lui filant des coups de pied. Bah oui, elle n'allait pas lâcher @l3x comme cela pour qu'il se vide de tout son sang, surtout si l'autre était déjà morte ! C'est l'gros rouquin, bourreau d'son ancien métier, qui calma la gueuse et l'invita à s'occuper la malheureuse.
Vain diù d'vain doux ! J'voulais t'voir crever plus d'une fois toi mais c'est pas le moment là !
Ne cherchez pas à comprendre. S'il y avait réellement quelqu'un que l'enchignonnée aurait occis avec le plus grand plaisir sur cette terre c'était bien la Chieuse et qu'un autre s'en charge à sa place était inconcevable pour elle. C'est donc en continuant à vociférer qu'elle apporta les premiers "soins" à cette greluche avec l'espoir de la ramener à la vie, peut être pour l'achever totalement par la suite. Qui sait !
Tu vas t'réveiller toi et bouger ton popotin où j'te le botte jusqu'en enfer ! Pense à ta Mioche ! Vain diù d'vain doux !
Nessty balaya soudain les environs d'un regard paniqué et fut intriguée par la forme gisant au pied d'un buisson. Elle laisserait sans vergogne la Chieuse en plan à moins que l'Kram s'en charge comme il le faisait déjà avec @l3x. Ce qu'elle fit d'ailleurs.
Kiiara ? Nan ! Pas ça ! Naaaaaaaan ! Kiiara !
La gueuse se releva et se précipita sur le petit tas sans vie, allongé de tout son long, face contre terre, emmêlé dans ses vêtements et couvertures de ptit comtesse. Là, seul un coeur inhumain aurait pu rester de marbre alors, si déjà la Vilaine se mettait dans tous ses états pour un membre de sa troupe, elle s'effondra littéralement en découvrant qu'une gamine de 5 ans avait pu être victime de l'infamie d'adultes belliqueux. Et pourtant elle avait extirpé sans état d'âme Kiiara de sa chambre au château comme un vulgaire sac d'avoine pour la monnayer avec son père. Mais comment ne pas s'attacher à la frimousse de cette pestouille à qui elle avait offert un lance pierre pour faire une farce à papa ? Comment oublier ce moment où elle avait voulu lui apprendre à lancer des miettes de pain sur un Cyclope en plein crise narcissique ? Comment encore oublier ce ptit zozotement plein de candeur qui faisait sourire la gueuse quand, rien que pour faire enrager la Chieuse, elle se faisait complice d'un caprice puérile ? Et oui, loin des yeux de tous, la Vilaine prit la Mioche dans ses bras en pleurant et en lui caressant les joues pour en dégager la boue et les belles mèches de ce visage d'ange qui semblait simplement endormi.
Une boucherie qu'ils ont fait sur cet enfant ! Une véritable boucherie ! Comment Aristote a-t-il seulement pu tolérer cela ? Comment ont ils pu oser faire cela ?
Les vêtements de la ptiote étaient en lambeaux au niveau de la hanche et du bras. C'est en la serrant contre elle, que Nessty se rendit compte qu'il y avait encore un souffle de vie. Aussitôt elle la garrotta et l'emmaillota tant bien que mal pendant que l'Kram s'évertuait à ressusciter la Chieuse ou à l'achever. Qui sait !
Raaaaa si seulement le Vénérable Vieux Con pouvait être là ! Il est Doc lui et ses mains sont si miraculeuses...
T'inquiètes pas la Mioche, on va vous ramener... on va vous soigner... C'est qu'un mauvais rêve ptit ange... J'te promet que j't'apprendrai plein de gros mots... puis on ira s'entrainer au lance-pierre sur ces méchants qui t'ont fait du mal... T'inquiètes pas la Mioche... puis j'te montrerai aussi comment faire des bulles dans la bière avec un brin de paille... T'inquiète pas la Mioche, tout ira bien...
Nessty jeta un regard interrogateur au Kram car il fallait que la Chieuse vive là... sans quoi elle irait personnellement la chercher en enfer pour qu'elle revienne s'occuper de sa Pestouille. Elle n'avait pas l'droit de leur faire un sale coup là ! Surtout pas à sa progéniture... Tout d'un coup, La Vilaine se préoccupait autrement du devenir de Kissiou.
T'inquiète pas ptit ange... ta maman sera là quand tu te réveilleras...
Elle déposa une bise sur le front de Kiiara et murmura tout doucement :
Pardonne moi... en même temps qu'une larme glissait d'une joue d'adulte sur celle sans couleur de la gamine.
C'est en chargeant tant bien que mal tout ce petit monde sanguinolent sur les montures pour retourner sur Poitiers que l'gros rouquin découvrit un rondelle, espèce de petit bouclier pour les combats rapprochés, portant la armoiries poitevines. Elle avait été perdue là, dans la cohue qu'avait probablement réussi à semer @l3x et servirait de preuve au cas où les infâmes meurtriers voudraient nier les faits de leur ignominie. Nessty, elle serra contre elle sur tout le chemin ce paquet de tissus immaculé dans lequel une enfant innocente était emmaillotée, victime de sa propre bêtise mais encore plus de celle de son père.
Kram, dès notre arrivée, il faut que nous fassions venir Cali sur Poitiers pour les soigner.
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Mangez des Carambars au lieu de vous prendre le chou à chercher ce qui n'est ni dit ni pensé.