Istanga
Après plus de dix jours à investir les recoins de Montauban, je me suis enfin décidée à y emménager. J'ai envoyé il y a près d'une semaine un pigeon à Marseille, demandant à Robert Arctor de liquider ma boucherie, laisser les clés de la maison à Iskander après l'avoir vidée, puis de nous rejoindre avec nos serviteurs à Montauban.
Il est plus que temps que l'on se fixe, une bonne fois pour toutes, surtout pour Darius qui aspire à une vie normale, qui rêve d'un nouveau monde, d'amis nombreux et fidèles. A l'origine nous devions suivre la famille en Gascogne, mais le hasard en a décidé autrement. Je sens ici, malgré les tensions habituelles, un bouillonnement d'idées, une vitalité qui me font bien augurer de l'avenir, et j'ai informé Flore de ma décision.
Nous avons jeté notre dévolu sur une bâtisse, pas vraiment engageante avec ses briques noircies par le temps, mais imposante par sa taille. J'ai compté en façade une douzaine d'ouvertures auxquelles il manque les vitres et il semble qu'il y ait un terrain suffisamment étendu pour que j'y lâche mes fauves. Il faut d'ailleurs que je suggère à Darius de ne parler à personne des deux panthères qui vont arriver. Ces cadeaux de mon défunt époux semblent devenir, avec le temps, plus source de tracas que de plaisir. Je verrai peut-être à les céder à une troupe ambulante, si cela s'avère nécessaire.
Mais, pour en revenir à cette demeure, elle est idéalement située, non loin du cimetière et de l'Auberge du Coq hardi. J'ai longuement réfléchi, et l'endroit est approprié pour y ouvrir un conservatoire de musique orientale. Les voisins ne sauraient se plaindre du bruit, et sous couvert d'un enseignement anodin, je pourrai recevoir tous ceux qui désireront simplement parler, discuter et refaire le monde sans être soupçonnée d'une quelconque hérésie, de prosélytisme ou d'un dérèglement hormonal propre à me faire passer pour folle, ce que je suis sans doute, d'ailleurs.
Bien, si la maison est choisie, il s'agit de me faire enregistrer. J'ai bien vu le bureau du cadastre, mais il me semble peu fréquenté. Je laisse Darius dans ma chambre à l'auberge, après avoir pris quelques documents et me rends en ville.
Comme je le pensais, le bureau est vide. Une plume à la pointe émoussée traîne sur un tréteau, près d'un encrier où l'encre dépérit. Je m'en sers malgré tout pour rédiger un mot à l'intention du responsable du cadastre..
Citation:
Au Responsable du Cadastre,
Je fais savoir que j'aimerais acquérir la demeure située près de l'Auberge du Coq Hardi, non loin du cimetière. Bien que je ne l'aie pas visitée, elle me semble en piteux état et ne fait pas honneur au quartier, aussi me ferai-je un plaisir que de la ramener dans les normes montalbanaises.
Je me nomme Istanga de Lendelin, et vivront avec moi mon beau-fils, Darius, l'intendant de la famille, Robert Arctor ainsi que deux serviteurs.
Je réside en attendant à l'Auberge du Coq Hardi, où vous pourrez me faire porter réponse.
Bien courtoisement,
Istanga de Lendelin
Le 13 juin 1458
Je pose le message bien en évidence, l'encrier sur le coin pour éviter qu'il s'envole et m'en retourne à l'auberge._________________
Ne prenez pas vos désirs pour des banalités.