Zya62
[Ecu Vert - Parce qu'il y a un temps pour tout, même pour la Grande Faucheuse]
Et voilà. Elles faisaient route. Silencieuses, comme voulu. Une ou deux en avant, en éclaireuses, comme toujours. Quelques une après et elle. Un petit rappel qu'on lui avait fait : "Les chefs ne doivent jamais se porter en première ligne! Qu'adviendrait-il des troupes après?"
Grimace. Bah oui, mais bon? Elle avait été toujours du genre solitaire, la rôdeuse. Alors quoi? Un peu de mal à se tenir en retrait. Même là.
Plus fort qu'elle. Elle les dépasse une à une po,ur rejoindre les deux parties au devant.
Sombrastre se fait léger, tranquille, pour le commun des Tourangeaux qu'elles peuvent croiser cette nuit.
Pourtant la cavalière sent qu'il n'en est rien. Les flancs sont parcourus de spasmes, comme s'il sentait quelque chose d'étrange dans l'air. Et alors quoi? Elle doit s'arrêter à cause de l'enervement perceptible de sa monture? Non, certainement pas. Et puis, qui sait ce qu'il se passe dans l'esprit de l'animal? Réminiscence de son passé, visions peu agréables...
Une nuit d'hiver, une fuite, un abandon... son cavalier.
Et à mesure que l'hiver approche, les souvenirs deviennent plus entêtant, plus hanteurs... Vision brune et blonde qui s'impose. Trop de temps, pour ça aussi. Trop de temps loin. Et ça ne s'arrangera pas, elle le sait. Toujours plus occupée, toujours plus dégoûtée de la vie qu'elle vit. Plus rien de ce qu'elle voulait, étant enfant. Trop de charges qui lui tombent de plus en plus sur les épaules. Un poids immense dont personne ne se rend compte totalement, même si certaines l'imaginent amplement.
Esprit vagabondant. Une erreur. Elle n'est pas, n'était pas assez concentrée. Fatal. Elle réagit trop tard, quand les filles ralentissent l'allure, passant devant.
La voilà qui tire sur les rênes. Hénissement discret qui s'échappe. Un bruit de trop à son goût.
Le bras se lève en guise de stop. Le corps change de posture. La cavalière se tourne vers ses compagnons, doigt sur la bouche, pour les faire taire.
Malheureusement pour elles, la nuit n'est pas noire. La Lune est haute et pleine, éclairant largement les environs. Et malgré le crachin léger, elles peuvent apercevoir les troupes, en contre bas. Elles peuvent être aperçues... Faire le calcul rapide des forces postées... Trop. Bien trop pour elles. Elle voit déjà la scène, s'ils fondent sur elles... Des hommes se glorifiant d'avoir encerclé un tout petit groupe, qui crieront victoire alors qu'elle n'aura rien de glorieux, vu le désesquilibre des forces en présence. Une armée contre une lance...
Soupirs qu'elle retient.
Rassemblement des Dames autour d'elle, bien à l'abri des ombreux feuillages. Chuchoter et gesticuler, pour se faire entendre sans se repérer :
Il nous faut les contourner, rapidement et silencieusement. Ne surtout pas se faire repérer, sinon, nous sommes perdues. Hocher du chef si vous me suivez.
La Lune étant à l'Est, nous partons à l'Ouest du groupe. Restez dans l'ombre, le plus possible.
Hochement et tension perceptibles, elles se mettent en route.
Le silence se fait religieux, prélude au déchirement de l'air.
Une flèche passe non loin d'elle. Le talônnement est instinctif. Elle sait compter sur le destrier, mais qu'en est-il des autres, celles devant elle?
Presser l'équidé, toujours plus. Sentir l'angoisse former une boule au creux de l'estomac, comme des bruits de sabots, sourds, lui parviennent. Ils se rapprochent. Ils coupent à flan de colline. Ils leur tomberont bientôt dessus.
Regretter, déjà. Mais comment aurait-elle pu savoir? Aucun service de renseignement ne les avait detecté. Et pourtant, elle pressentait cela, en partant. Aurait-elle dû s'écouter, avant de lancer le départ? Probablement, plutôt que de croire tous les services engagés.
Le mal est fait, et bientôt l'affrontement est ineluctable.
Elle tire sur la bride de Sombrastre et lui fait faire demi-tour. A perdre, autant combattre. Elles sont faites, de toute façon. Et le peu de Berrichons blessés sera ça de moins pour ceux qui prendront leur suite.
L'épée fend l'air dans un son métallique en sortant du fourreau. D'autres luisent dans le paysage, en réponse et le combat s'engage.
Certains descendent de leurs montures pour s'en prendre aux leurs. Et pourtant, à pied, elles seront perdues et n'arriveront à rien.
Les coups pleuvent. Une première attaque qu'elle pare aisément. L'homme qu'elle repousse tombe de sa monture mais sitôt un second vient en traitre. Des mercenaires... aucune règle... Les épées s'entrechoquent. Elle pare un coup sur la droite mais sa monture fait un écart provoquant une ouverture : Touchée au bras gauche.
Leitmotiv : ne surtout pas lâcher les rênes, ne surtout pas lâcher l'épée! Ne pas tenir son bras sous l'effet de la morsure de l'épée.
Mais elles n'auront pas de répit. Ils lui tomberont dessus, à trois, ou plus. Elle ne sait plus. Tout au plus se souviendra-t-elle en avoir blessé fortement un, elle ne sait comment...
La protection de cuir sera bien maigre. Elle sera taillée de toute part.
Un coup pour la faire chuter, à la hanche. Un pour la faire ployer, dans le dos. Un pour lui faire mordre la poussière, dans les entrailles.
Le nez dans une mare boueuse. Les sabots s'éloignent, accompagnés de cris de joie et de rires graveleux.
Elle tente de se soulever, mais son bras lâche.
Gémissement.
Elle regarde alentours mais la vue se floutte.
Grognement.
Elle tente vainement d'avancer vers les autres mais ses membres ne la portent plus.
Affâlement.
Le souffle se fait court. Elle se retourne difficilement sur le dos. Elle fixe le ciel, étoilé. Les ombres s'avancent, l'entourant. Le froid prend place.
Tout juste sent-elle le souffle chaud de sa monture contre sa joue. Tout juste entend-t-elle Perci dans les parages s'activer.
A peine sait-elle que ses lèvres murmureront quelques mots...
Préviens... la licorne... Perci...
Dernier frisson. Les paupières se ferment. Elle ne sentira pas ces mains la tirer. Elle ne sentira rien du chemin. Elle ne saura pas qu'on l'emmène auprès de guérisseurs... Elle ne saura rien. Rien d'autre que ce que les limbes lui offrent, errements et doutes. Et comme le corps se repose, l'esprit, lui, se meurt sous le poids de la vie.
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Et voilà. Elles faisaient route. Silencieuses, comme voulu. Une ou deux en avant, en éclaireuses, comme toujours. Quelques une après et elle. Un petit rappel qu'on lui avait fait : "Les chefs ne doivent jamais se porter en première ligne! Qu'adviendrait-il des troupes après?"
Grimace. Bah oui, mais bon? Elle avait été toujours du genre solitaire, la rôdeuse. Alors quoi? Un peu de mal à se tenir en retrait. Même là.
Plus fort qu'elle. Elle les dépasse une à une po,ur rejoindre les deux parties au devant.
Sombrastre se fait léger, tranquille, pour le commun des Tourangeaux qu'elles peuvent croiser cette nuit.
Pourtant la cavalière sent qu'il n'en est rien. Les flancs sont parcourus de spasmes, comme s'il sentait quelque chose d'étrange dans l'air. Et alors quoi? Elle doit s'arrêter à cause de l'enervement perceptible de sa monture? Non, certainement pas. Et puis, qui sait ce qu'il se passe dans l'esprit de l'animal? Réminiscence de son passé, visions peu agréables...
Une nuit d'hiver, une fuite, un abandon... son cavalier.
Et à mesure que l'hiver approche, les souvenirs deviennent plus entêtant, plus hanteurs... Vision brune et blonde qui s'impose. Trop de temps, pour ça aussi. Trop de temps loin. Et ça ne s'arrangera pas, elle le sait. Toujours plus occupée, toujours plus dégoûtée de la vie qu'elle vit. Plus rien de ce qu'elle voulait, étant enfant. Trop de charges qui lui tombent de plus en plus sur les épaules. Un poids immense dont personne ne se rend compte totalement, même si certaines l'imaginent amplement.
Esprit vagabondant. Une erreur. Elle n'est pas, n'était pas assez concentrée. Fatal. Elle réagit trop tard, quand les filles ralentissent l'allure, passant devant.
La voilà qui tire sur les rênes. Hénissement discret qui s'échappe. Un bruit de trop à son goût.
Le bras se lève en guise de stop. Le corps change de posture. La cavalière se tourne vers ses compagnons, doigt sur la bouche, pour les faire taire.
Malheureusement pour elles, la nuit n'est pas noire. La Lune est haute et pleine, éclairant largement les environs. Et malgré le crachin léger, elles peuvent apercevoir les troupes, en contre bas. Elles peuvent être aperçues... Faire le calcul rapide des forces postées... Trop. Bien trop pour elles. Elle voit déjà la scène, s'ils fondent sur elles... Des hommes se glorifiant d'avoir encerclé un tout petit groupe, qui crieront victoire alors qu'elle n'aura rien de glorieux, vu le désesquilibre des forces en présence. Une armée contre une lance...
Soupirs qu'elle retient.
Rassemblement des Dames autour d'elle, bien à l'abri des ombreux feuillages. Chuchoter et gesticuler, pour se faire entendre sans se repérer :
Il nous faut les contourner, rapidement et silencieusement. Ne surtout pas se faire repérer, sinon, nous sommes perdues. Hocher du chef si vous me suivez.
La Lune étant à l'Est, nous partons à l'Ouest du groupe. Restez dans l'ombre, le plus possible.
Hochement et tension perceptibles, elles se mettent en route.
Le silence se fait religieux, prélude au déchirement de l'air.
Une flèche passe non loin d'elle. Le talônnement est instinctif. Elle sait compter sur le destrier, mais qu'en est-il des autres, celles devant elle?
Presser l'équidé, toujours plus. Sentir l'angoisse former une boule au creux de l'estomac, comme des bruits de sabots, sourds, lui parviennent. Ils se rapprochent. Ils coupent à flan de colline. Ils leur tomberont bientôt dessus.
Regretter, déjà. Mais comment aurait-elle pu savoir? Aucun service de renseignement ne les avait detecté. Et pourtant, elle pressentait cela, en partant. Aurait-elle dû s'écouter, avant de lancer le départ? Probablement, plutôt que de croire tous les services engagés.
Le mal est fait, et bientôt l'affrontement est ineluctable.
Elle tire sur la bride de Sombrastre et lui fait faire demi-tour. A perdre, autant combattre. Elles sont faites, de toute façon. Et le peu de Berrichons blessés sera ça de moins pour ceux qui prendront leur suite.
L'épée fend l'air dans un son métallique en sortant du fourreau. D'autres luisent dans le paysage, en réponse et le combat s'engage.
Certains descendent de leurs montures pour s'en prendre aux leurs. Et pourtant, à pied, elles seront perdues et n'arriveront à rien.
Les coups pleuvent. Une première attaque qu'elle pare aisément. L'homme qu'elle repousse tombe de sa monture mais sitôt un second vient en traitre. Des mercenaires... aucune règle... Les épées s'entrechoquent. Elle pare un coup sur la droite mais sa monture fait un écart provoquant une ouverture : Touchée au bras gauche.
Leitmotiv : ne surtout pas lâcher les rênes, ne surtout pas lâcher l'épée! Ne pas tenir son bras sous l'effet de la morsure de l'épée.
Mais elles n'auront pas de répit. Ils lui tomberont dessus, à trois, ou plus. Elle ne sait plus. Tout au plus se souviendra-t-elle en avoir blessé fortement un, elle ne sait comment...
La protection de cuir sera bien maigre. Elle sera taillée de toute part.
Un coup pour la faire chuter, à la hanche. Un pour la faire ployer, dans le dos. Un pour lui faire mordre la poussière, dans les entrailles.
Le nez dans une mare boueuse. Les sabots s'éloignent, accompagnés de cris de joie et de rires graveleux.
Elle tente de se soulever, mais son bras lâche.
Gémissement.
Elle regarde alentours mais la vue se floutte.
Grognement.
Elle tente vainement d'avancer vers les autres mais ses membres ne la portent plus.
Affâlement.
Le souffle se fait court. Elle se retourne difficilement sur le dos. Elle fixe le ciel, étoilé. Les ombres s'avancent, l'entourant. Le froid prend place.
Tout juste sent-elle le souffle chaud de sa monture contre sa joue. Tout juste entend-t-elle Perci dans les parages s'activer.
A peine sait-elle que ses lèvres murmureront quelques mots...
Préviens... la licorne... Perci...
Dernier frisson. Les paupières se ferment. Elle ne sentira pas ces mains la tirer. Elle ne sentira rien du chemin. Elle ne saura pas qu'on l'emmène auprès de guérisseurs... Elle ne saura rien. Rien d'autre que ce que les limbes lui offrent, errements et doutes. Et comme le corps se repose, l'esprit, lui, se meurt sous le poids de la vie.
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