Sirius7
Saulx était bien calme en cette fin journée. Pour cause, le Vicomte s'était réfugié dans son bureau et avait demandé à ce que l'on ne le dérange sous aucun prétexte, excepté en cas de soulèvement populaire de la part de ses gens, bien évidemment. Mais jamais l'idée ne leur serait venue, tant le Margny était un homme bon et juste envers la gueusaille qui avait l'immense privilège de vivre en les magnifiques terres de Saulx. D'ailleurs le Margny avait dernièrement fait pendre trois paysans qui s'étaient permis d'émettre une critique de vive voix envers leur protecteur. Afin qu'exemple soit montré, le Vicomte avait ordonné leur exécution publique, puis s'en sont suivis discours et festivités de circonstance. Comment douter de son aptitude à prendre soin de son peuple, lui qui n'hésite pas à organiser des festivités en toute occasion ?
Le sujet n'étant pas là, il est temps de revenir à nos vaches. Malgré qu'il ne soit jamais allé au Béarn, il était tout de même capable de reconnaître ses armoiries, qu'il jugeait plutôt laides. Des bovins de gueules... Ses connaissances lui permettaient de connaître l'origine de ces armes. Mais le commun des mortels ignorait le choix d'un tel emblème. Qui pouvait prétendre savoir que les vaccéens avaient colonisé le pied des Pyrénées, que ce peuple possédait le culte de la vache, et que ce symbole fut gardé et devint familier au point que Louis le Pieux l'adopta au neuvième siècle afin d'en faire les armes inaltérables du Béarn ? Peu de personnes, certainement.
Eugénie de Varenne était donc une personnalité importante du comté de Béarn, à en juger par la présence d'un bureau personnel, ainsi que sa signature au bas d'un document dûment écrit. Tout cela n'était que rêveries, mais Sirius ne pouvait s'empêcher d'y réfléchir comme s'il s'agissait d'évènements se déroulant réellement à des centaines de lieux de son château... Tout avait été si clair, à deux reprises le même visage, le même sourire, un nom bien précis, une localisation même.
Deux coups frappés à la porte le firent quitter ses pensées, à contre cur.
Entrez.
Anthèlme fit son entrée dans le bureau vicomtal. Depuis son fauteuil, le Margny l'interrogea.
Et bien mon bon Anthèlme, une révolution se prépare t-elle donc ?
Non Monseigneur, c'est...
Encore quelques gueux qui viennent protester contre la dernière levée d'impôts ?
Non plus. Seulement...
Une délégation bourguignonne souhaitant me rencontrer ?
Monseigneur n'y est pas...
Dois-je vous suggérer de me dire enfin ce qu'il se passe ?
J'allais le...
Parlez-donc, ne me faites point attendre.
Le fidèle valet du Vicomte se pencha légèrement en avant.
Je souhaitais seulement prendre des nouvelles de Monseigneur. Voilà plusieurs paires d'heures que sa Seigneurie n'est pas venue m'ordonner d'exécuter une quelconque tâche, ni même me réclamer un rafraichissement, vous m'en voyez là bien ébaubi.
Quelques secondes s'écoulèrent avant que le Vicomte n'éclate d'un rire gras et tonitruant, limite violent et choquant. Le valet n'osait plus bouger, de peur d'avoir fait quelque chose qu'il n'aurait dû faire. Il fallut bien quelques minutes à Sirius avant qu'il n'arrive à se calmer complètement, séchant les larmes qui commençaient à s'échapper de ses orifices oculaires d'un revers de manche. Il frappa soudainement du plat de la main sur le bureau juste devant lui.
Ah mon bon Anthèlme ! Je ne regrette vraiment pas ce jour où je vous ai trouvé sur mon chemin... Votre génitrice m'implorant de vous prendre sous mon aile afin de vous garantir une vie convenable. Ma bonté naturelle a permis de faire une heureuse dans ce monde...
Sourit mélancoliquement en se remémorant la roturière...
Mais soit, effectivement je vous ai délaissé, et pour me rattraper je vous envoie derechef annoncer à mon peuple la nouvelle de ma nomination comme Prime Capitaine Impérial. Cela implique que je ne saurais plus être autant présent qu'auparavant pour Saulx, j'imagine déjà leur tristesse... Puis vous irez jusqu'à Jussey m'égorger quelques bêtes afin de préparer le repas.
Oh et avant que vous vous en alliez, connaîtriez-vous une certaine Eugénie de Varenne ?
Anthèlme répondit par la négative d'un signe de tête. Comment pouvait-il en être autrement de toute façon ? Un simple laquais ne pouvait pas connaître une personne que son Seigneur ne connaissait pas lui-même. Mais il fallait avouer que le Margny aimait à rabaisser les personnes par des remarques que lui seul comprenait. Cela lui permettait d'être le seul à profiter de cet extraordinaire don.
Il regarda Anthèlme quitter la pièce, puis se décida enfin. Il était temps de prendre contact avec cette Eugénie, aussi imaginaire était-elle peut être, il en aurait ainsi définitivement le cur net. Se saisissant d'une feuille de parchemin qu'il posa sur la surface rugueuse de son bureau, il entreprit d'écrire une courte et concise missive à l'attention de la dame béarnaise.
Citation:A l'attention d'Eugénie de Varenne,
Ma dame,
Me présenter serait bien inutile puisque vous ne me connaissez point.
Cependant je souhaiterais vous entretenir de choses et d'autres, relativement graves et importantes, par écrit ou directement, selons vos envies.
Dans l'attente d'une réponse,
Saulx, le dix-huitième de décembre mil quatre cent cinquante six.
Sirius de Margny-Riddermark.
Le sceau fut apposé afin de faire témoigner de l'importance de sa lettre, tout autant que de sa personne. On ne pouvait faire plus simple, et c'était tant mieux. Dans le cas où la dite Eugénie n'était que le fruit de son imagination - ce dont il n'espérait pas -, la lettre serait tout simplement détruite par les autorités béarnaises, et jamais personne n'en reparlerait. Dans le cas inverse, l'administration de la capitale ferait suivre la missive jusque la Varenne, et Sirius obtiendrait les réponses qu'il attendait tant... Peut être. Dans tous les cas, il lui faudrait se confesser au plus vite auprès d'un clerc, avant qu'il ne finisse par voir Caedes ou Volpone lui apparaître en rêve._________________