Atanaur était vraiment très fatigué ce soir là. Des jours qu'il attendait cela. Et pourtant, peut-être était-ce le poids du deuil qui l'affligeait. Il avait perdu un maître, un maitre à penser sans aucune doute, ohhh non pas de ces maitres qui dictent leur façon de voir et qui l'impose, non !
Excelsior laissait sa pensée aux hommes qui l'approchait. Sa mission était de tuer, d'éradiquer tout ce qui n'était pas soi, tous ces discours empesés appris depuis la naissance, tous ces faux semblants qui se faisaient plus vrai que la vérité elle-même.
Quand il entra il sentit une bonne odeur de tarte et cette chaleur d'un feu bois qui flambait dans l'âtre non loin et faisait reluire joyeusement en rouge et jaune toute la taverne. Tout était là encore comme si... mais là se devait être Carnavalet qui le ressentait plus que tout autre, comme si de rien n'avait changé !
Oui, oui, car cet homme blond qui se nommait Excelsior avait été tellement discret à Vesoul, il avait aidé un temps le maire de cette ville... plusieurs maires de cette ville mais qui se souvenait de lui, lui qui à l'époque préférait donner de son temps et de son labeur, plutôt que de faire reluire son ego devant tous.
Qui l'eut cru, personne ici en tout cas, que cet homme allait être plus tard en terre lointaine un émissaire privilégie auprès de la papauté du Comté de Toulouse, qu'il allait être encore plus tard être anobli pour service rendu, et qu'il allait assumer le rôle de Prévôt, de Procureur et plusieurs fois celui de Juge pour enfin devenir lui-même Comte de Toulouse.
Mais plus que tout, et sans doute plus terrifiant pour certains, il était devenu le conseiller du Roy de France comme représentant de la communauté spinoziste, cette religion minoritaire et pacifique reconnue par le Roy et l'Empereur. Il fallait le savoir aussi qu'il avait fui le danger de fanatiques sauvages qui se réclamaient de l'aristotélisme à tort.
...
Mais laissons là tous ces souvenirs empruntés, laissons là ce départ si lointain... ce souvenir évanoui qui disparaitra dans la mémoire des hommes à jamais. Le jeune Atanaur entra dans la taverne... Derrière lui un colosse, un antique vieillard du nom de Carnavalet croisa le regard de la belle et franche Hortense et ce sont des larmes qui débordèrent des yeux gris du vieux...
C'est elle, dit-il dans un souffle.
Je pense que la Dame aux boucles d'or sut tout de suite qui était ce jeune homme un peu sauvage. N'importe qui avait connu à l'époque Excelsior aurait été pour le moins frappé par une ressemblance quelque peu étonnante...
Madame, je vous apporte ceci.
C'était une médaille bleutée, la médaille du mérite de Franche-Comté.
Elle appartenait à Excelsior Ravanel de Puycalvel, un ami qui ne vous a jamais oublié, elle lui avait été remise il y a bien des années sur les instances du maire de Vesoul : Artifice. Puissiez-vous lui remettre de nouveau car mon maitre est mort noyé il y a quelques semaines sur les bords de l'océan dans un terrible accident... Puisses la mairie la garder en souvenir de cet homme, ce natif de Vesoul, qui était l'ami des humains...
Ne soyez pas triste, il ne l'aurait pas voulu. Réjouissez-vous plutôt qu'il ait eu une vie et que cette vie vous l'ayez partagé avec lui. Il n'y a plus de souvenirs dans la mort et seul compte d'avoir vécu. Ainsi le veut la tradition spinoziste.
Enfin... voici un petit billet cacheté qui a été retrouvé dans l'un de ses coffres et sur lequel était inscrit votre nom. Je vous le remets.
Hélas, je ne puis rester ici, je ne dormirai pas dans votre auberge, je dois repartir vers le Béarn où m'attend ma sur que je viens juste de retrouver. Je vous salue et vous souhaite le meilleurs...
Aussitôt entré, et si vite ressorti, les deux hommes s'en allèrent dans les ruelles sombres de Vesoul sur le chemin de l'Ouest et du soleil couchant...
Citation:Ma chère, très chère et tendre Hortense,
Je ne saurai penser la raison pour laquelle tu me lis en ce moment. Aurai-je atteint l'âge des départs, vieillard impotent sombrant dans les rivages de la mort, ou bien, aurai-je fait une rencontre mauvaise qui m'eut ôté de cette vie. Peu importe, peu importe à jamais maintenant, je voulais juste te remercier d'avoir été ce que tu es, telle qu'en toi-même non pas un ange, non pas un démon, mais simplement une femme de l'espèce humaine. Il ait des humains qui se croisent chaque jour sans jamais se rencontrer emprisonnés qu'ils sont entre les quatres murs étroits de leurs petites peurs quotidiennes. Il suffit sais-tu que l'il se décille et l'esprit s'ouvre et le frisson du corps exultent pour que sans même se toucher la rencontre comme une aube nouvelle se fasse. Il en a été ainsi entre nous ! Appelons cela amitié, amour, tendresse, car tout aurait pu être dès cet instant de notre rencontre, mais ce qui a compté c'est que cette rencontre fut. Maintenant, tu sais que je ne t'ai pas oublié, et devrai-je même t'avouer que bien souvent j'ai regretté cette chaleur, cette joie de vivre, ces rires et ce théâtre de lumière qui faisaient notre vie à Vesoul. Ton ami est parti en millions de millions de particules se désagréger dans la Nature et le cycle recommence encore et encore, grâce aussi à la vie qui s'en va c'est le renouveau de la vie. Je t'embrasse mon amie, mon amour, je t'aime. Et tout cela qui a vécu une fois l'a été à jamais et reste éternellement...
Excelsior Ravanel
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Vivre de telle sorte que tu désirerais revivre ce que tu vis...
Le carré est un triangle qui a réussi, ou une circonférence qui a mal tourné...