--Yseut
Yseut était une fillette qui, à l'âge de dix ans, avait été envoyée au couvent par ses parents, ceux-ci préférant consacrer leurs maigres richesses à l'éducation de son frère aîné, plutôt quà cette gamine maladive. D'une nature douce et tranquille, elle n'avait pas protesté lorsque les nonnes du couvent l'avaient à leur tour renvoyée, après deux années, vers soeur Ermengarde, qui, elle, avait accueilli la chétive enfant à bras ouverts. Malgré cet accueil, Yseut ne se sentait pas bien dans l'ordre des dévouées. Sa conscience vierge et innocente lui faisait réprouver certains agissements des dirigeantes de l'ordre, comme la magie noire ou la torture. Naturellement, elle n'avait jamais assisté à ces pratiques, mais elle savait qu'elles existaient, et cela révoltait son âme d'enfant. Bien qu'elle n'ouvrît jamais la bouche, elle écoutait tout, et personne ne faisant attention à elle, elle en savait bien plus qu'elle n'aurait dû.
Aussi, lorsqu'elle avait eu vent de l'enlèvement d'une jeune femme dépravée du village, à des fins de "purification", elle avait commencé à se demander si l'heure n'était pas venue de s'enfuir de cet affreux endroit, tout en sauvant quelqu'un qui lui en serait sans doute reconnaissant et l'aiderait à subsister. Légère comme une ombre, elle se glissa en silence dans la cellule de Sur Ermengarde. Celle-ci, comme l'avait prévu la fillette, s'était assoupie en faisant ses prières, et la tête de la vieille nonne reposait lourdement sur ses mains sales et ridées comme une pomme pourrie. Sans faire le moindre bruit, Yseut détacha habilement le trousseau de clés qui pendait à la ceinture et repartit aussi vite qu'elle était venue, son larcin dissimulé sous ses haillons informes. Le plus délicat restait à venir, car pour se rendre au cachot, elle devait traverser la cuisine où uvrait Sur Judith, cette vieille pie aux yeux inquisiteurs qui ne manquerait pas de la questionner.
Yseut respira un grand coup, poussa la porte de l'antre sordide où se préparaient les repas de la communauté, et eut un rictus s'apparentant presque à un sourire. Judith n'était pas là, la chance était décidément avec elle ! Elle se hâta vers l'escalier qui descendait aux cachots, et arrivée devant la lourde porte, introduisit la plus grosse clé et se glissa à l'intérieur, s'attendant à trouver la prisonnière toute estourbie. Aussi sa vigilance accoutumée fut-elle surprise, et n'évita-t-elle pas vraiment la pierre tranchante qui lui arriva droit dessus, tailladant son bras nu et lui arrachant un cri plaintif.