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[RP] Les remparts de Montpensier

Atheus
[Une proie]

Traversant un léger voile de brume étirant sa fraîcheur de l'intérieur de la ville jusque par-delà la clairière, le majestueux oiseau de proie ne s'avouait pas vaincu. Les grandes ailes étaient déployées de toute leur envergure, incurvant la course du prédateur pour un nouveau passage à l'aplomb du grand chêne. Le hibou n'eut aucun mal à repérer le malheureux campagnol qui, fuyant frénétiquement le vacarme venu des remparts, ignorait tout de la véritable menace qui planait au-dessus de lui.
Le grand duc replia ses ailes en arrière et, dans un silence presque absolu, guidé par son instinct et ses sens aiguisés de roi des prédateurs du ciel nocturne, piqua droit sur la trajectoire du mammifère chétif. Mort certaine.

Au même instant, sur les remparts, avait déboulé sur le vieux à la canne un individu drapé de noir. A peine avait-il eu le temps de tourner la tête qu'il fut emporté, un corps agile et vif l'ayant entrainé au sol dans une roulade. Il en avait lâché son bâton et se trouvait contraint d'agripper l'assaillant tant bien que mal. L'ancien chef de meute, pris dans le feu de l'action, n'entendit pas la voix de la jeune femme qui les sommait de cesser, et maudissait la vieille toile qui lui tenait lieu de mantel tant il était gêné dans ses mouvements.

Leur rencontre brutale avec le lourd et froid mur de pierre amena un instant de répit.
Athéus n'avait pas pour habitude de se retrouver ainsi à terre. Le bras droit du vieux était à moitié bloqué par son propre mantel qu'il écrasait du poids de son corps auquel s'ajoutait celui de l'autre. Il ne pouvait que serrer le bras menaçant de celui qui, le regard embué mais déterminé l'avait plaqué au sol. Pas moyen de l'attraper à la gorge. Athéus réalisa enfin que le reflet de la lune sur une lame serait certainement la dernière vision de sa longue vie...

En effet, une dague dans la main gauche, sortie de nulle part, l'autre n'avait plus qu'un geste à faire pour trancher la gorge du vieux...
Ce regard malin... Et le sourire de l'élève qui a dépassé le maître... La dague main gauche... Bien sûr ! l'autre, c'était... le prometteur Anséis !...
Athéus comprit le trouble ressenti plus tôt de n'avoir pas su déchiffrer les effluves ainsi mêlées. Trois anciens de la meute réunis !
Sans aucune peur, le regard d'Athéus semblait signifier à Anséis :
Vas-y ! Fais-le ! Fais ce qu'on t'a appris !





Tandis que les serres affutées s'apprêtaient à lacérer le campagnol, l'ouïe du prédateur fût perturbée par le bruit des corps qui s'empoignaient sur les remparts, puis, au moment crucial, un cri transperça la relative tranquillité des abords de Montpensier :

Pour l’amour de Christos ! Arrêtez !

Le campagnol bifurqua à l'instant même où les griffes allaient se refermer sur lui. L'oiseau fit juste un rebond sur la terre humide et repartit vers les cieux, sans le campagnol.

Sauvé.

L'appel de Téalhis lui avait sauvé la vie.

Athéus, et Anséis, tous deux incrédules, tournèrent de concert la tête vers la jeune femme au visage effaré.
--Elais
[Reste avec moi...]

Tout d'abord confuse puis perplexe, elle laissa un soupir de désolation s'échapper de sa bouche.
Idiote qu'elle était. Toutes ses années d'entrainement venaient de s'envoler avec l'épée qui lui avait été arrachée. Un seul mouvement avait suffit pour qu'elle se retrouve aussi démunie qu'un nouveau né, et elle n'en menait pas large face au colosse qui se dressait devant elle.

Alors, maintenant que faire ?

Faire demi tour et s'enfuir le plus vite possible pour éviter de connaître une fin qui se préparait sans nul doute à être en sa défaveur ? …Ou bien tenter de l'amadouer avec quelques paroles anodines ou cinglantes tout en essayant de rejoindre son arme ? Non, dans le premier cas, bien que son cœur battait la chamade sous les vagues de terreur que l'homme soulevait en elle, la demoiselle avait conscience que sa dignité en serait à jamais entachée. Dans le deuxième, elle songeait qu'elle n'était pas la mieux placée -et vraiment pas- pour tromper ou noyer quelqu'un dans une conversation quelle qu'elle soit.

Certes, il fallait l'admettre, ne restait qu'une seule chose à faire, la plus judicieuse et probablement la moins aliénée. Quoique...

Relevant les prunelles sombres à hauteur du visage de l'homme, elle leva le menton et soutint le regard de son adversaire avec un air de défi, prête à affronter son destin. Il s'était immobilisé à deux pas d'elle, la canne à présent redevenue soutien et le visage plus serein. Calme, comme toujours, pas un seul sentiment ne transperçait le masque froid qu'il arborait. Cependant elle nota une légère faille quand il riva des yeux rassurants dans les siens et entrouvrit les lèvres pour laisser échapper le son de sa voix apaisante.

Elle n'eut le temps de comprendre la phrase qu'il venait de prononcer qu'une lourde masse tomba lestement à côté d'eux avant de se sauter sur le vieil homme et l'emporter vers le muret du chemin de ronde. Les perles brunes s'écarquillèrent de surprise. Que se passait-il ? D'un rapide coup d'œil, elle jugea la scène et posa le regard sur celui qui venait d'interrompre l'aparté. Anseis !
D'où venait-il ? Depuis quand était-il ici ? Que faisait-il ici ? Pourquoi il... Perdue, confuse, elle tenta d'arrêter le flot de questions qui embrumaient son esprit, laissant échapper un « stop » peu convaincant qui reflétait son effarement. Mais les deux hommes continuèrent la lutte et le jeune vagabond prit l'avantage. Elle vit alors le visage, d'ordinaire si doux de son aimé, sourire de façon pernicieuse. A cet instant elle savait que la bête s'imposait tout comme le jour où elle s'était retrouvée opposée à lui.

Ses yeux glissèrent sur la lame fine et affutée de la dague dont l'acier reflétait un pâle rayon de lune, son esprit errant vers quelques années plus tôt, un même jour d'hiver où la brume épaisse couvrait les corps mutilés de ses compagnons gisant sur une terre qu'ils venaient de défendre jusqu'à la mort. Elle avait réussi à fuir ce jour là, emmenant précieusement avec elle cette dague qui avait goûté à sa chair. Une dague qui avait tout d'abord été instrument de la vengeance puis avec les années, la jeune femme apaisée, s'était avérée une compagne protectrice lors de voyages, avant de retourner vers celui qui l'avait autrefois possédée, en guise de cadeau, de pardon pour un passé qui devait être oublié. Aujourd'hui elle s'apprêtait à tuer et était guidée par cette même main qui jadis avait failli lui ôter la vie.
Une terrible frayeur qu'elle n'avait eue alors que durant son adolescence la secoua, l'obligeant à puiser au fond de ses entrailles l'air nécessaire qui l'aiderait à se faire entendre.


Pour l’amour de Christos ! Arrêtez !


Son souffle passa d'un rythme pesant et uniforme à un rythme haché, scandé par les sanglots, mais ses yeux restaient secs et brûlants de fierté. La poitrine oppressée par des larmes qui refusaient de couler, elle essayait d'enfouir son chagrin au fond de sa conscience, d'élever une digue contre le flot grossissant de la douleur que les souvenirs provoquaient. Plus présente que jamais, l'angoissante panique qui peuplait ses nuits hurlait dans son cœur comme une bise glacée. L'odeur de la tragédie et le silence l'entouraient de nouveau pareil à ce jour où elle avait été blessée.

Le cœur battant à coup précipités, Elais leva un regard suppliant sur le visage de l'être aimé. Elle savait que s'il mettait son geste à exécution, elle le perdrait à jamais. Cela elle ne pouvait le concevoir. Tant d'années passées sans lui à ses côtés, tant de haine accumulée, tant de doutes, de pleurs, de frayeurs, mais de joie aussi, de retrouvailles, de complicité, de tendresse et de sourires. Tout cela aurait-il été vain ? Était-il prêt à tout abandonner et redevenir ce que la meute avait toujours désiré qu'il soit ?

Interrogatives, les pupilles brillantes, pleines d'espoir qu'il n'aille au delà, elle avança doucement de quelques pas et tendit une main vers lui, paume ouverte, murmurant telle une supplique...


Je t'en prie...




***
Anseis
[L’enfer s’éloigne]

Le cri avait stoppé net son bras et, toujours tendue en l’air, la dague commençait à peser.

Mais le vagabond ne pouvait bouger. Son regard continuait de fixer, incrédule et perdu, celui de la jeune femme qui lentement s’approchait. La rage et la peur de la perdre qui avaient jusque là pris le dessus, semblaient le quitter dans le volute de fumée que sa bouche relâchait à chaque expiration.

Ces derniers instants : cela n’avait rien de la froide et méthodique détermination de la bête. Les sens en alerte les anciens réflexes, tout était revenu comme avant, mais accompagnés, amplifiés par une explosion de sentiments telle qu’il n’avait jusqu’alors connu. La peur et la rage lui avaient fait oublier toute prudence, toute logique. Mais elles avaient révélé une toute autre force, l’avaient alimentée au point que le monde s’était alors réduit à une seule et unique cible. Une force qu’il n’avait vu que chez les membres du corps, chez cet ancien chef qui justement se retrouvait allongé sur le dos et que l’enfant qu’il avait été avait tant redouté …

La froideur nocturne de l’hiver n’empêcha la sueur d’envahir le front d’Anseis en réalisant que le geste qu’il s’apprêtait à accomplir lui aurait fait perdre l’ange qu’il avait tenté de protéger. Et que le coup de poignard donné au vétéran aurait fait ressurgir le passé, transperçant l’âme de son aimée, y laissant plus profonde et douloureuse blessure.


je t’en prie

Les mots prononcés si doucement se firent écho dans l’esprit de l’ancien œil, dispensant patience et douceur : encore une fois, il avait agi dans la précipitation, il avait laissé des sentiments prendre le dessus, refusant de lui faire confiance, doutant d’elle sans qu’elle lui en donne raison. Et seuls ses mots, ceux qu’elles avaient prononcés autant que ceux que ses yeux, ses gestes avaient criés, l’avaient retenu de commettre l’irréparable. Et c’est elle qui lui priait ?

Aristote ! C’est lui qui en ce moment aurait du prier. Prier pour remercier son père et le Seigneur de l’avoir réuni avec Elais. Et la remercier pour de nouveau l’avoir sauvé d’un destin bien plus terrible que la mort. D’un destin qui l’aurait condamné à un enfer vivant empli de remords… loin d’elle. Lui qui espérait être son protecteur et se retrouvait de nouveau son débiteur.

Son regard glissa sur la main tendue. La méritait-il vraiment ? En l’acceptant n’allait-il de nouveau dans le futur déchirer son cœur ? Mais la refuser reviendrait à nier la plus grande sagesse d’Elais, et à leur infliger assurément à tous deux plus grande souffrance dans la séparation. Avec elle il apprendrait. Il trouverait la force de repousser les obstacles futurs. Et s’il ne faisait aucun doute qu’ils en rencontreraient, au moins se donnaient-ils une chance. Sans elle, il n’était rien. Refuser sa main pensant ainsi lui offrir meilleur futur, c’était aussi rejeter toutes les douces paroles qu’elle lui avait prononcées, renier les sentiments qu’elle lui avait dévoilé, et égoïstement interpréter l’amour qu’elle lui portait. Croyait-il donc l’amour qu’il lui portait plus fort ? Ne lui avait-elle prouvé maintes fois que l’amour qu’elle lui offrait en retour ne l’était autant sinon plus ?

Lentement, la main dextre du jeune vagabond se dirigea vers celle de sa mie. Sa gauche ramenait en un geste aussi lent l’arme au niveau de la ceinture pour y retrouver son fourreau. Le dernier éclat de lame, éclairé par les torches, disparu au moment même où leurs mains se croisèrent.

L’enfer se referma derrière lui.



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Atheus
[Le cauchemar est terminé]

Lentement, la jeune femme avança vers les deux combattants au sol. Ses yeux brillaient, trahissant toute l'inquiétude qu'elle avait ressentie pour Anséis. Il ne faisait nul doute que Téalhis et Anséis éprouvaient l'un pour l'autre des sentiments forts. Ainsi, lorsque Anséis s'entendit murmurer par la jeune femme quelques mots à peine audibles pour le vieux, son tonus et sa poigne déterminés se relâchèrent progressivement. Athéus eut facilement profité de cette aubaine pour retourner la situation en sa faveur, mais il n'en fit rien.
Il patienta les quelques instants qui virent le jeune homme complètement oublier le combat, comme hypnotisé par les paroles de sa belle, se redresser et prendre la main qu'elle lui tendait.
Lorsque il fut libéré de l'emprise d'Anséis, Athéus commença à se relever à son tour, lentement, tout en interrompant le silence naissant, de sa voix sombre et monocorde :


Je constate que vous n'avez rien perdu de vos talents... Nous savons tous trois que des bêtes sommeillent en chacun de nous. Mais, à en juger par vos tenues, vous semblez être parvenus mieux que moi... à vous fondre dans ce monde et ses codes. En outre, je lis dans vos yeux ce qui vous unit. Cela me réjouit. Et je n'ai nulle intention de vous ramener vers un passé monstrueux...


Pour ma part, je n'ai plus qu'un seul but : Comprendre qui a fait de moi, et de chacun de vous qui tour à tour étiez à deux doigts de m'ôter la vie, ce que nous sommes. Qui nous a ainsi manipulés, pour ensuite nous abandonner ? Pourquoi tout ça ?

Si vous pensez pouvoir m'aider à répondre à ces questions, j'en serai ravi.
Pour l'heure, je ne vais pas abuser de votre temps.


Athéus inclina la tête en signe de salut, n'osant leur avouer qu'il ne savait quel chemin emprunter pour regagner son abri...
Anseis
[Angélique surprise]

Que ce soit par fatigue ou désir de voyage, les gris nuages avaient finalement délaissés la région. Mais le fruit de leur travail restait présent et le serait probablement pour les jours à venir. La neige s’était changée en glace, certes noircie par le temps et la terre, mais toujours aussi glissante. Et il faudrait plusieurs journées au pâle soleil hivernal pour la réduire à peau de chagrin.

Courbé, jambes légèrement arquées et yeux plissés par la concentration, Anseis avançait. Le chemin de ronde ne bénéficiait même pas des faibles rayons, protégé qu’il était par l’ombre des remparts. Il en était devenu aussi glissant que certains lacs qui se recouvrent de glace lors des plus froids hivers dans le nord du royaume. Miliciens et maréchaux se contentaient donc de veiller depuis les tours de garde.

Mais, poussé par un désir aussi impérieux que déraisonnable, le voyageur avait décidé de les parcourir. Après avoir manqué de glisser, il sentit un frisson remonter le long de son échine, jusqu’à se changer en chaleur qui envahit ses deux joues. Il imaginait l’amusement des forces de l’ordre à le voir ainsi déambuler. Pourtant ni le ridicule, ni le risque de se briser os ne semblaient assez fort pour le faire changer d’avis.

Voilà quelques jours qu’ils étaient revenus dans leur ville, décidés à prendre quelques repos avant leur prochain voyage. Cependant, durant leurs errances, ils n’avaient guère eu le temps de parler, sinon par missive et ne s’étaient croisés depuis leur retour. Était-ce donc insensé de vouloir rejoindre cette place sur les remparts où il avait tant de fois aperçu sa gracieuse silhouette ? Dieu lui était témoin : c’était justement la chose qui semblait la plus appropriée la plus mature et la plus réfléchie. Son cœur lui soufflait que ridicule et quelques fêlures n’étaient que pauvres excuses pusillanimes.

Avançant d’un pas, le vagabond se conforta dans l’idée que, de toute façon, il pourrait observer sa maison et la chercher du regard du haut de cette place privilégiée, voir se trouver une demeure non loin de la sienne. Depuis son arrivée en fin d’été, Anseis continuait de vivre en chambre d’hôte et il était temps qu’il se trouve lieu plus… permanent. Bien sûr son désir le plus cher était de trouver lieu proche de celui de son aimée. Mais, pensa-t-il en une grimace, il ne voulait non plus entâcher sa réputation en prenant maison trop proche – Dieu savait combien les rumeurs volaient et il se refusait à laisser naitre ragot avant qu’ils ne s’unissent devant le Seigneur – sans compter qu’il ne voulait que sa fromagerie ne chassât clients de l’échoppe de tisserand. En un soupir, il réalisa que quelle que soit la maison qu’il choisirait, Elais serait à la fois trop proche et trop loin. Trop proche selon les convenances, trop loin selon son cœur ….

Parvenu enfin au merlon qu’il cherchait –miraculeusement sans dommage - Anseis appuya son dos contre la froide pierre pour tourner son intérêt vers la ville. Personne n’était venu en cette place depuis bien longtemps, probablement depuis la dernière neige s’il en jugeait par l’absence de trace sur le chemin glacé. Son regard fut attiré par la petite maison dont l’unique fenêtre ne reflétait que noirceur derrières les rideaux. La porte de l’échoppe attenante restait fermée laissant supposer que la propriétaire n’était présente. Les yeux du vagabond parcoururent la ville au fil de ses suppositions : s’était-elle rendue au marché ou bien encore dans un de ses champs hors de l’enceinte de la ville? Avait-elle rejoint l’église Saint Bonnet pour quelque prière matinale ? Ou bien avait-elle, comme lui quelques heures auparavant, rejoint les écuries pour saluer leur quadrupèdes compagnons et leur offrir quelque carottes ?

Un bruit répétitif lui fit baisser les yeux vers le cimetière. Quelqu’un – probablement le gardien – s’afférait à chasser le chaos qu’hiver, vent, pluie et temps avaient déposé. Un sourcil se releva lorsqu’il nota le curieux accoutrement de la personne œuvrant… avant que son cœur ne se mit à battre plus fort. Oui, c’était elle. D’un geste distrait, elle repoussait quelques mèches de sa longue chevelure qui s’étaient joyeusement échappées d’un semblant de tresse. Elle avait retroussé jupes pour gagner en aisance… amenant de nouveau chaleur sur les joues d’Anseis.

Les minutes passèrent sans sembler entamer sa volonté de nettoyer les lieux. Lui, se contentait de l’admirer. Il aurait du descendre, la rejoindre et l’aider, mais ne pouvait tout simplement détacher son regard. Vision éthérée et onirique d’un ange qui n’avait besoin de beaux atours ni riches pierres pour que sa beauté brille de mille feux. Une beauté au-delà du simple physique, mais aussi reflétée dans ses sourires, ses gestes, ses actes… et son âme.

L’observer ainsi, il le savait, ne pouvait lui apporter que gêne viendrait-elle à le remarquer. Et , il se doutait que la jeune tisserande avait choisi de faire tel travail par envie, impulsion, sans rien attendre en retour que le plaisir de voir le résultat de son travail, et l’espoir que quelqu’un y prenne autant de plaisir en y déposant son regard. Embarrassée, elle le serait si une autre personne venait l’aider, ne voulant forcer ou culpabiliser quiconque d’avoir laissé ainsi ces lieux en hommage aux défunts à l’abandon….

Mais, il ne voulait être quiconque pour elle. Et c’est près d’elle qu’il voulait se trouver pour l’aider. Non pas parce qu’elle ne pouvait le faire : il savait bien que quelle qu’en soit la difficulté la jeune femme en viendrait à bout par volonté – mais tout simplement parce qu’il l’aimait.

Il l’observa une dernière fois, un sourire naissant sur le visage, avant de se décider. Un escalier se trouvait non loin. Par contre, l’entrée du cimetière se trouvait sur le mur sud et il n’avait la patience d’en faire le tour. Un des arbres qui avait poussé entre rempart et le mur nord devrait lui permettre de franchir plus rapidement cet obstacle.

Plan finalement en tête, il quitta son appui en se repoussant d’une main. Il ne restait plus qu’à atteindre l’escalier sans tomber …

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Anseis
[L’appel des chemins]



L’étalon vint poser sa blanche tête au niveau de l’épaule du vagabond, lui arrachant un sourire. Anseis lui caressa la crinière en lui murmurant.

Oui, moi aussi il me tardait de repartir

Bien sûr, ils ne restaient que dans le duché, traversant des villes qu’ils avaient visitées il y a peu. Mais qu’importait. Le plaisir de retrouver la poussière des chemins, les longs trajets silencieux, durant lesquels ils ne croisaient pas la moindre âme durant plusieurs lieues…

Était-ce due à son enfance cloitrée suivie d’une adolescence plus douce mais tout aussi enfermée ? Ou encore le besoin primaire de la bête ? Toujours est-il que chaque fois qu’il restait quelques temps dans une ville et qu’il rejoignait les remparts, il ne pouvait s’empêcher de ressentir ce frisson en regardant les routes qui disparaissaient en un détour ou s’estompaient vers l’horizon.

Ce frisson n’était évidemment le même qu’avant. Il avait perdu de son intensité portée par l’angoisse et l’urgence : l’amour d’Elais ainsi que celui qu’il éprouvait pour elle avait apaisé la bête et lui apportait chaque jour bonheur. Mais, s’il était heureux auprès de sa belle, il l’était encore plus lorsque tous deux se retrouvaient sur les routes, loin des villes.

Son sourire se fit plus franc alors qu’il ajustait la selle, vérifiant que les sacoches transportant denrées y étaient bien fixées. Sa main passa le long de sa propre besace pour glisser par l’ouverture et vérifier de nouveau qu’elle s’y trouvait. Voilà plusieurs semaines maintenant qu’il travaillait sur cette flute espérant l’offrir à Elais pour la Saint Valentin : il avait du cependant se résigner à repousser la date du cadeau de quelques jours afin de le terminer. Mais elle était enfin prête et – chose rare pour lui – il ressentait excitation en plus de l’habituel amour à l’idée de retrouver avec sa merveilleuse tisserande et voir son visage s’illuminer lorsqu’il lui offrirait présent.

Sans perdre plus d’instant, l’homme prit appui sur l’étrier pour se hisser sur sa monture, puis la guider lentement hors des écuries. Elais qui l’avait devancé, s’adressait à un voyageur qui semblait juste arriver aux portes de la ville. Le jeune homme s’approcha donc jusqu’à les rejoindre quant il arrêta sa monture, la surprise envahissant son visage.


Damoiselle Aldoncine ! Est … est-ce bien vous ? …

Les deux regards qui se tournèrent vers lui le firent rougir alors que son interrogation s’éteignait sur le bord de ses lèvres.
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Aldoncine


L'abbesse se sentait bien lasse. Il y avait des semaines - des mois ? - qu'elle n'avait pas vu un visage connu, à défaut même d'un visage ami. Même les pêcheurs bourrus de la baie de Honfleur lui auraient été une vision agréable, et pourtant Aristote savait que quitter le village lui avait donné l'impression d'une bouffée d'air délicieusement frais...
Apercevant les hauts murs d'une cité à la sortie de la forêt, elle pressa le pas, certaine qu'il s'agissait là de la fameuse Montpensier, patrie désormais du jeune vagabond aux yeux sombres qui lui avait chaleureusement conseillé le remède des voyages. Elle avait suivi son conseil, mais sans rien lui en dire. Pensive, elle songea que son fidèle pigeon prenait lui aussi des vacances. Farandole devait être bien fâchée de n'avoir point de nouvelles de son abbesse.
Haussant les épaules, Aldoncine passa la porte de la cité, hésitante et incertaine. A peine avait-elle fait quelques pas, qu'une jeune femme en tenue de voyage s'adressa à elle pour lui souhaiter la bienvenue. Avant même que l'abbesse eût le temps de se présenter, une exclamation retentit non loin de là :

Damoiselle Aldoncine ! Est … est-ce bien vous ? …

Etonnée, elle se retourna et eut un large sourire en constatant que celui qui l'interpellait ainsi n'était autre que le jeune Anseis. Elle remarqua avec grand plaisir qu'il semblait bien plus serein, et bien moins tourmenté que lors de son séjour honfleurais.

Ah, messire Anseis... Jamais bien loin des remparts, à ce que je vois. Voilà une rencontre qui me remplit de joie !

La religieuse se sentit toute ragaillardie, et remarquant que le jeune homme, lui aussi, semblait s'apprêter à un voyage, elle poursuivit :

Par le Très-Haut, suis-je arrivée trop tard ? Je n'aurai donc pas le plaisir de causer un peu avec vous ?
Anseis
La nuit avait pris possession d’une grande partie des cieux et seule une ligne bleue foncée, à moitié occupée par les nuages, subsistait lorsque les trois cavaliers s’éloignèrent des remparts pour prendre la direction de l’ouest.

La route principale les conduirait tout droit à la capitale du duché : Clermont. Anseis sourit de nouveau en notant Elais prendre les devant, sa jument baie guidant fièrement les deux autres chevaux. Il tourna la tête vers Aldoncine avant de lancer son étalon à la suite.

Sous la proposition de son aimée, l’abbesse avait accepté de les accompagner dans leur voyage. Le vagabond soupira en se rappelant qu’avec les préparations qui en avaient suivi – notamment le passage aux écuries pour trouver monture supplémentaire – il n’avait trouvé le temps d’offrir le cadeau à sa douce compagne. Vérifiant par instinct que la flute se trouvait dans la besace d’un geste de la main, il se promit de le faire à leur arrivée dans la capitale, ou du moins après la matinée de repos qu’ils prendraient.

Et dans la lueur déclinante, les voyageurs disparurent de la vue des gardes de service cette nuit là.


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Elegance
[ une visite dans la nuit]

Elegance ne parvenait pas à s'endormir aussi decida-t -elle de sortir.
Elle s'habilla chaudement ,enfila sa cape et ferma sa porte à double tour .
Grimpant sur le dos de Libellule ,elle trotina dans les ruelles ,passant devant les tavernes ou quelques villageois rougeauds ,discutaient à l'entrée de celles çi des elections.
Les lueurs des bougies qui dansaient derrieres les fenetres donnaient une sensations de chaleur et Elégance voyait les habitants rirent ,aller et venir à la chaminée ,trinquer ,parler avec leurs enfants ,detournant les yeux ,sa peine semblait vouloir l'envahir encore plus,comme elle aurait aimé etre là à leurs place avec son bien aimé Gus.
Une larme coula sur ses joues , elle sanglota mais d'un revers de la main elle s'empressa d'essuyer les larmes amers .
Elle devait etre forte et garder espoir Gus l'aimait ,oui il lui avait dit les yeux dans les yeux ,il ne pouvait mentir et ils devaient s'unir .elle se repris et continua sa route .
Deux hommes la croisérent ,leur allure de vagabons declenchére un frisson.


" Alors ma belle tu fais quoi toute seule dans cette nuit froide"

"T' as pas peur c'est dangereux une femme seule " lui dit le plus maigre et grand des deux,tirant sur le harnet de son cheval il s' approcha d'elle.

" Non j'e suis armée et je sais me battre contre les brigants de votre espéce,la regardant d'une maniére meprisante ,ils ricanérent en coeur et firent demi tour.

Elégance se detendit un peu et se dit : oufff !!!
Elle reprit sa route ,arrivée au bas du rempart elle attacha sa jument et gravit une à une les marches irreguliéres qui conduisaient au sommet d'ou la vue si magnifique permettait de scutter tout le village.
Les etoiles scintillaient et Elégance etaient certaine qu'il y en avaient deux pour Gus et elle qui brillaient plus que les autres .


Les sentinelles n'etaient pas là alors elle s'assit sur une grosse pierrre pres du bord et resta là un on moment jusqu'à se que le froid lui rappela qu'il etait l'heure de rentrer ,de toute façon elle avait finit les quelques vers ecris pour Gus et qu'elle comptait lui remettre bientot ,elle quitta ce lieu de paix ,grimpa sur Libellule ,trotinant dans les ruelles le coeur plus leger et plein d'amour pour son pretendant ,elle arriva à la chaumiére ,mit sa jument dans son box apres lui avoir donné un baiser affectueux .

"Dors bien mon amie ,demain le travail nous attends "

Elle rentra heureuse et epuisée ,se coucha et s'endormie tres vite pensant à Gus.
Richard_iv
Richard se promenant en cette matinée ensoleillée, monta jusqu'en haut des remparts... Il avait pris le gout dans chaque nouveau village qu'il croisait de monter en haut de ces remparts et de regarder l'horizon un moment et d'avoir aussi une vue d'ensemble de la ville... Arrivé en haut il s'addossa à un mat de drapeau et scruta l'horizon, fredonnant...
Elais
[Une virée sur les remparts]

Dans l'encadrement de la fenêtre de la petite maisonnette non loin du cimetière, une ombre apparut puis disparut aussi lentement que la lumière qui y régnait. A l'intérieur, dans les ténèbres, ne résida plus que le rougeoiement des braises d'un feu allumé pour le diner et l'écho étouffé du cliquetis de la porte qu'on venait d'ouvrir. Sur le seuil, cape sur le dos et épée au fourreau, Elais referma silencieusement derrière elle avant de traverser la rue sombre de Montpensier.

Dehors, les cieux arboraient une parure étoilée, créant une atmosphère de quiétude où le vent berçait patiemment une nature qui reprenait vie en cette saison printanière. Dans l'air, les effluves des fleurs vernales se mêlaient à l'odeur diffuse des prairies fraichement fauchées lors de ces jours ensoleillés. La nuit était sereine et sa relative douceur dégageait une ambiance mi-chaleureuse mi-reposante qui plaisait fortement à la jeune femme.

Savourant ce moment, elle prit une profonde inspiration et, d'une main qui émergea de la manche évasée de sa houppelande blanche, ramena quelques mèches vagabondes derrière l'oreille de son visage songeur. Elle s'apprêtait à retrouver les remparts, ces majestueux remparts qui, si souvent délaissés ces derniers temps, l'avait, à une époque, maintes fois accueillie lors de ses nuits de garde, et offrait toujours un lieu apaisant où elle aimait à flâner. Ce soir, elle ne s'y rendait pas pour paresser comme à son habitude, mais pour une raison qui était commune à toutes les villes du duché ces derniers temps...

Elle déambula quelques instants aux abords de la muraille attentive au rythme de sa progression, puis bifurqua en direction d'une des tours. Quelques enjambées suffirent pour atteindre les marches de pierres. Et d'un pas discret, elle grimpa jusqu'à atteindre le chemin de ronde, saluant au passage une sentinelle en faction.

Sur les hauteurs, les lueurs opalines de l'astre nocturne glissèrent sur sa silhouette pour former sur le pavé une ombre fuselée dont elle s'amusa quelques instants avant de laisser son regard rêveur errer sur les alentours. Le monde s'était tu, contemplateur devant le religieux silence périodiquement interrompu par le mélange de quelques lointains échos de rires et bribes de musique échappés d'une chaumière. Ce qui attira son regard vers l'échoppe inanimée au coin du chemin du cimetière et de la rue mandragore.

Son échoppe. Son seul bien. Car il ne lui restait plus guère que sa petite maison jouxtant son ancien atelier de tisserand transformé aujourd'hui en boucherie. Un choix qui n'avait guère était plaisant, mais qui avait joué un rôle majeur devant le conseiller du comté qui avait fini par lui accorder ses entrées à l'université. Un droit dont elle ne s'était pas privée au début, puis, les jours passant, champs et autres conventions temporelles, telles que les études, avaient été relégués au passé, lui laissant la pleine liberté de mener son quotidien au gré de ses envies. Un temps révolu, auquel elle avait sacrifié ses petites solitudes. Maintenant, le manque d’activité l'amenait parfois à l’ennui, réveillant le désir impérieux de repartir encore, et toujours plus loin. Mais s'était-il un jour éteint ?

Une main posée sur le pommeau de l'arme dont le balancement s'harmonisait à l'allure tranquille de son avancée, ses yeux se portèrent vers le nord. Une direction qui attirait inexorablement son regard, mais aussi son esprit. En ce moment, le désir de revenir vers cette ville qui lui avait offert l'hospitalité alors qu'elle n'était encore qu'une adolescente se faisait de plus en plus présent. Elle songeait à ses habitants, avait la curiosité de savoir ce qu'ils devenaient. Néanmoins ce qui se rappelait le plus à elle était son ancienne maison qu'elle avait laissée à l'abandon alors qu'elle y avait amassé de nombreux souvenirs auxquels était rattaché ses errances ainsi que ses rencontres dans le royaume.

Comment avait-elle pu croire qu'elle finirait par l'oublier, les oublier ? Il y avait toujours quelque chose ou quelqu'un qui lui rappelait qu'elle n'avait pas toujours été Montpensieroise, et que sa vie avait communément était guidée par les voyages.

Son pas cessa et son attention se tourna alors vers la plus haute tour du château de la capitale. Elle ne savait pas trop ce qui s'y déroulait, ni même comment les assaillants avaient réussi à l'investir, mais elle espérait à présent qu'ils prendraient leur butin et quitteraient le duché sans délai. Peu importait ce qui leur arriverait après, son seul souhait à elle, était que le château leur soit de nouveau rendu afin que le peuple puisse de nouveau respirer et espérer. Même si l'avenir restait incertain. Mais aussi, plus égoïstement, qu'elle ait la possibilité d'entreprendre ce voyage qui lui tenait à cœur depuis longtemps.

La jeune femme, attirée par un bruit familier, s'arracha à ses pensées et passa la tête entre deux merlons. Les portes de la ville se fermaient doucement sur les derniers badauds et marchands.
Elle les regarda s'éloigner un long moment, puis se redressa avant de fouiller rapidement dans la petite sacoche qui pendait à sa hanche. Elle en ressortit une petite friandise sucrée qu'elle plaça aussitôt sur sa langue avant de reprendre sa marche qui la replongea aussitôt dans ses réflexions.


***
Anseis
[Jeu d’ombres]


Le joli mois de Mai à peine arrivé avait dispensé son cortège de fleurs aux multiples couleurs et toutes aussi riches senteurs dans les champs en jachère disséminés au-delà des remparts de la ville. Et même les événements tragiques qui avaient secoué la capitale n’avaient pu empêcher à ces merveilles divines de pénétrer dans le cœur des habitants de cette ville, dessinant sourire sur leur lèvres et emplissant leurs yeux d’un bonheur pétillant.

Et quand venait le soir, que chacun regagnait chaumière pour prendre repos bien mérité, c’était un sommeil plus insouciant et plus serein qui les emportait au doux pays des rêves, telle la brise matinale qui les accueillait le lendemain. Cette brise que l’on pouvait déjà sentir et qui semblait souffler une à une les quelques lumières encore présentes aux travers de carreaux épais.

A peine une s’éteignait-elle qu’une étoile venait la remplacer dans le ciel déjà nocturne. Chacune se faisait ainsi l’annonciatrice d’une vie qui, l’instant d’une nuit, se mettait en pause pour laisser place à une autre, onirique et intangible, mais toute aussi importante et réelle dans l’esprit de chacun.

Après tant d’années, rien ne semblait avoir changé pour le vagabond. C’est au moment où tous s’endormaient que lui se réveillait. Le sombre manteau qui recouvrait maintenant jusqu’à l’horizon reposait ses yeux, laissant ses autres sens s’ouvrir au monde qui l’entourait. La nuit était son moment, son élément. Comme s’il n’avait jamais été rien d’autre qu’un simple rêve qui vainement tentait de se prétendre humain. Un rêve qui ne pouvait vivre autrement que parmi les fantômes éthérés aux formes gracieuses.

Allongé à même un toit de tuiles, abrité des lueurs opalines de la reine des nuits par l’ombre d’une cheminée, il l’observait. Sa princesse. Chaque battement de son cœur l’accompagnait dans son intime danse, si naturelle. Non point simple habitante comme lui de ce pays, elle s’en affirmait la souveraine. Dans cette univers construit de nuages et de chuchotements, force et éclat n’avaient pouvoir et seule la grâce et l’harmonie prévalaient.

La lune l’enveloppait de sa douce lueur, l’emportant avec douceur le long des remparts, laissant au passage les étoiles caresser sa longue chevelure bouclée. Les imposantes murailles de pierre tentaient parfois de la retenir, aussi se laissait-elle saisir, immobile. Anseis imaginait son sourire alors que vainement les créneaux glissaient le long de sa peau satinée. Fille de vent, elle observait alors le monde si froid et figé qui ne semblait avoir d’emprise sur elle avant de nouveau repartir en un souffle.

Et lui, simple vagabond, vivait chaque seconde, emplissant son esprit de ces instants uniques, pour créer merveilleux souvenirs en son âme qui la journée durant guideraient son sourire.

Sa muse se laissa déposer de nouveau tournant le dos au disque argenté pour diriger son regard vers le nord. Là ou dormait leur passé là où tout avait commencé. Une pointe de tristesse vint recouvrir le cœur de l’homme : bientôt elle s’envolerait et tout son amour n’y pourrait rien. Dieu savait combien il voudrait la suivre, rester à ses côtés, quitte à abandonner son peu d’humanité pour devenir son ombre. Combien chaque seconde loin d’elle n’était qu’angoisse et douleur… mais sa présence ne serait que carcan pour cet ange qui ne pouvait vivre sans liberté. Et des chaines, fussent-elles tissées d’amour, ne feraient que la blesser.

Un soupir s’échappa de sa bouche laissant s’enfuir cette dernière pensée. Quittant son asile sombre, Anseis se redressa pour étirer ses muscles et revenir dans le monde des vivants. Il faisait partie de la garde et ce n’est pas perché sur ce toit qu’il pourrait défendre efficacement. Souriant à l’idée de retrouver sa compagne, l’homme se rappela qu’il ne servait à rien de se lamenter sur le passé ou le futur, alors qu’il pouvait simplement profiter du bonheur présent.

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Anseis
[Un au-revoir]


A peine ses pieds avaient-il touché le sol terreux que le labyrinthe des rues nocturnes s’était refermé sur lui. Les blancs rayons de Séléné s’arrêtaient au niveau des toits, se refusant de pénétrer dans cet enfer sombre, empli de couinements, bruissements et odeurs. Ces mêmes rues qui pouvaient s’emplir de joie au rythme des rires des enfants ou cris des marchands exsudaient misère une fois le dernier volet fermé, la dernière lueur fugace envolée…

Habitant de la nuit, il était aussi de ce monde, si différent de celui des remparts. Un monde qui douloureusement lui rappelait que cette partie de lui-même assoupie jamais ne disparaitrait vraiment, et qui l’emplissait de doutes. L’image de sa bien-aimée revenait en son esprit, symbole de pureté. Comment ne pas hésiter ? Était-il possible de faire taire cette angoisse qui lui susurrait combien il l’avait fait souffrir par le passé et combien probablement il la ferait souffrir ?

Une seule pensée suffisait pourtant à chasser ces démons et le retenait de se recroqueviller dans un coin. Son regard si intense, un regard qui, malgré sa discrétion, ne pouvait cacher l’immense beauté de ses deux iris auxquels de longs cils soyeux offraient un écrin.

Aimer, c’était accepter de souffrir, mais c’était accepter aussi que l’autre puisse souffrir et prendre tel risque, quand bien même cette dernière douleur serait bien plus insupportable. Aimer pleinement c’était admettre que l’objet de son amour pouvait avoir un amour tout aussi grand. C’était refouler ces craintes qui chaque seconde renaissaient nous laissant penser que l’on ne pouvait être digne d’un si grand amour, que tout ceci n’était que rêve. Aimer justement, c’était embrasser ce rêve et en faire une réalité.

Guidé par un sourire, le vagabond traversa les enfers tracés pas son âme pour finalement s’en extraire et rejoindre la lumière opaline un peu plus à chaque marche. Tel un souffle de lune, il s’approcha de la silhouette tant aimée. Il savait qu’Elais n’avait besoin de se retourner ni même de l’entendre pour sentir sa présence. Lorsque ses bras entourèrent le corps grâcile pour permettre à ses mains de venir caresser celles de la jeune femme, elle inclina légèrement la tête, laissant la lune éclairer l’esquisse de sourire naissante.

Anseis laissa ses lèvres effleurer son cou, remontant lentement pour lui murmurer



Mon petit papillon, pour votre envol ce soir
Amour vous accompagne, veillant à tout jamais
Pardonnez-lui sa verve, il ne veut oublier
Ce merveilleux sourire si plaisant à son cœur

Fou, il le restera tout le long du voyage
Pour qu'il puisse chaque soir vous mener près de moi
Ses doux rêves m’offriront, de sublimes paysages
Doutes s’effaceront et bonheur renaitra

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Lulue
[Une ténébreuse dans la nuit, quelques jours plus tôt]

Insomnie quand tu nous tiens…
Pas de ronde sur les remparts et dans la ville pour elle ce soir.
Pourtant ne trouvant pas le sommeil, Lucie était venue instinctivement sur ce tas de pierre lui donnant aisément de l’altitude.
Et puis pour mieux profiter du tableau que lui offrait cet endroit, elle prit place sur le rebord des remparts, les jambes dans le vide.
La Muse se pencha légèrement en avant comme pour mieux contempler ce qu’il y avait en dessous de ses pieds.
Un sourire fendit son visage un bref instant, malgré ce léger vent qui la faisait frissonner et qui jouait avec quelques mèches de ses cheveux bruns.
Sentiment soudain de liberté qui suffisait à la réchauffer un peu et où en cet instant elle se complaisait à y trouver un certain refuge.
Elle comprenait mieux que jamais pourquoi le Dragon avait tenté de retrouver son envol, pourquoi sa fée de marraine avait fait le saut de l’ange pour trouver la paix éternelle.
La Blanche plaqua un peu plus cette bague de fiançailles un peu plus sur son cœur.
Si longtemps qu’elle l’avait abandonné et pourtant, l’impression qu’elle était toujours derrière chacun de ses pas persistait.
Etait-elle fière de ce qu’elle était devenue ? La voyait-elle de là haut ? Peut-être même était elle avec sa mère à râler chaque fois que la Brune doutait.
Elle secoua imperceptiblement la tête.
Non, non, non ! Les questions au placard, elle était là pour profiter du calme qu’offrait la nuit, pas pour se perdre une fois de plus dans ses éternelles questions dont elle n’aurait jamais les réponses de toute façon.

Mais c’était sans compter que l’esprit d’une Muse ne savait pas vraiment faire autre chose, que de s’égarer.
L’esquire put cependant l’influencer en repensant à ces dernières soirées et à cette ironie du sort d’avoir le temps de trainer un peu en taverne pendant cette mobilisation.
Redécouvrir ce simple plaisir auquel elle ne goutait plus depuis des années.
Cela lui permis de faire plus ample connaissance avec certains visages qu’elle avait croisé à plusieurs reprises, sans pouvoir réellement tisser un lien.
Elle qui, depuis toute une vie maintenant, croulait sous la masse de travail comme si on cherchait à l’étouffer avec.
Toutefois, il fallait bien reconnaitre que sous cette lassitude qui se faisait sentir de temps à autre, Lucie était incapable de lever le pied… Ca lui évitait de tourner en rond.
Nouveau sourire… c’est vrai qu’elle ne connaissait que peu cette ville, au final.
Voyageuse invétérée de part son statut de Blanche où finalement, la plupart du temps son chez elle était les routes du Royaume, bien qu’elle avait souvent hâte de rejoindre sa petite famille qui l’attendait à Montpensier.
Amusée, Lucie posa ses pupilles sur les points lumineux dans le ciel, dont elle ne se lassait pas d’admirer.
Pour l’heure, elle comptait rester sur ces pierres glacées jusqu’au bout de la nuit…

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Elais
[Une nuit de garde]

Le regard fixé sur un point imaginaire à l'horizon, immobile entre deux merlons, Elais, si ce n'était de corps, avait cessé depuis un long moment d'appartenir au monde terrestre. Une nouvelle fois, elle avait attendu que les dernières lueurs du jour disparaissent avant de venir se réfugier sur les remparts crènelées dont les vieilles pierres semblaient, dans leur grande mansuétude envers le genre humain, protéger le village d'une étreinte maternelle. Une étreinte sécurisante qui se communiquait à la jeune femme lors de ses nuits de garde, mais aussi l'apaisait lorsque son esprit se trouvait, comme ce soir, en pleine effervescence.

Elle songeait. Elle songeait à ce jour où à ce même endroit, sur cette même muraille, elle avait pris la décision de partir en direction du nord. Deux semaines déjà. Que cela semblait long. A cet instant elle aurait dû être sur les chemins en direction du Mans à retrouver les fantômes éthérés d'un passé qui n'avait de cesse de l'obséder. Cependant le destin avait encore une fois joué en sa défaveur et l'avait surprise alors qu'elle cheminait déjà vers la destination qui était autrefois celle de son coeur. Sa main effleura la fine blessure sur sa pommette droite comme pour donner plus de sens à ses souvenirs. Elle s'en était bien sortie... Elle était vivante. Mais de ce jour en avait découlé une longue et inévitable attente dont elle s'était accommodée en prenant de nouvelles dispositions concernant sa vie et ses projets.

Et c'était l'un d'entre eux qui la préoccupait. Il l'impliquait dans une voie dans laquelle elle avait longtemps hésité et dont le futur déroulement, qui n'était qu'à ses débuts, provoquait déjà en elle une terrible angoisse. Elle s'apprêtait à fragiliser son monde, bouleverser l'harmonie de son quotidien, déchirer le cocon protecteur si soigneusement tissée par la solitude, pour laisser un passage à tout ce qu'elle avait voulu ignorer jusque là, rajoutant un peu plus de doutes à ceux déjà existants. Avait-elle alors assez de charisme, d'entendement, de courage pour mener à bien ce projet dans lequel elle s'était engagée ? Cette question l'inquiétait, la hantait plus que de raison...

Un pâle sourire s'esquissa et un lent soupir traversa ses lèvres comme pour expulser dans un souffle, trop longtemps retenu, un peu d'appréhension accumulée. Elle allait au-devant de tout ce qui l'avait toujours effrayée, malgré cela, sans qu'elle n'en connaisse le sens, elle se sentait prête à s'y risquer. De plus, dans quelques jours, cela ferait un an qu'elle était arrivée à Montpensier, un an qu'elle parcourait ces hauts murs à veiller sur le sommeil paisible des villageois et à chercher en vain des réponses à ses questions sur ce qu'elle faisait dans ce monde. Elle savait qu'elle resterait dans l'ignorance ou que les réponses qu'on lui donnerait ne seraient suffisantes, cependant, elle voulait fermer la boucle de ces un an, et pour cela qu'y avait-il de mieux que d'aider la ville qui l'avait accueillie durant une si longue année ?

Cette dernière pensée en suspend, ses pupilles agrippèrent les silhouettes qui se dessinaient sur les murs des chaumières lorsqu'elle perçut à ses oreilles des voix avinées s'élever et troubler la paix nocturne, amenant une nouvelle réflexion : Puisse-t-elle ne jamais décevoir les villageois en délaissant ses remparts...

Son regard se détourna sur les ombres dansantes d'un créneaux que la flamme d'une torche orchestrait, pendant que sa main droite venait caresser la première pierre à sa portée. Le contact froid amena un nouveau sourire. Un an qu'eux aussi l'avait accueillie. Confidents de chacune de ses nuits, elle y avait laissé de nombreuses fois ses humeurs, qu'elles fussent mélancoliques, enflammées ou joyeuses. Pour certains, il était un édifice fonctionnel, érigé sobrement dans le but d'effaroucher les fous trop téméraires... mais il était bien plus aux yeux de la jeune femme. Ces pierres recelaient en elle une partie de sa vie, de ses émotions qui l'avaient animée, mais aussi les rares moments de complicité que le vagabond et elle avaient partagés.

Lui qu'elle n'avait revu depuis ce jour où, telle une vague irrépressible, la caresse de ses lèvres avait communiqué à tout son corps des mots qui effleuraient encore son âme. Et où, dans un échange amoureux, elle avait levé son visage pour laissait échapper dans un sourire la réponse que son cœur lui dictait.

Mon tendre poète aux doutes insensés
Ange pionnier de cet amour éthéré
Je reviendrai éternellement à vos côtés
Serais-je perdue dans l'antre des damnés

Toujours présent dans mes pensées
Près de mon cœur je vous garderai
De jour comme de nuit lors de mon avancée
Vous serez le guide de mon odyssée


Au souvenir de ses bras apaisants et protecteurs, elle ferma les yeux, laissant glisser sur les traits de son visage la douceur de ses pensées. Malgré la liberté que ses vers lui avait octroyé ce jour-là en la laissant partir, il restait gouverneur de sa vie et de ses rêves. C'était près de lui qu'elle voulait être et était déterminée à y demeurer, aussi longtemps qu'il le lui serait accordé.

Ses paupières s'ouvrirent sur un nouveau sourire, ce dernier réservé au destin.

Peut-être était-ce là ce qu'il avait voulu lui faire comprendre en mettant quinze jours plus tôt ce malandrin sur son chemin ?


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