[Le lendemain matin, vers l'heure Prime]
Les vallons estoient encor effleurés des filaments d'une brume spectrale lorsque la comtesse sortit de l'oustau. Ses prunelles embrassèrent le spectacle qu'offroit le domaine en cette heure si jeunette. La fébrilité estoit palpable dans cet air piquant de froid.
Trois carrosses s'alignoient dans l'allée flanquée de peupliers. Trois écrins tapissés de velours où s'entassoient jà Jeanjacob, Rose, Laurens, Persevael, leur nourrice, l'étrange Maure et quelques domestiques. Devant, Fitzzchevalerie, derrière, Balarion; tous deux fièrement dressés sur leur monture, attendant le signal du départ. Tout autour, les gens du domaine s'affairoient à fixer solidement une malle, à bailler des instructions, à s'émeuvoir, les larmes aux yeux.
C'estoit un grand départ.
Le comte et la comtesse de Nijmegen quittoient leur domaine béarnoys pour un voyage spontané, dont l'issue, de mesme que la durée, restoient incertaines. Préparé dans l'assommement qui avoit suivi le choc de la scène, la veille, le périple promettoit d'estre hasardeux, voire dangereux pour la blessée encor si fragile. Aux communs, on ne cessoit de s'étonner de ce mal étrange qui frappoit la maistresse, elle si énergique autrefoys... Les regards inquiets couloient en sa direction à chaque instant, mais icelle n'y prestoit nulle attention.
Arielle sourioit, l'air serein. Parée d'un chaud mantel fourré de renard, elle humoit à plein nez le parfum mouillé de cette fin tardive d'automne. Elle ignoroit la raison de tout ce branle-bas de combat; alors on partoit? Ah bon? Où donc? Ah mais tant mieux! Ce pays me pèse, son air est vicié, non? Non? Ah... Pourtant, je me sens si bien sur le pas de cette porte, si bien, quoique mon cou... Je ne comprends pas, il me faict mal...
Accompagnée d'une main par sa canne et de l'autre par le gros Canhard, dont le nez rougi trahissoit l'émotion, la comtesse s'approcha du véhicule d'où l'observoit, la mine soucieuse, son resveur de mari. Arrivée devant le marche-pied, elle promena à nouveau ses prunelles sur le paysage allongé le long du Gave. L'intendant renifla alors, incapable de retenir sa tristesse.
Prenez bien soin de vous, ma Dame.
Sourire paisible. Arielle serra la main potelée en murmurant: Gardez-nous nostre oustau, mon cher Canhard.
Puys, installée auprès de son époux, elle ajouta, pour elle-mesme ou pour rien... Le jour s'annonce si beau.
Alors, avisant dans le creux de son gant un petit rouleau de vélin noirci d'encre, elle y jeta un coup d'oeil intrigué. S'y couchoit ce poème.
Citation:Pour retrouver le monde et l'amour
Nous partirons de nuit pour l'aube des Mystères
et tu ne verras plus les maisons et les terres
et ne sachant plus rien des anciennes rancoeurs
des détresses d'hier, des jungles de la peur
tu sauras en chemin tout ce que je te donne
tu seras comme moi celle qui s'abandonne
Nous passerons très haut par-dessus les clameurs
et tu ne vivras plus de perfides rumeurs
or loin des profiteurs, des lieux de pestilence
tu entendras parler les mages du silence
alors tu connaîtras la musique à tes pas
et te revêtiront les neiges des sagas
Nous ne serons pas seuls à faire le voyage
d'autres nous croiserons parmi les paysages
comme nous, invités à ce jour qui naîtra
nous devons les chérir d'un amour jamais las
eux aussi, révoltés, vivant dans les savanes
répondent à l'appel secret des caravanes
Quand nous avancerons sur l'étale de mer
je te ferai goûter à la pulpe de l'air
puis nous libérerons nos joies de leur tourmente
de leur perte nos mains, nos regards de leurs pentes
des moissons de fruits mûrs pencheront dans ton coeur
dans ton corps s'épandront d'incessantes douceurs
Après le temps passé dans l'étrange et l'austère
on nous accueillera les bras dans la lumière
l'espace ayant livré des paumes du sommeil
la place des matins que nourrit le soleil
ô monde insoupçonné, uni, sans dissidence
te faisant échapper des cris d'incontinence
Nouvelle-née, amour, nous n'aurons pas trahi
nous aurons retrouvé les rites d'aujourd'hui
le bonheur à l'affût dans les jours inventaires
notre maison paisible et les toits de nos frères
le passé, le présent, qui ne se voudront plus
les ennemis dressés que nous aurions connus*
Les carrosses s'ébranlèrent, les mains s'agitèrent, tremblantes d'aux revoirs, et coupant en deux la brume paresseuse, le petit cortège emprunta le chemin qui menoit à l'horizon.
* Gaston Miron, extrait de "l'homme rapaillé"_________________