La foule était amassée, et certains esprits commençaient à s'échauffer, d'autres à sauter de joie, et d'autres encore à pleurer de tristesse... C'est alors qu'arriva une troupe constituée de dix hommes, tous vêtus de gueules et d'or, les couleurs du Faucigny. A leur tête, un homme vieux, le cur rongé par la tristesse, mais cependant fier et résolu. Certains avaient reconnu le vieux Duc et s'inclinèrent tout en le laissant passer lui et sa troupe, d'autres s'étaient moqué de lui et de son parti, certains ne le reconnurent pas, mais aux vues de la troupe et de sa prestance, comprirent son statut et s'écartèrent. Aux premiers, le vieux soldat adressa un sourire peiné, les invitant à se relever. Aux agitateurs, il lança un regard las, où l'on pouvait admirer de la profonde pitié, ainsi que de la compassion.
Arrivé à un endroit qu'il jugeait bon pour être vu et entendu de tous, le vieil homme fit stopper sa troupe, retira son couvre-chef qu'il confia à un de ses hommes, et prit le temps d'observer la foule rassemblée en ce jour de décembre, lendemain d'un des plus grands tournants de l'histoire de Savoie.
Après s'être éclairci la gorge, il prit la parole d'une forte forte audible de tous, ferme mais cependant teintée de tristesse.
- Nous, Leonorio, Duc de Faucigny et fils d'Alpi, demandons aujourd'hui au peuple savoyard et au Très Saint Aristote de nous pardonner. Ne souhaitant pas voter pour Monsieur de Tossiat ou pour Madame de Genevois à la reconnaissance du Duc pour des raisons évidentes, mais ne souhaitant pas non plus voter pour nous aux vues du piètre résultat que nous avons obtenu aux dernières ducale et du temps que cela aurait fait perdre à la Savoie en cette période de crise, nous nous sommes abstenus. De part ce choix, messire Louis de la Marche a été reconnu Duc de Savoie par le Conseil. Pour ce choix, nous nous excusons auprès du peuple de Savoie, et en assumons les conséquences désastreuses.
Des larmes perlèrent alors aux recoins des yeux fatigués du vieux Duc, et de lourds flocons de neiges immaculés commencèrent à tomber du ciel, se déposant légèrement sur les cheveux grisonnant du Duc, comme si Aristote lui même, touché par la solennité de l'instant, avait décidé, par ce signe, de faire acte de sa compassion...
- Cependant, ne souhaitant pas être mêlé aux décisions de ce Duc et de ce Conseil que nous n'approuvons et ne reconnaissons pas, ne souhaitant pas salir notre honneur et celui de notre père, nous actons en ce jour de notre décision de démissionner du-dit Conseil. Nous nous excusons auprès des quelques Savoyards qui ont voté pour notre liste, mais leur assurons que bien que nous n'ayons pas d'autre alternative, nous restons à leur entière disposition, tout comme nous resterons à jamais fier défenseur de la Savoie !
Le discours, tout d'abord calme mais ferme, triste mais résolu du vieux Duc commençait à changer. Marquant une pose afin de laisser le soin à toutes les personnes présentes de prendre la mesure de ses paroles, il reprit, cette fois d'une voix beaucoup plus agressive...
- Pour finir, nous, Leonorio, Duc de Faucigny et fils d'Alpi, actons en ce jour que tout Savoyard subissant les foudres du Duc et de son Conseil, pour des motifs que nous jugerions injustes, trouvera refuge, aide et nourriture en Faucigny ! Que les proches du Duc et de son Conseil ne seront aucunement les bienvenus en Faucigny ! Et enfin, bien que nous défendrons la Savoie jusqu'à notre mort, nous ne défendrons sous aucun prétexte ce jeune homme d'à peine seize hivers, qui déshonore tout ce qu'il y a de bon, de beau et de vertueux en Savoie en portant ses couleurs ! Nous refusons en ce jour de lui prêter conseil et aide, sous forme armée ou financière, nous aiderons la Savoie, et non la personne la représentant ! Que ce soit dit ! Aristote, la Savoie et vous m'en êtes témoins !
Rugissant ses dernières paroles, le vieux duc lança son poing en l'air et se signa du signe de croix. La tension était à son comble... Comment le peuple savoyard, tant aimé par le vieux duc, allait il réagir ? Comment le nouveau Duc de Savoie et son Conseil allaient ils réagir ? Il ne se faisait aucune illusion sur la réaction de ces derniers, et ne la redoutait guère... Cependant, celle des premiers l'inquiétait beaucoup plus, allaient ils le comprendre ? Allaient ils le suivre ? Allaient ils le plébisciter ? Allaient ils le renier ? Le vieux Duc était convaincu du bien-fondé de son action, mais qu'en était il d'eux ? La neige continuant à tomber, le vieil homme se douta qu'au moins une personne était du même avis que lui...