[
Loin, bien loin en Bretagne
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Assise entre les racines du gardien, elle pressait ses genoux contre sa poitrine, maintenant la position depuis des heures
mais elle navait pas conscience de ses muscles qui se contractaient et commençaient à trembler sous leffort.
La missive envoyée par son amie Antinaelle froissée dans sa main droite, elle levait le nez vers les branches mouvantes du grand chêne qui la dominait de son écrasante taille
mais ses yeux eux, ne voyaient rien.
Elle le ressentait dans chaque fibre de son corps ce sentiment décrasement
mais cétait certainement son cur qui se serrait le plus.
Elle ne serait pas là pour lui rendre un tout dernier hommage, elle navait jamais été là
Un sanglot lui noua la gorge et ses doigts se crispèrent une fois encore sur le vélin.
La petite sauvageonne quil avait connu naurait pas pleuré, elle se serait enfuit dans les profondeurs obscures da la forêt et aurait couru jusquà épuisement, fermant son âme à ce trop plein de douleur qui la submergeait. Il avait été celui qui lui avait redonné confiance en lHomme, il avait été celui qui lavait fait renaître
Adelin
Seulement le destin était déjà en marche lorsquil avait touché son cur et les serviteurs de la sainte inquisition ne prenaient jamais de repos. Elle avait du fuir, loin, si loin jusquà cette extrême pointe à lOuest, jusquà cette terre de liberté et de tolérance qui reconnaissait sa foi.
Longtemps elle avait espéré quil la rejoigne
des années
jamais elle navait osé le lui demander, se refusant le droit de léloigner de ce qui faisait sa vie, de ses amis à la caserne, de ceux de léquipe des Vents dont il était le capitaine
pourtant toujours elle avait gardé ce fol espoir, tapis au plus profond de son être. Bien sûr, elle avait connu dautres hommes, mais jamais aucun deux navait pris sa place, et elle avait gardé jalousement ce coin de son âme, pur et vierge de tout ce qui nétait pas lui.
Et puis, il y avait à peine un mois de cela, une rencontre en taverne, un ancien habitant de Castelnaudary et ce quelle avait cru enfouit avait refait surface
Elle avait repris contact, elle voulait savoir sil était heureux. Elle navait pas pu empêcher le pincement puis lamertume qui avait envahit son cur mais sétait résignée pour peu à peu réussir à sen réjouir. Il était heureux, il avait trouvé dans les bras dune autre ce quelle navait jamais pu lui donner, tout était bien. Libre à présent de toute entrave, elle avait à son tour pu souvrir au bonheur
Mais deux jours auparavant, alors quelle sortait du château, un coursier en provenance du Comté de Toulouse lui avait remis une missive et le sol sétait ouvert sous ses pieds
La petite sauvageonne quil avait connu naurait pas pleuré
La femme quelle était devenue sétait affaissée sous son propre poids et navait même pas senti les serviteurs du château la transporter jusquà une chambre.
Ce nest que le lendemain quelle reprit connaissance, consciente de la présence inquiète dOlixius à ses cotés et cest contre son épaule quelle libéra toutes les larmes quelle sétait refusées jusquà ce jour. Et il avait attendu, avec une infinie patience que toute la douleur, les regrets, les doutes, les non-dits, la colère, les déceptions sortent delle. Quavait-il pensé alors, lui qui doutait tant ? Adelin avait été son premier amour, le plus beau et le plus pur quelle ait connu et cest toute une période de sa vie qui disparaissait avec lui. Oli lui fit alors le plus beau des cadeaux, alors quelle levait les yeux vers lui, comme pour sexcuser de tant souffrir alors que lui était là :
«
Tu as été et je taccepte avec ce passé
maintenant tu es et nous allons construire un avenir ensemble
»
Deux jours plus tard, levant le nez vers les branches mouvantes du grand chêne, elle trouva le courage de répondre à Antinaelle
Mon amie,
La distance qui me sépare de vous ne me permet pas dêtre à vos cotés pour vous soutenir dans cette terrible épreuve, mais je veux que vous sachiez que toute mon âme sera tournée vers le sud le jour où vous porterez Adelin en terre. Vous savez ce qui nous liait lui et moi, nous en avions parlé lorsque le destin avait refusé que nous nous retrouvions lors de mon passage à Castelnaudary.
Ma souffrance se joint à la votre et je le pleurerai longtemps à vos cotés. Je souhaite que vous trouviez suffisamment de courage pour surmonter cette nouvelle épreuve, vous qui avez tant souffert.
Nous allons fêter la grande fête des morts que nous appelons ici Samain, je prierais la déesse pour que son âme trouve le repos. Je joins à ce pli une tige et une fleur dAubépine, jaimerais que vous les placiez sur lui pour son dernier voyage. LAubépine symbolise le don héroïque, et la souffrance des hommes se sacrifiant pour les autres, pour leur cause
Adelin nétait pas que cela, pas à mes yeux, mais lAnku retiendra cela et guidera son âme vers le repos.
Mes plus sincères condoléances.
Lastree
Elle rentra au château et confia la précieuse missive à un messager qui parti aussitôt. Les yeux gris sembuèrent une fois encore alors quil disparaissait au bout de la Grandroute du Sud