Afficher le menu
Information and comments (0)

Info:
Au sein de l'antique forteresse de l'ordre royal de chevalerie de la Licorne, est un long couloir que l'on nomme "la galerie des braves". C'est en ce lieu que sont déposés et entretenus avec révérence les reliques de l'ordre : Armes et armures des chevaliers du passés, portraits des grands de l'ordre, monument à la mémoire de tous ceux qui sont morts pour le royaume. Et c'est en ce lieu que le jeune Adrian Fauconnier de Riddermark fait face à un fantôme ressurgit du passé, celui de Hubert Abel Victor Fauconnier d'Isles-Montbarrey, son père, Bralic.

L'armure de Bralic

Adrian
Peu de temps après un cours improvisé par un écuyer vif et une Tempête(1)...

Le temps s'obscurcissait sur Ryes, cet après-midi là. On était encore à la période crépusculaire, à la frontière des temps chauds et froids de l'année, où la météo hésite à basculer entre deux tendances opposées, et où leurs confrontations créent les perturbations les plus fortes et les plus insoupçonnables : j'ai nommé les giboulées...
Et alors que la journée s'était commencée sur un temps assez clément, et que seuls deux ou trois nuages blancs auguraient d'une journée assez douce, le temps du déjeuner était venu détromper le jeune Faucon sur un possible après-midi à regarder le ciel et à bailler aux corneilles. Déjà parce que son chevalier ne l'aurait pas permis. Et ensuite, bien sûr, parce que ce fichu temps ne désirait pas se maintenir. On sortait tout juste de l'hiver. Les semences allaient commencer à réellement prendre leur essor, et les champs brunis et dénudés se couvrir de blonds et lourds épis que l'on ramasserait au plus fort de l'été. Les forêts n'avaient jamais été aussi sombres et touffues. Ryes connaissait encore un peu la boue, par les dernières pluies persistantes qui pouvaient éclater de temps à autre. Les entraînements se faisaient encore avec les chausses pleines de boue. Adrian, peu fatigué après cet exercice, était allé déjeuner aux cuisines. Pour cela, il avait pénétré dans le donjon, dont les personnes de son rang ne pouvaient voir guère de pièces, et avait suivi deux ou trois couloirs obscurs où les torches brûlaient encore, dispensant leur indispensable lumière. Il était parvenu dans la cuisine en même temps que trois hommes d'armes qui finissaient leur ronde, et avait déjeuné à proximité, à la même table. Un bol de bière avait fait office de boisson, de la bonne bière normande brassée non loin d'ici par des moines avec lesquels la forteresse entretenait parfois commerce. Sur une tranche de pain faisant office d'assiette étaient venus beurre, viande fumée, et soupe de légume de saison (principalement potimarrons et rutabagas, avec un peu de navets). Le tout ingurgité, il avait achevé en prenant tisane de plantes copieusement arrosée de génépi, et, repu, s'était préparé à retourner dans la Tour Achille, pour s'occuper de briquer affaires que son chevalier devrait bientôt emporter en Bourbonnais, où elle devait être appelée sous peu(2).

Adrian, ainsi, remontant des cuisines où il avait peu parlé et où il avait laissé les hommes d'armes finir par des jeux de dés, il avait regardé les cuisiniers préparer le pain pour le soir avant de remonter, et de vouloir sortir du donjon. Ainsi devrait-il passer devant les Tours Hermes, et le haut poste de garde, avant que de parcourir une partie de la haute cour, et de s'engouffrer dans la Tour Achille, qu'il grimperait à toute vitesse, jusqu'aux quartiers de son chevalier, Cerridween de Vergy.
Pour sortir du donjon, il devait passer des cuisines à la salle de réception qui servait lors de l'accueil de visiteurs importants, où des tables de banquets pouvaient accueillir les suites des cérémonies de passage de grade, et d'intronisations. De cette pièce, il repasserait dans le hall central du donjon, sur lequel s'ouvrait la salle du chapitre et un grand escalier, et de là sortirait. Jusqu'au hall central, il emprunterait ainsi la galerie des Braves, objet de culte des légendes antiques de l'Ordre, et des chevaliers vénérables qui avaient façonnés la destinée de l'Ordre à l'animal cabré. Le lieu où tout chevalier français désirait échoir, à un moment ou à un autre.

Adrian était quelque peu fatigué de son réveil aux aurores, et du rythme qu'il tenait actuellement, se rendant chaque jour à des entraînements, s'occupant chaque jour des affaires de son chevalier, parfois récurant la salle d'arme, les douves ou autre activité réjouissante. Comme dit, il s'endormait souvent le soir d'une traite, et dormait comme un loir jusqu'au matin. Aussi ne sera-t-on que guère étonné de savoir qu'il était un peu somnolent en remontant à ce moment de la journée l'antique galerie des Braves. Les nuages noirs constellaient le ciel, et l'atmosphère était lourde et électrique, humide, orageuse. La citadelle dans son entier sentait qu'il lui faudrait bientôt affronter un orage, et un orage sérieux, lessiveur, dont on devrait se mettre promptement à l'abri. Tout se mettait en place.

Le jeune garçon, la chemise encore tâchée de sauce de viande, un peu de soupe à la commissure des lèvres, remontait donc la galerie des braves, éclairée à la torche et par deux fenêtres situées à chacune de ses extrémités. Il avançait lentement, savourant le temps qui suit le repas où le corps hésite entre se laisser aller à un sommeil bien mérité, ou bien de repartir de plus belle. Il n'était pas particulièrement pressé de s'occuper de ranger des affaires dans des malles. Il regardait les murs, s'autorisant à apprécier les noms des chevaliers et leurs hauts faits. Il suivait les tapisseries représentant des scènes d'action fameuses, et ainsi avança... Jusqu'à l'armure de son père. Celle de Hubert Victor Abel Fauconnier. Bralic. Le destructeur. Armure de légende s'il en était que celle du fameux Chevalier noir Comtois. Celle de l'homme qui avait fait brûler le Temple du Masque à Paris, et son repaire à Limoges. Celle de l'homme qui avait tutoyé le pape, et fait trembler des cardinaux. Celle du Machiavel de son temps.

C'était alors son harnois noir que le jeune homme contemplait face à lui. Il avait été transporté à Ryes peu de temps après la mort de l'Ours comtois, et la dernière fois que le jeune homme avait vu son père mort, le corps lavé de son sang, les plaies encore visibles. Elles étaient alors au nombre de 42, de taille et profondeur diverses. Et c'était image terrible en son esprit que le souvenir de ce corps déchiqueté par les coups, les yeux dont on ne voyait plus que le blanc, la virilité simplement cachée par une pièce de toile.
L'armure était lourde, massive, puissante, et imposante. L'armure du chevalier par excellence. Elle était entièrement noire, et ne présentait curieusement aucun reflet métallique aux éclats lumineux (qui, vous le concéderez, vu la météo, ne sont pas nombreux à ce moment...). Le heaume avait une forme circulaire à sa base, et arborait deux cornes dressées. Toute l'armure était hérissée de pointes, qui la faisait ressembler à une sorte de porc-épic métallique de l'effet le plus comique. Et, conçue à la base pour le gabarit de Bralic, elle serait bien loin du gabarit de son rejeton une fois devenu adulte. Elle n'aurait alors plus du tout le même aspect. Mais persévérons.
Tumnufengh était restée en la chambre qu'il partageait avec le Chevalier de Vergy, et il n'avait que le couteau de chasse de son père à la ceinture, à la tête de loup d'argent. Passant devant, Adrian ne put s'empêcher de l'admirer, et de penser à son père. L'armure était ainsi d'excellente facture, et le forgeron qui l'avait reprisée après la mort du Destructeur l'avait fort avantageusement débarrassée des cabochons, des coups, des marques et des éraflures. Elle paraissait ainsi neuve, et d'un aspect gothique absolument merveilleux. Le jeune Faucon s'en rapprocha ainsi, la regardant de plus près, se demandant si un jour il serait digne de l'arborer. Il caressa les gantelets, et vérifia que le cuir de leur intérieur avait encore bon aspect. Par automatisme, il retrouvait l'odeur de son père, cette odeur perpétuellement métallique de l'épée et de l'armure toujours présente, mêlée à la sueur, à l'odeur du cheval, et, parfois... à celle du sexe. Mais celle-là, il l'avait sentie rarement. Et ne saurait la reconnaitre que plus tard. Et même alors, très chers, il refuserait de la reconnaitre dans la circonstance.

Il n'avait que peu de souvenirs de son père, en vérité. Et le principal était celui du corps déchiqueté qui était arrivé à Montbarrey peu de temps après sa mort. Et c'était un regret et un manque, pour lui, que ce père qu'il avait peu connu.

Relâchant le gantelet, le jeune Faucon lâcha alors un soupir profond et sonore, de l'ordre des regrets sûrs et profonds. Et il resta encore, quelques instants, à observer le siège de la puissance paternelle profonde.


_____________________________________________________________

(1): Cf "Maladresse", en salle d'arme.

(2): L'auteur se base ici sur une période antérieure à la mort de Stannis Le Ray, et donc à celle d'Apolonie, où le Chevalier de Vergy fut confronté à Eikorc. Ainsi que, évidemment, tous les évènements qui suivraient à Limoges.

_________________
Bralic
Au dehors un souffle de vent se leva, loin de cette image d'un fils pleurant dans l'ombre sur les restes funèbres d'un père à l'apparence de golem métallique.

C'était un vent froid et lourd, venu du Nord et tranchant comme une lame, qui trainait dans son sillage des nuages dont la noirceur et l'épaisseur indiquaient leur intention de lancer leur cargaison de hallebardes à l'assaut de forteresse et de la campagne environnante. Soufflant à travers la campagne normande, passant au dessus des forêts en prélevant son quota de jeunes feuilles dans les cimes frémissantes, il pénétra dans la forteresse tel un voleur ne laissant derrière lui que le bruissement des draperies et l'odeur râpeuse et électrique de l'orage à venir.

Une des meurtrières du donjon fut l'orifice lui servant d'entrée. Son étroitesse et sa forme d'entonnoir le canalisant dans l'escalier senestrogyre desservant l'ensemble du bâtiment. Propulsé le long des marches, tourbillonnant sans perdre de sa force, sans le moindre respect pour le code de la route et ses priorités, il manqua de renverser un chevalier en armure d'apparat qui venait à contresens.
Débouchant dans le grand hall où l'escalier l'eut conduit, il fit frémir les torchères et souleva les jupons de deux servantes trop occupées à transporter des ballots de linge neuf pour pouvoir l'empêcher de dévoiler qu'à cette époque les culottes étaient aussi peu connues que l'épilation.
Puis, emporté par son élan, il s'engouffra dans un couloir et vint frapper de plein fouet une silhouette se tant debout au milieu du chemin, finissant sa course dans une cape faite d'un riche tissus, mais ayant connue de bien meilleurs jours. La silhouette, pas plus haute qu'un enfant, ne broncha guère. Tout au plus délaissa-t'elle l'objet qu'elle avait en main pour tourner la tête afin de voir d'où venait le vent.

Et elle ne vit qu'un couloir vide, sombre, faiblement éclairé par des torches ne valant guère mieux que des veilleuses 5Watt de chez Auchan... une allégorie de sa propre existence ? Peut être... Peut être aussi, l'espace d'un instant, le cœur de l'enfant s'était il serré dans l'espoir de voir l'incarnation paternelle se dresser devant lui, et le prendre dans ses bras comme devrait le faire un père absent trop longtemps pour un trop long voyage. Mais il n'y avait rien, rien d'autre que sa propre solitude dans ce long couloir dédié aux morts, dans cette crypte toute en longueur où ne reposent que des bibelots, des draps et des bouts de ferrailles qui sont autant de souvenirs.
Mais ces souvenirs, ces bibelots, ce sont tout ce qui lui reste. Et encore, il n'en dispose pas à loisir. Tenterait-il tenté de les emporter loin d'ici qu'il se ferait rosser sur l'instant.

Aux ténèbres de ses pensées vint répondre le bruit mat de l'eau s'écrasant contre la pierre, la pluie emplissant le fort de son battement métronomique, entêtant, hypnotique... d'abord avec lenteur, puis de plus en plus de vigoureusement. comme les vagues de la marée montant à l'assaut d'un château de sable, comme les tambours de guerre d'une bataille minérale se livrant à une échelle géologique bien au delà de la compréhension humaine et de l'esprit étriqué de cette race de singes dégénérés.

Puis un flash stroboscopique fit cligner le vicomte des yeux, rapidement suivit par le bruit tonitruant du métal s'effondrant sur le sol. Les bras de l'enfant se tendirent en avant malgré ses yeux encore éblouis, comme dans un effort désespéré pour retenir... pour retenir quoi ? L'armure de son père, le souvenir de son père ou tout simplement son père ?

Mais il n'y avait rien à retenir.

L'armure n'avait pas bougée, et dans le lointain l'écho du tonnerre se dissipait, comme un bélier se reculant pour prendre de l'élan et venir donner un nouveau coups de boutoir dans la grand porte de la forteresse.

Les mains tendues devant lui, les paumes ouvertes comme s'il avait tenté de retenir du sable s'écoulant entre ses doigts, le jeune Adrian Fauconnier resta un instant comme abrutit devant ce qu'il venait de faire. S'efforçant de se ressaisir, il sera les poings et inspira une grande bolée d'air humide.

Un air au goût de cuir mouillé.

Plus que le glissement des semelles de crêpes contre le pavé, plus que le bruissement du cuir appuyé contre la pierre séculaire du mur, plus que le battement régulier d'une respiration ou que le déplacement d'air provoqué par un cure-dent jeté d'une pichenette et tournoyant dans les airs avant de s'écraser mollement contre le sol... c'est ce goût qui lui mit la puce à l'oreille.

Un nouvel éclair le fit cligner des yeux. Il ne faudrait que quelques secondes pour que le tonnerre lui réponde. Mais la voix qui sonna dans ce lieu ancestral n'était pas celle du ciel, c'était une voix qu'il n'avait pas entendus depuis des années.

Une voix qui disait :


Qui es-tu ?
Adrian
Le tonnerre grondât. Un grondement sourd, bourdonnant, mais puissant, qui fit trembler jusqu'à ses fondations Ryes, comme un jeune lapereau apeuré face à la gueule du loup retroussée, écarlate, sanglante, qui voudrait le prendre en son sein, et l'y serrer à mourir.

...

Trembles-tu, petit ? Est-ce une chair de poule, ce que l'on peut voir naître à la base de ton cou ? Est-ce l'esprit fugace d'une peur panique, provoquée par ce goût animal, cette odeur de cuir mouillé dont tu n'arrives pas encore à situer la provenance.... ? Est-ce ta pomme d'Adam, cette boule qui monte, descend, dans ta gorge à la façon d'un ascenseur ? Est-ce de la peur, cette petite flammèche, au fond de tes yeux ? Vicomte, oserais-tu avoir peur... ?
Le vent souffle. Alentour, toute vie s'est écartée des sentiers battus. Les faucons sont retournés à leur nid, les loups à leur tannière, et les cerfs à leur coin d'ombre. Les feuilles nouvelles des arbres séculaires qui bordent Ryes au nord tressautent sur leurs branches, les écorces tremblent, les racines s'entremêlent, se déchirent, s'agrippent. C'est un orage de fin du monde, un Kami-kaze(1), un stromboli. Le ciel est noir, percé de rais blanchâtres laissant percer une faible lumière crépusculaire quasi-infernale jusqu'au sol rachitique du lieu. Le ciel bouge, au gré du vent, à une force imposante, comme si un authentique DJ médiéval s'amusait à faire du scratch sur les hautes sphères terrestres. Sur les murailles, une goutte tombe. Une deuxième la suit. Puis c'est une pluie d'apocalypse, une pluie de bataille. Celle qui perce les coeurs, les entrailles. Celle qui fait ressurgir la peur de la mort. Celle qui fait se souvenir de notre état de mortels. Les hommes d'armes se sont cachés dans leurs postes de gardes. Les artisans au sein de la Forteresse ont quittés l'extérieur. Les panneaux de bois barrant les fenêtres se placent. Des mains vives, aux doigts circonspects, agrippent les pans de bois qui empêcheront de rentrer la violence du Temps. La pluie tombe, en un fracas colossal et monstrueux. Non, elle ne tombe pas. Elle FRAPPE le sol, avec puissance et précision, balles dum-dum placées dans le viseur d'un sniper céleste, avide de résultats. Les ardoises tremblent. Les mottes de terre se disloquent. La boue se forme, et ira probablement pourrir une bonne partie de la cour.
Au large, la tempête veille. Des creux, surréalistes de taille et de puissance, accueillent les cogues mal-avisés qui font route de Dartmouth à Dover, de Brest à Avranches, alors que les équipages se réfugient dans les gaillards d'avant, en prières à la Vierge.


Qui es-tu ?

C'était un souvenir. C'était un dilemne. Celui d'un enfant qui avait entendu son père pour la dernière fois avant son départ pour la mort, celui de qui l'on aime que l'on aimerait retenir, malgré le fait qu'il sache qu'il doive en passer par là.
C'est le souvenir d'une forêt(2). C'est le souvenir d'un trône végétal, où le lierre se mariait aux fleurs, où le Destructeur arborait ce sourire satisfait, fier de lui, avec son perpétuel cure-dent aux lèvres. Le souvenir de la remise officielle de Tumnufengh.
Le souvenir d'une odeur. D'une odeur de cuir mouillé, comme celle de la brigandine du Destructeur avant qu'il ne parte, définitivement.
Le souvenir d'un visage.

Adrian sursaute violemment, et recule. Un petit cri s'échappe de ses lèvres. Un simple
" Raaah ! ", pas plus élevé qu'un cri de douleur, mais vif.
Il est au milieu du couloir, les yeux vissés sur une armure de plates complète noire, effrayante, golgothesque. Une armure douée de parole. Il prend donc la parole en réponse, ne voulant pas laisser l'assertion sans réponse. Une réponse naturelle, au final.


- " Adrian Fauconnier de Riddermark. "

Une réponse tonnée d'une voix qui se veut forte et assurée, mais qui n'est qu'un grossier filet d'air filant entre les dents du garçon, vulgaires rouets trancheurs de matière. A l'image de son personnage. A l'image de sa vie.
La phrase qui suit est d'une stupidité sans borne. Pas par sa réponse probable. Mais par ce qu'elle est. Et il est probable, lecteur, que nous en ferions tous autant à la place du Faucon. N'est-il pas vrai ?


- " Je... suis en train de rêver. "

Pathétique et stupide, mais... pas dénué de logique, si l'on se rapporte aux éléments extérieurs et à cette foutue boite de conserve noire. N'est-il pas vrai ?

____________________________________________________________

(1) : Dans le sens japonais littéral du terme : Les kamis sont les dieux shintoistes du japon, correspondant aussi bien à une fleur qu'à une montagne. Le kaze est le vent. Le Kamikaze, dans sa version littéraire, est donc purement et simplement le "Vent des Dieux". C'est ainsi que fut qualifié la Tornade (en chinois "Ty fun") qui balaya l'armada mongole gigantesque qui, en 1256, tenta l'invasion du Japon, sous les ordres de Khubilai Khan.

(2) : Cf, encore une fois, le RP du passage de Tumnufengh entre les mains d'Adrian. La vie est un perpétuel recommencement...

_________________
Bralic
Adrian...
Le nom, prononcé par la voix d'un père, rebondit contre l'agencement de moellons formant les murs de la galerie, sa résonance semblant enfler et grandir tel une aberration se nourrissant de sa propre substance. La galerie sembla soudainement coupée du reste de l'univers, comme si ne subsistait plus dans cette poche de réalité ou d'irréalité que le jeune faucon, les reliques l'entourant, ce monstre d'acier qui était son père, et cette chose prenant de l'ampleur. L'air se mit à comprimer l'enfant par quelque jeu physique d'occupation de l'espace en milieu clos, à la manière d'une gangue de métal chauffée à blanc tout autour de lui... sensation qu'il ne retrouvera certainement pas avant ses premiers combats en armure complète sous le chaud soleil d'Aout.

...Fauconnier...
L'ensemble des armures présente reprit en cœur cette cacophonie de voix métalliques au son roulant comme le bruit d'une charge de cavalerie. Les lames autrefois portées par certains des plus grands chevaliers de ce monde vibrèrent puis tremblèrent sur leurs reposoirs sous l'effet de ce cri de banshee s'enroulant autour d'elles. Tout s'assombrit, et prit des nuances de gris parsemées des flash lumineux de la tempète qui, au dehors, se déchaine. La lumière semblant se mouvoir en longues reptations sur le dallage du sol et sur les parois, comme si un gigantesque serpent rayé traversait ce monde..

...de Riddermark.
Ce dernier nom fut soufflé à la manière d'un dernier soupir franchissant les lèvres desséchée d'un vieillard à l'agonie. Un froid à fendre les pierres s'installa avec la délicatesse d'un ours cherchant abris pour l'hiver, et un long frisson traversa la galerie.

Puis il y eu le silence.

Un silence de mort.

Devant le faucon, le masque ornemental emboutit dans le métal du casque de l'armure paternelle semblait fixer l'enfant de ses yeux vides. Le rictus malsain du visage dévoilait des dents pointues faisant écho aux cornes démoniaques ornant son front. Quiconque, ami ou ennemi, s'étant retrouvé face à lui sur le champ de bataille, alors que son porteur enivré de fureur faisait pleuvoir des coups autour de lui, ne pouvait y jeter un oeil sans avoir l'impression de se faire enfoncer un clou de neufs pouce brulant de pur malaise dans les viscères.

Puis l'enfant eu l'impression que deux étaux en fusion se refermaient sur ses épaules, les vrillant sans ménagement pour le forcer à se retourner. Il aurait pu forcer de tous ces muscles, de toute sa volonté, rien n'aurait pu contrarier les 80 kilos de pression le forçant à faire face à...
...son père.

Son père, tel qu'il l'avait vu au jour le jour durant son enfance. Le visage rasé de près, les yeux noisette piqueté de vert plantés au dessus d'un nez resté fin malgré l'angle bizarre indiquant certainement une succession de fractures, d'anciennes cicatrices plus ou moins effacées présentes de ça et là... c'était bien lui. C'était lui qui lui faisait face dans ce monde décoloré et tremblotant sous l'effet de l'orage. Et c'était lui qui, d'une voix lointaine et d'un air emplit de dédain, lui crachait au visage la violence de ses propos.


"Adrian Fauconnier de Riddermark", tu n'as pas compris ma question. Ceci n'est qu'un nom... Je te demande ce qui te définit en tant qu'être, ce que tu es, ce que l'on perçoit de toi. Et tu ne fais que me répondre en me donnant une succession de sons sans aucune valeur réelle. Un nom n'est que bruit et fumée (1). Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons rose, par n'importe quel autre nom sentirait aussi bon (2). Et il en est de même pour la merde.

Quand bien même ce nom déterminerait qui tu es, il ne déterminerait pas pour autant ce que tu es.
Le nom de Bralic Fauconnier est lourd, chargé d'actes et de paroles, de décorations et d'honneurs, de haine et de fraternité. Tu dis porter mon nom, mais de quel droit t'en revêts-tu ainsi ? Un nom ne vaut que pour l'ancêtre qui l'a mérité en son temps (3) et tout autre s'en servant n'est qu'usurpateur.

Alors... Qu'es tu ?
____________________________________

(1) Goethe, 1808. Faust. - Je sais que c'est anachronique, mais je vous emmerde.
(2) Shakespear, 1590. Roméo et Juliette. - cf (1)
(3) Pierre-Jakez Hélias – cf (1)

Pensée du jour : la culture, c'est comme la bière, plus y en a dans le verre, plus on en renverse partout sur la table et c'est sale. D'ailleurs, j'en connais un qui me doit, encore par décision unilatérale de ma part, une bonne caisse de binouzes.
Adrian
Le cri lourd et puissant d'un loup se fit entendre, au dehors des murs. La pluie se fit encore plus drue, comme si cela pouvait seulement être possible. Comme si les forces furieuses qui se tenaient en joue devant un peloton d'exécution cosmique avaient décidé, quelque part entre les ombres(1), l'arrêt de mort de tout mortel qui se serait aventuré sur les plates-bandes des dieux. Le seul problème, en fait, était qu'il y en avait un paquet, en contrebas...
Le vent se mit à souffler, en rafales tout d'abord aussi violentes qu'une mouche apathique se posant sur un bloc de granit massif par un jour d'été caniculaire ; à la fréquence aussi molle qu'un caisson de basse distendu par des jours d'électro-dub qui aurait joué quelque musique japonaise au tempo très lent. Un vent qui s'intensifia en quelques dizaines de minutes, pour devenir bourrasques ; des bourrasques qui se combinèrent, pour devenir tempêtes. Des tempêtes qui soufflèrent avec puissance et régularité, une régularité marquée celle-ci, comme si quelque Dieu ventripotent et rougeaud s'était amusé à souffler dans le défilé étroit et resserré formé par les falaises qui encadraient la Manche pour y pousser au souffle des billes de plomb, course céleste digne de vieux enfants. Les arbres se ployèrent ; les mers se courbèrent ; les animaux se terrèrent ; et les hommes, aussi sûrs de leur puissance et de leur maîtrise de leur environnement, ne firent eux rien contre les éléments qui se déchainaient. Pas d'enfants qui rentrèrent des champs se blottir autour d'un feu en attendant l'accalmie ; pas de vieillards qui auraient quitté leur banc pour s'en aller vers des lieux où ils pouvaient encore se sentir en sécurité ; pas de navires qui rentreraient au port, la sagesse conseillant de ne pas affronter seul la mer déchaînée. La vie continua son cours, l'Humanité du lieu tâchant de faire comme si elle ne voyait pas ce que Dieu lui-même lui intimait de faire.
C'était une tempête brusque et violente, une tempête de fin d'hiver. C'était un temps d'outre-tombe ; un temps de naufrageurs. Les loups, créatures traditionnelles du Grand Cornu, sortirent des bois de façon plus hardie que ces derniers mois ; s'aventurant dans les bourgs, dans les hameaux. On raconte qu'ils enlevèrent même un ou deux enfants. Leurs hurlements parcoururent la région, aussi vigoureux que si les dieux de l'Enfer étaient sortis de leur cachette.

A Ryes, c'était un temps d'Enfer. Les hommes d'armes s'emmitouflèrent sur les remparts ; on calfeutra les fenêtres ; René Dangieu, lui-même, prépara une soupe gigantesque pour tous ceux qui auraient froid.
Dans la galerie des Braves... Un jeune homme voyait quelque chose d'outre-tombe. Un quelqu'un qu'il n'aurait plus cru voir. Mors stupebitque natura requiescant vitae(2). Un quelqu'un qui venait comme un oiseau de malheur lorsqu'il en avait toujours le moins besoin. Un porteur de malheur ; un Hermès du Chaos.

Il contint son angoisse par le rappel qui lui vint à l'esprit qu'il avait déjà vu maintes et maintes fois ce visage. Et que les fantômes, contrairement à ce que l'on raconte, n'emportent pas les vivants dans leur monde. On ne peut pas sortir de l'Ombre.

Adrian expira violemment, relâchant avec brusquerie un souffle qui lui paraissait vieux de deux siècles. Un souffle qui s'écoula littéralement à travers son père, sans même rencontrer de résistance sur son corps. Le jeune garçon avait froid. Il avait quitté ses frusques épaisses d'hiver pour mieux se mouvoir lors du cours du Vif, et n'avait rien d'autre sur le dos qu'une chemise d'écarlate angloise pas très épaisse. Comme Adam exhibant ses parties camouflées derrière une simple feuille de vigne devant le nez du tigre à dents de sabres qui menaçait de l'engloutir tout cru. Il prit comme une gifle la tirade de son père, et n'était pas encore un jeune homme capable de répliquer aux provocations du premier venu. Il respira à nouveau, lâchant devant son visage un souffle qui devint brumeux, comme si l'air peu à peu se congelait.
Ses cheveux s'hérissèrent sur sa tête. Ses poils se dressèrent, partout sur son corps. Certaines tapisseries, à proximité du fantôme de son père, se couvrirent lentement d'une fine pellicule de givre, alors qu'un vent quasi-surnaturel, venu du dehors, continuait à les faire danser mystérieusement. Les torches au mur, quant à elles, donnaient une impression d'étrangeté quasi-baroque à la scène, se mariant à la lumière grisâtre qui s'échappait des archères et des vitraux qui s'ouvraient sur la cour intérieure.

Prenant son courage à deux mains, ne sachant trop que faire face à la scène surréaliste qui était face à lui, Adrian ne répondit que simplement :


- " Je... ben... Enfin... Votre... fils, quoi. "

Petit pépiement de paroles expulsé hors de sa glotte, comme un rossignol gazouillant face à l'inéluctabilité de sa fin future, face à un chat sauvage énorme et gigantesque. Un prédateur comme on n'en imagine que dans ses pires cauchemars. Les joues rosissent. Les yeux ne se fixent pas, cherchant une échappatoire. Une odeur, saumâtre et rance, s'élève alors : l'odeur de la peur, alors que l'enfant réalise qu'il ne peut en aucun cas bouger une seule parcelle de son corps pour fuir. Il est bloqué ; tétanisé ; paralysé ; catatonisé. Ses pupilles s'agrandissent brusquement ; son souffle se fait plus hâché, plus vif ; ses muscles pulsent, comme s'ils ne demandaient qu'à bondir. Adrian est comme un séquoia, comprimé à la taille d'un bonzai, et luttant avec son enveloppe trop petite pour jaillir vers les cimes ; comme un prisonnier dans sa cellule de terreur frappant les murs de pierre frigorifiés à coups redoublés. Son coeur s'accélère. Et une dernière question s'échappe, doucement :

- " Non... ? " Comme un doute. Un doute englobant Tout. Oui, tout ; de qui il est, de qui est son père, au simple "Ben c'est la bonne réponse, nan ?" Comme un gagnant de "Questions pour un gros con" face à un Julien Lepers squelettiforme. Un pastiche des noces funèbres.

Il avait les yeux grands ouverts ; et par les yeux de son père, ouverts sur le néant, ne pouvait voir que des Âmes Grises(3).


_____________________________________________________________

(1) : Blacksad, Tome 1 (Guarnido et Diaz Canales, 1999).

(2) : La nature est stupéfiée lorsque les morts reviennent à la vie (Apocalypse selon Saint Jean, 23-05).

(3) : Les âmes grises (Philippe Claudel, 2004).

_________________
Bralic
Foin de considérations météorologiques, c'est un simple murmure, presque un étonnement, que le jeune homme reçut pour unique réponse.

Mon fils...

Un sourire en coin fit se retrousser la lèvre supérieure de l'apparition. C'était un de ces sourires qu'un assassin avide d'assouvir sa soif de vengeance réserve aux victimes qu'il sait à sa merci. Un sourire de prédateur, mi-amusé mi-carnassier de celui qui jauge ses proies avec appétit. Est-ce un père ou un démon qui se tient face au jeune Adrian ? C'est le corps, la voie et le port du premier, mais ce sont pourtant la haine et le regard du second que l'on peut percevoir.

MON fils !

L'éclat de rire qui s'en suivit fut presque aussi tranchant qu'une lame, semblant condenser en lui seul toute la puissance de la tempête qui tonitruait au dehors : la force des éclairs s'écrasant avec fracas sur le sol en pulvérisant la pierre en une pluie de shrapnels; l'écho du tonnerre compressant l'air et faisant trembler les murs séculaires de l'antique vaisseau de pierre.
Son intonation laissait transparaitre tout à la fois le dédain, la tristesse et la colère. A dire vrai, c'eût pu être celui d'un dément. L'éternité devait paraitre courte à coté des quelques secondes durant lesquelles il résonna contre les pierres, les métaux et les tissus de la galerie comme l'écho du tonnerre extérieur.

Lorsque le visage du défunt riant à gorge déployée vers le ciel se baissa à nouveau vers l'enfant, ses yeux étaient bien ceux d'un mort. Les iris brune piquée de vert digne des souvenirs les plus vivants ayant disparues pour laisser place non pas à un blanc laiteux mais à un blanc vert pourrissant. La voix reprit, profonde comme le grondement d'une cascade s'extrayant avec force des profondeurs du sous-sol, mais calme comme une mer d'huile.


Tu en doutes. L'intonation de la lugubre voie spectrale n'avait rien d'une interrogation. C'était une affirmation dogmatique, une constatation sans appel, comme l'annonce d'une loi naturelle. Eut-il pu dire que le feu brulait, que l'herbe était verte, que le sang était rouge qu'il ne s'y serait pas prit autrement.

Il est vrai que tu es issus de ma chaire et de mon sang, et que mes traits se dessinent aussi sur ton visage. Une main froide comme la pierre, semblant surgie de nulle part, vint caresser du dos de ses doigts morts, rêches comme le cuir d'un vieux gantelet, les pommettes d'Adrian. Mais pour autant, c'est bien là tout ce que nous avons en commun !

La puissance des mots donna probablement l'impression à l'enfant de voler à travers la pièce comme s'il avait reçu un uppercut, ou la foudre, de plein fouet... Quoiqu'il en soit, le spectre était maintenant à trois pas de lui, le regardant de ses yeux morts, les mains écartées, paumes vers le ciel, comme s'il appelait les puissances créatrices de l'univers comme témoin de la situation.

Comment oses-tu te proclamer MON fils, et faire tiens MON nom alors que seule une vague ressemblance physique nous lie tous les deux ? Je ne t'ai pas élevé, et tu ne sais rien d'autre de moi que le peu de traces qu'ont laissés mes actes, ce que tes tuteurs ont cru bon de t'enseigner et ce que tu as pu apprendre de ceux qui m'ont autrefois côtoyé et ne m'ont pas encore rejoint dans la tombe.

Et pourtant, nombre de choses t'ont été, te sont, et te seront encore cachées.

Le temps d'un clin d'œil le fantôme pointait maintenant sur l'enfant un index accusateur. Un index aux ongles noirs et brisés comme d'avoir trop fouillés la terre à main nue. Le même petit sourire mesquin se dessinait à nouveau sur les lèvres un peu plus claires, dévoilant une rangée de dents effilées.

Mais toi.... Je sais qui TU es, Adrian Fauconnier de RIDDERMARK.

Tu es un gamin sans père, dont la mère à sombré dans la folie.
Tu es un gamin élevé par des politiciens dans le culte du lignage, dans le culte du nom, dans le culte des apparences et des biens matériels.
Tu te glorifie de ta propre existence alors que jamais tu n'as accomplit la moindre chose. L'humilité est pour toi une chose inconnue et l'idée même de te remettre en question t'es étrangère tant tu considère qu'être dans l'erreur t'es impossible
Tu as été élevé dans le luxe et l'opulence comme si tout t'était du, entouré de serviteurs que tu traitaient moins bien encore que des bêtes et d'adultes mielleux et serviles pour qui tu étais tant un outil qu'un faire-valoir.
Tu penses que le respect t'es du et jamais tu ne te montre respectueux.
Tu ne sais pas combattre car jamais tu n'as eu à affronter l'adversité.
Tu penses que tu es au dessus des autres et pourtant tu n'es pas capable d'accomplir ne serait-ce qu'une once de ce qu'ils font pour toi.

C'est à peine si tu as assez de volonté, de force et de coordination pour te torcher le tas de graisse bloblotante que te sert de cul avec tes gros doigts boudinés sans avoir à demander l'aide d'une demi-douzaine de larbins !

Tu as été élevé en parasite, par des parasites, pour des parasites, et tu as toujours vécu en parasite !

Le fracas du tonnerre vint appuyer l'horreur des propos lancé par le fantôme avec la force d'une tonne de rocher dévalant d'une montagne.

Tu n'as rien à faire dans cet ordre ! Tu es ici dans le saint des saints de la chevalerie, dans l'antre des parangons de la force et de la bravoure, les hérauts de l'honneur, et il n'y est point de place pour les créatures telles que toi, à la foi chétive, profiteuse et imbues d'elles mêmes.

Tu n'es, ici, rien d'autre qu'un vers dans une pomme !

A nouveau le fracas du rire vint ébranler les tympans, comme repris en écho par les restes funestes de tous les héros du passé.

MON fils ! Mon descendant peut être... mais pas mon fils ! Tu es l'enfant de ceux qui ont fait de toi ce que tu es actuellement. Tu es l'enfant des Riddermark ! Un mollard fantomatique vert de gris vint s'écraser au pied du spectre, maculant le sol d'ectoplasme dans un bruit de succions des plus désagréable.

Tu es l'enfant de ce que j'ai toujours détesté. Tu n'es pas plus digne de te draper de mon nom et de mes titres que ne le sont tous les autres bâtards que j'ai enfanté... Et parmi tous ceux-ci, il s'en trouve probablement pour être plus méritants que toi.

_____________________________________________________________

Ouais, je sais, c'est pas top, mais j'ai trop la flemme ce WE et j'ai pas envie d'attendre d'être plus inspiré.

_________________
Vicomte d'Isles/de Montbarrey/Baron de saint Laurent; ex sergent/lieutenant/capitaine (*7)
Adrian
Temps de chaos, implacable et inflexible.
Odeur de feu, de cendre et de sang dans l'air.
Moiteur du lieu, des corps, des pierres.
Impression de sépulcre, de tombeau, dans un musée.
Goût de terre et de caveau, mélangé à l'atrabile.
Lueur fugace de rayon de jour, nimbé de drap de nuit.

Putain, mais quelle plaie.

Adrian Fauconnier de Riddermarck encaissât de plein fouet l'ensemble de la déclaration, avec l'envie violente de se plier en deux, de presser ses mains contre ses oreilles, de fermer les yeux et de hurler à la mort pour ne plus entendre ces paroles qui, plus encore que de lui écorner sa fierté, sa noblesse, lui fouaillaient l'âme, lui fouissaient les entrailles pour mieux les enrouler autour d'une râpe à fromage.
C'était une tempête. C'était un ouragan. Un ouragan d'idées violentes, de véritable magma de haine et de violence que l'ectoplasme placide lui balançait à la poire. Un déferlement de colère. Adrian aurait rapetissé à vue d'oeil s'il l'avait pu. Il serait devenu fougère, prêle ou champignon pour laisser passer les torrents de bile coulant des machoires écumantes d'un vieil ours mort depuis belle lurette.

" Lon, lon, laissez-les passer... Ils au-ront du mal assez..."(1)

Il n'avait pas soutenu le regard plus de dix secondes. Il était littéralement écrasé par l'impact de ce père, de ce père dont on l'avait élevé dans l'idée toujours présente, toujours claire, qu'il fallait le révérer entre tous, et par dessus tout ne jamais remettre son jugement en doute. Une famille. Deux parents. 4 ancêtres. Un même respect. Cette diatribe haineuse, lancée face à sa famille maternelle, était une véritable bombe lancée dans tout ce que l'on lui avait toujours appris. Une injure à sa mère. A Guillaume. A sa soeur. A cette famille qui l'avait considéré comme l'un des siens. Lancée par un père qui n'avait jamais été là, et avait créé beaucoup plus de problèmes qu'il n'en avait jamais résolu. Un père auquel il s'était toujours comparé. Qu'il avait toujours vu triomphant. Grand Chevalier, bon père, paladin de justice. Un homme dont il avait toujours chéri le souvenir, dont il avait fait son modèle de vie.

Ses yeux le piquaient. Ses glandes lacrymales, saturées, demandaient avec insistance à déverser leurs pleurs salvateurs.

" Les larmes sont la pudeur de l'oeil "(2)

Il ne pouvait bouger un seul de ses membres. Une impression raide et dure, comme s'il était comprimé dans une boite de conserve géante, empêchait tout mouvement de sa part. Même ses yeux lui faisaient mal. Agrandis comme avec de vulgaires allumettes, ils regardaient ce père, ce père horrible qui lui disait tant de choses atroces et... sans même pouvoir fermer les yeux pour ne plus le voir. Sans même pouvoir se dire que rien de tout cela n'existait. Des aiguilles s'insinuaient dans ses pupilles, provoquant une douleur atroce. Des aiguilles de douleur, qui lui vrillaient la tête comme le pire des maux de crâne qu'il pouvait imaginer. Sa vue se brouillait. Ses pleurs restaient confinés dans le fond de sa gorge, alors que son corps tremblait de ne pouvoir bouger.

Adrian s'abimait, se consumait littéralement dans cette douleur.

Jusqu'à ce que...

Jusqu'à ce que, le tonnerre déferlant et emportant ses derniers barrages sur son passage, survienne une autre émotion, qui s'apposât sur sa douleur comme un velcro, l'emmitoufflant, la protégeant, lui donnant un nouveau souffle, d'une force nouvelle, d'une clarté sans faille.

Adrian, tout simplement, perdit ses illusions. A travers ce que son père lui renvoyât, à travers ce torrent de souillure, Adrian vît donc alors la réalité crue, telle qu'elle était : sa mère, son oncle, poussât goitreux qui pétait dans des monceaux de soie en se désintéressant du sort de sa famille ou de ceux qui travaillaient pour lui, fourmis s'échinant pour cette reyne sans aucune gratitude ; son cousin, manipulateur politique qui avait tout fait pour l'utiliser. Et son père... Ce père qui venait maintenant, face à lui, le maudire en lui crachant à la face.
Adrian devint tout simplement adulte. Il perdit les derniers restes de coton protecteur de son enfance, et entrât de plein pied dans le monde réel. " Welcome on Earth, son".

Colère. Un voile pulsatile, rouge sang, commençât à lui emplir les yeux, voilant ce qu'il voyait autant que ce qu'il savait de son monde. Une colère enveloppât ses souffrances, ses appréhensions, ce petit d'homme qu'il était, et les transformât en une rage pure et simple, une rage dirigée...

Contre son père.

Adrian, ouvrant alors la bouche, blasphéma par trois fois : la première aux commandements de Dieu qui disait de respecter toujours son père et sa mère, la seconde à sa famille qui l'avait toujours élevée dans le culte de ce père absent, et la troisième... Au respect, tout simplement. Ultime marque de reniement ? Adrian en perdit le vouvoiement qui était dû à l'ancêtre estimé.


- " Va te faire mettre. "

La phrase roulât, roulât, chaque syllabe étant dissociée des autres, en un lent chapelet qui résumait tout ce qu'il s'apprêtait à dire.

- " Tu t'es toujours crû plus intelligent que tout le monde. Toujours mieux que ces "grands cons" que tu côtoyais... Mais tu avais tort. J'en ai appris de belles, sur toi...

Je refusais de les entendre. Je refusais de les croire. Tu ETAIS l'homme parfait que Mère me vantait soir et matin, que je devais vénérer et considérer comme un exemple.

Mais... Tu n'étais rien qu'une coquille vide, pauvre connard. "


Tremblant dans ce corps sans possibilités de mouvements, l'enfant lâcha alors comme une torpille toute la rage, toute la haine accumulée, trouvant enfin un exhutoire qui pût accueillir pleine face tout ce silence qu'il avait accumulé en son tréfond en quatorze années d'existence.

- " Mère est devenue toquée parce que tu allais trousser toutes les poubelles que tu trouvais sur ta route. Ca, on peut dire que tu avais du goût, VIEUX CON. T'as pondu plus de lardons qu'un coq niveau reproducteur, dans ton genre... Te croyant malin. Te croyant viril. Te croyant probablement Grand.

Foutaises ! Tu n'as été qu'un fichu queutard, une ordure qui n'a jamais été utile qu'à se vider les burettes dans le premier trou qui passait, tout cela pour cacher le fait que tu n'étais qu'une ordure.

Tu n'as jamais été présent pour l'éducation de tes enfants, et tu viens te plaindre ? Foutu crétin ! " Papa est le second nom de Dieu, dans la bouche de tous les enfants "(3). J'ai été élevé par le Chevalier de Jeneffe, qui était un Chevalier, lui ! Quelqu'un qui était présent pour sa famille, qui était respectueux d'elle, qui n'a jamais trainé son nom dans la fange des culs de bougresse, dans les lies des bouteilles ! J'ai été élevé par les Margny, qui m'ont enseigné, EUX, que la vie n'est rien qu'une jungle. Un enseignement que TU aurais dû donner Qu'as-tu fais ? Tu es mort...

Tu t'es toujours glorifié et rengorgé de n'avoir été qu'une tâche, une foutue tâche qui a connu le mercenariat et est entrée dans cet Ordre que pour mieux nourrir ses appétits de meurtre et de strupre !

"La fin justifie les moyens"(4) ? CONNARD ! Combien de veuves par ta faute ? Combien de familles détruites, d'enfants qui te haïssent, et ME haïssent, par TA faute, pour TES intérêts ? Combien de producteurs foutus sur la paille par tes magouilles à Saint-Claude ? Et c'est à MOI que tu viens les briser, en me disant que je n'ai pas le niveau pour me présenter ici ?

Ma famille m'a préservé du combat, me réservant le soin de choisir PAR MOI-MEME si je voulais le faire. Elle m'a préservé du besoin, comme le ferait N'IMPORTE QUELLE FOUTUE FAMILLE ! Ce qui est loin d'être ton cas...

Si TOI, pourceau d'Épicure, assassin de pères, de femmes et d'enfants, tu as pu devenir un apôtre de ce qu'est un Chevalier, alors je le ferais aussi bien, voire mieux que toi !

Je suis Moi. Pas toi. Pas eux.

J'utiliserais cette famille pour devenir plus Grand que tu ne l'étais. J'utiliserais cet Ordre pour arriver à mes fins, comme tu l'as toujours fais ! Je ferais respecter mon nom en tout point de l'Europe, et cela mieux que tu ne l'as jamais fais ! "


Et l'enfulte (enfant-adulte) de partir d'un grand rire à gorge déployée.

- " Je chierais sur ton cadavre, et couperais les burnes de tous tes lardons. Je brûlerais ta dépouille, et donnerais tes cendres à bouffer aux porcs. Et tu sais le meilleur... ?

Tu seras glorifié pour avoir été mon père.

ET TU N'AURAS JAMAIS RIEN GLANDE POUR CA, HORMIS TE VIDER LES BURNES !

Je serais ce que tu n'as jamais été. Et tu iras crever la gueule ouverte pour que je te ressemble ! JAMAIS ! JA-MAIS !

JAMAIS ETRE COMME TOI ! "


Et son monologue de se finir, sur cette note sombre et lugubre, annonçant de biens sombres lendemains...

Si jamais tu avais sû, Adrian, quels ils seraient...


_____________________________________________________________

(1) : Extrait des "Dragons de Noailles", chant militaire.

(2) : Citation d'Yslaire et Bellac, "Sambre".

(3) : Citation tirée de "The Crow". Je sais, c'pas top comme référence...

(4) : Citation tirée de Machiavel, "Le prince".

_________________
Bralic
La colère, la haine, la souffrance, l'injustice, le dédain, le refus.... toutes ces sensations, pures comme du cristal de roche, versées dans le grand mixeur du cerveau du jeune homme et mêlées pour former un mélange compact, presque palpable que l'enfant s'efforçait de jeter au visage putrescent d'un père fantomatique, probablement dans l'espoir de le blesser et de provoquer une réaction.

Eut-il eu quelques connaissances de plus du combat, de la médecine et du fonctionnement du corps humain qu'il aurait sans doute compris la futilité de son geste... Les fantômes n'ont plus de corps, et par conséquent pas plus de glandes que de système nerveux. C'est une situation bien ennuyeuse lorsqu'il s'agit de s'énerver.

Le calme affiché par le mort suite à cette diatribe prouvait bien sa condition de cadavre... ou d'illusion. Mais à toute chose malheur est bon, car si l'enfant avait eu à faire face au véritable Bralic, nul doute qu'il aurait compris ce jour le sens véritable et profond des mots "douleur", "souffrance","supplice","tourments" et toutes les subtiles différences qui permettent de faire la distinction entre chacun d'eux. Ce dès les premiers mots prononcés
En lieu et place d'un cris de rage et d'une charge féroce digne d'un mammouth en rut visant moins à lui dévisser la tête qu'à lui apprendre le respect (avec pourtant la conséquence précédemment citée), le fantôme se contenta d'écouter posément les cris et gesticulations de l'être insignifiant qui vociférait d'une façon qui n'aurait pas fait tache quelques siècles plus tard chez un certain président de la République Française.
Une main leste malgré la mort s'enfonça dans une des innombrables poches de la besantine qui devrait normalement trôner au sein du castel de Montbarrey et non pas sur les épaules décrépies de ce corps pourrissant. Une petite boite de bois vernis en fut tirée, ouverte, et un cure-dent porté aux lèvres sèches du macchab aux yeux blanc-vert.

La tempête semblait maintenant se déchainer aussi bien au dehors qu'au dedans. Et le silence s'installant après la crise de nerf trouva comme un écho dans le bruit mat des gouttes lourdes comme des pierres qui frappaient contre le bâtiment.

Le cure-dent fut retiré, entre le pouce et le majeur. Lentement, comme pour marquer la distinction entre l'énervement de l'enfant et le calme du mort. Entre la tempête et la forteresse. Entre la mer et le rocher.


C'est bon ? T'as fini p'tit con ? Je peux en placer une ?

N'attendant de toutes façon pas de réponse, le cadavre sembla glisser sur le sol plus que marcher et appuya son épaule contre l'antique tenture représentant les guerres de Normandie. Impossible de savoir ce que le fantôme pensait de cette soudaine envolée. Sans doute Bralic aurait-il été fier de voir son fils faire preuve d'un tant soit peu de couilles et oser défier l'autorité. Mais sans doutes aussi aurait-il été attristé et profondément blessé des arguments avancés contre lui.
Bah... qui pourrait le dire maintenant que tout ce qui restait de cet être dur comme le bois de fer s'était envolé en cendres et en fumées par une lointaine soirée forestière.


ça fait mal hein, la vérité en pleine gueule. Surtout quand on est pas prêt à l'entendre. Mais ouvre en grand les cages à miel qui te servent d'esgourdes, parceque je vais te chanter le soltif, et crois moi les horreurs que je vais te balancer vont pas te plaire non plus.

Ceux qui t'ont élevé, ainsi que fort probablement la plupart des gens que tu as interrogé, t'ont certainement dit de moi que j'étais une brute animé d'une soif inextinguible de sang humain. Un esprit noir et fou animant un vampire, un croque-mitaine, une bête faramine qui n'avait d'autre but que de poursuivre et de traquer ceux que sans raison apparente elle considérait comme ses ennemis.
Ils t'ont certainement dit que j'étais un fauve fou de rage qui tuais, pillais, violais, massacrais et mutilais pour le simple plaisir de voir autrui à genoux devant moi agoniser dans une marre écarlate. Que j'ai rasé des villages jusqu'aux fondations et versé du sel volé à ses habitants sur les débris fumant des maisons et des cultures. Que j'ai troussé pucelles et nonnes jusque dans les bénitiers des églises, pissé sur les hosties et chié dans le calice. Que j'ai pourchassé des innocents du haut de mon cheval, les décapitant par derrière alors qu'ils fuyaient à toutes jambes. Que j'ai bouté le feu à la cour des miracles en un gigantesque incendie qui menaça d'engloutir la moitié de Paris. Que eux-mêmes ont eu à souffrir de mes exactions, de l'argent que je leur extorquait en les menaçant de révéler moults choses qui n'étaient que des mensonges issus de mon esprit dérangé.

Et d'un certain point de vue, ils t'ont dit la vérité... J'ai probablement été une des pires ordures à avoir foulé le sol de ce monde depuis Vlad l'Empaleur. Mais t'es tu demandé ce qui avait motivé mes actes ?

Les yeux du mort virent se visser dans ceux de l'enfant, comme deux puis nacrés menant droit vers la mort, accompagnés en cela d'un sourire dévoilant des dents marrons comme en cours de décomposition.

Ceux que tu as rencontré en ce lieu et de rares autres amis t'ont appris que j'étais un homme d'honneur, toujours prompt à défendre mes camarades, l'ordre, le royaume de France et la Franche-Comté. Ils t'ont dit que j'étais le chevalier noir, celui qui se battait contre ses ennemis avec ses propres armes. Le traqueur nocturne, vivant et agissant des les ténèbres pour mieux les détruire de l'intérieur. Ils t'ont dit que j'étais un homme digne de fois entre les mains duquel ils n'ont pas hésité à remettre leur vie, et qu'ils n'auraient pas hésité à me suivre jusqu'en enfer si je leur avait demandé... ce que j'ai fais plus d'une fois.

Eux aussi t'ont dit la vérité... j'ai été un des plus grand chevalier de cet ordre et un des plus vaillant protecteur du royaume. Mais là encore, t'es tu demandé pourquoi j'avais agi ainsi ?

Je n'ai jamais été parfait, je n'ai jamais rien fait pour l'être et je n'ai jamais prétendu l'être... d'ailleurs rien ni personne ne peut prétendre l'être. Quant à l'idée que tu te fais de moi, crois-tu vraiment qu'elle m'importe ? Je me moquais déjà bien de l'avis que les gens portaient sur moi de mon vivant, alors maintenant que je ne suis plus qu'un tas de terreau juste bon à faire pousser les courges, tu penses bien que je m'en fout autant que le roy se soucie de l'état de santé de ses sujets.

Le cure-dent dessina une courbe depuis la bouche putrescente de feu le vicomte, indiquant maintenant de son bout mâchonné le petit être en sueur devant lui.

Quant à toi, Adrian Fauconnier de Riddermark... Je n'ai jamais dit que tu n'avais pas le niveau pour te présenter ici. Les compétences que réclame l'ordre sont à la portée du premier homme venu... et même des femmes comme tu as pu douloureusement le constater. Un nouveau sourire dégénéré se traça sur les lèvres crevassées comme le sol lunaire à la mention de cet incident. Il suffit de savoir monter à cheval et manier une lame, ce que n'importe quel crétin des alpes peut apprendre en un nombre suffisant d'années... D'autant que les crétins des alpes, j'en ai eu mon content pendant un certain moment. Et je pense en outre être assez bien placé pour pouvoir affirmer qu'il est aisé de transformer n'importe qui en soldat, quand on en a le temps, le matériel et la volonté.

Toutefois, si tu te retourne et jette un coup d'œil aux reliques présentes, aux scènes qui se jouent sur ses tentures, à tous ces morts qui ont fait l'ordre, qui posent sur toi leur regard et qui te jugent... tu verras que ce ne sont pas des soldats.

Le silence se faisant dans la pièce était maintenant comme obsédant, hypnotisant. C'était un silence de mort seulement troublé par le bruit de la pluie et le crépitement d'un éclair à la lueur duquel les armures et les portraits semblaient s'animer d'une vie propre et tourner autour de l'enfant tel une meute de prédateur attendant le moment fatal où l'animal blessé trébuchera pour se jeter sur lui sans lui laisser d'autre espoir que celui d'une mort rapide. Alors que des mots allaient franchir les lèvres du jeune vicomte, la voix de l'ancien tomba tel un couperet dans la poussière séculaire des lieux.

Ce sont des guerriers.

Ce sont des hommes qui ont tout sacrifié à cet ordre, et à travers lui au royaume de France. A la seule et unique fin de protéger ceux qui étaient trop faibles pour se défendre seuls, ceux que la noblesse choisit d'ignorer afin de ne pas avoir à supporter la culpabilité de l'existence pitoyable dans laquelle elle les maintient !
Qui y a perdu un bras, une jambe, un œil... emporté par l'ennemi du royaume comme un trophée ou laissé sur le champ de bataille pour servir de pâture aux corbeaux. Mais pis que cela, tous y ont laissés leurs vies. Non pas leurs êtres, mais leurs existences !
Aucun ici n'a eu de vie de famille digne de ce nom ! Et nombreux sont ceux à être morts en murmurant le nom d'une femme au coté de laquelle ils ne vieilliront pas, ou d'enfants qu'ils ne verront pas grandir.
C'est cela qui te manque... Le sens du devoir, du sacrifice et de l'honneur. Il était de mon devoir de te l'apprendre, mais on ne m'a guère demandé mon avis lorsqu'on l'on a enfoncé trois pieds d'acier dans le sternum, sectionné mon cœur, et que mes poumons se sont emplis de sang. Une larme de sang et de pus mêlé s'échappa de l'œil mort, glissant en une longue trace sinueuse le long du visage maintenant fané comme le vieux cuir... Surement une conséquence du processus de déliquescence.
C'est cela que Guillaume aurait du t'apprendre avant de disparaitre.

C'est cela que les Marny et les Riddermarks se sont avérés incapable de t'enseigner tant cela leur est etrangé. A la place, ils ne t'ont enseigné que les notions dévoyées qu'ils connaissaient.

Le mensonge au lieu de la sincérité.
L'exploitation au lieu du respect.
Le profit au lieu de la justice
La traitrise au lieu de l'honneur
La lacheté au lieu de la bravoure

Ce que tu as dit... Ce que tu souhaite devenir et faire. Être grand, reconnus, respecté... Exploiter les autres afin d'obtenir « la gloire... »

Crois-tu que c'est ce que cherchaient Hubert, Scinarf, Frêre Nico, Amoulesolo, Erwyn, Thamior, Denis, Matheus, Enox, Ftarkin, Kratos, Stannis et tous ceux qui sont morts au sein de cette confrèrie ? Crois-tu que c'est ce que cherchent Rhuyzar, Cerridween, Zalina, Enguerrand, et tous ceux qui ont la chance d'être encore vivants ?

Guillaume, que tu mets sur un piédestal, te semblait il accorder une telle importance à la gloire ?

La gloire... Je pense pouvoir parler en leur nom à tous en disant que la gloire ils s'en tamponnaient le moule à merde avec une plume de paon et deux feuilles de chêne !

A nouveau le silence oppressant. A nouveau le cure-dent accusateur pointé tel une arme, tel le doigt de la mort.

C'est en cela que tu n'as rien à faire ici. Tu n'as rien de commun avec eux. Tu n'es pas un guerrier, tu n'es pas un chevalier...
Tu n'es qu'un gamin capricieux et complexé de n'avoir jamais eu de famille digne de ce nom, qui ne peut supporter de s'en vouloir à lui même et qui rend un père mort et une mère folle responsable de ses malheurs. C'est tellement plus simple... les absents ont toujours tort.
Et pour compenser cette image de pleurnichard que tu as de toi, tu veux montrer à tout le monde que tu existe dans un ridicule concours de bite, quitte à couper celle des autres pour gagner.
Au moins à tu raison sur un point... tu ne seras jamais comme moi. Mais rassures-toi...tu ne me donnes absolument pas envie que tu le sois.

Mais dis moi... une fois que tu auras accomplis toutes ces belles choses, petit, tu fera quoi ? Et ça t'apportera quoi ?

Un reniflement de dédain ponctua cette phrase. Et à nouveau le mort se déplaça en glissant sur le marbre de la salle, jusqu'à venir coller son lambeau de visage contre celui de son fils comme pour une mise à mort.

Quant à ta mère... la nuit où les lames de ceux que j'ai formé, entrainé et guidés se sont abattues dans mon dos, me séparant à jamais de Daresha... Elle était encore en parfaite possession de ses moyens... Du moins, elle savait parfaitement ce qu'elle faisait quelques semaines plus tôt, alors qu'elle papillonnait devant Guillaume.

D'ailleurs... as-tu songé à consulter un jour les relevé de paie de l'armée qui a mis un terme à mon existence ? L'administration comtoise à cet avantage qu'elle est extrêmement pointilleuse, et qu'elle tient note de tous ceux à qui elle a versé récompense. Je suis sur que ces quelques fouilles t'apporteraient beaucoup.

_________________
Vicomte d'Isles/de Montbarrey/Baron de saint Laurent; ex sergent/lieutenant/capitaine (*7)
Adrian
Il n'en croyait tout simplement pas ses oreilles. Il ne pouvait croire que son père se justifiait comme il le faisait. Et ce qui fit qu'Adrian éteignit rapidement le feu de sa colère fut, tout simplement... Son jeune âge. Plus vieux, il aurait remarqué les failles du raisonnement paternel. Le fait de répondre à des arguments précis, clairs, par une pure justification idéologique. Le fait de se dédouaner par l'idée génialissime qu'aider les autres était mieux qu'aider sa famille.
Oui. Si Adrian avait été plus vieux, il aurait vu qu'au contraire il avait touché là où ça faisait mal. Car on n'esquive jamais autant les arguments que lorsqu'ils sont vrais.
D'un feu de prairie, sa colère devint un feu de braise, lent et contenu. Une force qu'il dirigeât contre son père, comme un pointeur laser. Une force qui faisait s'agiter son esprit à une vitesse effrayante.

Il ricanât. De façon faible et de gorge, comme celui qui peut précéder les larmes. Il baissât les yeux, et allât s'appuyer contre un mur, le plus proche, à proximité de la hache de Deny Ferré, l'antique Capitaine Cathare, qui était accrochée au mur en un simili de trophée.


- " Pathétique. Tu es tout simplement pathétique. "

Il levât alors les yeux, regardant à travers l'un des vitraux renforcés de barres de fer qui ouvrait sur l'extérieur, aux dessins géométriques. Il observât la lune dehors, et parlât alors, d'une voix faible mais qui en disait long sur sa colère contenue :

- " Justifier tout ce que tu as fais sur la base de... "Oh mon Dieu, mais nous ne voulions pas la gloire ! Nous voulions juste sauver le Monde !".
Génial, les gars... Génial. Une question : vous l'avez vraiment sauvé, le monde ? Vous avez réussi à empêcher la Guerre, la Mort, la Destruction ? Parce que si oui, chapeau, hein ! Personne n'en a été au courant...
C'était ça, votre crédo ? Votre truc appris par coeur, à balancer aux autres quand vous faisiez souffrir ceux qui vous attendaient, pour qui vous comptiez ? "Nan, chérie, ne m'attends pas ce soir, j'vais sauver des gros cons qui n'en ont pas envie, et en plus je vais me culbuter une morue pour évacuer. Dors, je rentrerais tard. "
Justifier des morts, des veuves, des orphelins, par un "Nous ne cherchions pas la Gloire" ? "Nous faisons le bien, car nous le Valons bien" ?

Pathétique. Et je vais te dire pourquoi.

Ca oui, vous passiez pour les géniaux petits Chevaliers, les foudres du roy, ceux qui défendent la veuve et l'orphelin... Mais vous avez TOUJOURS cherché la Gloire par cela. Et c'est de l'hypocrisie pure de prétendre le contraire.

Rassaln d'Arduilet, devenu Pair de France entre autres par son travail à la hérauderie Royale et l'appui de Thierry, l'ancien Grand Maistre.

Thierry, devenu Grand Maistre pour avoir une fois dans sa vie bougé ses miches dans une crise diplomatique, et Pair de France dans la même foulée.

Tous ceux que tu me vantes, ils ont été des arrivistes de première, des hommes comme les Autres. Des guerriers ? MON CUL ! Aussi politiciens que les autres.
Vouloir préserver la paix, hein ? C'était pour mieux asseoir l'autorité royale, et à travers elle la vôtre.
Vouloir défendre les duchés et comtés ? Seulement ceux que vous considériez comme de fidèles duchés au service du roy.
Vouloir défendre la tolérance religieuse ? Surtout un moyen de faire en sorte que le Roy ait le plus possible les coudées franches sur ses terres.
Conneries ! Vous avez été aussi pourris que les autres. PARSiens, VIENSnistes, Francs-maçons, Tenebris... Vous n'avez que tout du long porté la bure de l'honorabilité pour vous défendre !

Et à travers ça... As-tu défendu TES serfs d'Isles, père ? Les as-tu défendu, quand tu étais dans ta Tour d'Ivoire Franc-Comtoise, à "vouloir sauver des crétins des alpes" qui n'en valaient pas la peine ? As-tu empêché Isles de se faire mettre en coupe réglée par les Intendants que tu y avais nommé ? As-tu empêché le brigandage sur tes Terres ? Le Limousin du pillage ? Et les autres Licorne... L'ont-ils fait ?
Ou bien, comme je le crois, n'avez vous fait que ce que vous pouviez, mais en regardant à des kilomètres des préoccupations premières de ceux que vous deviez protéger ? Ces femmes qui vous attendaient, ces enfants que vous ne voyiez jamais grandir... Putain, c'était si difficile de leur accorder un peu de votre temps ? Bande de branle-tige.

Je suis peut-être dans un concours de bite, père. Mais au moins je l'assume. Je n'ai jamais pris la bure du Chevalier Blanc pour piller Saint-Claude dans les règles, et n'ai jamais cherché à regagner le titre de Marquis de Montbarrey POUR ME VENGER DE MON PERE ! Tu ne cherchais pas la Gloire ? FOUTAISES ! Tu crevais de dégoût contre ton père, et tu as toujours cherché à récupérer ce que tu estimais te revenir de DROIT, comme tout bâtard que tu étais. Tu as même utilisé le pillage pour se faire, ET NE NIES PAS, J'AI DES PREUVES DE CA.
Vois-tu, je ne suis pas exactement si différent de toi. Seulement je ne parerais jamais mes actes de rose, ni ne les montrerais jamais plus Grands qu'ils ne le sont. Ni ne prétendrais jamais défendre quelque autre intérêt que le Mien, ou celui de ceux dont j'ai la responsabilité. J'ai au moins l'Honnêteté, que tu ne m'as pas transmise non plus, de me montrer tel que je suis. Ni plus. Ni moins. Simplement moi.

C'est en cela que je ne te ressemblerais jamais. Et si cela ne te plait pas, ou si ton envie de vengeance contre tes meurtriers est trop forte... "


Il se retourna alors vers le fantôme de son père, désireux de faire passer clairement son dernier message.

" Alors cherche toi une autre bonne poire. Celle-ci a déjà donné. Et elle considère qu'elle ne te doit plus rien. Et surtout pas un mépris stupide pour ce qu'elle est. Si je suis ce que je suis, tu as ta part de responsabilité. Ne l'oublies jamais. "

Et alors le jeune Vicomte détourna le regard de son père, comme s'il avait honte désormais de qui il était, et d'où il venait.

_________________
Bralic
D'un feu de prairie, la colère d'Adrian devint un feu de braise, lent et contenu. Une force qu'il dirigeât contre son père, comme un pointeur laser...

Ce qui eu autant d'effet qu'un pointeur laser sur un mammouth neurasthénique occupé à faire sa sieste post-prandiale après un repas de famille dominical chez tata Jacqueline par un chaud mois d'aout.
Avec une lenteur géologique, un des deux yeux déliquescent du cadavre se plissa, déchirant la peau parcheminée de ce qui était autrefois le visage d'un des plus grand charmeur du royaume. Puis le sourcil surmontant l'autre orbe putrescent fut prit d'un plissement, signe indicateur d'une profonde lassitude devant tant de crétinisme affirmé et éhonté.


Tu sais... Régis-Robert... ce qu'il y a de bien avec toi, c'est que tu n'hésites pas un seul instant à me prouver, monologue à l'appui, que j'ai raison quand je dis que tu n'as ab-so-lu-ment rien à faire ici.

Hé oui, désolé de te le dire mon petit, mais il existe un monde où l'on obtient la gloire comme récompense de ses actes, et pas du fait d'un quelconque lignage. Au final d'ailleurs, tu n'es jamais que le fils d'un bouseux demi-noble et d'une folle-tordue qui ont gagnés le respect des autres à la sueur de leurs fronts.
Tu exiges le respect... Un ricanement crispé vint faire tomber un lambeau de chaire du menton paternel. Que dis-je ?! Tu exiges la notoriété ! Alors que la seule chose que tu ais jamais accomplis, c'est d'avoir fait ton devoir de frère en prenant ta demi-soeur sous ton aile. Tu n'as jamais rien fait d'autre de ta vie qui mérite d'être reconnus, et tu le sais... Et c'est pour ça que je suis là !

Je ne suis que le pur produit de ton imagination, et de tes conflits intérieurs. Quand tu penses que je me justifie, ou que je justifie les autres chevaliers, ce n'est que toi qui essaye de te justifier !

Le ton dédaigneux de la voix spectral se fit soudain plus proche dans le dos de l'enfant. Une haleine aux relents de pourriture portant à ses narines peu habituée à sentir le parfum de la mort.

Bouh... bouh... Je suis un pauvre petit garçon qui n'a jamais connus son papounet...
Je crois que tout le monde n'a d'autre but dans la vie que d'être reconnus et respecté, car je n'ai pas eu d'autres exemples. C'est de la faute au méchant Bralic et aux méchants licorneux.
Je fais valoir mon lignage et j'écrase tous les autres pour avoir de la notoriété, car je n'ai pas eu d'autres exemples. C'est de la faute au méchant Bralic et aux méchants licorneux.
Je suis la pire petite chiure pourrie-gâtée de la noblesse, tellement indigne de mon nom que si mon père était encore vivant il me renierait, et c'est de la faute au méchant Bralic et aux méchants licorneux.
Je suis un petit con lâche, faible, hautain et qui jette l'opprobre sur les noms de mes deux parents, et c'est entièrement de la faute des méchants chevaliers de la Licorne, et surtout du méchant Bralic-qui-mange-des-bébés-et-qui-tringle-des-gonzesses-hors-du-mariage, parcequ'il est allé se faire tuer au lieu de rester de s'occuper de moi !
J'ai tellement manqué de l'amour paternel quand j'étais môme que j'ai maintenant besoin d'être reconnu ! J'ai besoin qu'on m'aime, et je suis prêt à tout pour ça ! Même à rabaisser ceux qui ont plus de valeur que moi dans le seul but de pouvoir me mettre à leur niveau.

Moi je, moi, je, je, je...

Les bras du mort s'étirèrent vers le plafond comme deux monolithes de pierre noire et ichoreuse, suivant son regard dans lequel un feu de folie brillait avec une force capable de transpercer l'acier.
Je suis Adrian Fauconnier de Riddermark, un petit con né avec une cuillère en argent dans la bouche et un clystère en diamant dans le cul ! Je compense mon enfance par un narcissisme tel que j'en vois le fantôme de mon père, un type que je ne connais que par des on-dit, et que je pense qu'il revient d'entre les morts me confier une mission vengeresse et transcendantale à travers le temps, l'espace et les générations... Je dois être aussi fêlé de la marmite que ma mère !

Soudain la poigne décharnée du spectre vint à nouveau vriller les épaules de l'enfant, le forçant à se retourner pour affronter le regard sans pitié du cadavre en lambeaux de son père, des flots intarissables de sang bourbeux s'écoulant par saccade des nombreuses plaies l'ayant mis à mort.

Tu aurais voulu que ton papa soit là pour toi... et bin désolé de te le dire, mais il est mort ! C'est avec plaisir que je te ferais un calin et que je te ferais sauter sur mes genoux, mais figures toi que je n'ai plus ni bras, ni jambes. Je suis donc au regret de t'annoncer que pour la partie de pêche de samedi prochain, faudra annuler... j'aurais du mal à tenir la canne !

Si tu t'assumes comme le pourris que tu es, alors grand bien t'en face, mais ne comptes pas sur moi pour te soutenir ou te donner l'absolution...
Si tu as honte de ce que tu es, alors change. Prend modèle sur ta marraine et change car on est ce que l'on se force à devenir chaque jours.

Quoiqu'il en soit, je reviendrais. En attendant, tu devras t'expliquer avec elle.

Le bruit de la double porte du donjon se fit entendre, le bois de chêne blanchis renforcé de ferrures claquant contre les pierres du bâtiment, afin de livrer passage à une bourrasque d'une violence assez forte pour faire voler les tentures, et emporter dans une cascade de poussière le fantôme paternel esquissant l'éternel sourire des squelettes.

_________________
Vicomte d'Isles/de Montbarrey/Baron de saint Laurent; ex sergent/lieutenant/capitaine (*7)
See the RP information
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)