Berenice_de_jeneffe
Vaudémont - Hôtel particulier des Ames Perdues
Beaucoup de choses avaient changé depuis que le vieux Fain lavait traînée de force à Ryes. Du temps avait passé sous les ponts, pas loin de trois bonnes années, mais les traces douloureuses sétaient ancrées dans sa chair et dans son esprit. Elle avait alors dix ans. Le voyage avait consisté en une confrontation avec sa marraine dans lespoir de lui faire comprendre quelle ne serait jamais Chevalier, que ce nétait pas là sa destinée. Désormais, elle en avait treize, et redoutait chaque jour un peu plus son quatorzième anniversaire. Car ce jour là, elle navait pas seulement revu la brune de Hasine ; elle navait pas seulement entendu Godefroy jurer quil la briserait sil le fallait ; le jeu imprévisible du hasard avait voulu quelle rencontre celui auquel elle était destinée. Ainsi, dans peu de temps, si elle serait enfin libérée du joug dun précepteur obsédé par sa mission den faire une jeune fille bien élevée et une épouse parfaire, elle allait se retrouver liée de force à un mari que ses parents avaient choisi pour elle sans lui demander son avis. Elle serait actrice malgré elle dun mariage qui navait dautre but que de consacrer les liens uniques de fraternité et damitié profondes qui sétaient tissés entre son père, Guillaume de Jeneffe et Raphaël de Vergy, défunt père de son fiancé, tous deux fils reconnus de la Légendaire Licorne. La nouvelle du mariage, que Fain sétait fait un malin plaisir de lui apprendre lors dune ennuyante leçon sur les règles de bienséance, lui avait fait leffet du douche froide, mais avait renforcé son rêve le plus cher de rejoindre lanimal mythique et de gagner sa liberté. Mais de mettre un visage et un prénom sur ce fameux Comte quelle devrait servir docilement, lui avait retourné les entrailles. Du haut de son jeune âge, elle lavait contemplé comme toute jeune fille laurait fait en regardant un jeune garçon qui se trouvait prêt delle, comportement génétique reproduit par chaque enfant sur le point de devenir une femme depuis la fin des temps. Elle lavait même trouvé beau si tant est que la beauté est une notion accessible à un esprit enfantin. Puis, tout avait basculé lorsquelle avait su. Il lui prendrait ses rêves et sa liberté. Les traits charmants du Comte, pour lesquels plus dune sétait damnée et se damnerait encore, sétaient parés deffroi et la peur régnait désormais en maître sur lâme de la jeune lionne.
Cette peur viscérale lui retournait les entrailles et lui donnait la nausée, surtout lorsque son esprit ségarait dans les méandres des songes et que se dessinait sournoisement le visage du de Vergy. Ses nuits étaient agitées et souvent elle se réveillait en pleurs, sa chemise trempée de sueur. Dès quelle ny pensait plus, il revenait la hanter, toujours plus moqueur, toujours plus terrifiant et toujours plus obsessionnel. Alors que certains étaient hantés par les fantômes de leur passé, elle, elle était tourmentée par le spectre de son avenir. Elle nen parlait jamais et se refusait à en parler. Ca aurait été reconnaitre quelle était faible et elle ne pouvait pas être faible. Un Chevalier nétait pas faible. Et quauraient pensé son amie Lili et son frère ? Dailleurs, où étaient-ils tous les deux ? Elle navait pas revu la première depuis des lustres, lui semblait-il. Il faut dire quaprès une énième tentative de fuite, Fain lavait enfermée à clef dans sa chambre, au quatrième étage de lhôtel particulier quil avait loué lui-même, dans un quartier fréquenté de la ville. Elle navait droit den sortir que pour suivre ses leçons et prendre son bain. Et à chacun de ses pas étaient collés deux gardes venus tout droit de la garnison de Marchiennes. Choisis et formés par le Comte de Scye, le vieux précepteur pouvait avoir confiance en eux : ils assureraient avec perfection leur devoir de surveillance et de protection de la jeune héritière. Mission quils assuraient fort bien, puisquils avaient déjà ramené au bercail la petite damoiselle de Lorgies alors quelle tentait de prendre la tangente. Cest quelle avait juste voulu retrouver Lili, pour savoir comment elle allait et lui dire quelle allait Bien. Il faut savoir mentir à ses amis pour éviter quils ne sinquiètent. Et puis, Lili était la plus jeune, elle devait donc prendre soin delle et non linverse. Quant au second il ne lui avait jamais donné de nouvelles, et pourtant, il était toujours présent, toujours chaque jour.
Ils navaient en commun que leur mère, ne partageaient que le sang des Riddermark, mais il y avait entre eu un lien bien plus fort que celui dune fratrie commune de sang de père et de mère. Et puis, pouvait-on vraiment dire quils étaient demi-frères ? Leurs géniteurs respectifs nétaient-ils pas frère de par lanimal dont ils avaient porté fièrement les couleurs ? Adrian Il avait pris le chemin de son père et personne ne len avait empêché. Et il lavait laissée, il lavait abandonnée. Elle lui en avait voulu, le rejetant, mais elle avait grandi et son cur avait changé. Il était son frère, son Faucon, son oiseau de proie debout sur un piédestal fondu dans le métal le plus précieux et le plus solide du monde. Qui aurait pu comprendre cette envie de lavoir prêt delle et de se fondre dans ses bras à la recherche dun réconfort que lui seul aurait pu lui donner ? Mais elle ne pouvait lui demander, elle ne pouvait lui déclamer quelle avait besoin de lui, ni le supplier. Elle nétait plus le bébé quil avait pris en charge lorsque la Comtesse était devenue folle. Il était devenu un homme trop tôt, un homme avec des responsabilités, des terres à gérer, un héritage à porter, une petite sur à soccuper et des choix à faire.
Au dehors, il pleuvait à torrent, la pluie claquant contre le verre des fenêtres. La saison était plus quavancée et bientôt tomberait cette douce couverture blanche. Assise sur le rebord de son lit, le regard perdu sur lhorizon baigné de nuit, la lumière des éclairs se montrant par intermittence, elle se laissa envahir dun souvenir qui lui était si lointain. Il était une fois les terres de Delle, un séjour chez la Panthère en pleine hiver, avec son frère. Il était une fois aussi les jeux dune enfant qui courre dans la neige, échappant à sa nourrice, senivrant du gout de la liberté et riant aux éclats. Il était une fois lenfance, tout simplement. Trempée jusquaux os et des plus fière delle, éternuant plus que de raison, elle avait joué avec lui avant quil réussisse à la mener à lintérieur du castel vicomtal avant quelle ne finisse par attraper la mort. Un long frisson lui parcourant léchine, elle attrapa sa couverture et senroula dedans. Rien quen fermant les yeux elle pouvait imaginer la chaleur qui émanait de son frère, son souffle, ses sourires et ses regards qui nétaient destinés quà elle seule. Certains jugeraient ces pensées malsaines, mais peut-on vraiment les décrétées déplacées sachant quelles appartiennent à une petite fille qui sera naïve de toutes ces choses et concepts dadultes jusquà son mariage ? Ce ne sont là que des souvenirs futiles auxquels se raccroche une jeune fille à qui il manque les repères les plus précieux. Comme il lui manquait tant.
Elle tourna son regard pers en direction du bureau qui garnissait la chambre qui lui avait été attribuée. Fain navait pas osé lui donner une chambre modeste. Elle était fille de Comtes et était destinée à être Comtesse. Si les gardes avaient acceptés la plupart de ses directives, ils ne les acceptaient quand même pas tous. Elle avait ainsi pour elle un grand lit confortable avec de nombreux oreillers de plumes, des draps et des couvertures de premiers choix. Des tapis jonchaient le sol pour éviter que ses pieds nus ne foulent un sol trop froid. Des tentures finement travaillées ornaient les murs, offrant ainsi une décoration aisée tout en remplissant un rôle disolation. Le bureau était en noyer et était installé prêt de la fenêtre avec un siège confortable. La cheminée était régulièrement alimentée de bois et elle possédait une immense armoire qui regorgeait de robes, de capes, de chausses, le parfait attirail féminin.
Elle se leva de son lit et veilla à ne pas faire le moindre bruit suspect, pour ne pas alerter et surtout réveiller le garde qui était installé devant la porte de sa chambre. Elle ne le connaissait que de loin et sen méfiait dautant plus. Elle préférait Ywanon et Klaus, ils ne répétaient pas tout à Fain. Dun pas léger, elle attrapa une bougie et alla lallumer au feu de cheminée. Puis elle sinstalla toujours silencieusement au bureau. Il y avait largement de quoi écrire : des vélins de première qualité, de lencre en quantité non négligeable et des plumes à faire pâlir plus dun scribe. Ecrire cela ne la dérangeait pas. Elle aimait même cela, héritage probable de ses parents qui avaient su manier avec aisance la plume, mais les leçons forcées len avait écurée. Combien de pages décriture furent refaites inlassablement à cause dune lettre mal tracée ou dune petite goute dencre invisible pour lil de qui ny aurait pas prêté attention ? Mais là, cétait différent. Elle nallait pas écrire pour lunique bon plaisir du vieux Fain. Elle allait écrire à son Faucon.
Cest une main tremblante qui allongea devant elle le papier sacré, qui en rapprocha un encrier et qui se saisit de la première plume qui passait par là. Elle avait tant à lui dire, tant à écrire et pourtant, les mots étaient difficiles à coucher sur le parchemin. Si elle ne sétait pas retenue, elle se serait laissée aller à pleurer. Mais au bout de quelques parchemins, elle réussit à sy mettre. Tant pis pour la forme. Tant pis pour le contenu. Elle avait besoin de lui. Juste les mots dune petite fille en train de grandir et qui ne savait au final pas faire le tri entre ce quon peut écrire et ce quon ne peut pas.
Lorsqu'elle editat de cenzori à peut prêt satisfaite de ce qu'elle avait écrit, elle replia soigneusement le parchemin. Puis elle prit le bâton de cire et en fit couler quelques gouttes pour sceller son courrier. Ne possédant pas encore de sceau personnel, elle ne pourrait y prétendre qu'une fois majeure, elle prit un simple bout de bois et traça trois lettres "BEA", correspondant aux trois premières lettres de ses prénoms. Il comprendrait, enfin peut-être. Puis elle se dirigea de nouveau vers son lit. Elle cacha la lettre sous son oreiller avant de s'allonger sur sa couche, toujours enroulée dans sa couverture. Demain elle se débrouillerais pour que Klaus accepte de mener le courrier à son Frère, qu'il le persuade de lui répondre, sans que Fain ne l'apprenne. Oui, demain. Demain est toujours un autre jour, malgré la pluie qui tombe.
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Beaucoup de choses avaient changé depuis que le vieux Fain lavait traînée de force à Ryes. Du temps avait passé sous les ponts, pas loin de trois bonnes années, mais les traces douloureuses sétaient ancrées dans sa chair et dans son esprit. Elle avait alors dix ans. Le voyage avait consisté en une confrontation avec sa marraine dans lespoir de lui faire comprendre quelle ne serait jamais Chevalier, que ce nétait pas là sa destinée. Désormais, elle en avait treize, et redoutait chaque jour un peu plus son quatorzième anniversaire. Car ce jour là, elle navait pas seulement revu la brune de Hasine ; elle navait pas seulement entendu Godefroy jurer quil la briserait sil le fallait ; le jeu imprévisible du hasard avait voulu quelle rencontre celui auquel elle était destinée. Ainsi, dans peu de temps, si elle serait enfin libérée du joug dun précepteur obsédé par sa mission den faire une jeune fille bien élevée et une épouse parfaire, elle allait se retrouver liée de force à un mari que ses parents avaient choisi pour elle sans lui demander son avis. Elle serait actrice malgré elle dun mariage qui navait dautre but que de consacrer les liens uniques de fraternité et damitié profondes qui sétaient tissés entre son père, Guillaume de Jeneffe et Raphaël de Vergy, défunt père de son fiancé, tous deux fils reconnus de la Légendaire Licorne. La nouvelle du mariage, que Fain sétait fait un malin plaisir de lui apprendre lors dune ennuyante leçon sur les règles de bienséance, lui avait fait leffet du douche froide, mais avait renforcé son rêve le plus cher de rejoindre lanimal mythique et de gagner sa liberté. Mais de mettre un visage et un prénom sur ce fameux Comte quelle devrait servir docilement, lui avait retourné les entrailles. Du haut de son jeune âge, elle lavait contemplé comme toute jeune fille laurait fait en regardant un jeune garçon qui se trouvait prêt delle, comportement génétique reproduit par chaque enfant sur le point de devenir une femme depuis la fin des temps. Elle lavait même trouvé beau si tant est que la beauté est une notion accessible à un esprit enfantin. Puis, tout avait basculé lorsquelle avait su. Il lui prendrait ses rêves et sa liberté. Les traits charmants du Comte, pour lesquels plus dune sétait damnée et se damnerait encore, sétaient parés deffroi et la peur régnait désormais en maître sur lâme de la jeune lionne.
Cette peur viscérale lui retournait les entrailles et lui donnait la nausée, surtout lorsque son esprit ségarait dans les méandres des songes et que se dessinait sournoisement le visage du de Vergy. Ses nuits étaient agitées et souvent elle se réveillait en pleurs, sa chemise trempée de sueur. Dès quelle ny pensait plus, il revenait la hanter, toujours plus moqueur, toujours plus terrifiant et toujours plus obsessionnel. Alors que certains étaient hantés par les fantômes de leur passé, elle, elle était tourmentée par le spectre de son avenir. Elle nen parlait jamais et se refusait à en parler. Ca aurait été reconnaitre quelle était faible et elle ne pouvait pas être faible. Un Chevalier nétait pas faible. Et quauraient pensé son amie Lili et son frère ? Dailleurs, où étaient-ils tous les deux ? Elle navait pas revu la première depuis des lustres, lui semblait-il. Il faut dire quaprès une énième tentative de fuite, Fain lavait enfermée à clef dans sa chambre, au quatrième étage de lhôtel particulier quil avait loué lui-même, dans un quartier fréquenté de la ville. Elle navait droit den sortir que pour suivre ses leçons et prendre son bain. Et à chacun de ses pas étaient collés deux gardes venus tout droit de la garnison de Marchiennes. Choisis et formés par le Comte de Scye, le vieux précepteur pouvait avoir confiance en eux : ils assureraient avec perfection leur devoir de surveillance et de protection de la jeune héritière. Mission quils assuraient fort bien, puisquils avaient déjà ramené au bercail la petite damoiselle de Lorgies alors quelle tentait de prendre la tangente. Cest quelle avait juste voulu retrouver Lili, pour savoir comment elle allait et lui dire quelle allait Bien. Il faut savoir mentir à ses amis pour éviter quils ne sinquiètent. Et puis, Lili était la plus jeune, elle devait donc prendre soin delle et non linverse. Quant au second il ne lui avait jamais donné de nouvelles, et pourtant, il était toujours présent, toujours chaque jour.
Ils navaient en commun que leur mère, ne partageaient que le sang des Riddermark, mais il y avait entre eu un lien bien plus fort que celui dune fratrie commune de sang de père et de mère. Et puis, pouvait-on vraiment dire quils étaient demi-frères ? Leurs géniteurs respectifs nétaient-ils pas frère de par lanimal dont ils avaient porté fièrement les couleurs ? Adrian Il avait pris le chemin de son père et personne ne len avait empêché. Et il lavait laissée, il lavait abandonnée. Elle lui en avait voulu, le rejetant, mais elle avait grandi et son cur avait changé. Il était son frère, son Faucon, son oiseau de proie debout sur un piédestal fondu dans le métal le plus précieux et le plus solide du monde. Qui aurait pu comprendre cette envie de lavoir prêt delle et de se fondre dans ses bras à la recherche dun réconfort que lui seul aurait pu lui donner ? Mais elle ne pouvait lui demander, elle ne pouvait lui déclamer quelle avait besoin de lui, ni le supplier. Elle nétait plus le bébé quil avait pris en charge lorsque la Comtesse était devenue folle. Il était devenu un homme trop tôt, un homme avec des responsabilités, des terres à gérer, un héritage à porter, une petite sur à soccuper et des choix à faire.
Au dehors, il pleuvait à torrent, la pluie claquant contre le verre des fenêtres. La saison était plus quavancée et bientôt tomberait cette douce couverture blanche. Assise sur le rebord de son lit, le regard perdu sur lhorizon baigné de nuit, la lumière des éclairs se montrant par intermittence, elle se laissa envahir dun souvenir qui lui était si lointain. Il était une fois les terres de Delle, un séjour chez la Panthère en pleine hiver, avec son frère. Il était une fois aussi les jeux dune enfant qui courre dans la neige, échappant à sa nourrice, senivrant du gout de la liberté et riant aux éclats. Il était une fois lenfance, tout simplement. Trempée jusquaux os et des plus fière delle, éternuant plus que de raison, elle avait joué avec lui avant quil réussisse à la mener à lintérieur du castel vicomtal avant quelle ne finisse par attraper la mort. Un long frisson lui parcourant léchine, elle attrapa sa couverture et senroula dedans. Rien quen fermant les yeux elle pouvait imaginer la chaleur qui émanait de son frère, son souffle, ses sourires et ses regards qui nétaient destinés quà elle seule. Certains jugeraient ces pensées malsaines, mais peut-on vraiment les décrétées déplacées sachant quelles appartiennent à une petite fille qui sera naïve de toutes ces choses et concepts dadultes jusquà son mariage ? Ce ne sont là que des souvenirs futiles auxquels se raccroche une jeune fille à qui il manque les repères les plus précieux. Comme il lui manquait tant.
Elle tourna son regard pers en direction du bureau qui garnissait la chambre qui lui avait été attribuée. Fain navait pas osé lui donner une chambre modeste. Elle était fille de Comtes et était destinée à être Comtesse. Si les gardes avaient acceptés la plupart de ses directives, ils ne les acceptaient quand même pas tous. Elle avait ainsi pour elle un grand lit confortable avec de nombreux oreillers de plumes, des draps et des couvertures de premiers choix. Des tapis jonchaient le sol pour éviter que ses pieds nus ne foulent un sol trop froid. Des tentures finement travaillées ornaient les murs, offrant ainsi une décoration aisée tout en remplissant un rôle disolation. Le bureau était en noyer et était installé prêt de la fenêtre avec un siège confortable. La cheminée était régulièrement alimentée de bois et elle possédait une immense armoire qui regorgeait de robes, de capes, de chausses, le parfait attirail féminin.
Elle se leva de son lit et veilla à ne pas faire le moindre bruit suspect, pour ne pas alerter et surtout réveiller le garde qui était installé devant la porte de sa chambre. Elle ne le connaissait que de loin et sen méfiait dautant plus. Elle préférait Ywanon et Klaus, ils ne répétaient pas tout à Fain. Dun pas léger, elle attrapa une bougie et alla lallumer au feu de cheminée. Puis elle sinstalla toujours silencieusement au bureau. Il y avait largement de quoi écrire : des vélins de première qualité, de lencre en quantité non négligeable et des plumes à faire pâlir plus dun scribe. Ecrire cela ne la dérangeait pas. Elle aimait même cela, héritage probable de ses parents qui avaient su manier avec aisance la plume, mais les leçons forcées len avait écurée. Combien de pages décriture furent refaites inlassablement à cause dune lettre mal tracée ou dune petite goute dencre invisible pour lil de qui ny aurait pas prêté attention ? Mais là, cétait différent. Elle nallait pas écrire pour lunique bon plaisir du vieux Fain. Elle allait écrire à son Faucon.
Cest une main tremblante qui allongea devant elle le papier sacré, qui en rapprocha un encrier et qui se saisit de la première plume qui passait par là. Elle avait tant à lui dire, tant à écrire et pourtant, les mots étaient difficiles à coucher sur le parchemin. Si elle ne sétait pas retenue, elle se serait laissée aller à pleurer. Mais au bout de quelques parchemins, elle réussit à sy mettre. Tant pis pour la forme. Tant pis pour le contenu. Elle avait besoin de lui. Juste les mots dune petite fille en train de grandir et qui ne savait au final pas faire le tri entre ce quon peut écrire et ce quon ne peut pas.
- Mon Adrian, mon Faucon
Mon Frère, mon grand Frère,
Cela fait si longtemps que je nai pas eu de tes nouvelles. Je ne sais pas si cela fait quelques mois seulement ou bien plus. Jai peur de compter en années, mais je sais que mes derniers souvenirs de toi remontent à loin. Ryes je crois. Ou était-ce Delle ? Je tai envoyé des lettres, les as-tu reçues ? Je pense que non, sinon tu maurais répondu. Tu maurais répondu, non ? Le vieux Fain fait surveiller tous mes courriers et même ceux que jécris dans son dos. Il est probable que tu ne les aie jamais vus. Il ma dit que je ne comptais pas pour toi. Que tu nétais que mon demi-frère et que tu navais aucune obligation envers moi. Est-ce vrai ? Je ne veux pas tobliger à quoique se soit, je veux juste de tes nouvelles. Et je veux juste que tu moublies pas.
As-tu réussi à devenir Chevalier ? Cest pour ça que tu ne donnes plus de nouvelles ? Je me doute que ça demande beaucoup de travail. Je ten veux pas. Enfin, pas beaucoup je veux dire. Mais je veux savoir comment ça se passe. Je veux moi aussi devenir un Chevalier. Comme père et comme toi. Mais Fain dit que la chevalerie est faite pour les hommes, pas pour les femmes. Il dit tout le temps que je dois arrêter de rêver parce que je vais me marier. Il narrête pas de me le répéter et tous les jours jai droit à des leçons pour devenir une bonne épouse. Mais je ne veux pas me marier. Mais Père et Mère ont décidé et ont choisi mon mari. Cest Fain qui le dit. Es-tu au courant ? Et sais-tu qui cest ?
Fain ma trainée de force à Ryes après avoir intercepté une lettre que javais écrite à lOrdre. Il était avec Marraine Zalina. Mais je suis sûre que cest faux. Dis moi que cest faux, je nai pas envie. Ca ne peut pas être vrai, en plus comment Père et Mère peuvent-ils avoir décidé ça sans men parler ? Et puisquils sont morts, pourquoi devrais-je obéir ? Je peux te promettre que je me marierais pas. Jen ai pas envie.
Je suis en Lorraine, à Vaudémont. Je suis avec Lili. Heureusement quelle est là, même si en ce moment je nai pas le droit de la voir. Il parait quelle a mauvais influence sur moi alors que cest pas vrai. Cest mon amie et je dois prendre soin delle, mais là je peux pas. Mais je compte bien y arriver un jour. Il doit bien y avoir un moyen que je parte dici. Je sais pas encore comment, mais je te dirais. En tout cas tu peux encore écrire ici, à Vaudémont. Enfin tu peux donner ton message à Klaus. Je lui confie ta lettre. Alors tu peux lui confier ta réponse. Enfin si tu me réponds. Mais réponds moi, sil te plait.
Bérénice, ta petite soeur
Lorsqu'elle editat de cenzori à peut prêt satisfaite de ce qu'elle avait écrit, elle replia soigneusement le parchemin. Puis elle prit le bâton de cire et en fit couler quelques gouttes pour sceller son courrier. Ne possédant pas encore de sceau personnel, elle ne pourrait y prétendre qu'une fois majeure, elle prit un simple bout de bois et traça trois lettres "BEA", correspondant aux trois premières lettres de ses prénoms. Il comprendrait, enfin peut-être. Puis elle se dirigea de nouveau vers son lit. Elle cacha la lettre sous son oreiller avant de s'allonger sur sa couche, toujours enroulée dans sa couverture. Demain elle se débrouillerais pour que Klaus accepte de mener le courrier à son Frère, qu'il le persuade de lui répondre, sans que Fain ne l'apprenne. Oui, demain. Demain est toujours un autre jour, malgré la pluie qui tombe.
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