--Actarius
[Lo Blumar]
Sous le poids des premières bourrasques adamantines avançait péniblement une silhouette. Le chemin jusqu'au mas isolé était sinueux, insipide par ces caprices du rude climat hivernal de la Haute Vallée du Lot. L'ombre progressait pourtant malgré son fardeau neigeux. Dans sa folie, le souffle emmenait avec lui les lointains échos de quelques hurlements de loup, apportait la terreur comme une berceuse apocalyptique dans la solitude des versants du Mont Lozère.
Enfin se dessina sous le marasme la masure égarée. Bientôt le lourd battant retentit de trois coups sonores. La silhouette était arrivée. La porte s'ouvrit. Apparut alors à la lueur vacillante de quelques chandelles un homme à la fleur de l'âge. Les traits marqués par l'expérience et une vie dont la sève commençait déjà de se tarir. Le cheveu ébouriffé, le regard de terre d'ocre brûlée, le port altier malgré la mise sobre trahissait le puissant Vicomte du Tournel dont la voix douce et grave se fit entendre.
Et bien entre Johan, ne demeure pas ainsi par ce froid hivernal.
Quelques instants s'écoulèrent, puis la conversation reprit près de l'âtre embrasé dont les crépitements livraient une sonore bataille avec les sifflements stridents du vent.
Quelles nouvelles m'apportes-tu mon ami ?
Un message, Monseigneur. Nos informateurs ponots vous font savoir que votre ami est de retour en Languedoc...
Grogne bleu ! Voilà bien la meilleure nouvelle que tu m'apportes depuis des jours.
Il n'est pas seul cependant.
Un ange passa laissant dans son sillage le rire cuivré du Mendois.
Allons bon, bougre d'âne, ne prend cet air mystérieux ! Je le savais cela.
Revenu au sérieux, le feudataire reprit.
Désolé mon brave, mais il va te falloir reprendre la route dès ce soir. Dirige-toi vers Le Puy, trouve Insanius et dis-lui qu'il est attendu au Castel du Tournel avec son amie.
...
Tu te souviens de lui, je t'en avais déjà parlé ?
Bien entendu Monseigneur et je l'ai déjà vu, je le reconnaitrais sans peine.
Soit... Garde-toi bien d'emprunter les petits sentiers, par ce temps, il sera condamné à prendre la route principale. Et si mon intuition est bonne, il pourrait bien se diriger vers Mende rapidement.
Monseigneur...
Le Vicomte se leva alors brusquement défiant du regard les flammes du foyer.
Prend la bouteille de brûlot sur la table, par ces bourrasques il n'est bien que cela pour réchauffer les coeurs et ...
...l'amour peut-être..., ajouta-t-il encore en un murmure accompagné d'un bien étrange sourire.
L'homme de confiance s'exécuta et redevint bientôt silhouette harassée sur les flancs du Mont Lozère. Le Mendois demeura quant à lui pensif, la porte des souvenances s'était ouverte alors que celle de sa retraite du Bleymard s'était refermée.
--Actarius
[En quête du tressé]
Au dehors, le vent accompagnait les chutes adamantines. Il venait frapper en bourrasques folles la lourde porte d'un mas isolé, qui semblait presque perdu sur le chemin déjà blanchi du sommet de Finiels. Dans cette retraite égaré sur les flancs de l'impressionnant Mont Lozère, les flammes de quelques chandelles frétillaient comme bercées par un souffle automnal par trop insidieux. Ce n'était pourtant point la bise qui dirigeait ce ballet lumineux, mais la sereine respiration d'un homme. A l'horizon de la lueur chancellante des petites danseuses ardentes, s'érigeait tel un rempart au flot de la faible lumière le visage. Sous la dureté des traits, le regard de terre brûlée demeurait étrangement fixe.
Les souvenances étaient venues avec l'ombre du soir dans la solitude de ce refuge, elles étaient venues peu après que la porte s'était refermée sur Johan. Elles avaient cheminé des jours durant par delà un quotidien fait d'études et de rédaction de missives plus ou moins agréables. Dans un instant de relâchement, de faiblesse, elles avaient surgi avec une violence terrible. Soudaines et puissantes, elles avaient jeté comme un voile intemporel sur une scène désormais figée.
Le temps s'était arrêté. Une vie s'était tue l'espace d'un détour bien involontaire dans un passé lointain, ce passé qu'il avait délaissé pour un présent chronophage, ce passé qui l'avait rattrapé malgré tout. Un temps ancien peuplé de fantômes.
Ainsi donc errait le Vicomte du Tournel parmi ses amis disparus ou partis au loin. Il avait quitté son errance et son refuge le lendemain tandis qu'un cavalier traversait au galop le paysage chaotique de la granitique Margeride. Il avait prit la direction de Langogne, se doutant bien que cette voie serait préférée au détour du nord qui passait par Grandrieu.
Les caprices du ciel se poursuivaient contraignant le messager d'Euphor à la plus grande vigilance. Il savait l'importance de sa mission, connaissait les colères tempêtueuses de son Seigneur. Aussi, avait-il ralenti l'allure. Il se trouvait sur la route qui longeait la Ribeyre lorsqu'il aperçut deux silhouettes bien cavalières.
Il s'arrêta alors espérant que la luminosité lui dévoilerait l'objet de son périple. Quelle ne fut pas sa joie en apercevant les tresses de l'imposant Insanius. Immobile sur sa monture, il attendit que le tressé d'Asylum et son ami fissent halte pour prendre la parole.
Mestre Insanius, Dame Hildegarde, bonjorn ! Le Vicomte du Tournel vous fait savoir que vous êtes conviés et attendus en son Castel.
--Actarius
Le messager de la maison d'Euphor resta un moment interdit, il venait de commettre deux impairs en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire. Soucieux de ne pas porter ombrage au nom de son Seigneur, il tenta tant bien que mal d'effacer cette fâcheuse approche. A la dame, il adressa un sourire confus et s'efforça de mettre à profit les enseignements du Vicomte en matière d'étiquette, de choix des mots et de tons.
Veuillez pardonner mes manières, je m'appelle Johan messager du Vicomte. Je suis bien désolé de vous avoir causé pareille peur. Si vous le permettez, je me mettrai à votre service le temps de votre séjour en Gévaudan afin de réparer mon tort.
Ceci dit, il se retourna vers l'impressionnant Ponot, prenant le temps de bien peser ce qui allait sortir de sa bouche.
Sans vouloir vous offenser Insanius, sachez que les consignes du Vicomte sont claires. Il faut traiter les membres de sa famille avec le même égard que lui-même. Mais s'il vous plaît que je retire ce "Mestre", je le ferai.
Il tendit alors la main et se saisit de la bouteille dont il se fit un plaisir de déguster le contenu avant de la rendre à son propriétaire.
Merci bien ! Elle est excellente, tout aussi bonne que celle de Saint-André que les marchands du Vivarais vendent à Montfort.
Il afficha un large sourire et proposa de reprendre la route en direction de Montfort précisément par l'historique tracé de la voie Regordane. De Montfort, ils partiraient vers l'occident par Castanet, Altier pour rejoindre la Haute Vallée du Lot. En suivant le cours du paisible Lot, ils déboucheraient immanquablement sur l'éperon rocheux sur lequel était juché l'imprenable Castel du Tournel.
Tandis que le petit groupe se préparait à reprendre la route, un cavalier solitaire pénétrait justement dans l'enceinte de la forteresse tourneloise.