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Alea jacta est...

Cerridween
Elle est partie au galop...

Tout est en ordre derrière elle.
Tout est ordonné.
Au carré.
Rien ne dépasse.

Les plantes qui séchaient ont rejoint l'infirmerie. Le parfum diffus de printemps est le seul avatar de leur présence. Les draps et la lourde couverture doublée de fourrure gisent, carrés de tissus, sur le matelas. Les sacs de cuir pleins de parchemins sont rangés, tous soigneusement pendus aux crochets qui sont planté dans le grès des pierres apparentes, le seul décor de la chambre austère. Le coffre autrefois ouvert négligemment et plein de vêtements sombres jetés pelle-mêle, est maintenant fermé gardant dans ses entrailles un échantillon parfaitement rangés de ce qui pare l'ancienne maitre d'arme. Maintenant règne le silence. Le silence froid d'une chambre vide. Et qui hurle pourtant de tant de choses.

Ils ne verront rien. Pas tout de suite. Ils ne voient rien de toute façon... pas plus loin que le bout de leur nez et de leurs plates bandes qu'ils défendent bec et ongles. Ils ne verront pas la silhouette noire encapuchonnée sur le grand shire assorti à la nuit s'échapper dans l'ombre. Ils ne verront pas le visage fermé et les yeux cernés d'une dangereuse lueur bleutée autour des sinoples dont les pépites mordorées ne brillent plus depuis plus d'un mois. Ils ne verront pas les fontes pleines à craquer, de vêtements de rechanges, de vivres et d'une bourse d'écus, maigre pécule qu'elle a amassé avec sa charge. Ils ne verront rien...

Dans le cœur, elle emporte tellement plus de choses que dans ces sacoches de cuir. Lourd, lourd à en crever ce cœur qui n'a battu depuis des années que pour Ryes, ses pierres et surtout ses habitants, ces frères et sœurs d'armes... elle ricane. Elle en rit sur le shire qui apprécie de dérouiller ses vieilles jambes en avalant les chemins. Un rire rance, sardonique, qui se finit avec une pointe de désespoir profond dans la gorge. Frères et soeurs d'armes... dieu que c'est pompeux, quand elle les regarde, quand elle les entend. Ils n'en sont rien, ils n'en ont que le titre. Tout ce qu'elle redoutait, arrive, se déroule depuis ce mois sous ses yeux. Malgré les vociférations, les colères, les discutions... combien de nuits à écouter, à apaiser, à gérer... combien de lettres, combien de lignes, combien de mots... combien de fois, combien de temps, combien de jours... elle n'en peut plus... elle ne veut plus...

Ils sont licornes... ils ont un mantel oui, un joli petit mantel sur leurs épaules... ils ont une jolie épée à leur côté... mais après... après ? De ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a entendu, elle voit bien peu de choses. Elle ne remet pas en question le travail personnel, elle ne remet pas en cause les efforts de chacun non... et c'est bien là le problème. Ils ne savent pas travailler ensemble. Ils ne savent pas s'écouter. Ils ne savent pas se tempérer. Ils ne savent pas s'entendre. Ils ne savent pas attendre, comprendre. Ils ne savent pas respecter l'autre. Ils ne savent même pas la respecter... ils sont frères et soeurs d'armes ? Foutaises... ils sont individuellement licornes et cela s'arrête là... Combien de chicanes arbitrées ? Elle ne les comptent plus... elle ne compte plus les accusations, les prises de haut, les egos blessés, les emportements, les colères feu de paille, les hurlements, les sarcasmes, les cris, les débats stériles. Purs enfantillages quand on les regarde de loin, quand on prend le temps de prendre de la distance. La tempérance... la vertu cardinale des chevaliers que peu on en tête visiblement. Karyl n'en ferait pas autant du haut de ses sept printemps... plus mature que certains à n'en pas douter qui sont pourtant largement ses aînés.

Son dos lui fait mal... à force de chevauchées, de veillées à recevoir dans sa tente, dans son bureau, à lire les missives, à y répondre, à calmer, à arbitrer plus que rendre justice. Un temps incalculable passé à faire ce qui ne devrait pas être... les sabots répercutent tous les coups donnés le long de sa colonne vertébrale. Elle fera fie... mais elle ne peut pas passer outre ce sentiment de dégoût profond, viscéral, cette mélasse glauque et triste qui lui empare les membres, l'estomac, les poumons. Pour la première fois, pour la toute première fois, Ryes la révulse. Pour la toute première fois, elle ne se sent plus chez elle, elle ne se sent plus en famille. Elle qui a tout quitté, qui n'a que cette chambre qui s'éloigne derrière elle, pour seul bien, seule possession, qui a donné son sang, son temps, sa vie, un frère à ces lourdes pierres, elle ne peut plus y rester. Physiquement, elle ne peut plus. Elle ne veut plus aucun son strident parvenant à ses oreilles, elle ne veut plus voir de regards hautains devant ses prunelles, elle ne veut plus sentir les tensions si palpables qu'elles en deviennent insidieuses.

Ils ne savent pas... ils n'ont pas appris... à elle la faute surement. Ils n'ont pas appris cet esprit de corps, cet esprit chevillé au corps. Ils n'ont pas appris la fraternité, qui n'empêche pas les désaccords, mais qui empêche ce mépris et cet aveuglement. Ils ne savent pas débattre. Ils n'ont en tête apparemment que leur bien personnel, leur avancement, la reconnaissance de leur faits et gestes... elle qui a tout fait dans l'ombre, laissé peu de traces tant elle a servi « au nom de », écrit, agit, missionner pour les autres, elle ne comprend pas... et n'admettra jamais. Et puis il est si facile au fond de détruire... si facile.... un coup de pied, un revers de main... même des années, des dizaines d'années de travail peuvent l'être en quelques minutes et sans trop en suer. Alors que construire au diapason des autres... elle secoue la tête et ferme ses traits qui sont devenus aussi glacials que la bise. Non Pivoine, ne sois pas si stupide, c'est bien trop fatiguant.

Elle part... maintenant... avant l'irrémédiable... elle part sans laisser d'adresse.... partir pour mieux revenir ?
Peut-être...
Les gantelets de Zalina ont été abandonnés sur sa couche.... mais le manteau rouge des Capitaines est toujours sur ses épaules...
Elle s'en remet ce soir et pour les jours à venir au vent...

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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
L'esprit frappeur
[Portes du Paradis]

Des années qu’il la surveille… Des années qu’il scrute le moindre de ses gestes… Des années qu’il peste au fond de lui-même d’être tombé si tôt sur les routes enneigées du Maine… Des années qu’il s’était promis de venir la voir… Et il ne l’avait fait qu’une seule fois… Le jour où il avait accueillit sa femme auprès de lui… La seule fois où elle avait pu sentir sa présence… Il le savait, elle en avait besoin… Mais il s’était dit qu’il avait tout le temps devant lui, voir même toute l’éternité… Mais il ne pouvait attendre plus longtemps… Il entendais d’en haut le bruit dans sa chambre à Ryes… Il savait ce qu’elle projetait…

Une lumière l’éclaire du haut de son nuage… Les portes d’or du paradis derrière lui, où Saint Pierre l’avait nommé responsable des entrées… Videur était plus le terme approprié… Mais on ne discutait pas la parole d’un supérieur… La lumière s’intensifie… Un éclair brillant suit… Puis plus rien… Le nuage vide… Plus personne… Pas un mot…


[Haut des remparts de Ryes]

Nouvelle lumière éblouissante… Et le revoilà… Ryes… Combien de temps n’avait-il pas foulé cette terre… Si tant bien est que l’on pouvait dire qu’il foulait la terre, puisqu’il n’était qu’esprit… Que personne ne pouvait le voir… Que lui seul pouvait décider de qui sentirais sa présence… Il regarde dans la cours… Hadès… Son shire… Encore en vie… Léger sourire de l’esprit… Lui qui pensait que cette vieille carne aurait rejoint le Valhalla des équidés… Il se trompait largement… Visiblement le canasson était encore assez en forme pour une longue ballade… Il avait bien fait de lui confier cette bête… Elle en prend le plus grand soin…

Mais les voilà qu’ils s’éloignent… Geste de la main en direction du lointain où se trouvent désormais les deux compères… Suivit d’une injonction dans l’air glacée Normande…

Arrête-toi…

Le cheval stoppe net… Humant l’air de ses naseaux fumant… Tournant la tête vers la forteresse… Devant le spectacle de son cheval fumant ainsi, il se souvenait désormais comment il avait pu le nommer ainsi… Nouveau sourire… Nouvelle lumière… Nouveau flash… Il disparaît, pour réapparaître à leurs cotés… Le cheval s’ébroue… Il passe la main sur son chanfrein… Ce qui semble visiblement l’apaiser… Il lui manquait aussi… Il n’avait jamais songé qu’Hadès pouvait ressentir ainsi sa disparition… Nouveau souffle glacé…

L’herbe…

Et le voilà parti pour brouter, paisiblement… La cavalière semble désemparée devant l’attitude du cheval… L’esprit s’approche d’elle… Il la fixe…Longuement… De ses yeux azurs désormais éteint à jamais…

Comme je te comprends…

Ne sachant si elle a su le ressentir, il s’élève dans les airs… S’approche de son visage… Passe sa main dans sa chevelure de feu… L’observe encore et toujours…Comme si jamais ils n’avaient été séparés...

Mon ange…

Cette fois elle l’entendrait… Tel en avait-il décidé… Elle n’avait pas le choix… Même si elle s’était bouchée les oreilles, ce son serait venu du fond de ses entrailles… A jamais ancré en elle… Son baiser viens se déposé sur son front…

Ne t’en fait pas pour eux… Ils changeront… De gré ou de force… Ils changeront…

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"Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants."
Chateaubriand
Cerridween
Hadès vient de s'arrêter net.

Elle a encaissé le choc comme elle a pu, surprise de ce refus qui est naturellement impensable pour une monture si douce et si serviable. De peu, elle a réussi à ne pas passer par dessus la grande encolure. Le souffle coupé, l'esprit réveillé par un coup d'adrénaline, elle cherche une explication... danger ? Obstacle dans la pénombre ? Pourtant rien n'indique cela... le grand shire n'est pas nerveux. Il n'est pas tendu... bien au contraire. Il regarde Ryes, la tête tournée, les oreilles droites, attiré par quelque chose que la Pivoine ne voit pas, ne comprend pas...
Un coup de talon...
Une pression sur les rênes...
Rien...
La gigantesque monture s'est faite mule et refuse d'obéir aux ordres auxquels d'habitude il semblait se plier sans ciller, ni renâcler. Les sourcils de la Capitaine se froncent quand la tête revient vers l'avant et qu'elle se penche un peu... Diantre même toi... même toi...
Et quand les rênes s'arrachent de ses mains gantées de cuir, la colère l'envahit. Une colère sourde et violente... fruit de ses entrailles et de longs mois de fatigue, de frustration, de cris retenus pour ne pas rentrer dans la danse de la discorde... les poings se serrent, les phalanges se tordent à s'en rompre et la main se lève...

Comme je te comprends…

Son cœur vient de s'arrêter...
Son coeur vient de se rompre...
La main reste en l'air un instant, pétrifiée. Le souffle retenu, coupé, taillé meurtri qui s'échappe en volutes de fumées irrégulières et saccadées dans le froid du soir. La tête se secoue une fois, par un long frisson qui lui a parcouru la colonne vertébrale.
Non...
Elle a mal entendu... elle a mal entendu ce murmure tenu, cette voix... elle n'est que le reflet, le reflet de ce manque, ce manque, cette drogue disparue depuis longtemps. Elle n'est qu'un souvenir, un avatar, un songe, un mirage, une envie qui arrive, qui passe... elle n'est rien que le fruit de son imagination... elle n'a pas dormi depuis longtemps, elle est fatiguée, la Pivoine qui s'effeuille de son envie de vivre, de continuer à se battre pour ceux qui sont censé être sa famille choisie... ce doit être cela... juste l'écho de ce temps, cet âge d'or de sa vie, qu'elle voudrait retrouver, où elle voudrait s'enfouir, comme on s'enfouit sous une couette les soirs d'orages, dans ce coton douillet où on sait que rien n'arrivera. Cet espace qui était celui de ses bras... qui est mort à jamais et qu'elle ne retrouve plus, même dans ceux qui ont juré plusieurs fois qu'ils seraient là pour elle maintenant...

Mon ange…

Les larmes sont montées d'elles même...
Elles coulent sans bruit sur le visage rougi par la bise glaciale. Elles roulent doucement, traçant un sillon froid. Non... non... ce ne se peut... cela ne se peut pas... ces mots... elle est en train de devenir folle. Oui. Les yeux cherchent, déments, une explication. Rationnelle, réelle. Ils ne rencontrent que le sombre, la forêt alentour et ses ombres. Elle est en train de perdre la raison pour entendre ce qu'elle entend. Ce ton... ce ton rocailleux et pourtant tendre, qui se mêle au souffle du vent... il n'appartient qu'à un seul, un seul qu'elle reconnaitrait entre mille. Un seul qui a été tout, un seul pour qui elle aurait été rien et encore moins s'il avait fallu le suivre. Un seul qui est mort dans ses bras, pendant que son cœur mourrait avec son dernier soupir de ses lèvres souriantes, accompagné de ces mots... Elle sent qu'elle bascule, qu'elle tangue vers un état second... et les larmes deviennent sanglots quand le vent effleure son front, ressemblant à un de ses baisers... elle hoquette en fermant les yeux... non... arrête, mon cœur, arrête ma raison de vouloir fuir dans ce qui serait le paradis sur terre... sors d'ici, sors de moi... tu n'es qu'un souvenir, un souvenir, douloureux, tellement douloureux de n'être que cela...

Ne t’en fait pas pour eux… Ils changeront… De gré ou de force… Ils changeront…


Raphaël...


Elle a à peine articuler.... le murmure s'est perdu quelque part pendant qu'elle rouvre les yeux, émeraudes perdues, claires de larmes.
Il est là...
Elle n'aurait jamais pu le concevoir, elle n'aurait jamais pu le croire si on le lui avait dit. Elle n'aurait jamais pu le penser. Mais là dans son ventre, dans son coeur, une minuscule cendre vient de rougeoyer sous la caresse des mots et des lèvres vespérales. Sa peau s'est hérissée, son coeur hurle, son ventre se serre... elle veut le toucher. Elle veut le voir. Elle veut se faufiler contre lui, sentir son odeur, sa peau. Elle veut chercher le bleu de ce ciel qui lui manque dans les azurs froids de ses yeux. Elle veut pouvoir se fondre dans l'espace immense de ses bras. Elle veut pouvoir de nouveau être apaisée...

Sa main se tend vers l'avant, ouverte, désespérée, dérisoire à la recherche de ce frère qui ne peut être là... elle reste longtemps là, à n'accueillir que le vide, ce néant implacable.


J'ai failli...

Ses doigts se referment lentement sur le vent qui continue à souffler inexorablement... les yeux perdus vers un ailleurs qu'elle aimerait retrouver plus que jamais... elle redevient la petite écuyère qui a ramené son corps à Beaumont, qui se mordait les joues pour ne pas hurler, pour ne pas tirer sa dague et se la planter dans le cœur ou s'ouvrir la gorge. Le retrouver... en finir... oui... oui... en finir... partir le rejoindre dans ce monde où il l'attend. Être enfin entière, retrouver cette part d'elle qui est partie à jamais. Être en paix.

J'ai failli... Raphaël...

Les larmes continuent à couler lentement pendant qu'elle cherche toujours une ombre qui ressemble à lui... les mots sortent, décharnés, difficiles, au compte goutte, entre les sanglots et la respiration qui se fractionne au flux et reflux des sanglots étouffés.

Je n'ai pas été assez forte... l'ordre va mourir... ils ne comprennent pas... ils ne comprennent rien.... ils ne voient rien... nous nous battons tous les jours pour rester indépendants, en tant que vassaux du Roy pour pouvoir honorer nos serments et être un conseil juste et impartial comme nous le devons... et eux, ils se battent comme des chiffonniers... comme des moins que rien...

Elle a mal... de cette douleur intense teintée de folie qui lui noue la gorge, qui lui étouffe le coeur... il semble si proche, si proche... et il est inaccessible... sa main tombe sur son épée et elle serre le pommeau aussi fort qu'elle serre les dents, à s'en exploser la mâchoire pour ne pas hurler...

J'ai failli... comme pour toi... je voulais... j'ai couru Raphaël... j'ai essayé... j'ai failli... je ne t'ai pas... pardonne moi...

Elle s'affaisse sur la selle, tordu de peine et de douleur. Les derniers sortent... murmure... prière... supplique...

Laisse moi te rejoindre... relève moi de mon serment... laisse moi devenir libre... je n'ai plus rien de bon à faire ici...

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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
L'esprit frappeur
[Mise en place du 45 tours pour la *bande sonore… Regard du Metteur en Scène vers la porte du studio du Compositeur…. Tambourinage de cette dernière…* STEVEEEEEEEEEEEEEN ! * …La porte s’ouvre avec fracas… * Tu veux défoncer ma porte ou quoi ?!? * Réponse du Metteur en scène…* Change moi cette musique de merde, je t’ai dit du laconisme, pas de l’alcoolisme ! * Départ d’une nouvelle chanson…*]


Il la regarde faire… Toujours aussi étonné de voir les vivants réagir aussi facilement aux morts… Alors que l’inverse était bien plus difficile…. Il l’écoute, le sourire aux lèvres… Il ne la comprend que trop bien… Il avait lui-même vécu la même chose de son vivant, et de nombreuses fois, au sein de l’ordre… Au sein de conseils comtaux ou ducaux... Au sein même du Royaume… Et à chaque fois il avait tenu bon… Explosant de colère quand il el fallait… Distribuant torgnole lorsqu’il le pouvait… Coup de tête lorsque les problèmes étaient a portée… Il était resté fidèle à lui-même… Il était resté un De Vergy… Infaillible…Chose que visiblement sa jeune sœur se reprochait…

Il la regarde tendre la main dans le vide… S’en saisit…ou du moins tente… Puisque les contacts Esprit-Humain sont impossibles… Mais par ce contact, il finit par ressentir tout ce qu’elle ressent… Son cœur se remet à battre… Redevenant vie à son corps… Une deuxième vie… Comme il en rêvait… Comme il espérait que le très haut lui laisse une deuxième chance sur cette terre…. Comme il aurait voulu revenir pour s’occuper d’eux…


J'ai failli... comme pour toi... je voulais... j'ai couru Raphaël... j'ai essayé... j'ai failli... je ne t'ai pas... pardonne moi...

Un bruit sourd se fait entendre… Il relève subitement la tête comme éveiller de songe qu’il ne peux faire…

Laisse moi te rejoindre... relève moi de mon serment... laisse moi devenir libre... je n'ai plus rien de bon à faire ici...

Froncement de sourcil… Il s’approche à nouveau d’elle…

Jamais tu n’as failli… Jamais… Si tel était le cas je te l’aurait dit… N’oublie pas que je suis toujours près de toi… Que je fais partie intégrante de ton âme… Que nous ne sommes désormais qu’une seule et même personne…

Comme pour prouver ses dires, il l’enlace de ses bras froids… Colle son front au sien… L’imprègne de tous ses souvenirs… Heureux, comme malheureux… L’image de son visage souriant…. L’image de Carcassonne… L’image de Léard… Des images apaisantes…

Jamais je ne te relèverais de ton serment… Pas tant que tu seras de ce monde… Beaucoup on encore besoin de toi… Guilhem à besoin de toi… Bien plus que tu ne peux le penser… Te voir disparaître serait sa perte… Ne le laisse pas comme je l’ai fait avec toi… Ne lui fait pas subir ce que je t’ai fait subir… Parce que je m’en veux… Je m’en veux de te voir souffrir depuis le jour de mon départ…

Le silence se fait durant quelques secondes… Les yeux de l’esprit s’embrument… La vie était revenue dans son corps certes…mais avec elle était aussi revenus les sentiments humains… La joie…L’amour… La tristesse… Et cette dernière régnait désormais en maître dans son esprit depuis qu’il se rendait réellement compte du temps qui était passé depuis sa disparition… Les larmes coulent… Jamais il ne s’était cru capable de pleurer dans l’autre monde… Tout le monde lui avait confirmé qu’un mort ne peut plus rire ni pleurer… Qu’un mort ne possède plus de morale… Qu’il n’est plus juge du bon ou du mal… Mais lui en était capable… Erreur du Paradis qu’il était… Les larmes coulaient réellement…

Tu me manques… J’aimerais te voir à mes cotés… Nous voir réunis pour toujours et à jamais… Mais ce n’est pas ton heure… Nous devront attendre encore avant de pouvoir revivre ensemble…

Ses yeux fixent les siens… Sa bouche se rapproche lentement des lèvres de la rousse et y dépose un léger baiser… Plein de tendresse comme il le faisait en cachette à Carcassonne… Un baiser d’amour entre frère et sœur comme il aimait à l’appeler…

N’abandonne pas… Retourne à Ryes… Peut-être pas maintenant… Mais retourne y aussitôt que tu te seras remise… Et affronte les… Réagit comme je l’aurais fait… Lorsque la colère t’emporte, laisse la éclater… Lorsque la joie t’emporte, laisse la t’inonder… Lorsque la tristesse arrive, remémore toi les bons moments du passé… remémore toi Carcassonne… des premiers jours où je t’avais appris le maniement du bâton… De nos nuits sous les pommiers à observer les étoiles dans le silence… De notre jeunesse presque insouciante… De tout ce qui à pu te rendre heureuse lorsque j’étais là… Rappel toi de tout cela, et tu verra que tout te semblera plus facile à affronter…

Les larmes continuaient à couler… Il ne pouvait les stopper devant les images qui défilaient devant ses yeux incrédules… Comment avait-il oublié tout cela depuis qu’il était là-haut ? Il avait honte de lui… Il aurait voulu mourir une deuxième fois pour une tel chose… Pour un tel manque de respect envers elle…Ses souvenirs remontaient tous en surface… Beaucoup trop affluaient… Il se sentait emporté par tout cela… Il se souvenait de tout…

Quand je n’allais pas bien… c’était toi que je voyais… Tes yeux… Ta chevelure… Rien que cela me redonnait du courage… C’est grâce à toi que j’ai survécu sur les remparts d’Angers… Grâce à toi mon ange…

Certes il le savait, Guillaume avait été avec lui pour combattre, mais si les souvenirs de sa sœur n’avait pas hanté ses souvenirs lors de cette bataille, il serait tombé… Elle lui avait donné la rage de vaincre… La rage de vivre… Rien que pour la revoir… Rien que pour à nouveau pouvoir la serrer dans ses bras…

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"Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants."
Chateaubriand
Cerridween
Elle tremble...

De douleur... de peine...
Elle tremble entre deux sanglots retenus. La main agrippe toujours la poignée de Miséricorde comme pour la broyer. Miséricorde... la bien nommée. Elle voudrait le hurler ce mot... elle s'y cramponne comme les condamnés s'accrochent aux anneaux de salut des églises. Elle voudrait le hurler pour y avoir droit. Avoir droit au repos, à l'ailleurs, au seul bonheur qui lui semble valable ce soir, le seul et l'unique. Pouvoir le retrouver. Et qu'importe s'il faut passer dans l'autre monde, quitter celui-ci. Ce serait si simple... si simple... la lame crisserait contre le fourreau, la lune se reflèterait sur la lame quand elle monterait vers sa gorge et la Pivoine redeviendrait pourpre, pourpre de sang. Elle redeviendrait celle qui n'avait rien sur les épaules que du rouge éclatant, celle qui n'avait pas dans les yeux cet éclair de mélancolie que les petits garçons de sept ans peuvent voir au fond des tavernes. Sur ces lèvres, il y aurait le sourire entier qu'elle offrait au joyau du Languedoc et aux yeux d'aciers qu'elle ne peut plus voir...

Elle tremble...
Alors que la pluie commence doucement à tomber...
Les chaines qui la lie au monde des vivants en feraient une symphonie de métal si elles étaient matérielles. Elle tremble d'impuissance, de passion, d'amour et de regrets. Les mots entrent dans sa chair, s'y insinuent jusque dans ses os... elle a fait un serment, il y a longtemps à ce frère. Celui de rester en vie pour s'occuper de sa mesnie. Même si elle a rendu ses terres à sa femme, elle n'en reste pas moins viscéralement attachée, par ces liens invisibles et charnels à ces mots qu'elle a prononcé à Beaumont. Il refuse... et il la jette dans l'abime une nouvelle fois. Implacablement ses devoirs lui reviennent en mémoire. Elle n'a pas fini... mais comment lui dire à ce maitre absolu de sa vie, qu'elle est sans ressource devant sa famille. Devant son fils qui n'a pas écouté ses enseignements... devant le cadet qui exècre l'aîné, devant sa jumelle qui sera bientôt mariée sans qu'elle puisse faire autre chose qu'être la malheureuse spectatrice de la scène, puisque tel en a décidé sa défunte mère. Comment lui dire qu'elle n'a pas plus de pouvoir que celui d'être là et de regarder...
Dans sa gorge une barrière, d'acier et de remords mêlés, soudés par les émotions et un chagrin immense. Elle veut lui demander grâce... lui de nouveau de la laisser partir. Parce qu'elle ne sera jamais là pour sa fille, sa petite brunette qu'elle a laissé partir loin. Parce qu'elle est mangée par sa charge à petit feu et qu'elle n'aura jamais le temps d'aller la rejoindre. Elle se refuse toujours à l'élever dans les murs froids d'une caserne, voulant lui laisser le choix qu'elle n'a jamais eu. Laïs... le simple prénom fait se lever une nouvelle marée, qui écoule ses eaux salées sur la peau diaphane. Elle n'a plus la force... elle n'a plus la force ni pour les querelles ni pour les serments... elle qui a usé ses mains sur les épées, ses yeux sur les parchemins et ses bottes sur les routes. Elle qui n'a eu pour elle qu'un temps infiniment court. Des jours... des mois peut-être en cherchant bien...

Et il est là lui... avec la promesse d'un Éden inaccessible encore....toujours... Cet espace sans larme, sans heurt, sans poids, ce jardin secret qui sur terre s'est fané et qui est né de ses cendres dans l'au-delà. Il est là et passent, tous les moments heureux, comme autant de poignards, de douleurs exquises, devant les émeraudes submergées. Les soirées à la Rose des vents... les murs rouges... le petit jardin où un bout de choux faisait ses premiers pas... Léard... le sourire mélancolique d'un géant aux cheveux blonds... les flèches qui se plantaient dans les cibles qu'elle cachait pour ne pas subir son courroux.... les entrainements dans la cour, où le fracas du fer résonnait sans conséquence... les soirées bercées par le crépitement des flammes et la voix rauque et douce derrière elle, protégée par ses bras... les courses poursuites d'enfants pendant qu'ils devisaient à l'ombre des pommiers qui paraient de blanc le sol... l'été... les moissons... les chevauchés au loin, sans but, sans peine... Elle suit le fil des paroles, pétrifiée, entre la douceur d'un paradis et la morsure d'un enfer. Entre deux eaux, elle est là, la Pivoine, entre ce but avoué et ce passé qu'elle porte dans son ventre, contre sa peau... condamnée à errer dans les limbes, avec le fardeau qui est le sien... Sisyphe aurait mieux réussi ce qu'il lui demande... elle n'aura jamais fini, non, jamais...

Lorsque la dernière phrase vient effleurer son oreille, elle éclate... cette peine, cette colère désespérée... un hurlement s'échappe, vibrant, écho d'un autre dans une forêt recouverte de neige et de l'orage qui vient d'éclater. Un cri de rage, de douleur. Celui qui transporte tout ce qu'elle voudrait lui dire. Celui qui avoue son détresse d'être si près, si près et si loin... de ne pouvoir un instant, rien qu'un instant, une seconde, infime se blottir contre lui... la détresse de ne pouvoir faire qu'un... le manque... le manque... qu'elle a en elle depuis qu'elle a perdu la moitié d'un cœur... l'absence... la difficulté de mettre un pied devant l'autre quand tout l'univers semble vouloir l'en empêcher... l'aveu qu'elle n'est plus rien sans cette étincelle, qui faisaient briller les pépites d'or qui dorment dans ses sinoples.

Elle reste là, haletante, les yeux exorbités, le souffle brisé, les muscles contractés à s'en rompre...
Hadès n'a pas bronché. Puis lentement il se dirige seul sous un grand chêne, alors que la pluie redouble de violence, d'un pas lent et lourd. Elle n'est plus en état de l'arrêter, ni d'entraver sa marche... elle reste un long moment immobile, statue de sel sur le grand destrier.
Puis lentement elle se laisse tomber au bas du shire et se pelotonne entre les racines... les bras autour des genoux, la tête posée. Les yeux rougis, fiévreux, elle sourit. D'un pauvre sourire las et faible, à peine dessiné. Elle baisse les armes. Elle se laisse aller sous la lourde cape.


J'ai pensé à toi... tous les jours que j'ai vécu... tout les jours où j'ai survécu...

La voix cassée n'est qu'un fil d'araignée qui menace de se rompre au moindre souffle.

J'aurai aimé que tu sois là si souvent... comment veux-tu que je vive dans un monde où tu n'es plus...

Les larmes se tarissent inexorablement, lentement.... les traits de son visage sont figés dans une crispation qui révèlent le début des rides, la cicatrice à sa tempe, la douleur qui la tient.

J'ai tout fait... j'ai calmé... j'ai tempéré... j'ai hurlé... j'ai menacé... malgré cela, tout s'échappe... j'ai essayé Raphaël... je suis si fatiguée...

Ses bras enserrent ses propres épaules comme au temps où il était là. Ses doigts caressent doucement, sur le tissu rouge, l'avatar de ses doigts, qui s'y plaçaient jadis...

Je n'ai plus la force... pardonne moi... je n'ai plus la force de me battre... surtout contre ceux qui doivent être les miens...

Le paysage disparaît petit à petit... elle ne sent plus le froid de l'hiver qui s'annonce à travers le vent... les gouttes d'eau ne tintent plus que partiellement à ses oreilles... elle se laisse couler lentement... ses phalanges agrippent la laine rouge de la cape comme si elle pouvait le retenir...

Emmène moi... je t'en supplie Raphaël... ne me laisse pas... je n'ai nulle part où aller... qu'avec toi...

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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
L'esprit frappeur
L’esprit ferme les yeux à l’entente du cri… Laisse donc échapper toute cette colère de ton âme… Tu t’en sentiras mieux… Il désigne à son cheval le grand chêne près d’eux… La pluie continuant à s’abattre sur eux, résultat des larmes qui ne cessent de couler le long des joues de l’ancien Commandeur de la forteresse… Il laisse faire sa jeune sœur… La laisse se pelotonner entre les immenses racines… Tel qu’il l’avait vu faire des centaines de fois dans sa jeunesse… A chacun de ses chagrins il l’avait retrouvé ainsi dans le verger de Carcassonne… A chacune des annonces qui allait bouleverser sa vie… Comme le fait qu’il devait partir en guerre… Qu’il devait traverser le royaume sans elle… Qu’il devait rejoindre un autre Comté, où lui était promis le poste suprême… Elle n’avait jamais compris à chaque fois le but de toutes ces choses… Il n’avait fait cela que pour la protéger… Que pour mieux l’avoir à ses cotés… Sitôt son fief de retraite reçu, il lui avait fait don de terres à côté des siennes… Il lui avait donné tout ce qu’il avait pu… Sans jamais réussir à la consoler à chacun de ses départs… Mais maintenant il devait réussir…. Sa survie en dépendait… Il le savait… Elle ne jetait jamais des propos en l’air, sans avoir mûrement réfléchit des conséquences…

Il s’accroupit devant elle… L’écoute…. L’eau salé coulant toujours le long de ses joues… Impossible à retenir… A chacun de ses phrases, sa main devient de plus en plus pressante dans la chevelure de feu… Ses cheveux et sa barbe hirsute qui était désormais entièrement aux couleurs de la neige qui l’avait vue tomber, reprenait peu à peu la couleur de la vie, la blondeur de sa jeunesse… Ses yeux blancs, tels ceux d’un aveugle, redevenaient d’un bleu acier… Ses cicatrices, réapparaissaient… Celle du visage revenant le défigurer du front au bas de la mâchoire… Il avait prier de nombreuses fois le très haut de lui laisser une dernière fois le droit d’apparaître à le vue de ceux à qui il tenait… A chaque fois il avait refuser, prétextant que ces derniers n’en avait point besoin… Mais visiblement, il venait de changer d’avis… Ses mains devenaient moins transparentes… Il regarde vers les cieux…. Les larmes coulant le long de ses joues venant maintenant se heurter au sol… Mêlées à la pluie… Regard remerciant vers le très haut…. Une dernière chance… Elle ne pourrait pas le toucher… Mais pourrait au moins le voir…

D’un geste, il force Cerridween à relever sa tête, sa même la toucher… Il se parait de son sourire qu’elle avait été l’une des rares à voir…Ce sourire tendre… Ce sourire qui calmait….

Je n’ai pas à te pardonner… Tu n’as commis aucune erreur, si ce n’est de baisser les bras… Mais là n’est pas ta faute… Il s’agit de la faute de tous ceux qui t’y ont poussé… Alors cesse de te tourmenter… Tu es chevalier de l’ordre, aucun d’entre eux ne peux prétendre t’arriver à la cheville… Comme de mon temps aucun n’arrivait à la mienne… Matte les, tel que tu le ferais avec un cheval récalcitrant aux ordres… Bats-les autant qu’il t’en fera plaisir…. Mais surtout ne laisse pas ronger par leurs bêtises… Tu es au dessus de tout cela… Capitaine…

Chose bizarre pour lui que d’appeler sa jeune sœur d’un grade qu’il n’avait jamais pu obtenir… Et qui aurait pu être sien si il n’était pas tomber… Il aurait même pu diriger l’ordre si il avait connu le futur de son ami Guillaume… Mais de toute façon cela ne lui servait à rien de continuer à repasser cette histoire en boucle dans sa tête… Il était mort…Il ne pouvait plus rien pour eux…. A part pour elle… Il tente de part sa respiration lente de la calmer…

Je ne t’emmènerais pas maintenant… Tu as encore à accomplir ici… Je connais le jour où tu tomberas… Tout est déjà marqué là-haut… Et je puis te dire que ce n’est pas ce jour d’hui… Et lorsque ce jour viendra… Tu le sauras…. Tu me verras… Et tu pourras me toucher…

Il passe sa main dans la chevelure de feu de la rousse… Toujours le même sourire aux lèvres accompagnées de ce torrent de larme qui ne semble pas vouloir se tarir…

Alors cesse de pleurer… Je ne le mérite pas… C’est moi qui t’ai abandonné, et non toi qui as faillis… Evince cette idée de ton esprit… Et n’oublie pas ce que je t’ai déjà dit…. Je fais partie intégrante de toi… Je suis ta main armée… Je suis ton esprit… Je suis ton cœur…

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"Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants."
Chateaubriand
Cerridween
Elle relève la tête lentement comme portée par une main invisible...

Les yeux voilés s'ouvrent doucement sur le monde d'eau qui sonnent de cristal sur les feuilles, le sol et les flaques qui s'étendent...
Là devant elle... il y a une silhouette diaphane. Il y a un visage si connu... les sinoples un instant restent incrédules. Elle ne peut rien espérer de la vie. Elle ne peut espérer un si grand cadeau. Elle n'a à cet instant que la folie d'un chagrin immense qui la fait parler seule dans une forêt endormie. Elle n'a qu'un corps perclus qui n'a juste un peu plus de force et de courage que sa tête qui semble avoir ouvert les portes d'un autre monde où elle aimerait se plonger.

Lentement elle prend conscience... elle prend conscience des gouttes qui soulignent les lignes qui apparaissent et deviennent de plus en plus précises. Elle voit le corps accroupi là, ce corps immense qui l'a accompagnée, secourue, bercée. Elle voit le visage qui a hanté ses rêves... celui dont elle aurait aimé toujours se rappeler. Pas le visage froid et bleui, pas celui qu'elle croisait lorsqu'en boitant, le visage marqué d'un masque de boue et de sang elle l'avait ramené pour qu'on l'enterre. Celui de la fin, du néant qui s'ouvrait, de l'absence... Elle revoyait son frère comme elle l'avait toujours connu, comme elle voulait toujours le connaître. Cette blondeur d'été, de blé et de moissons nourricière, cette crinière, de ce lion dont le visage était marqué par les combats et les épreuves. Les deux yeux aciers qui la regardent, ceux d'eau mouvante qui se coloraient comme un ciel, selon les humeurs et le temps. Ces yeux avaient été deux phares pour elle, des étendards... les plus secrets qu'elle ait eu mais qui flottaient toujours sur ses songes et ce qui lui restait de coeur. Et ce sourire... ce sourire qui l'avait accompagnée jusqu'à la fin.

Il l'a toujours eu... et il efface lentement pendant que les contours deviennent plus précis et plus réels, le souvenir atroce qui la hante encore et qui s'y associe. Celui de ce jour de janvier. Et pour une fois, pendant qu'il apparaît sur le visage éphémère, il n'y a plus de neige autour, plus de sang, plus de hurlement. La hache ne scintille pas, elle ne se lève plus sur le grand dos offert. Aucune flèche ne vient siffler à part celle du vent. Elle n'a plus mal, elle n'a plus mal à ces deux cicatrices les premières, l'une à la cuisse, l'autre au flanc. Elle n'entend plus le râle et les souffles rauques des mourants. Elle ne sent pas la haine qui monte... non... seules les larmes viennent quand elle croise son visage et son regard. Elles répondent à l'eau qui s'épent sur les joues pour se perdre dans la barbe blonde. Comme si les azurs en avaient trop retenu de son vivant.

Il est là... son frère... ce n'est plus un souffle... ce n'est plus une voix... c'est celui qu'elle a rencontré et qui a regardé bizarrement le pendentif qu'elle avait autour du cou. Celui qui n'a pas posé de questions, qui n'a pas renié l'évidence. Celui qui a tendu la main et prit la sienne pour lui faire une place dans son monde. Celui qui a donné jusqu'à sa vie pour qu'elle garde la sienne. Et elle qui cherche à la perdre pour le retrouver. L'ironie du destin est parfois cruelle. Elle a ouvert la bouche pour essayer de parler. Mais non... elle se contente de regarder. Comme une affamée devant un bout de pain qu'elle verrait pour la première fois depuis longtemps. Elle le regarde comme s'il allait s'évanouir d'une minute à l'autre, pour marquer au fer rouge sur sa rétine cette apparition qui ne devrait pas être.

Tu es au dessus de tout cela… Capitaine…

Elle se rappelle les leçons... elle se rappelle les leçons d'escrime et la fois où épuisée elle n'arrivait plus à lever son épée. Elle l'avait laissée tomber au sol. Il l'avait regardé d'un regard froid. « Tu es Vergy et un Vergy ne se rend pas... si tu ne peux pas la lever, lève donc tes poings... et affronte moi... ce n'est pas elle qui te sauvera, c'est ta volonté... allez... ». Capitaine... comme il sonne bizarrement aux oreilles de la Pivoine ce mot, ce grade qu'elle regardait avant comme on regarde l'horizon au bout de la mer, ces horizon qu'on se dit ne jamais pouvoir atteindre. Son frère, son tout, lui avait été lieutenant commandeur. Lorsqu'elle l'était devenu elle-même, elle avait cru à une farce, une mauvaise farce. Alors Capitaine... Elle se rappelle des coups de poings sur la table, des coups de gueule de ce frère qui faisaient trembler les murs, de ses conseils, de ses coups de tête. Un léger sourire triste s'étire encore...

Je ne t’emmènerais pas maintenant… Tu as encore à accomplir ici… Je connais le jour où tu tomberas… Tout est déjà marqué là-haut… Et je puis te dire que ce n’est pas ce jour d’hui… Et lorsque ce jour viendra… Tu le sauras…. Tu me verras… Et tu pourras me toucher…


Un frisson vient de nouveau la secouer.
Attendre... encore... et la promesse de le revoir enfin. Et la main de Raphael se lève pour lui apporter une caresse sans toucher. Elle ferme les yeux. Elle est sûre de pouvoir la sentir. Elle est sûre de pouvoir... elle aimerait tant... l'espace d'un instant... elle sent les doigts sur sa chevelure, qui passe lentement. Elle se laisse aller, la tête lourde, contre cette main tendue, avatar du passé et qui rallume des sentiments qui n'ont jamais voulu sombrer.

Alors cesse de pleurer…


Demande trop dure à un coeur trop touché. Même si elle n'a plus de larmes à cet instant, la pluie goutte sur elle aussi en sillons disparates.

Et n’oublie pas ce que je t’ai déjà dit….


Lentement elle lève elle aussi sa main. Paume en avant, tremblante, elle cherche un contact qu'elle sait qu'elle n'aura jamais, à part ce jour qu'il lui a promit et qui reste encore futur. Raphaël avance lui aussi sa main. Il y a un espace infime entre les deux peaux... infime...


Valui... Valeo... Valebo... (1)

Elle a redit la devise qu'il portait. Un murmure, un souffle. La promesse de rester en vie avouée... simplement... à demi mot... cachée. Avant que la barrière s'ouvre un peu...

Je te promets...

Les sinoples contemplent les azurs offerts... elle promet en silence de relever la tête... une dernière fois. Elle promet de revenir après un court moment de repos dans un endroit connu d'elle seule et de lui puisqu'il la suivra encore de loin. Elle promet d'être à la hauteur du nom qu'il lui a donné. Encore... jusqu'à la rupture... celle qu'il connait et que même lui ne pourra empêcher.

Et déjà les traits deviennent flous... elle se mord la joue pour ne pas crier... sa main revient lentement se cacher sous le manteau pourpre. Elle le regarde partir avec un sourire triste, le coeur retourné...


Que vos aimi…Que mé mancatz…

Ses doigts se crispent lentement pour retenir le vide, le temps... dans un dernier espoir imbécile...

Ne l'oublie pas...


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(1)" J'ai valu, vaux et vaudrai", devise historique de la famille De Vergy. Le verbe valere peut aussi être traduit dans le sens d'"être fort"...

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Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
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