Cerridween
Elle est partie au galop...
Tout est en ordre derrière elle.
Tout est ordonné.
Au carré.
Rien ne dépasse.
Les plantes qui séchaient ont rejoint l'infirmerie. Le parfum diffus de printemps est le seul avatar de leur présence. Les draps et la lourde couverture doublée de fourrure gisent, carrés de tissus, sur le matelas. Les sacs de cuir pleins de parchemins sont rangés, tous soigneusement pendus aux crochets qui sont planté dans le grès des pierres apparentes, le seul décor de la chambre austère. Le coffre autrefois ouvert négligemment et plein de vêtements sombres jetés pelle-mêle, est maintenant fermé gardant dans ses entrailles un échantillon parfaitement rangés de ce qui pare l'ancienne maitre d'arme. Maintenant règne le silence. Le silence froid d'une chambre vide. Et qui hurle pourtant de tant de choses.
Ils ne verront rien. Pas tout de suite. Ils ne voient rien de toute façon... pas plus loin que le bout de leur nez et de leurs plates bandes qu'ils défendent bec et ongles. Ils ne verront pas la silhouette noire encapuchonnée sur le grand shire assorti à la nuit s'échapper dans l'ombre. Ils ne verront pas le visage fermé et les yeux cernés d'une dangereuse lueur bleutée autour des sinoples dont les pépites mordorées ne brillent plus depuis plus d'un mois. Ils ne verront pas les fontes pleines à craquer, de vêtements de rechanges, de vivres et d'une bourse d'écus, maigre pécule qu'elle a amassé avec sa charge. Ils ne verront rien...
Dans le cur, elle emporte tellement plus de choses que dans ces sacoches de cuir. Lourd, lourd à en crever ce cur qui n'a battu depuis des années que pour Ryes, ses pierres et surtout ses habitants, ces frères et surs d'armes... elle ricane. Elle en rit sur le shire qui apprécie de dérouiller ses vieilles jambes en avalant les chemins. Un rire rance, sardonique, qui se finit avec une pointe de désespoir profond dans la gorge. Frères et soeurs d'armes... dieu que c'est pompeux, quand elle les regarde, quand elle les entend. Ils n'en sont rien, ils n'en ont que le titre. Tout ce qu'elle redoutait, arrive, se déroule depuis ce mois sous ses yeux. Malgré les vociférations, les colères, les discutions... combien de nuits à écouter, à apaiser, à gérer... combien de lettres, combien de lignes, combien de mots... combien de fois, combien de temps, combien de jours... elle n'en peut plus... elle ne veut plus...
Ils sont licornes... ils ont un mantel oui, un joli petit mantel sur leurs épaules... ils ont une jolie épée à leur côté... mais après... après ? De ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a entendu, elle voit bien peu de choses. Elle ne remet pas en question le travail personnel, elle ne remet pas en cause les efforts de chacun non... et c'est bien là le problème. Ils ne savent pas travailler ensemble. Ils ne savent pas s'écouter. Ils ne savent pas se tempérer. Ils ne savent pas s'entendre. Ils ne savent pas attendre, comprendre. Ils ne savent pas respecter l'autre. Ils ne savent même pas la respecter... ils sont frères et soeurs d'armes ? Foutaises... ils sont individuellement licornes et cela s'arrête là... Combien de chicanes arbitrées ? Elle ne les comptent plus... elle ne compte plus les accusations, les prises de haut, les egos blessés, les emportements, les colères feu de paille, les hurlements, les sarcasmes, les cris, les débats stériles. Purs enfantillages quand on les regarde de loin, quand on prend le temps de prendre de la distance. La tempérance... la vertu cardinale des chevaliers que peu on en tête visiblement. Karyl n'en ferait pas autant du haut de ses sept printemps... plus mature que certains à n'en pas douter qui sont pourtant largement ses aînés.
Son dos lui fait mal... à force de chevauchées, de veillées à recevoir dans sa tente, dans son bureau, à lire les missives, à y répondre, à calmer, à arbitrer plus que rendre justice. Un temps incalculable passé à faire ce qui ne devrait pas être... les sabots répercutent tous les coups donnés le long de sa colonne vertébrale. Elle fera fie... mais elle ne peut pas passer outre ce sentiment de dégoût profond, viscéral, cette mélasse glauque et triste qui lui empare les membres, l'estomac, les poumons. Pour la première fois, pour la toute première fois, Ryes la révulse. Pour la toute première fois, elle ne se sent plus chez elle, elle ne se sent plus en famille. Elle qui a tout quitté, qui n'a que cette chambre qui s'éloigne derrière elle, pour seul bien, seule possession, qui a donné son sang, son temps, sa vie, un frère à ces lourdes pierres, elle ne peut plus y rester. Physiquement, elle ne peut plus. Elle ne veut plus aucun son strident parvenant à ses oreilles, elle ne veut plus voir de regards hautains devant ses prunelles, elle ne veut plus sentir les tensions si palpables qu'elles en deviennent insidieuses.
Ils ne savent pas... ils n'ont pas appris... à elle la faute surement. Ils n'ont pas appris cet esprit de corps, cet esprit chevillé au corps. Ils n'ont pas appris la fraternité, qui n'empêche pas les désaccords, mais qui empêche ce mépris et cet aveuglement. Ils ne savent pas débattre. Ils n'ont en tête apparemment que leur bien personnel, leur avancement, la reconnaissance de leur faits et gestes... elle qui a tout fait dans l'ombre, laissé peu de traces tant elle a servi « au nom de », écrit, agit, missionner pour les autres, elle ne comprend pas... et n'admettra jamais. Et puis il est si facile au fond de détruire... si facile.... un coup de pied, un revers de main... même des années, des dizaines d'années de travail peuvent l'être en quelques minutes et sans trop en suer. Alors que construire au diapason des autres... elle secoue la tête et ferme ses traits qui sont devenus aussi glacials que la bise. Non Pivoine, ne sois pas si stupide, c'est bien trop fatiguant.
Elle part... maintenant... avant l'irrémédiable... elle part sans laisser d'adresse.... partir pour mieux revenir ?
Peut-être...
Les gantelets de Zalina ont été abandonnés sur sa couche.... mais le manteau rouge des Capitaines est toujours sur ses épaules...
Elle s'en remet ce soir et pour les jours à venir au vent...
_________________
Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)
Tout est en ordre derrière elle.
Tout est ordonné.
Au carré.
Rien ne dépasse.
Les plantes qui séchaient ont rejoint l'infirmerie. Le parfum diffus de printemps est le seul avatar de leur présence. Les draps et la lourde couverture doublée de fourrure gisent, carrés de tissus, sur le matelas. Les sacs de cuir pleins de parchemins sont rangés, tous soigneusement pendus aux crochets qui sont planté dans le grès des pierres apparentes, le seul décor de la chambre austère. Le coffre autrefois ouvert négligemment et plein de vêtements sombres jetés pelle-mêle, est maintenant fermé gardant dans ses entrailles un échantillon parfaitement rangés de ce qui pare l'ancienne maitre d'arme. Maintenant règne le silence. Le silence froid d'une chambre vide. Et qui hurle pourtant de tant de choses.
Ils ne verront rien. Pas tout de suite. Ils ne voient rien de toute façon... pas plus loin que le bout de leur nez et de leurs plates bandes qu'ils défendent bec et ongles. Ils ne verront pas la silhouette noire encapuchonnée sur le grand shire assorti à la nuit s'échapper dans l'ombre. Ils ne verront pas le visage fermé et les yeux cernés d'une dangereuse lueur bleutée autour des sinoples dont les pépites mordorées ne brillent plus depuis plus d'un mois. Ils ne verront pas les fontes pleines à craquer, de vêtements de rechanges, de vivres et d'une bourse d'écus, maigre pécule qu'elle a amassé avec sa charge. Ils ne verront rien...
Dans le cur, elle emporte tellement plus de choses que dans ces sacoches de cuir. Lourd, lourd à en crever ce cur qui n'a battu depuis des années que pour Ryes, ses pierres et surtout ses habitants, ces frères et surs d'armes... elle ricane. Elle en rit sur le shire qui apprécie de dérouiller ses vieilles jambes en avalant les chemins. Un rire rance, sardonique, qui se finit avec une pointe de désespoir profond dans la gorge. Frères et soeurs d'armes... dieu que c'est pompeux, quand elle les regarde, quand elle les entend. Ils n'en sont rien, ils n'en ont que le titre. Tout ce qu'elle redoutait, arrive, se déroule depuis ce mois sous ses yeux. Malgré les vociférations, les colères, les discutions... combien de nuits à écouter, à apaiser, à gérer... combien de lettres, combien de lignes, combien de mots... combien de fois, combien de temps, combien de jours... elle n'en peut plus... elle ne veut plus...
Ils sont licornes... ils ont un mantel oui, un joli petit mantel sur leurs épaules... ils ont une jolie épée à leur côté... mais après... après ? De ce qu'elle a vu, de ce qu'elle a entendu, elle voit bien peu de choses. Elle ne remet pas en question le travail personnel, elle ne remet pas en cause les efforts de chacun non... et c'est bien là le problème. Ils ne savent pas travailler ensemble. Ils ne savent pas s'écouter. Ils ne savent pas se tempérer. Ils ne savent pas s'entendre. Ils ne savent pas attendre, comprendre. Ils ne savent pas respecter l'autre. Ils ne savent même pas la respecter... ils sont frères et soeurs d'armes ? Foutaises... ils sont individuellement licornes et cela s'arrête là... Combien de chicanes arbitrées ? Elle ne les comptent plus... elle ne compte plus les accusations, les prises de haut, les egos blessés, les emportements, les colères feu de paille, les hurlements, les sarcasmes, les cris, les débats stériles. Purs enfantillages quand on les regarde de loin, quand on prend le temps de prendre de la distance. La tempérance... la vertu cardinale des chevaliers que peu on en tête visiblement. Karyl n'en ferait pas autant du haut de ses sept printemps... plus mature que certains à n'en pas douter qui sont pourtant largement ses aînés.
Son dos lui fait mal... à force de chevauchées, de veillées à recevoir dans sa tente, dans son bureau, à lire les missives, à y répondre, à calmer, à arbitrer plus que rendre justice. Un temps incalculable passé à faire ce qui ne devrait pas être... les sabots répercutent tous les coups donnés le long de sa colonne vertébrale. Elle fera fie... mais elle ne peut pas passer outre ce sentiment de dégoût profond, viscéral, cette mélasse glauque et triste qui lui empare les membres, l'estomac, les poumons. Pour la première fois, pour la toute première fois, Ryes la révulse. Pour la toute première fois, elle ne se sent plus chez elle, elle ne se sent plus en famille. Elle qui a tout quitté, qui n'a que cette chambre qui s'éloigne derrière elle, pour seul bien, seule possession, qui a donné son sang, son temps, sa vie, un frère à ces lourdes pierres, elle ne peut plus y rester. Physiquement, elle ne peut plus. Elle ne veut plus aucun son strident parvenant à ses oreilles, elle ne veut plus voir de regards hautains devant ses prunelles, elle ne veut plus sentir les tensions si palpables qu'elles en deviennent insidieuses.
Ils ne savent pas... ils n'ont pas appris... à elle la faute surement. Ils n'ont pas appris cet esprit de corps, cet esprit chevillé au corps. Ils n'ont pas appris la fraternité, qui n'empêche pas les désaccords, mais qui empêche ce mépris et cet aveuglement. Ils ne savent pas débattre. Ils n'ont en tête apparemment que leur bien personnel, leur avancement, la reconnaissance de leur faits et gestes... elle qui a tout fait dans l'ombre, laissé peu de traces tant elle a servi « au nom de », écrit, agit, missionner pour les autres, elle ne comprend pas... et n'admettra jamais. Et puis il est si facile au fond de détruire... si facile.... un coup de pied, un revers de main... même des années, des dizaines d'années de travail peuvent l'être en quelques minutes et sans trop en suer. Alors que construire au diapason des autres... elle secoue la tête et ferme ses traits qui sont devenus aussi glacials que la bise. Non Pivoine, ne sois pas si stupide, c'est bien trop fatiguant.
Elle part... maintenant... avant l'irrémédiable... elle part sans laisser d'adresse.... partir pour mieux revenir ?
Peut-être...
Les gantelets de Zalina ont été abandonnés sur sa couche.... mais le manteau rouge des Capitaines est toujours sur ses épaules...
Elle s'en remet ce soir et pour les jours à venir au vent...
_________________
Cerridween de Vergy
"Pourquoi faire simple, quand on peut faire chier le monde" (Cerrid by Bralic)