A la tombée de la nuit, alors que le jour décline, de solitaires bruits de pas résonnent en la rue Saint-Antoine, pavée de boulets et de bonnes intentions.
Rien ne vient interrompre ou empêcher ce ressac incessant, répétitif, dont l'écho semble peu à peu s'épaissir, se rapprocher.
A mesure que ce bruit de fond se précise, usant la nuit qui débute de son érosion monotone, la fréquence de la marche se trouble, confuse. Tantôt mesurée, elle se fait rapide, puis hésitante. Le marcheur traine des pieds, avouant son indécision de ces quelques balbutiements et raclements de pavés. Il n'est guère plus à l'aise, ici et à ce jour, qu'un autre le serait en pleine nuit, perdu dans les méandres des ruelles de la Cour Affolante.
La Rue est large et sans dangers, pourtant. Elle est encore fréquentée, à cette heure. Non point de bruyantes et rassurantes échoppes, certes, mais quelques passants et hommes d'armes qui lui assurent sécurité et anonymat.
Que craint-il alors ?...
Les pas finissent par s'interrompre, stoppés nets dans leur course qui se faisait folle. Ils laissent place à une atmosphère lourde d'une gravité tacite, résultat d'un mal latent, d'une angoisse irrésistible.
Le marcheur, richement vêtu, s'affale contre la façade d'une imposante bâtisse de cette artère importante de Paris. Il a chancelé, hésité, manqué de tourner les talons pour s'évanouir dans la nature et quitter cette ville maudite. Mais il ne peut rien en faire, sa responsabilité et son honneur d'homme sont impliqués...
Alors il doit reprendre son souffle, qui s'est fait court et haletant à mesure qu'il approchait de son but, et avec ce dernier retrouver un peu de courage.
Il aspire, soupire. Son menton se redresse, son oeil unique cherche dans le ciel une aide quelconque, une réponse aux questions qui se bousculent à la porte de son esprit tourmenté, qui a bien du mal à demeurer close. Mais des Cieux ne vinrent aucune réponse, aucune assistance Divine. Dieu, qui semblait l'avoir abandonné il y a bien longtemps... Pourquoi s'obstinait-il à s'en remettre à lui, ce Tout-Puissant invisible ?
D'un geste ample des mains pour abaisser le capuchon de sa cape, il dévoile son visage, balafré. Son regard reste un instant encore rivé vers les Cieux qui se parsèment d'étoiles.
Puis il finit par s'en détacher, un élan de courage le sortant de sa torpeur méditative, angoissée. Tel un malmené qui se libère de la position foetus dans laquelle il était prostré et se lève pour affronter son bourreau, il reprend le marche vers cet Hostel où l'attend certainement celle qu'il désire voir à tout pris, mais que l'instinct lui dicte de fuir comme le plus grand des périls.
Quelques pas, encore, dans cette Rue 100 fois empruntée lorsqu'il officiait en la chapelle Saint-Antoine. La terreur s'empare de lui, à nouveau, mais il est trop tard pour reculer.
Alors dame Terreur fait place à sa cousine Adrénaline, et son regard étincelle de courage et de détermination. L'ivresse des quelques verres ingurgités juste avant ce rendez-vous obscur aidant, cet état second atteindra rapidement son paroxysme.
Tant mieux, pour entendre ce qu'elle voudra bien lui dire, pour formuler ses excuses pitoyables, mieux vaut être à peine conscient.
Son statut de Hérault n'a changé que depuis peu, alors on lui ouvre encore grandes les portes de l'Hostel, comme s'il était encore l'un des locataires des lieux. Il n'en est rien, mais il reste quelques huissiers qui l'ignorent.
Les caducées qu'il ne porte plus lui permettent d'ailleurs d'accéder aux parties les plus privées et confidentielles de l'Hostel, malgré le désaveux héraldique qui porte sur lui.
Le désormais simple Vicomte accède ainsi à l'étage des appartements, souriant d'amertume lorsqu'il aperçoit la porte fermée de celui qui fut le sien. Son appartement à Elle ne peut plus être très loin. Ses jambes se font plus lourdes, son visage se ferme, il ralentit, tâtonne presque. Devrait-il s'étonner que son coeur batte la chamade, à cet instant crucial, lui qui fut longtemps sans peur et sans reproche ?
Il n'en fait rien. Trop à sa lutte contre ces sentiments, ces sensations oppressantes. Il ne peut plus réfléchir.
La porte, close. Aucune lumière ne filtre de l'intérieur, mais il y devine une présence, dans cette obscurité qu'il affectionne tant pour la sécurité et le réconfort qu'elle lui apporte. Peut-être ont-ils au moins cela en commun...
Bonsoir, Nebisa...
Il a poussé la porte, au bout de quelques pesantes secondes d'hésitation. Toute indécision, toute terreur, toute angoisse a laissé place à l'adrénaline, à la détermination, à sa fierté et à la confiance inébranlable qu'il a en lui-même, et qui le pousse à être d'emblée sur la défensive, sans être agressif. Il est venu s'expliquer, point se faire humilier.
Et c'est ce qu'il veut faire entendre à ces deux prunelles étincelantes qui se sont rivées sur lui, à l'autre bout de la pièce. Carte sur table, et d'entrée de jeu.
Il faut que nous parlions.