Kékidi!
Elle dort. Elle dort, et il la regarde. Il sourirait presque, si l'on éclairait ses lèvres. Elle dormira longtemps. René sait lire la fatigue, le besoin. Il a vu que, plus que tout, elle avait un énorme besoin de sommeil. Il a répondu à l'appel, il a comblé son besoin. Maintenant, il la regarde dormir. Dans une autre vie, peut-être, il aurait pu... L'avait l'air bien fendante, et le René n'avait plus connu femme depuis... Suffit! Non, cette femme était réellement malsaine pour lui... Elle lui réveillait les pires souvenirs. Souvenirs qu'il avait tâché de mettre sous clé, et de ne jamais libérer. Est-ce sa présence? Sont-ce ses questions? Un livre ouvert fait sauter de façon déconcertante d'une page à une autre, et alors que l'on s'imaginait en train de lire la fin, on prend parfois conscience que ce sont les quelques mots du début que l'on a sous les yeux. C'était un peu ce qui était arrivé à René. La question de la rousse sur sa boîte à pharmacie avait ouvert le chapitre Castillon, où il l'avait reçue. Les circonstances l'entourant, les rencontres effectuées...
C'était voilà plusieurs années, avant qu'il ne rencontre la Licorne. C'était même à la suite de cela qu'il l'avait rencontrée, en fait, indirectement. Mais passons.
De Castillon, l'esprit avait poussé plus loin, plus profondément, bien au-delà de là où il aurait dû rester. Il s'était aventuré, une torche à la main, dans un marécage fangeux et putride, un cloaque immonde et détesté qui n'était autre que ses souvenirs d'enfance. Marécages emplis de monstres d'une horreur telle qu'il pouvait vomir à trop les approcher. Et est-ce un géant de 2 mètres, celui qui tient cette torche, qui s'aventure, de l'eau croupie jusqu'à la ceinture, des moustiques lui sautant à la face, emplissant le moindre de ses orifices, oreilles, nez, même les yeux s'ils l'avaient pu? Ou bien simplement un jeune garçon de quelques années, haut comme trois pommes?
Dans les dédales de ce marécage, René aussi avait touché un souvenir. Et un grand cri s'échappe de la bouche du jeune garçon, alors que le monstre se jette sur lui, avant que de l'engloutir...
Nuit. Sommeil. Couvertures chaudes, sur pieds gelés. Bruit de ronflements. Dortoir de moines. Bonheur du sommeil du juste. Et soudain...
Soudain...
Le contact. Un contact froid, presque visqueux. Est-ce un serpent? Est-ce une araignée, cette horreur qu'il sent remonter le long de sa jambe?
Froid. Les couvertures s'ôtent. Il ne se réveille pas encore. Il est couché sur le côté, la tête à même sa paillasse. Le froid remonte, incarné par un contact horrible, qui vient s'insinuer même au niveau de ses parties les plus intimes. Contact qui touche, qui tire.
Pas comme celui d'une femme, comme il le saurait dans quelques années, doux, tendre, câlin, presque... maternel.
Celui-ci est masculin, grossier, presque... Ivrogne. Odeur d'alcool. Odeur de souffle fétide. Ail. Fromage. Vin.
Vas-tu te retourner, René? Vas-tu prendre conscience de ce qui est au-dessus de toi? Vas-tu aller jusqu'au bout de l'horreur?
L'enfant s'éveille. Instinctivement, il se met sur le dos, serre les jambes. Et là...
Cri. Dans sa tête. Dans son être.
Retour.
René est là, à nouveau, face à une rousse endormie. Le début d'assoupissement qui commençait à le prendre s'est estompé. Il se redresse, les yeux perclus de fatigue, lui aussi. Il doit être près de 2 ou 3 heures du matin. Il n'a que peu dormi. Et ne dormira plus beaucoup, de toute façon.
Le cri, lui, était réel.
LAISSEZ MOI SORTIR! LAISSEZ MOI SORTIR! JE DOIS ALLER LES RETROUVER! LES SAUVER! ILS...ILS SONT EN DANGERS.
Par Pitié...
Par...Pitié...
...pitié...
Enervement. Bordel, qu'est ce que c'était que tout ça? Il était heureux, morbleu! Il ne se posait pas de questions! Quelle était cette sorcière qui lui retournait l'esprit, comme terre d'automne sous la charrue du laboureur? Enervement. Capediou, il va se le faire!
Gros heurt du poing sur la porte. Le son filtre, faiblement, à travers le bois, mais il a ressenti. Horreur. Peur. Désarroi. Misère. Il en est presque heureux, de cette larve dans la cellule. Inconsciemment, il a envie déjà de le tuer. Mais en fera-t-il quelque chose?
Il ne fera rien. Mais le poing, violemment sur la porte, est accompagné.
- " Oh, La PAIX ! Par le Christ ! "
Il n'a cure de la détresse du malheureux. Il s'est fermé. Face à un multiple, c'est là la seule protection. L'un des seuls enseignements qu'il a reçu de l'inquisiteur. Il avait connu, l'inquisiteur. Un grand maigre, au nez de piaf, qui lui avait collé des trouilles bleues pour tenter d'extraire quelque démon de son corps qui, selon cet abruti au nez rougi et aux croûtes purulentes, lui avait donné cette couleur noirâtre. Le seul souvenir de leurs rencontres, quasiment:
Fermer son esprit. Ne pas laisser prise.
Les démons connaissent chaque recoin du destin de chacun. Et c'est là leur pire arme. Avec les inquisiteurs merdeux... Il s'en souvenait encore, la nuit. Dans les nuits de cauchemars, il était l'un de ses personnages préférés.
Il avance, René. Il a compris qu'il devait agir. Il avance jusqu'à la rousse endormie, belle au bois dormant assez inhabituelle dans des catacombes comme celles-ci, et lui baise le front, doucement, du bout des lèvres. Il sait qu'il ne devrait pas faire ça. Quelle justification, si elle se réveille? Mais il le fait, car il sait qu'il le peut: elle dort trop profondément, avec trop de fatigue. Elle ne se souviendra de rien. Se retourne. Avance jusqu'à la porte, sac de provendes à un bras, couverture à un autre, et ouvre la porte. Bruits de gonds qui auraient besoin d'être huilés. Faible lumière, à l'intérieur. Il entre.
Le duel a commencé. Il doit frapper vite. Couronné extérieur, attendant une parade en quinte. "Vamos!".
- " Tu es seul, chevalier. Seulement toi et moi. Ils n'existent pas, ou plus. "
Comment sait-il? Déduction. "Ils sont en danger" ne correspond pas du tout au temps présent. La peur qu'il y lit est trop forte pour celle d'une citadelle qui dort paisiblement. Il a frappé à l'aveuglette. Il a parié. Comme l'on peut démarrer, face à un adversaire que l'on a dans le dos. Ce qui correspondrait bien à la situation, d'ailleurs: car il ne voit pas son adversaire. Pas encore, en tout cas. Quand on se bat dans le noir, mieux vaut pouvoir situer où est l'agresseur, et d'où viendra l'attaque...
Un pas en arrière. Fente avant, vers le ventre.
- " Alors ? Heureux ? Ca fait quel effet, de passer du Louvre aux caves de Ryes ? "
Il tutoie. Ca fait plus mal. Moins de distance entre eux deux. Moins de distance, plus d'efficacité. Le verbe est une arme. Et René se replace en garde, le sac au côté, étalant la couverture sur lui. Il ouvre le sac. Une pomme. Croque.
Frappe oblique, à la tête.
- " Tu as faim, chevalier? "d'un ton doucereux, presque acide. Agressif.
_________________
"Un tavernier sachant tavernir doit savoir tavernir sans sa serveuse, nan?"
René Dangieu, à vot' service. Mais on m'appelle "Kékidi" aussi. 'Jamais compris pourquoi, d'ailleurs...Hein? Kékidi?
C'était voilà plusieurs années, avant qu'il ne rencontre la Licorne. C'était même à la suite de cela qu'il l'avait rencontrée, en fait, indirectement. Mais passons.
De Castillon, l'esprit avait poussé plus loin, plus profondément, bien au-delà de là où il aurait dû rester. Il s'était aventuré, une torche à la main, dans un marécage fangeux et putride, un cloaque immonde et détesté qui n'était autre que ses souvenirs d'enfance. Marécages emplis de monstres d'une horreur telle qu'il pouvait vomir à trop les approcher. Et est-ce un géant de 2 mètres, celui qui tient cette torche, qui s'aventure, de l'eau croupie jusqu'à la ceinture, des moustiques lui sautant à la face, emplissant le moindre de ses orifices, oreilles, nez, même les yeux s'ils l'avaient pu? Ou bien simplement un jeune garçon de quelques années, haut comme trois pommes?
Dans les dédales de ce marécage, René aussi avait touché un souvenir. Et un grand cri s'échappe de la bouche du jeune garçon, alors que le monstre se jette sur lui, avant que de l'engloutir...
Nuit. Sommeil. Couvertures chaudes, sur pieds gelés. Bruit de ronflements. Dortoir de moines. Bonheur du sommeil du juste. Et soudain...
Soudain...
Le contact. Un contact froid, presque visqueux. Est-ce un serpent? Est-ce une araignée, cette horreur qu'il sent remonter le long de sa jambe?
Froid. Les couvertures s'ôtent. Il ne se réveille pas encore. Il est couché sur le côté, la tête à même sa paillasse. Le froid remonte, incarné par un contact horrible, qui vient s'insinuer même au niveau de ses parties les plus intimes. Contact qui touche, qui tire.
Pas comme celui d'une femme, comme il le saurait dans quelques années, doux, tendre, câlin, presque... maternel.
Celui-ci est masculin, grossier, presque... Ivrogne. Odeur d'alcool. Odeur de souffle fétide. Ail. Fromage. Vin.
Vas-tu te retourner, René? Vas-tu prendre conscience de ce qui est au-dessus de toi? Vas-tu aller jusqu'au bout de l'horreur?
L'enfant s'éveille. Instinctivement, il se met sur le dos, serre les jambes. Et là...
Cri. Dans sa tête. Dans son être.
Retour.
René est là, à nouveau, face à une rousse endormie. Le début d'assoupissement qui commençait à le prendre s'est estompé. Il se redresse, les yeux perclus de fatigue, lui aussi. Il doit être près de 2 ou 3 heures du matin. Il n'a que peu dormi. Et ne dormira plus beaucoup, de toute façon.
Le cri, lui, était réel.
LAISSEZ MOI SORTIR! LAISSEZ MOI SORTIR! JE DOIS ALLER LES RETROUVER! LES SAUVER! ILS...ILS SONT EN DANGERS.
Par Pitié...
Par...Pitié...
...pitié...
Enervement. Bordel, qu'est ce que c'était que tout ça? Il était heureux, morbleu! Il ne se posait pas de questions! Quelle était cette sorcière qui lui retournait l'esprit, comme terre d'automne sous la charrue du laboureur? Enervement. Capediou, il va se le faire!
Gros heurt du poing sur la porte. Le son filtre, faiblement, à travers le bois, mais il a ressenti. Horreur. Peur. Désarroi. Misère. Il en est presque heureux, de cette larve dans la cellule. Inconsciemment, il a envie déjà de le tuer. Mais en fera-t-il quelque chose?
Il ne fera rien. Mais le poing, violemment sur la porte, est accompagné.
- " Oh, La PAIX ! Par le Christ ! "
Il n'a cure de la détresse du malheureux. Il s'est fermé. Face à un multiple, c'est là la seule protection. L'un des seuls enseignements qu'il a reçu de l'inquisiteur. Il avait connu, l'inquisiteur. Un grand maigre, au nez de piaf, qui lui avait collé des trouilles bleues pour tenter d'extraire quelque démon de son corps qui, selon cet abruti au nez rougi et aux croûtes purulentes, lui avait donné cette couleur noirâtre. Le seul souvenir de leurs rencontres, quasiment:
Fermer son esprit. Ne pas laisser prise.
Les démons connaissent chaque recoin du destin de chacun. Et c'est là leur pire arme. Avec les inquisiteurs merdeux... Il s'en souvenait encore, la nuit. Dans les nuits de cauchemars, il était l'un de ses personnages préférés.
Il avance, René. Il a compris qu'il devait agir. Il avance jusqu'à la rousse endormie, belle au bois dormant assez inhabituelle dans des catacombes comme celles-ci, et lui baise le front, doucement, du bout des lèvres. Il sait qu'il ne devrait pas faire ça. Quelle justification, si elle se réveille? Mais il le fait, car il sait qu'il le peut: elle dort trop profondément, avec trop de fatigue. Elle ne se souviendra de rien. Se retourne. Avance jusqu'à la porte, sac de provendes à un bras, couverture à un autre, et ouvre la porte. Bruits de gonds qui auraient besoin d'être huilés. Faible lumière, à l'intérieur. Il entre.
Le duel a commencé. Il doit frapper vite. Couronné extérieur, attendant une parade en quinte. "Vamos!".
- " Tu es seul, chevalier. Seulement toi et moi. Ils n'existent pas, ou plus. "
Comment sait-il? Déduction. "Ils sont en danger" ne correspond pas du tout au temps présent. La peur qu'il y lit est trop forte pour celle d'une citadelle qui dort paisiblement. Il a frappé à l'aveuglette. Il a parié. Comme l'on peut démarrer, face à un adversaire que l'on a dans le dos. Ce qui correspondrait bien à la situation, d'ailleurs: car il ne voit pas son adversaire. Pas encore, en tout cas. Quand on se bat dans le noir, mieux vaut pouvoir situer où est l'agresseur, et d'où viendra l'attaque...
Un pas en arrière. Fente avant, vers le ventre.
- " Alors ? Heureux ? Ca fait quel effet, de passer du Louvre aux caves de Ryes ? "
Il tutoie. Ca fait plus mal. Moins de distance entre eux deux. Moins de distance, plus d'efficacité. Le verbe est une arme. Et René se replace en garde, le sac au côté, étalant la couverture sur lui. Il ouvre le sac. Une pomme. Croque.
Frappe oblique, à la tête.
- " Tu as faim, chevalier? "d'un ton doucereux, presque acide. Agressif.
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"Un tavernier sachant tavernir doit savoir tavernir sans sa serveuse, nan?"
René Dangieu, à vot' service. Mais on m'appelle "Kékidi" aussi. 'Jamais compris pourquoi, d'ailleurs...Hein? Kékidi?