[Décision indéterminée d'une indécise déterminée]
Prendre ses distances, partir toujours plus loin, le fuir, l'éviter, se faire oublier. Tels étaient les souhaits de Nessty afin que la paix soit rendue à celui auquel elle tenait. Plus elle restait à l'écart, plus elle avait l'impression de s'éloigner, plus elle était persuadée du bien fondé de départ, plus elle se détournait de l'inavouable, plus elle disparaissait du paysage, plus elle souffrait de sa décision et plus son envie obsessionnelle de le voir la submergeait. Elle serait pourtant dents et poings pour assumer son choix, torturant tout ce qu'il y avait sous le chignon et encore plus ce qui lui servait de coeur enguimauvé. Le prix de sa propre personne lui importait peu, elle se sacrifiait une fois encore pour Lui et Lui seul. Un petit matin, elle avait même scellé son cheval et emporté son barda de vadrouilleuse. Prête à reprendre la route en destination de l'est, un retour sur les abords du Rhin afin d'y retrouver peut être certains s'ils étaient encore en vie. Respirer la poussière des grands chemins, il n'y avait rien de mieux pour lui rendre sa hargne. Tant pis si elle abandonnait ses chers baudets et biquettes au soin du premier pécore croisé qui voulut bien empocher une bonne poignée de piécettes en plus de la ménagerie. Elle partait. Toute fois la bougresse voulut entrapercevoir une ultime fois une certaine silhouette sans prendre le risque de faire tomber ses noisettes dans le piège d'un regard arc-en-ciel.
Ne pas le regarder dans les yeux, ne pas sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, ne pas se laisser envahir par des sentiments refoulés, ne pas...
Etre Vilaine et non femme, être froide et non sensible, être odieuse s'il le faut et non naturelle... se répétait-elle inlassablement.
Une rencontre superficielle et un sir, voici ce que la donzelle Lui offrit, se délectant pourtant secrètement d'une dernière fois de Sa présence tout en combattant l'instinct qui l'aimantait à Lui. Quelques mots, interrompus par des tergiversations ducales comme toujours, puis un débat politique sans fin au sujet de l'incompétence du maire de Vendôme. Trop de monde pour murmurer un adieu du bout des lèvres ou suffisamment pour éviter l'étalage de justifications privées. Un billet glissé discrètement sous une chopine, celle de l'enchignonée bien sur. Un regard qui se voulait pour elle être celui d'un adieu silencieux sur le seuil d'une porte alors qu'Il quittait les lieux pour rejoindre son antre de solitaire. Le malaise était perceptible, l'environnement houleux s'interposait, les volontés inavouées se confrontaient : le chignon hurlait au départ de raison, le coeur sanglotait de se voir imposer une telle décision. Tout les séparait indéniablement, même ces quelques mètres entre eux. Les noisettes se baissèrent, fuyantes et humides derrière leur rideau de fierté.
Ne pas le regarder dans les yeux, ne pas sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, ne pas se laisser envahir par des sentiments refoulés, ne pas... ne pas le vouloir.
Le bout de parchemin se dévoila, la porte claqua. Peu de mots et tout s'effondra : certitude, détermination, courage d'une Vilaine froide et odieuse. La malédiction de vouloir trop reporter un objectif venait à nouveau de la frapper. Une main tremblante replia le billet et l'enfouit dans la cage aux trésors mammaires. Se rendre à la bibliothèque, une dernière fois, pour Lui dire que tout n'était que foutaises mais qu'il en était ainsi et qu'elle s'y tiendrait ? Pourquoi pas puisqu'Il lui suggérait de venir. Le faire souffrir pour qu'il la laisse enfin rejoindre le destin qui avait toujours été le sien, pourquoi pas puisqu'elle ne voyait que cette unique issue. S'avilir encore plus puisqu'elle n'était qu'une pouilleuse, une catin et la Vilaine, sans aucun doute !
L'indécise déterminée se dirigea vers à la bibliothèque qu'affectionnait tant le Vénérable Vieux Con. La nuit était à peine entamée. Elle frappa légèrement contre l'huis sans le pousser. Une habitude dont elle n'arrivait pas à se défaire par crainte de perturber la sérénité en ce haut lieu d'érudition. Elle était également intimidée, comme à chaque fois qu'elle s'y rendait. C'était son endroit à Lui, Sa grotte, Son refuge, Sa seconde demeure. Il y vivait et y respirait comme à chaque fois qu'Il avait été loin d'elle, peut être même de trop à son goût mais elle n'avait jamais su exiger qu'Il sacrifie sa vie pour qu'ils puissent passer chaque seconde ensemble. Il lui avait déjà concéder une journée entière sur la paille de sa chèvrerie et de longues nuits en la demeure coquette quasiment désertée depuis des années. Elle savait que cela était énorme pour Lui et avait apprécié plus que tout de s'y retrouver avec Lui, seuls et loin de tout. Malheureusement les fonctions ducales réduisaient le temps de sommeil et annihilaient encore plus tout épanouissement personnel, comme toutes fonctions de meneur d'hommes au final quand l'on endossait en toute conscience de telles responsabilités. Contraint donc, Il s'était à nouveau reclus dans sa bibliothèque. Impuissante donc, elle ne pouvait rien y faire, toujours respectueuse mais cette fois ci du mot assumer Elle l'avait elle même vécu alors qu'elle menait ses Vilains au front. De plus, ses diverses tentatives de s'effacer afin de restituer un temps si précieux pour Lui s'étaient avérées incomprises. Il ne lui restait plus qu'à se retirer mais pas avant de Lui avoir dit de vive voix, pas en laissant le billet sans réponse en tout cas, pas comme ça.
Ne pas le regarder dans les yeux, ne pas sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, ne pas se laisser envahir par des sentiments refoulés, ne pas... en guise de consignes.
Nessty osa entrer, n'entendant point le sésame habituel l'invitant à le faire, c'est à dire un ronchonnement
d'ours dérangé dans son hibernation. Il était pourtant là, assoupi dans son fauteuil, la tête posée sur ses avant bras, au dessus d'un livre ouvert. Elle ne pouvait guère voir son visage mais l'imaginait serein, apaisé, heureux. Elle ne put s'empêcher de se rapprocher sur la pointe des pieds. Il voulait qu'elle le réveille ? Elle ne le ferait point. Elle tendit une main hésitante pour la Lui passer dans les cheveux et se pencha pour y mêler une bise avant de repartir comme elle était venue. La raison de la Vilaine venait de vaincre une fois de plus, aidée par le destin ou plutôt la fatigue, malgré un geste d'affection et malgré un qui coeur saignait. La route était maintenant devant elle et elle y retournerait l'âme en peine. Son cheval, son barda et l'horizon lointain l'attendaient. C'était suffisant, maintenant qu'elle l'avait vu une dernière fois et sans avoir à combattre cette sensibilité féminine trahissant sa véritable personnalité devant Lui.
Le regarder dans les yeux, sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, se laisser envahir par des sentiments refoulés... sans le pouvoir pourtant.
Au moment d'enfourcher son destrier, une main lui prit le bras. Les noisettes sombrèrent malgré l'obscurité dans le gouffre de l'arc-en-ciel fatal en cet état de surprise. La panique de la raison disparut comme le côté impétueux d'une simple gueuse rattrapée par un Vénérable Vieux Con. Tant de plans construits si longuement s'envolèrent dans un éclair de folie. Ne Lui avait-il pas écrit avoir besoin de ses bras dans ce billet si succinct ? C'était elle qui en eut besoin à cet instant là, pour le repousser aussitôt, enfin presque. Une dernière nuit, pourquoi ne la Lui offrirait-elle pas sans qu'Il ne le sache. Après tout, elle n'était que la catin ducale et peu importait pour elle si elle avait envie d'emporter un souvenir au prix démentiel bien supérieur à celui d'une silhouette. Demain serait un autre jour, celui où elle irait au bout de sa volonté. Cette nuit serait funestement symbolique, celle de l'ultime rencontre entre un Esprit et une Idée. Malédiction ou bénédiction ? Le petit matin le révèlerait peut être.
Le regarder dans les yeux, sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, se laisser envahir par des sentiments refoulés... Une ultime fois...
Etre femme et non Vilaine, être sensible et non froide, être naturelle et non odieuse... suppliait-elle.
... Une ultime fois... en se laissant bercer par des paroles qui se voulaient tant méfiantes que conciliantes.
Qu'une chandelle incongrue elle ait tiré, qu'un bras courtois elle ait accepté, qu'un corsage garni elle ait tendu ou autre pour susciter quiproquos, doutes, craintes ou jalousie, le tout était difficile à concevoir et donc encore plus ardu à atténuer tant elle culpabilisait déjà par le simple fait d'exister telle qu'elle était, Vilaine et vilaine. Un jour, deux jours, trois jours... c'est justement la Vilaine en elle, avide d'actions et de justice, qui dévorait l'être vivant sous le chignon mais c'est également la femme en elle qui n'arrivait guère à s'estomper, rejaillissant systématiquement quand Il s'approchait. Dualité, contradictions et incompréhensions tant que mots ne seraient pas mis en lumière. C'est encore une fois le destin qui offrit à Nessty l'opportunité d'exercer son métier de chieuse professionnelle exigeant que vérité aux yeux du peuple se fasse. Les élections municipales de Vendôme furent une bonne aubaine pour elle. Spontanément, elle déposa une candidature surprenante face à la réitération de l'incompétent en place. Une autre manière bien plus pernicieuse pour repousser encore la mise en oeuvre de sa décision, une façon inconsciente aussi de rester non loin de Lui alors que tout continuait à les séparer : Lui aux prises des affaires ducales, elle afférée entre barriques de vin et saucisson brandi en clamant le droit de vote pour les animaux. La conviction de partir sous peu pour le libérer du tumulte qu'elle causait immanquablement était toujours présente. L'indécision liées aux révélations était flagrante.
Ne pas le regarder dans les yeux, ne pas sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, ne pas se laisser envahir par des sentiments refoulés, ne pas...
ou
Le regarder dans les yeux, sombrer dans l'âme qui s'y dissimule, se laisser envahir par des sentiments refoulés...
?
D'un pas en avant, elle en faisait 2 en arrière pour bondir à pieds joints de 3 sur le côté. Ainsi perdurait la farandole de la gueuse déchirée entre raison et déraison, mendiant l'ultime sans fin, insufflant le trouble en continu mais perdant sa superbe de Vilaine dès que ses akènes se faisaient décortiquées par le spectre de cette lumière céleste ensoleillant chaque regard malgré l'absence de clarté. Canasson et paquetage n'étaient jamais bien loin au besoin. Il ne manquait qu'un évènement déclencheur pour qu'elle retrouve ou non sa prime détermination.
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Adoratrice des MP d'insultes de LdJ Theudrik.