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[RP] Baraque et vin aigre

Saens
La baraque était casée en face du port. Étroite, coincée entre d'autres façades à l'image des vertèbres d'une rustaude foutue dans un étau. A l'intérieur le brun, fin calculateur, avait compté deux pièces : l'une en bas, l'autre en haut - on y accédait par un escalier en caracole, qu'avait pas l'air très rassurant. Étant peu habitué aux agencements casaniers, après dix années passées à rouler ses chainses en boule et à entasser sa vie sur le dos des mulets, Saens avait opté pour une ordonnance incertaine et primitive. Dans la pièce du bas on mangeait et dormait, dans celle du haut ronflait le bazar. Et point barre.

Un matin de décembre, tierce était passée et il dormait encore, la tête sur son traversin. Son traversin c'était une affaire ; il était cousu de futaine, bourré de plumes tout justes arrachées des fesses des plus gracieux canetons du coin, et avec ça long, et grand, et moelleux, bref, cela avait été son premier investissement. Et cela avait été crucial. Pendant plus de deux jours, il avait parcouru les Flandres pour trouver un fin bourreur de traversin, oui monsieur, parce qu'on a beau être un trimardeur, on aspire à avoir du velouté dans l'roupillon. L'essentiel quoi.

Il fallut bien qu'il se réveille. Dans un mouvement magistral il étira ses deux bras, l'un rencontra le vide, l'autre claqua contre une joue. Il ouvrit brusquement les yeux et tourna la tête. Helvine était là, toute belle, tout pâle. C'était leur premier matin à Bruges et il venait de lui coller une mandale. Bonjour chérie. Il rétracta un bras qu'il aurait aimé avoir télescopique et esquissa un sourire. Premières joies de la vie à deux ; le brun se marre.


« Bonjour ma nièce. »
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Helvine
Le jour se levait. Sans âpreté, sans rigueur. Il s'insinuait ça et là au travers des volets mal conservés, mal traités. La brise marine, elle, s'engouffrait et claquait ces ramassis de planches de bois.

Symphonie matinale qui, sournoisement, aurait pu troubler la profonde léthargie de la brune. Cependant, au vue de sa respiration apaisée, l'effet semblait être bien compromis. Flou onirique, sans pareil. Sûrement un rêve élaboré sur les poissons : habiter à l'orée d'un port devait la travailler et qui sait peut-être envisageait-elle déjà de vendre à la criée. Fraîche la truite, fraîche ! Pas sûre qu'elle ait la côte et qu'elle réussisse à les mener en bateau. Mais tout de même, toute cette déferlante d'yeux de merlan, ça en jettait.

L'utopie fut de courte durée et la claque salée.

Il commence bien, se dit la brune. Après un léger bougeonnement, elle ouvrit ses billes noiraudes et les posa dans celles de Saens. Manquait plus qu'une pointe de sarcasme dans son rire et c'était l'apothéose. Elle le toisa et tenta de prendre cet air distant et hautain, qu'elle arborait parfois :

'Jour. C'est cela pour vous un réveil?
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Kentoc'h mervel evet bezañ saotret.
Saens
« Hum, 'scusez-moi. »

Le rire s'est envolé avec les mouettes, ils batifolent ensemble dans les cieux. Le brun est resté en bas, en tête-à-tête avec une paire d'yeux noirs qui attendent réponse. N'importe qui d'autre aurait eu droit à la petite explication cinglante ou à une longue envolée lyrique sur le réveil mais les yeux, c'étaient pas ceux d'une quelconque morue brugeoise. C'étaient des yeux qui savaient. Alors pour trouver une issue dans le désagréable ou le barbant, il pouvait toujours courir. Et puis d'abord, elle était encore plus désagréable que lui.

Long regard. Il ouvrit le bec pour articuler quelque chose mais à l'intérieur c'était tout sec ; il avait le gosier comme fané ; il fit mine de chercher de l'eau, de l'eau, quelque part, il devait bien y avoir de l'eau, dans un machin, dans un seau, et il pourrait y plonger la tête et s'endormir de nouveau. Mais non. Pour atteindre ses visées aqueuses il eut fallu se lever. Or c'était décembre. Or il y avait un drap pour deux. Cela posait un problème. Oui, un problème ! Il tombait à pic, ça lui occuperait l'esprit :

Mettons, une jatte d'eau se trouve à quatre toises d'un éveillé. C'est l'automne tardif. L'éveillé est frileux comme une poule – il s'enfonça dans le drap. De surcroit, l'éveillé s'éveille à côté d'une fluette éveillée, qui a la peau si hâve qu'on croirait qu'elle va attraper la mort au premier coup de vent. Mais l'éveillé a un désert en place de jabot, tellement qu'il en cracherait du sablon, là : jusqu'où tiendra-t-il les rênes de la galanterie ? Comment alors... Elle le fixait toujours de sa verrerie noire, et réduisait à rien, avec sa massue sombre, les minces sentiers d'échappée qu'il entrevoyait jusque lors. Il était fait comme un rat.

Alors le brun se leva dans toute sa fatalité, alla récolter à la jatte des lampées tièdes, grimaça et revint net se caler auprès de sa dulcinée. Il la prit dans ses bras.


 « En fait... En fait non. »
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Helvine
Tout résidait dans l'art de la fixation. Une grâce divine de n'être point dotée d'un strabisme convergent, à cet instant précis. En effet, en deçà d'une certaine crédibilité, la joute oculaire aurait été bien compromise. A bon voyeur...

Helvine sourcilla en entendant l'excuse. Pas la moindre objection. L'absence de résistance peu commune chez le brun dérouta, littéralement, la jeune fille. A mettre sur le dos de la fatigue, pour ne pas bafouer son prestige de renâcleur. Elle le scruta encore un instant et conclut qu'il serait inutile de le sermonner inutilement. La leçon se ferait seule. Et puis, il avait passé l'âge de se faire blâmer comme un enfant.

Elle tendit le museau dans l'attente d'une effluve de mots, lorsque les lèvres qu'elle regardait s'entrouvrir. Haletantes, figées, muettes. Mais, à première vue, simple ennui aqueux. La pâlotte ne lui montra pas la jatte d'eau, elle le dévorait de tout son être pour le faire craquer, et se réduire à son propre besoin humain : la soif.

Quand il s'échappa du drap, la brune frissonna. Le courant se répercuta sur la chaire fêle et s'engouffra dans sa chemise jusqu'à lui glacer les os. Elle remonta, vigoureusement, le linge mais n'eut à attendre pour sentir se refermer sur elle les bras consolateurs de son dit-fiancé. Après cette nouvelle tentative de réplique, Helvine sourit enfin et déposa un baiser sur le haut du torse de l'homme. Il l'enchantait.


C'est déjà oublié. Mais, votre plaidoirie aura besoin d'un peu plus de matière, entendu?
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Kentoc'h mervel evet bezañ saotret.
Saens
Attendre que les minutes lui réchauffent les os en acquiesçant du chef comme un gosse. Oui Helvine, la prochaine fois, mieux ferai. Plaidoirie d'airain. C'est le mot qui le mettrait presque de mauvais poil, plaidoirie, ça lui ramène des mauvais souvenirs à la surface comme des noyées en bas rouges. Et dans le Sud, la noyée, elle l'avait tanné pour qu'il le gagne, son foutu procès. Et qu'une volonté arbitraire aveuglée par messers Principes et Bon Sens s'acharne à lui faire gagner un bras de fer contre un juge, bras de fer dont il n'avait absolument rien à cirer, ça l'avait emmerdé. Voilà maintenant que l'exquise pâlotte le laisse ruiner son panégyrique inexistant ; il ne se fait pas prier pour le travail de sape, même qu'il fait ça bien. La noyée est foutue dans son tiroir mémoratif. Le brun se réchauffe en douceur.

« Mettons. De matière. »

Chez les éveillés tout juste, il y a comme de l'immédiateté dans l'air : on passe du mot à l'acte presque dans l'instant, le connotatif si légèrement frôlé qu'il en reste frustré comme une provinciale aux pommettes fraiches et aux jambes lestes qu'aurait troussé ses cotillons jusqu'aux nombril à l'arrivée d'un hidalgo et qui s'en serait trouvée toujours niaise à sa sortie. Dehors, le port se fait, les piafs s'amusent. Les mains de Saens se sont faufilées sous la chemise de la blancheur à ses côtés. Évidemment. Fallait pas dire matière. Il y avait des mots comme ça, au réveil, qu'il ne fallait pas prononcer devant lui : saindoux, cucurbitacée, écu-vert. Claque, han, butte, mont, laie. Et quelques verbes, palper, maintenir, dissiper, basculer. Des phrases à éviter, « le fondement du corps de mon sujet se glisse sous la baguette infernale de vos arguments ». Mais il ronflait souvent avec des princesses, rarement avec des précieuses.

Pas plus mal.
Regard candide.
Mains à leur place.


 « Je suis plus sage que les fous. »
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Helvine
Plus sage que les fous.

Helvine fit une moue qui en disait long. Encore aurait-il fallu savoir le degré d'aliénation de ces dites personnes et le comparer à celui du brun, pour être certaine de cette affirmation. Il est vrai que nulle démence en lui n'aurait pu contredire son propos. Un enluminé hautement atteint peut, certes, être farci d'imagination mais quant à en tirer quelque chose de constructif... Beaucoup court encore. Enfin. Dire que le slave était plus équilibré que toute la communauté des azimutés ne convenait pas en toute occasion. Il avait, aussi, ses failles. Failles que la jeune femme aimait à ébrécher quand ces dernières se rendaient visibles.

Plus sage que les fous. Oui.

Cette belle utopie dura un mois. Puis, après une longue réflexion ou plutôt une soudaine abdication des instincts, tout valsa. Bride de réminiscence. Le regard de la brune se fait plus tendre et serein : depuis qu'il était là, c'était des routes, des lignes droites, des allées hautes en couleur, des idées en vrac, des pavés, des chemins tout en douceur. La vie et ses vallons. Helvine passa un bras autour du cou de Saens et vient immobiliser sa main dans le creux de sa nuque.


Vous êtes bien sûr de vous... Z'auriez donc encore des défaillances de mémoire?
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Kentoc'h mervel evet bezañ saotret.
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