Afficher le menu
Information and comments (0)
<<   <   1, 2, 3   >>

[RP]La nouvelle Dame de Lauzières

Maelie
Lorsqu'elle ouvrit la boîte, fébrile de curiosité, pour en sortir l'une des matrices et observer les exemples de sceau colorés, Maêlie ne put retenir un petit soupire admiratif et émerveillé.

Qui l'eut cru... Qui eut cru qu'un jour je dispose d'un tel objet?

Puis, comme sortant d'une transe, elle reposa l'objet dans sa boîte et la referma soigneusement, avant de se tourner, radieuse, vers Cristòl.

Merci infiniment. Et ne vous excusez-pas : vous êtes là lorsque j'en ai besoin, et moi je suis là même quand vous devriez être en paix !

Son rire léger perla quelques secondes avant qu'elle ne se retourne, arpentant la pièce comme pour en admirer les meubles, d'un pas lent. Elle reprit la parole, sans se retourner vers son hôte.

Il y a beaucoup de choses dont j'aimerai discuter avec vous, mais le temps vous manque encore, et ces choses pourront bien attendre encore un peu que vous veniez à Lauzières, où j'espère que vous prendrez enfin le temps de souffler.
Cependant, je tenais quand même à vous dire quelques mots avant d'oublier.

Mon domaine est petit et mon arrivée récente. Même si j'ai beaucoup de choses à gérer, ce n'est rien que je ne puisse assumer, aussi si vous le souhaitez, je peux demander à mon intendant de venir vous assister quelques temps, sur l'un de vos domaines. Oh, ce n'est qu'un prêt, je le récupèrerai bien assez tôt, et lui-même ne tolèrera pas que je l'exile trop longtemps, mais c'est quelqu'un de toute confiance, soyez en certain. Et puis, surement qu'un passage auprès de vous l'aguérira mieux dans ces fonctions que s'il reste auprès d'une "apprentie" comme moi ; je vous en serais redevable.

Vous avez également mentionné la solitude de Dame votre promise. Si vous le souhaitez, je peux de temps à autre venir lui rendre visite et lui tenir compagnie. Elle sera l'épouse de meu Pairin, il me tient à coeur qu'elle se sente ici chez elle et que nous nous appréciions.

Enfin, et j'espère que vous me pardonnerez cette indiscrétion qui vient bien avant son heure, mais si d'aventure vous le souhaitez, je sais qu'il y a quelques coutumes parmi la noblesse visant à placer en page ou en écuyer les enfants de l'un chez l'autre. Bien que votre enfant soit encore à naitre et bien loin de l'âge où viendra cette préoccupation, sachez que Lauzières pourra, si vous le souhaitez, l'accueillir en temps utiles.


Maëlie s'interrompit, avant d'ajouter, d'un air gêné, se tournant enfin vers Cristòl.

Je pense que cela serait mieux ainsi que de le garder à proximité de votre future épouse, s'il vous venait l'envie de l'avoir près de vous. Pardonnez mon audace.

Elle avait essayé de faire bref, mais elle n'avait pu faire mieux. Tant de choses restaient à dire ! Elle espérait simplement que Cristòl comprenne le fond de sa pensée : la jeune dame avait besoin de se sentir utile, et plus que tout, utile à ceux qui lui étaient chers. Son insistance pouvait parfois devenir ingérence, mais c'était bien malgré elle, et plutôt par excès de bonne volonté qu'autre chose.
Cristòl
Le parrain la regardait, l'air tendre. Et son sceau à lui ? Perdu, égaré, brisé, qu'en savait-il ? C'était devant les portes du Mans. C'était quand il était tombé. C'était ce jour où il était devenu "vétéran de la guerre de Bretagne", et ce n'était même pas en Bretagne...

Qu'il était agréable, son rire ! Ce n'était pas de ces rires agressifs, de ces rires ridicules, de ces rires humiliants. Un rire clair et aérien, et cela allait fort bien au caractère de la dame de Lauzières. Il la regarda marcher dans la pièce, et l'écouta - écouter, comme c'est facile !

Vint le temps des réponses, et la première surgit, d'un ton qui contenait plus d'étonnement que de reproches.


-« C'est moi qui vous ai dit qu'un bâtard m'allait naître ? Enfin... Il, ou elle, est peut-être même né, à présent, je ne sais, je n'en ai point de nouvelles, et c'est encore une chose à faire qu'écrire en Champagne. Je verrai avec sa mère ce que nous en ferons, je ne sais même si elle viendra en Languedoc... si tel était le cas, je ne m'imagine pas la prendre à mon service, enfin... Pas après mon mariage, en tout cas, ce serait insulter mon épouse.

Et puis ces affaires à Saint-Félix... Oh, certes, je veux bien expliquer comment l'on gère une terre, si seulement je l'avais moi-même expérimenté ! Mais je n'ai reçu la baronnie de Saint-Félix que pour la quitter aussitôt, appelé à la guerre par l'Hospital, et ensuite... Appelé aux charges comtales. Et maintenant, il semble que l'on s'arrange pour m'éloigner de cette terre, et l'homme de confiance que j'y avais placé ne l'est plus guerre. Il rend la justice à ma place, et une bien mauvaise justice, enfin... Oui, je prendrai votre Intendant pour lui montrer comment l'on fait, dans les plus vieux fiefs du Languedoc. »


Il sourit, car c'était bien vrai que Rekkared était le plus "vieil" anobli du Languedoc, qui ait encore sa terre, du moins dans sa famille. Il s'assombrit pourtant :

-« Plus le temps passe et plus il me semble entrevoir que la seule solution, pour investir Saint-Félix, sera le siège de la baronnie - de ma propre baronnie ! Ou le donjon du moins. Je n'aurai pas trop des hommes de Fenouillèdes, que j'imagine peu rompus à mener des sièges, bien davantage à les subir avec brio, à la frontière avec l'Aragon. Enfin... »

Il eut un résolument long et las soupir.

-« Nous verrons cela à la fin de mon mandat. Si je dois guerroyer contre ma propre terre, pour reconquérir ce qui est mien, sans doute enverrai-je ma promise à Lauzières, où elle sera en sécurité et bonne compagnie. Car je n'accepterai pas, ma filleule, que vous veniez à ce siège, la guerre vous irait mal, je crois. »

Un pâle sourire, semblable à une lueur d'espoir, éclaira son visage.

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
Lorsque son parrain s'étonna de ce qu'elle eu connaissance de l'enfant à naître, Maëlie ne put réprimer un petit sourire : vraiment ! Il était tant et tant à ses tâches qu'il en oubliait ce qu'il avait écrit. Elle ne pouvait lui en tenir rigueur; cette "faiblesse" le lui rendait au contraire plus aimable et plus attachant encore à ses yeux.
Mais elle avait dit ce qu'elle avait à dire sur le sujet : elle jugea inutile d'enfoncer un couteau dans la plaie que semblait être cette histoire en lui répondant.

Lorsqu'il accepta d'accueillir son intendant en formation, elle s'illumina, frappant des mains avec enthousiasme, un sourire reconnaissant aux lèvres.

Elle n'eut pas le temps de le remercier que déjà il enchaînait sur d'éventuels affrontements militaires : instinctivement, Maëlie se redressa et fronça les sourcils en l'écoutant, absorbant les informations qu'il lui donnait comme si elle était face à son lieutenant de caserne ou à la douane, recevant des consignes ou des informations tactiques.
Sa concentration avait bizarrement transformé son visage, l'intensité de ses yeux reflétant l'intérêt et les réflexions que suscitaient ces propos.

Et Cristòl de lui interdire le combat...
Maëlie éclata d'un rire franc, qui chassa son sérieux comme un nuage après la pluie, ses yeux brillant cette fois d'une lueur de défi et d'amusement et le menton haut.


Comment donc, meu Pairin, vous refuseriez à une soldate et votre fidèle filleule et amie, le droit de vous venir en aide sur le champ de bataille ?
Il me faut cependant reconnaître que la garde de votre promise n'est pas une tâche comme les autres, et revêt à mes yeux une égale importance. Vous avez de la chance, car je doute que quiconque, autrement, eut pu m'interdire de vous rejoindre, l'épée au poing. Pas même vous!


Ce qui pouvait être pris pour une bravade n'était, au fond, que l'expression de sa sincérité. Que quelqu'un essaie donc un jour de l'empêcher de rejoindre Cristòl dans le besoin ! Mais était-il besoin de le dire ? Elle s'amusait et se sentait flattée de ce penchant protecteur qu'avait son parrain : la jeune femme qu'elle était aurait aimé s'y complaire, mais quelque chose en elle y rechignait.
Un souvenir vint jouer quelques brefs instants à la lisière de sa mémoire.
"Nos routes ne se sépareront pas"


Puis, ayant dit ce qu'elle avait à dire, et ne souhaitant pas s'attarder plus que nécessaire, Maëlie s'inclina.

Je vais vous laisser à vos tâches. Vous recevrez bientôt la visite de mon intendant, accompagné d'une lettre de ma main qui vous permettra de l'identifier.
Transmettez, je vous prie, mes amitiés à votre promise.
Cristòl
-« Comment donc, meu Pairin, vous refuseriez à une soldate et votre fidèle filleule et amie, le droit de vous venir en aide sur le champ de bataille ?
Il me faut cependant reconnaître que la garde de votre promise n'est pas une tâche comme les autres, et revêt à mes yeux une égale importance. Vous avez de la chance, car je doute que quiconque, autrement, eut pu m'interdire de vous rejoindre, l'épée au poing. Pas même vous ! »


Un sourire attendri s'était allongé sur le visage du jeune Sìarr, mais il n'avait pas répondu à cela. Il craignait, en vérité, que son admiration des femmes ne dépassât toutes bornes, s'il les voyait suer toute l'eau de leur corps au combat. Ce n'était pas faute d'aimer ces femmes aux mâles instinct - c'était pour elles, pensait-il souvent, un moyen de montrer combien elles étaient fortes, et combien les hommes étaient d'horribles vantards.
Il avait déjà combattu aux côtés d'une femme, TibouLola d'Estaing, désormais Chevalier de l'Hospital, comme lui. Et se battre n'ôtait que peu de sa féminité à la belle... Il avait même déjà aimé une femme en armure, Motarde d'Ascalon, et cette lointaine histoire barrait son front, lorsqu'il y repensait. L'ingrate, la cruelle... Il avait cru devenir fou, mais il réalisait désormais que c'était sans doute un amour de peu de vigueur qui l'avait animé, sinon de l'admiration craintive.

Maëlie prenait congé. Il se leva, posa une main sur les biscuits qu'elle avait apportés.


-« Adissiatz, Maëlie, prenez soin de vous. J'attendrai votre Intendant et je transmettrai vos vœux à ma promise. »

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
La réflexion avait été longue et douloureuse pour la jeune femme, peu habituée à jongler avec des sentiments aussi contradictoires et aussi éloignés de sa nature qu'il était possible.
Au final, elle avait choisi de se tourner vers celui qui, avant d'être le Hérault et l'auteur de tous les bouleversements majeurs de sa vie, était devenu son parrain et de fait, son guide spirituel. Dans un moment comme celui-ci, elle n'en connaissait sans doute qu'un autre à qui elle eut pu se confier ainsi. Inspirant calmement, elle rédigea la missive suivante.

Citation:

A Senhèr Cristòl de Siarr, meu Pairin,


Je sollicite votre bienveillance pour une entrevue, à la date et l'heure qu'il vous conviendra, dans vos bureaux à Montpellier, afin de bénéficier de votre sagesse et de vos conseils.

Respectueusement, et affectueusement,

Fa en Montpelhier, lo 9 Març 1457
Maëlie de Lauzières

Cristòl
Le Héraut s'était habitué à voir sa filleule débouler dans son bureau pour toutes sortes de questions ; qu'elle fît cette fois état de sa venue et sollicitât formellement audience l'intrigua - c'était vraiment inattendu.

Il répondit sur-le-champ :


Citation:
A vous, Dòna Maelie de Lauzièrs, meuna filhòla

Adissiatz.

Je serai fort heureux de vous accueillir, quand vous le souhaitez, dans mon bureau. Je le quitte toutefois en soirée, désormais, car quelques affaires m'occupent également ailleurs, qui nécessitent un peu de temps de ma part.

Je ne cache pas que votre lettre, adressée au parrain, et non au héraut, m'a intriguée, et j'ai grand hâte de lever avec vous le mystère.

Qu'Aristote vous garde,

Cristòl de Sìarr

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
Maëlie avait lu la réponse du héraut avec un sourire amusé et surpris : tiens, un sceau! Voilà qui, bien que normal, lui paraissait tout nouveau.
Bien sûr, Fenouillèdes!... Mais, en y pensant, où était celui de Saint Felix ? Bizarre...

Bref, c'est le coeur un peu plus léger, mais l'esprit encombré de doutes qu'elle se présenta à la porte de son Parrain, frappant quelques coups avant d'entrer.

La pièce n'avait pas changer, et Maëlie sentait comme une paix lointaine l'envahir en y replongeant, comme dans un souvenir figé par le temps. C'est donc la voix légèrement voilée par la nostalgie et cette soudaine sérénité qu'elle le salua, plongeant dans une respectueuse révérance.

Adissiatz, meu Pairin.
Cristòl
Cristòl était toujours un peu mal à l'aise lorsque Maëlie faisait devant lui la révérence - et fier, dans le même temps, de voir combien justifiée avait été sa décision d'ennoblir cette femme extraordinaire, emplie de noblesse d'âme, du souci du respect des convenances, et de sa place dans le monde.

Un large sourire s'étala sur son visage, et il s'inclina en réponse, avant de dire :


-« Adissiatz, meuna cara filhòla. Asseyez-vous, je vous en prie... Asseyez-vous. J'ai grand hâte d'apprendre l'objet de votre visite.
Je vous sers quelque chose à boire ? »

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
Maëlie sourit en retour, réchauffée par l'accueil de son parrain, tout autant qu'elle était glacée par la crainte de ce qu'elle allait dire.
Elle hocha la tête, acceptant son invitation à boire, avant de s'installer sans façon, comme si ce fait allait de soi.


Mercè, meu Pairin.
Je ne vous ferai pas languir plus que nécessaire alors, si votre curiosité vous brûle tant.


Elle toussota, avant de reprendre la parole.

Vous me connaissez mieux que beaucoup, presque peut-être autant que mes parents, et je vous dois tant... Je ne voudrai pas que vous songiez que ma requête est une preuve d'ingratitude de ma part, car je vous le promets, ce n'est pas le cas.

Elle s'interrompit encore, cherchant ses mots.

Depuis la dernière assemblée nobiliaire, j'ai longuement réfléchi. Je ne suis pas aveugle ni sourde, et je sais bien ce qu'on pense de moi tout bas. Peut-être est-ce mon orgueil qui parle, mais j'ai la nette impression que les gens me méprisent d'avoir ainsi été anoblie, moi la paysanne sortie de nulle part, sans passé et sans expérience. Les gens simples, dont je viens, imaginent à tort que je les regarde de haut lorsque je ne fais que m'exprimer avec la franchise qui a toujours été la mienne. Les nobles, eux, m'observent en chien de faillance, comme s'ils attendaient ma première erreur pour m'accuser de tous les maux de la noblesse. Une parvenue, voilà ce que je suis aux yeux de tous ces gens.

Je n'étais personne, et vous m'avez faite si grande, Senhèr Cristòl, que j'ai peur de choir avant de m'en être montrée digne.


Elle se redressa, le dos droit, le menton haut, et les yeux pourtant emplis de détresse.

Je sais que l'on se doit de marcher droit, en portant haut ses convictions et ses valeurs, sans se préoccuper des jalousies et des moqueries. Je sais que je n'ai rien à me reprocher, j'espère que je n'ai jamais rien fait pour ternir votre honneur et votre nom en déshonnorant mon Comté ou mon rang. Pourtant, j'ai toujours l'impression d'être une intruse. Quoique je fasse, on me reprochera d'être qui je suis.

Oh, pardonnez-moi, je ne suis pas en train de vous reprocher le don que vous m'avez fait, pas du tout!
Mais j'aimerai tant comprendre pourquoi on me regarde de travers ainsi... Si seulement les gens avaient le courage de me dire en face ce qu'ils me reprochent, je pourrais me défendre, ou alors me rendre à leur avis et m'amender de mes erreurs.

J'ai souvent songé à faire afficher une annonce publique invitant tous mes éventuels détracteurs à me dire haut et fort la raison de leur mépris... mais qu'y gagnerais-je ? Qu'y gagnerait la noblesse à voir ainsi l'une des leurs se rabaisser volontairement ?

Et je dis l'une des leurs, mais le suis-je vraiment ?


L'amertume de la jeune femme semblait grandir à vue d'oeil.

Je suis venue vous voir, meu Pairin, car j'ai besoin de vos conseils. J'ai besoin de savoir s'il est encore possible que l'assemblée nobiliaire débatte de mon anoblissement...

Voila, c'était dit. Cette question n'était pas posée à la légère, car la jeune femme mesurait bien tout ce qu'elle pouvait remettre en jeu, et ce qu'elle risquait. Mais sans le soutien de la noblesse, à laquelle elle était sensée appartenir, Maëlie se sentait si seule qu'elle préférait courrir ce risque. Elle songeait aussi qu'ainsi, Cristòl serait peut-être débarrassé du poids qu'elle avait cru sentir sur lui lorsque le Roy d'Armes avait évoqué l'absence de débat des nobles pour son anoblissement...
Cristòl
Au fur et à mesure qu’elle parlait, il marchait dans le bureau, d’un pas lent mais tourmenté, passant en son for intérieur de la compréhension à l’amertume, une amertume qui n’avait rien de saine, sans doute ; il pinçait tantôt ses lèvres, et c’était pour retenir en deçà de ses dents tous ces arguments pour contrer la démarche de Maëlie – il fallait la laisser finir, et ne rien lui imposer ensuite.
Mais lui dire. Lui expliquer pourquoi, lui expliquer comment… Cracher enfin tout ce qu’il pensait de cette maudite fierté, de ce qu’aucun noble languedocien ne réalisait, parce qu’aucun aussi bien que lui ne connaissait les nobiliaires étrangers.

Quand le silence tomba sur le bureau, il se campa devant la petite fenêtre, mains jointes dans son dos, et plongea son regard dans les rayons printaniers du soleil, pour mieux illuminer l’agencement de son esprit. Il n’arriverait pas à tout bien ordonner, alors il commença où en étaient ses pensées.


-« Votre anoblissement n’a rien d’irrégulier. Aucun texte n’impose qu’un anoblissement passe par l’approbation de l’assemblée nobiliaire, quoique cela soit devenu la coutume depuis sa mise en place. Quand bien même l’assemblée nobiliaire refuse un anoblissement, cela n’engage en rien le Comte : l’assemblée le conseil, l’oriente, mais ne lui impose rien, et il peut se désolidariser de la décision de l’assemblée – nous conviendrons toutefois que c’est maladroit, et qu’on pourra l’accuser de complaisance, de népotisme. Reste qu’en dernière instance c’est lui, et lui seul, qui choisit ou non d’anoblir. Il n’y a aucun obstacle juridique à votre ennoblissement et ce n’est pas par crainte que l’on juge vos mérites insuffisants que j’ai évité l’assemblée nobiliaire, et rien, dans mes démarches, n’a visé à me soustraire à son avis ; j’ai sollicité sa convocation au Héraut de tutelle d’alors, qui n’est autre que le Roy d’Armes, et il était de son devoir de rassembler la noblesse – ce qu’il n’a jamais fait. La fin du mandat venu, il a donc contresigné l’anoblissement sans que j’aie pu obtenir le conseil de ce qui était, alors, « ma » noblesse.
Votre démarche ne fait que conforter la conviction que j’ai que tant votre mérite comtal que vos valeurs morales s’accordent avec l’état de noblesse auquel je vous ai élevée… »


Il pivota, et se mit à arpenter le bureau, regardant alternativement ses pieds, sa filleule, la fenêtre. Il bouillonnait comme son esprit.

-« Il y a de quoi être fier de vous, et pourtant… Derrière cette fierté, je suis triste, amer, colère même – c’est paradoxal, òc !
Votre humilité vous est inspirée de ce que le Languedoc a toujours érigé la noblesse sur un piédestal, plus haut que tout, le Languedoc a créé la crainte de l’anoblissement immérité… Oh, la noblesse languedocienne n’est pas uniforme et loin de s’entendre sur tous les points ; je ne pense pas qu’il serait infondé de prétendre à l’existence de plusieurs groupes plus ou moins soudés qui se détestent significativement, et le manifestent à toute occasion – mais au-delà de tout cela, la noblesse languedocienne est rassemblée par deux directions liées : d’une part elle a une si haute idée de ce qu’elle représente – ce qui n’est pas de l’orgueil, à mon sens, quoi que je ne sache vraiment comment le désigner – qu’elle cloisonne elle-même les critères d’intégration de son groupe, et d’autre part, elle n’hésite pas à crier bien fort si elle estime qu’un ennoblissement est scandaleux. Les nobles languedociens sont fiers, pour la plupart… Les parvenus n’ont pas leurs faveurs, et cela éclate au grand jour. Qui n’a jamais entendu Djahen Shaggash injurier Max de Thoiras à la première occasion, « la honte de la noblesse languedocienne », parce que le baron d’Anduze l’a fait seigneur ? – l’un des deux seuls seigneurs issus de mérite en Languedoc, maintenant que nous avons enfin perdus les vassaux de complaisance du Comté de Corbières… Dont le Comte n’avait, il faut le dire, rien de la vision languedocienne de la noblesse. Il illustre en vérité la façon dont presque tout le reste de la France considère la noblesse : un accessoire, un titre… Et peu importent les obligations. Les ennoblissements de complaisance fleurissent dans bien des provinces, en vertu du fait que la Hérauderie n’a pas à vérifier les hauts faits des octrois de seigneuries de mérite ou issues de mérite : des Comtes et Ducs ennoblissent sur les terres de leur province leurs amis ou partenaires politiques – non sans esclandre, mais qu’importe ! Ils n’ont pas notre réserve, notre droiture. En Languedoc, nous n’imaginerions même pas donner un fief à une personne, au motif qu’elle est notre ami, sans mérite comtal ni municipal ; mais à Toulouse, une baronne, sitôt anoblie, a distribué trois seigneuries à ses amis, et elle en demande encore, car elle veut ennoblir sa sœur, et un vicomte toulousain a ennobli dès l’obtention de son fief quatre amis, et ne se rassasie pas de tant de vassaux ! En Touraine, j’ai vu en septembre dernier une cérémonie où un noble prenait d’un seul coup douze vassaux, en une soirée ! Verra-t-on jamais telle chose, en Lengadòc ? Imaginez, Maëlie… En Auvernha, il y a de mémoire une trentaine de seigneuries octroyées ! Ah, Dieu, et ce n’est pas la seule province dans ce cas ! En Languedoc, nous avons trois seigneurs de mérite – Kamharley d’Avidson, Majda Shaggash, et vous, Maëlie… Avec les deux seigneurs issus de mérite, ça en fait cinq ! Cinc ! Le Languedoc est pourtant aussi vieux, et ses terres, aussi vastes, sinon plus ! Aucune province ne laisse tant de fiefs à la garde d’Intendants comtaux que le Languedoc, Maëlie ! Nous ennoblissons moins que la plupart, nous sommes… ah, je ne sais ! Est-ce de l’égoïsme ? »


Il s’assit derechef à son bureau, et but un peu de vin, avant de reprendre, l’emportement en moins :

-« Il y en aura toujours, nobles ou roturiers, pour se plaindre que votre ascension sociale ait été si rapide. Mais je défie quiconque de vous dire qu’elle n’était pas méritée ! Les golassas de la noblesse, qui ont leur caractère fait ainsi, n’auraient pas laissé passer cela sans esclandre publique.

Le Héraut que je suis se doit de veiller aux hauts faits donnant lieu à la noblesse ; il y aura des jaloux, oui ! Parce que ce que la masse de travail qu’ils ont abattue, constant, assidu, mais délayé en de nombreux mois, voire de nombreuses années, vous, meuna filhòla, vous l’avez abattue en deux mois, deux petits mois ; vous vous êtes donnée corps et âme pendant deux mois, lors qu’eux ont donné un pauquet d’eux pendant deux ans. C’est cela, le haut mérite : la densité et la qualité de l’implication, non la quantité. C’est ce qui rend votre anoblissement incontestable : il n’y eut qu’une personne avant vous pour cumuler trois charges prenantes avec tant de brio, c’est Marguerite de Volpilhat. Elle fut récompensée en passant de baronne à vicomtesse, la première – et seule – vicomtesse de mérite que le Languedoc ait jamais eue. »


Il fixa intensément Maëlie de son regard vairon et conclut :

-« Si vous conservez cette idée de vous présenter à l’assemblée nobiliaire, alors demandez cela au Comte : lui seul peut en commander la convocation. Sinon, et bien… Laissez dire les médisants, car médire est la seule consolation qu’ils ont à leur médiocrité. Il est plus facile de critiquer ceux qui ont réussi, que de réussir soi-même… N’est-ce pas ? »

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
Maëlie observa les changements d'humeur de son parrain d'un air stupéfait. Elle était tellement habituée à sa calme pondération qu'elle en oubliait souvent que pour sage qu'il soit, il était aussi fait du même feu que tous les siens. Ses pensées tourbillonnaient dans sa tête, au gré des paroles qu'il lui livrait, découvrant le fond de sa pensée de façon tout à fait inattendue pour la jeune femme : elle s'était préparée à beaucoup de choses, reproches, lassitude, compréhension, peut-être même déception... mais pas à cette froide colère qui semblait le faire vibrer tout entier.

Il parlait de son annoblissement et de sa régularité : Maëlie n'avait jamais douté que Cristòl n'eut en aucun cas pu faire quelque chose d'illégal. Elle eut un petit pincement coupable. La voix de Cristòl recélait d'une amertume croissante, autrement plus profonde que la sienne, qui vrilla le coeur de Maëlie.
Et tandis que Cristòl exprimait sa fierté et sa colère, Maëlie sentait le rouge lui monter au front et ses idées perdre de leur clareté devant les faits étranges et choquants qu'elle entendait.

Lorsque Cristòl se tut, la Dame de Lauzières resta un long moment silencieuse, fixant le sol à ses pieds, l'échine courbée, toujours assise. Alors qu'elle était venue avec cette sombre résolution au coeur, demandant à son parrain de lui en donner le courage, Maëlie sentait désormais un poids encore plus lourd peser sur ses épaules. Ce fut d'une voix hésitante, presqu'inaudible qu'elle prit finalement la parole.


Ce que vous dites... est à peine croyable... Le Languedoc est-il tellement isolé dans sa quête de grandeur ? Tout ceci est-il tellement absurde ?

Cela me conforte, en un sens, dans le fait que la noblesse Languedocienne mérite qu'on soit digne d'elle, si elle est vraiment le dernier bastion des véritables valeurs de la noblesse...
Mais c'est... tellement contradictoire ! Doit-on demander à la noblesse Languedocienne plus de souplesse au risque de la voir abandonner ses valeurs et sombrer dans cette... cette décadence ?


Maëlie ne pouvait totalement masquer son dégoût en songeant aux excès décrits par Cristòl, sa voix s'affermissant pour poursuivre.

Et si elle ne le fait pas, va-t-elle finir, comme je le crains, par mourrir et s'éteindre faute de se renouveler ?
Que tous les Saints nous protègent !

Je porte cet anoblissement comme un devoir, comme la marque de mon serment d'abnégation à mon Comté, non comme un étendard clinquant d'orgueil. C'est mon titre qui me porte, et non l'inverse, car par lui, je suis grandie, et à cause de lui, je suis condamnée à montrer l'exemple, car il me porte au dessus du commun et m'interdit la médiocrité. Et pourtant, je ne me sens pas ainsi que vous me décrivez...


Elle secoua la tête, comme encore sous le choc, le rouge de ses joues s'accentuant sans qu'elle trouve le courage de regarder Cristòl.

Les mérites que vous m'attribuez ne sont-ils pas exagérés? Dòna Marguerite de Volpilhat ! Cette dame est une légende, meu Pairin! Elle incarne à elle seule le Languedoc et sa grandeur, à mes yeux. Il n'y a guère que la Comtesse d'Alanha ou feu la Dame de Verguèz pour suciter en moi une telle admiration, vous ne pouvez me comparer à elle, c'est insensé...

Maëlie hésita à nouveau, ce poids sur ses épaules semblant peser encore davantage.

Mon seul mérite est d'avoir foi en vous. Je ne suis qu'une étincelle, meu Pairin : si aujourd'hui je brille, peut-être intensément car telle est ma nature, demain je peux m'éteindre et le monde continuera à tourner entre les mains du Très-Haut. Ces femmes-là sont des étoiles, de celles qui continueront à briller longtemps dans le ciel languedocien pour guider les êtres tels que moi, qui aspire à vivre dans le respect des mêmes valeurs.

Elle s'interrompit à nouveau, son visage cette fois assombrit par l'inquiétude.

Si vous considérez que mes actes dépassent l'ordinaire,alors je plains le Languedoc... car il me semble n'avoir fait rien de plus que ce que mon coeur me dictait. Que le Très-Haut me damne si je venais un jour à tirer fierté ou orgueil pour avoir fait simplement ce que je devais.

Elle releva la tête, osant enfin lever les yeux vers son interlocuteur.

Peut-être qu'avant de demander au Coms de convoquer cette assemblée, je devrais m'adresser aux nobles en leur demandant ce qu'est la Noblesse Languedocienne. Quand bien même elle n'est pas uniforme, je ne peux pas croire que nous n'ayons pas de valeur commune.
Vous dites que vous êtes fier de moi...


Maëlie se redressa, laissant un sourire chaleureux, quoiqu'encore troublé, éclairer ses traits inquiets.

...alors je peux bien affronter tout le mépris du monde la tête haute.
Cristòl
Il n'avait plus envie de répondre par de longs discours ; tout était dit, ou presque, de leurs sentiments respectifs vis-à-vis de la situation.
Il souriait. Elle avait raison, mais pas pour les bons motifs. Margot était unique, et au-dessus de tout, dans l'idée de Cristòl aussi... Mais pas d'une manière qu'il pût avouer, dont il pût se servir comme argumentation. Une étoile...
Alors il se leva, mais cette fois, la colère était passée, la fierté, rangée, et l'affection, l'amitié, de retour. De ses yeux bienveillamment bichromes, il conclut :


-« Vous brillez déjà, mais le temps seul vous hissera au firmament. Alors, vous serez une étoile. Je le sais. »

Et pour lui, la réunion s'arrêtait là, à moins qu'elle ne voulût ajouter quoi que ce fût.

_________________


[Je finis les affaires en cours et je tire ma révérence. Ce fut un plaisir de jouer avec vous tous.]
Maelie
Il n'y avait plus rien à ajouter. Maëlie, consciente de ce que sa présence n'apportait plus grand chose, et qu'au final, elle avait déjà obtenu ce qu'elle était venue chercher, se leva, avec un sourire un peu hésitant, avant de s'incliner.

Plan mercè, meu pairin. Cette entrevue a appaisé mes doutes, quoiqu'elle en ait également levé denouveaux. Puisse votre sagesse continuer à me guider.

Sur cet entrefait, elle requit l'autorisation de se retirer, avant de s'eclipser le plus simplement du monde.

Lorsqu'elle fut sorti, elle resta un instant immobile et silencieuse, méditant sur la confiance et les espoirs que son parain plaçaient en elle, et qui semblaient, parfois, dépasser sa simple personne. Avec un petit soupire, elle s'éloigna, se disant qu'il y avait bien pire comme raison de vivre...
See the RP information <<   <   1, 2, 3   >>
Copyright © JDWorks, Corbeaunoir & Elissa Ka | Update notes | Support us | 2008 - 2024
Special thanks to our amazing translators : Dunpeal (EN, PT), Eriti (IT), Azureus (FI)