--La_mere_ragotin
C'est qu'elle n'a pas eu une vie tranquille la mère Ragotin, bien sûr, on ne l'a pas toujours appelée ainsi, il fut un temps où elle était séduisante Germaine, même qu'elle avait des prétendant à tire larigot, c'était, bien qu'on ait du mal à le croire aujourd'hui, un beau brin de femme avec un caractère bien trempé, une vie des plus normales, animée même, entre les corvées pour aider sa famille et les soirées autour d'une prune.
Avec tout ça il a fallu qu'elle choisisse le Fernand... Comme quoi, l'amour rend non seulement aveugle, mais aussi idiot elle vous dira si vous lui demandez.
C'était pas un mauvais bougre cet homme là, mais il n'a su faire que deux choses dans sa misérable existence : boire et faire des gosses à la Germaine.
Tant et si bien qu'entre les uns et la bouteille, sans parler de la poigne de sa femme, il s'est bien vite laissé sombrer et est devenu une vieille loque marié à une rombière aigrie par le labeur qu'elle a du faire à la place de son mari en plus de s'occuper de leurs trois enfants.
Parlons en de ceux là tiens... L'aîné, Auguste, bien parti sur les traces de son père, dix-sept ans, grand, maigre, fainéant et qui ne pense qu'à compter fleurette.
Louison, la cadette, ah celle là, à dix ans c'est la digne fille de sa mère, la chérie, la chouchou de cette dernière, vaillante et râleuse, une perle ! Entre les deux le pauvre Antonin, du haut de ses treize ans, il sait pas bien où il se trouve, entre le marteau et l'enclume, il a encore du mal à choisir un camp, tant et si bien qu'on ne l'entend jamais, se demandant parfois s'il existe au sein de cette famille... Cependant, si vous laissez traîner vos oreilles aux ragots, on vous dira que c'est un vaurien, qui passe ses journées à chaparder.
Tout ce petit monde vit agglutiné à Bourganeuf, dans une fermette à la limite de la ruine, appuyée à ce qui doit être une grange et entourée de deux champs dont un réservé à leurs porcs, et si elle gère les cochons et le blé, la mère Ragotin n'a pas encore eu le temps de se mettre à la maçonnerie, puis comme c'est pas Fernand qui saurait réparer une toiture et calfeutrer les murs, on se demande encore comment tout ce bazar tient encore debout...
Ce jour là si on ne voyait pas la paysanne, on pouvait l'entendre rouspéter, pester et maudire son homme depuis la lisière de leur propriété. Fernand lui, à mille lieues de se douter que sa Germaine lui cassait du sucre sur le dos, cuvait appuyé à un arbre, rêvant aux corneilles, l'il hagard.
Pendant ce temps, la tête dans les caisses, le fessier en premier plan et les mains dans le cafarnaum qui leur servait d'entrepôt, la mère Ragotin préparait les sacs de blé à vendre sur le marché de la semaine suivante, quand elle poussa un cri, causant la panique chez les porcs qui se roulaient tranquillement dans leur bouillasse :
- Putentraiiiiiiiiiiiiiiiilles ! Satané de caisse de bois ! Foutue écharde !
S'étant relevée d'un bond, cogné à l'étagère, Germaine s'en était allé voir à la lumière du jour ce qui lui avait valu cette douleur au doigt, essuyé le sang à son tablier avant de déchirer un morceau de jupon pour s'en servir de bandage et avait continué de mettre les sacs de côté.
Il va sans dire que le rat qui avait planté les crocs dans le doigt de la vieille avait eu lui aussi sa dose d'épouvante, et s'était carapaté vite fait pour ne plus revenir chez ces fous furieux, mais, pas avare pour deux sous, avait cependant laissé à la femme un ou deux souvenirs de sa présence qui courraient à présent sous la manche de la robe usée. Après cet épisode douloureux, notre vaillante fermière et ses puces s'en était allé préparer le souper à la famille évidemment déjà attablée, se grattant de-ci de-là, sans trop savoir pourquoi...
Notre Germaine passa une semaine des plus affreuses, tout comme le rongeur, l'hiver n'a jamais été son fort elle s'était dit, de son côté le rongeur songea que la vieille lui avait refilé une saleté et avait lamentablement dit adieu à cette terre dans un couinement rauque.
C'est donc la mine blafarde et la main tremblotante qu'elle s'en est allé au marché ce matin là criant d'une voix tout juste audible que son blé était le meilleur de la région, vantant sans conviction son prix maudique et toussant plus qu'elle ne respirait au nez des passants septiques :
- Treize écus le saaaac, y'en aura... Pas pour.... Tout le monde !
Si seulement je pouvais m'asseoir, pensait-elle...