Elle ne pu retenir un très léger sourire quand les mots de la danseuse se firent murmure.
Aucune crainte...
Pourquoi en avoir ?
Tout était comme suspendu à un fil invisible.
Trois funambules en équilibre précaire.
Les uns se pensant plus en sécurité, parés par on ne sait quelle corde autour de leurs hanches.
D'autres, semblant plus en danger, déséquilibrés, cherchant à rester sur ce fil ténue...
Et pourtant, s'il y a bien une chose que tout être se masquant devrait savoir. C'est qu'il faut se méfier des apparences.
Un masque n'est pas forcément fait que de cuir ou de tissu.
Ne dit-on pas que le plus beau maquillage est celui qui ne se voit pas ?
Sans même un regard pour le mâle à leurs cotés, lentement elle s'accroupit.
La brume se noyant dans les ténèbres, un léger sourire aux lèvres.
Comme un chevalier s'agenouillant pour un adoubement, elle posa délicatement la fiole au sol et le tissu propre sur son genou plié.
Comme une servante aux pieds de sa maitresse.
D'un geste tout aussi lent mais précis, sans quitter son regard un seul instant, elle défit le bandage de fortune, souillé de sang qui se coagule.
Doucement, le tissu poisseux glissant de sa cuisse, doucement comme une caresse ultime, elle le retira.
Moment qui se fige, instant qui n'existe plus. Secondes qui ne s'égrainent plus.
Le balancier du temps qui se synchronise au rythme des battements d'un coeur.
Et cet instant qui s'étire comme pour n'en plus finir, pour qu'il s'imprime. La lune, sa lune, se reflétant dans la noirceur de ses yeux.
Hypnotisée, oubliant le chasseur à leurs côtés.
Sa main senestre lâcha le linge souillé, et se posa telle une plume, sur sa cuisse.
Son sourire se fit plus étrange, comme empreint de choses indécentes, comme perclus de sous entendu.
Sans la quitter des yeux, elle approcha son visage de la blessure. Son pouce caressant, effleurant, frôla la plaie saignante.
La brume baignant dans les ténèbres, son visage s'approcha et sa bouche goutta à la moiteur de son pouce.
Son sourire se fit presque dérangeant, et elle se redressa dans une infinie lenteur. Sa langue passa sur ses lèvres et son regard se décrocha du sien.
Prenant alors une profonde inspiration comme pour passer à autre chose. Elle prit la fiole et la secoua une nouvelle fois.
La débouchant, de son autre main elle prit le tissu propre et l'imbiba généreusement.
Ci-fait, elle regarda alors pour la première fois la blessure et s'attela à la nettoyer.
Dans des gestes lents, frôlant la chair meurtrie. Précise et sure, lavant le sang poisseux, lavant le sang séché.
Avec de petits tapotements parfois doux et parfois appuyés, essuyant le trop plein, essuyant la souillure.
De part et d'autre, imbibant de nouveau le tissu de lin quand le besoin s'en fait sentir.
Concentrée sur son ouvrage, oubliant tout ce qui gravite autour, seule la lune reste son unique témoin.
Néon naturel, pour lui offrir la plus belle des lumières.
Ses gestes se stoppèrent lentement, puis elle se releva.
S'étant appuyée sur sa jambe arrière, elle se trouvait donc à plus d'un mètre du couple masqué.
D'un geste désinvolte elle jeta le lin souillé avec le bandage.
Faisant couler dans ses mains se qui reste de vin dans la fiole, elle s'en lava les mains et recula de nouveau d'un pas.
S'accroupit près de sa besace et s'essuya les mains de tissu propre.
Elle inspira alors une nouvelle fois profondément et elle posa son regard sur eux.
Visage fermé, impassible, sans être froid ni hautain, sans être provocateur ou indifférent. Juste impassible.
Elle parla alors, d'une voix claire, calme et posée.
Aucune infection en effet...
Je vais donc continuer si vous le permettez...
Elle sortit alors de sa besace un petit pot de bois, ainsi qu'une cuillère. Puis un tout petit pot de terre fermé d'une ficelle.
Elle reporta son attention sur son ouvrage, les quittant du regard.
Tout en ouvrant le petit pot de terre, elle fit dégouliner ce qui semble être du miel dans le petit pot de bois.
S'affairant, elle continua à parler d'une voix monocorde, presque sans timbre.
Nul besoin de me menacer Sir.
Nul besoin de montrer votre supériorité.
Rangez donc vos cure dents, ils ne servent à rien. Sauf si bien sur vous souhaitez nous tricoter un bas de laine.
Par ce temps, ça serait utile.
Elle marqua un bref silence alors qu'elle prenait différentes herbes et les mélangeait au miel, puis continua.
Vous savez Sir, si vous aviez à craindre, vous seriez déjà tous deux aveuglés et agonisants à mes pieds.
Toujours sans le regarder, elle continuait sa mixture.
Il suffit de pas grand chose pour mettre à mal un fin chasseur.
Du poivre dans les yeux, par exemple.
Vous savez combien de temps agit le cyanure en poudre qu'on souffle dans un regard... ?
Elle posa alors le petit bol de bois sur l'herbe, puis sortie de sa besace un tissu enveloppant quelque chose gros comme le poing d'une femme.
Elle retira le tissu et découvrit une large et épaisse feuille d'un vert émeraude.
Reprenant le bol, elle se releva alors et fini par reporter son attention sur eux.
Évitez de me prendre pour une proie Sir.
Vous n'avez rien à craindre de moi.
Alors rangez vos pointes, et épargnez moi votre mascarade morbide.
Il serait dommage que leur présence nuise à ma concentration et que je me trompe dans les doses que j'applique.
Je n'ai pour ma part, absolument rien à perdre...
Et si vous voulez user de vos armes, alors sachez que j'userais des miennes.
Elle le fixa alors, sans sourciller, ses yeux gris arpentant son masque argenté.
La lune au dessus d'elle, comme une mère protectrice, chape lumineuse, les enveloppant de son halo glacé.
Elle le fixait, le cur battant, malgré l'assurance qu'elle ose montrer.
Elle le fixait, les muscles tendus, prête à se jeter si elle le sentait faire un geste de trop.
Elle le fixait, sans arrogance, sans provocation, simplement sure et fière de ce qu'elle est elle-même.
Fille d'Elle, si elle doit mourir ce soir, que se soit sous son regard.