Safranne
Mon coeur martelait ma poitrine à chaque mot qu'elle prononçait d'une voix blanche. Feindre le détachement n'avait jamais été de mes aptitudes. Chaque rictus de mon visage trahissaient mes émotions, souvent rapidement suivies d'éclats de voix.
Cependant, la tristesse environnante avait réussi à me gagner et la haine que j'aurais pu ressentir la veille avait fait place à de la détresse, à la vulnérabilité d'une gamine de onze que j'étais encore par bien des aspects.
Elle se tenait, rigide, la paume de sa main plaquée sur le métal de sa main. Il y avait déjà tant de morts ici qu'une de plus n'aurait pas fait tâche. Mais, à dire vrai, je n'avais plus envie de verser son sang. Avec le recul, ma violence de la veille me paraissait vaine et totalement dénuée de bon sens. Comme l'emportement d'une petite fille qui n'avait pas encore grandi. Comme si l'on pouvait grandir sur des bases d'enfance aussi boiteuse que violente?
Il y a une femme là-bas. Acceptes tu qu'on aille à son chevet.. ensemble?
Ensemble.. Voilà un mot qui avait mis six années à faire son chemin, et franchir le fossé que nous avions toutes deux par la hargne et la rancur.
Je tournai la tête vers la famille.
Les enfants s'accrochaient à leur mère sans même craindre la Mort. Alors que j'aurais bien vu la mienne agonisante sans oser la toucher, la laissant sombrer elle-même et seule, considérant en cet acte la Faucheuse comme mon alliée vengeresse. Mais j'aurais pensé cela hier. Et la mort de la grande Jades de Chesnais n'était pas pour aujourd'hui.
Je ne lui adressai pas un seul mot qui aurait pu lui montrer un vacillement de ma part, et préférai détourner cette tendresse émergente et dangereuse vers la famille dans le besoin. Je pris l'aîné des enfants par les épaules et lui tendis le reste des hosties qu'il considéra rapidement comme des biscuits secs et il se recroquevilla avec ses frères et surs dans un coin de la tente, laissant place aux soignants autour d'un très probable futur cadavre. Je soufflai près de son oreille une prière pour l'apaiser de ses pêchés qui ne l'accompagneraient pas dans l'au-delà, préservant ainsi son âme, moi qui me sentais bien inutile pour le corps.
Puis mon regard soutint celui de Jades qui me fixait depuis tout ce temps.
Cependant, la tristesse environnante avait réussi à me gagner et la haine que j'aurais pu ressentir la veille avait fait place à de la détresse, à la vulnérabilité d'une gamine de onze que j'étais encore par bien des aspects.
Elle se tenait, rigide, la paume de sa main plaquée sur le métal de sa main. Il y avait déjà tant de morts ici qu'une de plus n'aurait pas fait tâche. Mais, à dire vrai, je n'avais plus envie de verser son sang. Avec le recul, ma violence de la veille me paraissait vaine et totalement dénuée de bon sens. Comme l'emportement d'une petite fille qui n'avait pas encore grandi. Comme si l'on pouvait grandir sur des bases d'enfance aussi boiteuse que violente?
Il y a une femme là-bas. Acceptes tu qu'on aille à son chevet.. ensemble?
Ensemble.. Voilà un mot qui avait mis six années à faire son chemin, et franchir le fossé que nous avions toutes deux par la hargne et la rancur.
Je tournai la tête vers la famille.
Les enfants s'accrochaient à leur mère sans même craindre la Mort. Alors que j'aurais bien vu la mienne agonisante sans oser la toucher, la laissant sombrer elle-même et seule, considérant en cet acte la Faucheuse comme mon alliée vengeresse. Mais j'aurais pensé cela hier. Et la mort de la grande Jades de Chesnais n'était pas pour aujourd'hui.
Je ne lui adressai pas un seul mot qui aurait pu lui montrer un vacillement de ma part, et préférai détourner cette tendresse émergente et dangereuse vers la famille dans le besoin. Je pris l'aîné des enfants par les épaules et lui tendis le reste des hosties qu'il considéra rapidement comme des biscuits secs et il se recroquevilla avec ses frères et surs dans un coin de la tente, laissant place aux soignants autour d'un très probable futur cadavre. Je soufflai près de son oreille une prière pour l'apaiser de ses pêchés qui ne l'accompagneraient pas dans l'au-delà, préservant ainsi son âme, moi qui me sentais bien inutile pour le corps.
Puis mon regard soutint celui de Jades qui me fixait depuis tout ce temps.