--Asclepsios
Les cadavres commençaient à s'accumuler et la tente sommaire manquait de place. Les morts étaient, dans l'attente d'être évacués, entassés à même le sol, à seulement quelques mètres des malades. Rien de bien réjouissant pour ces derniers qui voyaient leurs camarades et s'imaginaient déjà les rejoindre dans peu de temps.
Aucun remède traditionnel ne marchait et il fallait souvent se résoudre à utiliser des méthodes qui, bien qu'efficaces pour d'autres maladies, se révélaient complètement désuètes contre la Peste. Les plus atteints étaient soumis à la saignée, destinée à purifier le sang mais, bien souvent, les malades ne survivaient que quelques heures à ce traitement. Au moins cela abrégeait leurs souffrances.
Les plus vaillants étaient maintenus au lit par deux ou trois personnes et les médecins incisaient les bubons purulents, recueillant dans des fioles le pus épais et noirâtre qui s'échappait des plaies suintantes.
Une femme venait de mourir. Depuis quelques heures, trop fatiguée pour pouvoir tousser, elle se recroquevillait sur elle-même, le visage marqué par une profonde souffrance. Asclépios, pris de pitié pour cette malheureuse avait pensé à abréger ses tourments mais sa fonction l'empêchait de mettre fin à une vie, même si celle-ci était perdue.
Il fit signe à deux de ses aides de débarrasser le corps, sachant que le lit ne tarderait pas à trouver preneur. En effet, quelques minutes plus tard, un homme, qui attendait dehors fut emmené à la place de l'infortunée. Il semblait vigoureux et son état n'était pas encore préoccupant... pour l'instant.
Asclepios, exténué, s'autorisa une pause bien méritée et s'installa à son bureau de fortune afin de consigner par écrit ses observations. Qui sait, cela servira peut-être un jour.
Son accoutrement n'était pas très pratique pour écrire, mais s'il voulait garder bonne santé, il se contraignait à porter ces habits qu'il avait lui même élaborés : des bottines de cuir, solidaires de culottes de peau et une chemisette, bien enfoncée sous les culottes, le tout sous un long manteau noir et des gants de cuir. Mais le plus impressionnant était le masque. Un long bec percé de deux trous pour respirer, emplit de divers encens, de souffre, de vinaigre et de thym, de petites bésicles rondes sous une cagoule noire et un chapeau de cuir protégeant la tête.
Cet accoutrement, qui lui donnait l'allure d'un oiseau de mort, lui avait été inspiré par les recherches de ses pairs qui, durant la Grande Peste Noire de 1430, avaient noté que le meilleur moyen de se protéger était de se protéger des émanations du Malin avec les encens dans le bec et des rats, grâce au cuir épais.
Il attrapa un parchemin et une plume et rédigea ses premières conclusions.
La Peste s'est déclarée à Tulle et les symptômes sont facilement identifiables, ce qui ne laisse planer aucun doute quand à la nature de la maladie : Fièvre, bubons, charbons, pourpre, flux de ventre, délire, phrénésie, douleur destomac, palpitation de cur, pesanteur et lassitude de tous les membres, sommeil profond et sens tout hébétés, inquiétude, difficulté de respirer, vomissements fréquents, flux de sang par le nez et autres parties du corps, appétit perdu, langue sèche, noire et aride, regard hideux, face pale, tremblement universel, puanteur des excréments...
Trois jours environ après l'apparition des chancres purulents, les malades succombent dans d'atroces souffrances au Mal qui les ronge de l'intérieur. Mais, certains survivent. L'incision des anthrax et l'écoulement du pus semble y jouer pour beaucoup mais seuls les plus vaillants peuvent survivre à ce traitement ô combien terrible. D'autres en revanche, survivent sans raison apparente et, une fois guéris, ne semblent plus affectés par la Mort Noire. Dieu seul sait pourquoi, je n'ai pas de réponses pour l'instant.
Mais plus inquiétant encore, certains malades succombent à une vitesse folle, sans qu'aucun symptôme annonciateur ne soit décelé. Je pense que la maladie se propage par l'air vicié qui accompagne forcément les malades. Personnes n'est donc à l'abri.
Pour l'instant, ma tenue me protège du Mal, sans doute grâce au souffre et à la myrrhe qui repousse le vice de mes narines. J'espère que cela me protègera suffisamment longtemps.
Asclepios relut son texte, sortit de la tente quelques minutes, en profitant pour retirer son masque afin de respirer l'air frais de la nuit. Il réajusta son accoutrement et retourna dans la tente, auprès de ses malades.
nota : le costume décrit n'a, dans la réalité été inventé que plus tard mais pour l'intérêt du scénario, je pense que personne ne m'en voudra de cette erreur volontaire.