A force de gardes avec ses soldats et de nuits sans sommeil aux côtés de son mystérieux visiteur, Xm commençait à perdre doucement la notion du temps. D'aucuns auraient ajouté que sa notion de la réalité avait elle aussi tendance à devenir plus floue et son amie Caël, qu'elle venait de rencontrer en taverne, semblait pour sa part s'inquiéter beaucoup pour elle. Les regards soucieux qu'elle lui jetait à chacune de leurs brèves rencontres ces derniers jours, en disaient long sur l'incertitude qui commençait à l'habiter.
Serais-je, en en train de devenir folle? se demandait Xm en cheminant à grand pas dans les rues sombres et désertes de Genève.
Elle s'arrêta un moment à la lumière d'un pot à feu pour mieux réfléchir. Le vent glacial s'engouffrait sous sa cape qu'elle resserra frileusement autour d'elle. Elle haussa les épaules. La jeune femme devait bien admettre que celui qu'elle voyait tous les soirs dans sa maison au fond des bois ne pouvait pas être là.
Un spectre?
Elle ne pouvait l'accepter. Comment un spectre aurait-il pu lui répondre, lui sourire, boire son thé, manger sa nourriture, passer la nuit avec elle sous sa couverture?
Le visage fermé, Xm se remit en marche.
Ou alors tout cela n'était-il qu'une cruelle illusion?
Une rassurante création de son esprit malade et de son cur déchiré par la culpabilité? Xm s'arrêta à nouveau.
Dans le froid et les ténèbres humides de la nuit, au delà du pont et de la place devant la grande bâtisse sombre de l'avoyerie, la route vers la forêt et la montagne ouvrait un sillon miroitant sous la lune. En plissant les yeux, elle pouvait presque distinguer une lueur indécise, tremblante comme un feu follet. Un spectre aurait -il pu allumer une lanterne? Elle n'avait en tout cas aucun souvenir de l'avoir fait. D'ailleurs, elle, si précautionneuse et ordonnée, comment aurait-elle pu commettre pareille imprudence?
Laisser une lanterne allumée dans une maison de bois et de papier... impossible.
Les planches du pont, puis les pavés de la place de la mairie, résonnèrent sous les bottes de Xm. Il n'y avait pas âme qui vive à cette heure tardive. Un volet battait au vent, grinçant et cognant contre une fenêtre avec une régularité sinistre. Comme tirée d'un mauvais rêve, Xm réalisa qu'elle se trouvait devant son échoppe et que le volet qui battait était celui qui défendait sa fenêtre. Elle s'approcha, machinalement pour le fixer plus solidement, le bruit devait agacer ses voisins...
Qui étaient-ils au fait? Elle ne s'en souvenait plus.
Alors qu'elle s'apprêtait à coincer la persienne rebelle avec une pierre, elle aperçut une feuille collée contre le carreau par la pluie et le vent. Un pot à feu placé providentiellement à quelques pas lui permit de déchiffrer les quelques lignes délavées, tracées d'une main alerte.
Citation:Chère Xm,
j'aimerais te voir, mais bien sûr il faudrait que tu le veuilles aussi...
j'attends donc ton bon vouloir et t'embrasse
Musa, désormais chauve...
Xm jura à mi-voix. La courte missive à peine lisible encore se froissa dans son poing serré. Un sentiment d'impuissance et de honte l'envahit soudain.
Mein Gott, comment ai-je pu ainsi l'abandonner? Mais...
Elle défroissa le message et le rapprocha de la flamme du pot à feu, le retournant en tout sens, tâchant de découvrir un indice, une date qui pourrait lui indiquer quand Musaraigne avait déposé ce parchemin. Rien. Pas une trace. Certes, l'écriture était encore visible malgré le mauvais temps qu'il avait fait ces derniers jours.
Il ne pouvait pas y avoir de cela plus d'une semaine? Deux???
Xm affolée essayait de se remémorer la dernière fois qu'elle s'était arrêtée devant sa boutique. Combien de nuits de gardes avait-elle effectuées depuis? Combien de nuit d'oubli avait-elle passées dans sa maison dans la montagne?
Impossible de se le rappeler.
Fouillant sous la grosse barrique retournée qui lui servait de siège devant sa fenêtre quand il faisait beau, Xm récupéra la clef et entrouvrit la porte. Il régnait dans la boutique un froid de caveau et la lune qui n'avait pas encore atteint son point de culmination n'éclairait pas encore la pièce qui semblait remplie d'une ombre liquide et noire comme de la suie. Xm eut un mouvement de recul. Son regard angoissé se tourna encore une fois vers la montagne où le lumignon qu'elle y avait distingué quelques minutes auparavant semblait clignait pour l'appeler. Xm hésitait sur le pas de la porte, se mordant les lèvres. Au bout de longues secondes elle se décida enfin à entrer, adressant une prière muette à celui qui l'attendrait en vain cette nuit .
Pardonne-moi maître. Je n'ai pas le choix. Je dois sauver la vie de cet homme.
Elle entra et referma la porte derrière elle. Elle se hâta d'allumer un feu et de poser une chandelle dans un candélabre sur la table. Ne sachant où elle avait laissé son écritoire - peut-être était-elle restée là-haut avec le reste de ses affaires - elle retourna la lettre que lui avait adressée Musa et la lissa du plat de sa main. Une mine, une plume, il lui fallait quelque chose pour lui répondre. Fouillant fiévreusement ses tiroirs, elle finit par dénicher un morceau de mine de plomb et griffonna en toute hâte:
Citation:Je suis désolée. J'espère que tu me pardonneras de t'avoir abandonné. Viens me voir dès que tu le voudras. Je t'attends. Xm
Elle grimpa quatre à quatre au grenier, où par bonheur ses colombes n'avaient pas terminé la réserve de grain qu'elle leur avait laissé à son dernier passage. Elle attrapa la plus courageuse, celle qui n'avait pas peur de voler la nuit, et lui fixa les message soigneusement replié à la patte. Elle la lança par la lucarne._________________