--Yaoquizqueh
Le guerrier a perdu. Sur tous les fronts.
Lui rêvait d'une suprématie évidente de sa caste sur les maceualli de sa province.
Il est désormais réduit à un rang subalterne, négligeable, certain que les tyrans civils ne consulteront pas son avos.
Lui rêvait d'un règne mouvementé ou la puissance de l'Occident serait affirmée.
Il sait désormais que ce sera un règne de guerre civile et de lutte pour des idéaux et des visions différentes de la liberté.
Lui rêvait de chasser de son calpulli un politicard désappointé.
Il a perdu son combat contre le Tlatoani de la province.
Une nouvelle guerre s'annonce pour ce vétéran de Cuauhtochco et Tepeyacac.
Il sait qu'il a perdu les premières batailles.
Il sait que les dieux rétabliront son honneur lorsqu'il gagnera cette guerre.
Il sait ce qu'il devra faire.
Pour l'heure, il est tout à sa fuite éperdue hors de Tulancingo.
--Pochtecatl
Le marchand se lèche les doigts. Et les babines.
Il est bien renseigné, c'est son métier.
Et il sait quels changements se préparent avec le changement de dirigeants.
La caste des guerriers va être désavouée.
Ces guerriers, pendant deux mois, cesseront d'exploiter les Maceulli pour nourrir leurs guerres.
C'est à sa caste de les remplacer. C'est à lui d'en profiter pour agrandir ses bénéfices.
Même si lui ne finance rien. Ni guerre, ni développement, ni clan.
Il ne finance que l'achat de bourses chaque fois plus grande.
Le marchand n'aime pas les guerriers. Leurs actes l'ont souvent privé de bonnes affaires.
Il ne les aime qu'avant les guerres, lorsque l'intendant des marchés achète des massues et des boucliers.
Le marchand préfère les civils pour qui il a voté.
Il sait que le nouveau Tequitlato a déjà promis de l'enrichir.
Il fait des réserves. Immenses. Il est riche, déjà.
Il sera deux fois plus riche bientôt.
Il sait ce qu'il doit faire.
Et pour cela, il est tout à compter ses maïs et ses haricots.
--Maceulli
Le paysan est heureux.
Il vit dans ses petites propriétés.
Il a toujours vu les guerriers rançonner ses clans pour financer leurs guerres.
Il sait que les guerriers sont nécessaires, et il pense sincèrement qu'il faut qu'ils aillent faire la guerre.
Mais le paysan pense que les guerriers peuvent la guerre sans ses ressources, son argent ou son aide.
Le paysan se dit que lui, pour cultiver son maïs, il n'a pas besoin de leurs massues.
Pour cette raison, le paysan a voté pour des gens comme lui.
Des gens qui ne sont jamais sortis de leurs champs et ne comprennent pas les guerriers.
Ces gens lui ont promis qu'ils mettraient fin à l'aristocratie guerrière.
Le paysan était heureux de voir qu'ils avaient gagné : ces petits problèmes prendraient fin.
Puis le paysan a appris que le tequitlato avait fait monter le prix des productions primaires.
Le paysan essaye de se souvenir : jamais la province n'a acheté le maïs aussi cher.
Le paysan calcule : ses tortillas et ses haricots seront plus chers qu'avant.
Le paysan voit passer un marchand près de sa grange.
Il calcule ses sacs de haricots. Le paysan proteste.
Le marchand lui dit combien va coûter la nourriture bientôt.
Le paysan est obligé de lui vendre sa production.
S'il ne vend pas, il ne pourra bientôt plus manger.
Le paysan est déboussolé.
Il ne sait pas ce qu'il doit faire.
--Pilli
L'aristocrate a perdu le pouvoir.
L'aristocrate avait toujours parié sur les bons lamas.
Sa famille est puissante. Possède de nombreux clients. Et a toujours un coup d'avance.
Sauf que là, l'aristocrate, il vient de perdre le pouvoir.
L'aristocrate est blasé.
Il va devoir mordre son frein pendant deux mois.
Il ignore encore s'il doit se rallier aux nouveaux dirigeants, ou lutter contre eux.
Il sait juste qu'une nouvelle fois, il devra se fier à lui seul.
Les guerriers sont trop impétueux.
Les marchands sont trop intéréssés.
Les paysans sont trop bêtes.
Lui ne prendra pas ouvertement les armes.
Lui cachera ses richesses et paraîtra humble.
Lui ne fera néanmoins aucune confiance aux nouveaux dirigeants.
L'aristocrate sait ce qu'il doit faire.
Il se servira d'eux. Et la maîtrise des choses lui reviendra.
--Pochtecatl
Le Marchand est déçu du nouveau régime.
Il l'a vu s'instaurer avec méfiance, ne sachant pas ce qu'il apporte avec lui.
Lui était toujours passé derrière les guerriers, mais s'était habitué aux magouilles de l'Aristocrate.
L'un dans l'autre, il s'était enrichi, bon gré mal gré.
Et là, il vient de perdre des fortunes, le Marchand.
Le nouveau Tequitlato a annoncé une hausse des prix.
Cette dévaluation des cours était généralement exceptionnelle est réfléchie.
Elle survenait une à deux fois par règne, et était souvent une réévaluation.
Là, non. Le nouveau Tequitlato a agi sans tenir compte des conséquences.
Le Marchand le sait bien, l'économie est volatile, on la maltraite pas.
Cette annonce, le Marchand l'avait accueilli avec joie, et avait acquis un grand nombre de sacs de maïs ou de haricots.
Mais le Tequitlato a aussitôt rechangé les cours.
Dévaluer les cours aussitôt après avoir réévaluer, c'est un piège grossier.
Mais le Marchand est tombé dans ce piège.
Il s'est porté acquéreur d'immenses réserves qui, déjà, valait énormément moins.
Il a désengorgé les marchés, mais c'est ruiné.
Le Marchand savait déjà qu'il ne pourrait pas faire confiance aux nouveaux dignitaires.
Un esprit versatile et volatile ne peut obtenir la confiance des réseaux commerciaux et économiques.
--Pilli
L'Aristocrate est content de lui.
Le Tlatoani a commis une erreur, une grave erreur.
Il a chassé sans l'annoncer ni prendre avis de quiconque, le Prêtre du Calmecac.
Lequel a été remplacé par quelqu'un qui n'est pas du même milieu que l'Aristocrate.
C'est à dire quelqu'un qui magouille tout autant, voir plus, que l'Aristocrate.
Mais quelqu'un qui magouille pour le Tlatoani, et non pour l'Aristocrate.
L'Aristocrate ne peut pas permettre qu'on ne magouille pas pour lui.
Il profite de son incompétence. De son manque d'expérience.
Il se sert du Guerrier. Il se sert du Tlamacazqui.
Et il parvient à la chasser, de son ombre, sans que son nom soit cité ou su de quiconque.
Le Tlatoani recule, et perd le premier combat de son règne.
L'Aristocrate sait déjà que son influence reste intacte.
Ces nouveaux dignitaires, il connait déjà leurs faiblesses, et il saura les utiliser.
--Tlamacazqui
Le Tlamacazqui est tout sauf discret. Il est partout.
Il sait que c'est à lui de parler au nom des dieux.
Alors il parle. Beaucoup. Trop. Il parle de tout. Un peu partout.
Le Tlamacazqui pense ça. Mais il pense aussi un peu son contraire. Il pense surtout son juste milieu.
Le Tlamacazqui ne s'entend pas avec lui-même.
Il ne s'entend pas non plus avec les autres Tlamacazqui.
Il défend son statut. Il est Tlamacazqui. Par sa bouche, les dieux s'expriment.
Tout le monde le sait. Mais tout le monde doit le savoir un peu plus encore.
Alors il va partout. Et il le dit.
Alors personne n'ose lui dire qu'il devrait se taire. On ne demande pas cela, à la bouche d'un Dieu.
Le Tlamacazqui en profite. Il se mêle de politique.
Son statut n'en sort pas sauf : il perd son temple, son aura, ou sa position.
Mais il s'en fiche. Il est et reste le Tlamacazqui.
Le Tlamacazqui a oublié ce qu'il doit faire.
Se contenter de parler au nom des dieux. Et faire passer la politique après.
--Yaoquizqueh
Le Guerrier s'est révolté pour apaiser son âme.
Il est plein de valeurs et de principes.
Il a voulu faire passer un message, faire connaître son désespoir face aux procédés honteux.
Et maintenant, partout où il passe, on lui interdit l'accès aux Calli et aux Cantinas.
Il n'est plus le bienvenu. "On me l'a dit, tu es un pillard", lui oppose-t-on.
Le Guerrier n'est pas un pillard. Il ne pille pas ses frères.
Il obéit à la Voie du Guerrier.
Seuls ceux qui ne comprennent rien à l'honneur d'un Guerrier peuvent penser que le Guerrier pille.
Le Guerrier est sanguin. A cet instant, il connait la haine.
De la haine contre l'Aristocrate, qui s'est servi de lui puis l'a laissé choir.
De la haine contre le Tlamacazqui qui lui avait assuré la faveur des Dieux.
Mais, surtout, surtout, de la haine contre le Tlatoani, qui ne comprend rien à l'honneur du guerrier.
Un Guerrier se bat pour une idéologie. Pas pour des pièces en argent.
Ou ce n'est pas un Guerrier.
Le Guerrier n'y croit plus.
Son Tlatoani l'insulte et les dieux ne le soutienne plus.
Il jette un dernier regard sur la route derrière lui, et rentre dans son clan.
Il n'en sortira que lorsque la Grande Roue Solaire reprendra son chemin sans troubles.
--Maceulli
Chaque jour désormais, le Paysan sort de ses champs pour aller s'informer.
Il a cru ce qu'on lui a promis. Il y a cru. Il l'a soutenu. Il le veut.
Il comprend qu'un vent de changement souffle sur la province.
Pas forcément le changement espéré, mais un changement tout de même.
Il sait que son maïs a été acheté par un marchand.
Il sait que ses haricots ont été acheté par son calpullec.
Alors qu'il commençait à désespérer de le vendre.
Il de l'argent. Il peut cesser de travailler quelques instants et aller se promener.
Il voit passer le Guerrier, l'air aigri et taciturne. Il sourit.
Il n'aime pas le Guerrier, car le Paysan ne comprend pas son mode de vie.
Il ne comprend pas qu'on puisse sacrifier sa vie pour une idéologie, car lui n'a aucune idéologie.
Il voit passer le Tlamacazqui, l'air préoccupé.
Il aime encore moins le Tlamacazqui, car le Paysan ne comprend rien aux divinités.
Il ne comprend pas qu'on puisse croire en des choses qu'on n'a jamais vu vivre.
Il se considère comme plus logiques qu'eux. Plus intelligent.
Il faut être bête, pour suivre aveuglément un mode de vie basé sur un texte.
Il reste perplexe lorsque les esclaves de l'Aristocrate colporte des nouvelles.
L'esclave dit : "Le nouveau Tequitlato a endetté la province".
Le Paysan s'en fiche, puisqu'on lui a acheté ses productions.
L'esclave dit : "Le Tlatoani a finit par restaurer le Prêtre du Calmecac dans sa fonction".
Le Paysan s'en fiche, il n'ira jamais au Calmecac.
L'esclave parle encore, mais le Paysan part. Il s'en fiche.
Il a vu toutes les anciennes élites passer et défiler.
Il ne sait pas ce qui les remplacera.
Mais il sourit, lorsqu'il rentre chez lui.
--Pilli
L'Aristocrate voyait s'effondre sous ses yeux le monde qu'il avait mis tant de temps à fonder.
Il avait été un Bâtisseur, développant une vaste civilisation sur la base de valeurs et de textes.
Ces valeurs étaient jetées aux rios après avoir été réduites en cendres.
Ces textes étaient foulés aux pieds sans jamais avoir été consulté par celui qui devait les garantir.
Toute la journée, l'Aristocrate la passe à consulter les uvres historiques sur Tlaxcala.
Depuis toujours, apprend-il, Tlaxcala a été une République.
Depuis toujours, voit-il, les charges sont réparties entre les dignitaires des provinces.
Depuis toujours, tous les chefs, dignitaires et aristocrates participent à la Chose Commune.
L'Aristocrate ne comprend pas.
Il ne comprend pas qu'un homme seul puisse penser bousculer toutes les traditions d'un peuple.
Il ne comprend pas qu'un homme ne place que ses seuls hommes et clients à tous les postes.
L'Aristocrate rejoint la lutte du Guerrier.
L'Aristocrate rejoint les paroles du Tlamacazqui.
Il sort de l'ombre, ordonne à ses clients d'organiser une prise d'armes.
L'Aristocrate ne sait pas comment cela se finira.
Mais il sent que les choses changent, et qu'il n'en va plus seulement de ses intérêts.
Il en va aussi de l'intérêt de Tlaxcala, tout entier.
--Pochtecatl
Le Marchand s'inquiète.
Le nouveau Tequitlato du Tlatocan a du lui emprunter de l'argent, voici quelques jours.
Il a vite été remboursé.
Mais la crainte de l'endettement du Tlatocan persiste.
Comment pourrait-il prêter l'argent qui servira à lui acheter ses marchandises ?
Le Tlatoani Darflex est pauvre.
Le Tequitlato Ali, ayant changé trois fois les prix des marchandises en deux jours, est incompétent.
Le Marchand apprend que les actes du Tlatoani entrainent des révoltes partout dans la province.
Un agent du Tlatoani lui apprend que des Guerriers ont pillé Ixtenco.
Un agent de l'Aristocrate lui apprend que la Pochteca a été chassée de Nopalucan.
Ce qu'il comprend, lui, c'est que les beaux jours du commerce sont menacés.
Les Calpullecs ne sont plus des contacts stables.
Le Marchand ne sait pas comment ses affaires vont évoluer.
Ce règne risque de ne pas lui permettre de les faire prospérer.
Tout au plus va-t-il tenter de les préserver.