[Quelque part... Allez savoir]
Le hongre marche d'un pas lent, comme si le fait réveiller son propriétaire est la dernière chose qu'il souhaite au monde. Le géant, lui, émerge peu à peu des limbes de Morphée, dont les brumes matinales semblent se matérialiser sur le chemin traversant la forêt. Azurs à demi-éveillées qui scrutent le sentier, à la recherche d'une bifurcation parmi les arbres aux branches vêtues d'une fine pellicule de glace. Qui dit brumes vaporeuses matinales, dit eau pas très loin.
Faire un brin de toilette ne lui déplairait pas, au moins pour enlever le sang qui macule ses bras, fruit de la chasse au lapin menée un peu plus avant. Un mâle, pour ce qu'il en sait, au pelage épais et roux. Un peu maigre pour lui, mais les temps de disettes existent aussi ici-bas. La peau a été soigneusement retournée, la viande soigneusement empaquetée dans un carré de peau tannée par les ans, accroché à sa selle.
Se laissant guider par le hongre alezan, luisant légèrement lorsque les rayons du soleil viennent frapper sa robe noisette, le blond laisse vagabonder son esprit sur ce qu'est devenue la blonde. Elle a maigri, trop à son goût. Elle a vieilli, trop pour lui. Le pincement au cur ressenti lorsqu'il l'a vu après tous ces mois passés sur la route a laissé une trace plus profonde qu'il ne l'aurait cru. Ho, elle n'est pas éternelle, il le sait. Mais à la voir ainsi, percluse de courbatures, il a vu les ravages que le temps a causé, cette mante infatigable et immuable, bien que la blonde voulait lui faire croire le contraire.
L'arrêt du cheval le tire de ses songes. Ses pas les ont mené vers un plan d'eau responsable du brouillard alentour, s'étiolant à mesure que le soleil prend pleinement ses droits sur le jour. Mettant pied à terre, bride en main, il fait plusieurs mètres avant de s'arrêter, laissant tomber les rênes le long du sol.
Il hésite entre plonger les bras complètement quitte à mouiller sa chemise et grelotter de froid ensuite, ou enlever sa chemise pour se retrouver au sec peu de temps après.
La seconde option sera prise, il n'est pas si riche que ça pour se permettre de gâcher du tissu, même si, selon la blonde, un petit pécule l'attend en Rouergue, héritage de Maharet. Lentement, il défait les liens retenant sa chemise noire, avant de la poser sur le dos de Grani. Tremblant doucement sous la bise. Libérant aux yeux d'une nature silencieuse un fardeau qu'il lui est parfois difficile de porter. Vestiges d'une guerre passée, mais qui le hante encore parfois.
Dans son dos, aux tranchées plus ou moins incertaines, plus ou moins creusées, là où les lambeaux de chair ont cédé. La note du maître de guerre, triomphant alors, un "L" majuscule gravé au fer rouge sur son épaule gauche. Sur son torse, une large cicatrice argentée, prenant sa source sur son épaule dextre, pour finir par se perdre sur sa hanche senestre. Rejointe par une autre cicatrice sur le flanc droit, acquise tout récemment.
Le gant est également ôté le plus délicatement possible, ses doigts devenant rouges, indignés de se voir infliger tel traitement, eux si fiers d'avoir un endroit chaud où loger. Jetant un regard qui semble intimer au hongre de rester icelieu sous peine de réprimandes spectaculaires, le géant se dirige vers l'eau finement auréolée de son amante glaciale, il se met à genoux au bord, sortant sa dague de sa botte gauche, pour casser le fragile accord passé entre les deux éléments. Plongeant à la suite ses bras, Azurs fermées, frémissant de plus belle, il les laisse plongés quelques minutes, avant de les ressortir, mains en coupe, pour s'asperger le visage, finissant ainsi de se réveiller.
C'est lorsque ses deux mains finissent de lui révéler le monde qu'il le repère. Un superbe frison, majestueux sous les lueurs solaires. Geste suspendu, il le détaille, un peu comme une bête fabuleuse. Et c'est lorsqu'il baisse enfin complètement les yeux qu'il la voit. Assez proche pour qu'il devine la couleur de ses cheveux. Trop loin pour en apercevoir plus. Une rouquine, entièrement nue.
Un sourcil se hausse. Comment se fait-il qu'une femme se baigne de si bon matin, gelé, de surcroît. S'il était homme à se laisser berner par les contes et légendes, il la prendrait pour une créature surnaturelle de son peuple. Une ondine. Et il a beau dire qu'il croit aux elfes pour passer pour l'idiot de service, il n'en est rien en réalité. Vieille habitude prise avec cette Opale rêveuse, pour faire fuir les démons qui les entouraient en ce temps. Il se frotte les yeux, se demandant si, finalement, il ne rêve pas encore. Mais non, elle est bien là, de profil.
Alors, toujours sur les genoux, un léger sourire amusé esquissé sur ses lèvres, Azurs moqueuses rivées sur la femme, il brise le silence de sa voix grave, resserrant par la même occasion sa lanière de cuir bleue, quelques mèches blondes virevoltant devant lui.
- Fait p'tet un peu frais pour goûter au baiser glacial d'l'hiver d'si bonne heure, croyez pas ?