Il avait voyagé des années durant que ce soit avec le vieux maître ou avec son jeune fils et avait, par la même occasion, rencontré bien des gens que ce soit dans ce que les habitants du coin appelait le royaume de France ou par delà les Alpes, dans sa lointaine contrée natale. Mais, pourtant, jamais, oh grand jamais, il n’avait vu un tel bouseux… A chaque mot que l’homme prononçait, il ne suscitait autour de lui qu’incrédulité et incompréhension… Néanmoins, le cocher ne cessait de s’acharner en leur faisant part à tous, de ses insondables commentaires.
Gaspard ne pu alors réprimer un énième soupire d’exaspération… Mais déjà, le jeune maître retournait dans le carrosse, signe annonciateur que tout cela allait bientôt prendre fin, et ceci au plus grand soulagement de son serviteur.
Toutefois, quelle ne fut pas sa surprise en apercevant le dénommé Serguei pénétrer à la suite de Valezy dans le coche, écartant par la même ce dernier d’un virulent coup d’épaule et ne s’excusant que par une phrase qui, bien qu’il ne pu en saisir le sens de tous les mots, transpirait à grosse goute le manque de respect le plus flagrant.
A cette vision, le nain écarquilla ses yeux… Et se remémora cette froide nuit d’hiver qui s’était déroulée près de deux décennies plus tôt. Ardan avait alors confié son plus jeune fils, le dernier survivant, à la garde de son plus fidèle lieutenant. Etrange souvenir qui causait à la fois peine et joie dans le cœur du petit homme… Car si ce soir là, il avait perdu son plus proche ami, il y avait aussi gagné celui qu’il considérait depuis comme son fils.
Dès lors, le nain n’avait jamais failli à la parole donnée, protégeant, ainsi, l’enfant de son mieux… Et ce n’était, décidément, point aujourd’hui qu’il briserait le serment prêté sur le lit de mort de celui qu’il avait toujours vénéré.
Aussi, devant tous, le nain misérable, transi de froid, brimé à la fois par son maître et par celui qui avait osé le traiter comme le dernier des otages, quelques minutes auparavant, disparu purement et simplement….
Pour laisser place à celui qu’il avait toujours été… Celui qui avait, des années durant, fait régner une froide terreur dans le cœur des ennemis d’Ardan….
Et, c’est ainsi, qu’un hurlement de haine se fit entendre. Tous portèrent, alors, un regard incrédule sur la petite créature capable de pousser un tel cri. Mais loin de se laisser démonter pour autant, ce dernier s’empara à pleine main de sa chemise pour la déchirer…. Laissant ainsi, à leur vue, le spectacle de son impressionnante musculature. Car, tout aussi petit qu’il était, ses bras et ses épaules n’en était pas moins des plus volumineuses…
Une voix rauque eut, alors, tôt fait de franchir la barrière de ses lèvres.
Comment oses-tu ? Comment oses-tu traiter ainsi le dernier fils du Condottiere? Goute au feu de mes poings, chien !!!
Sur ces derniers mots, Gaspard s’élança à toute vitesse dans l’ouverture du coche, en poussant un nouveau cri de rage, dans lequel pouvait se percevoir de fort relent de folie.
Et c’est alors, que la voix de Valezy se fit, à son tour, entendre, à l’image d’une sombre prophétie.
Tu n’aurais jamais du faire cela, rustaud…
Et se disant, le jeune maître s’engouffra dans l’une des banquettes laissant, par la même, la voie libre à son garde du corps qui en profita pour s’emparer à deux mains du pauvre cocher, qui semblait bien loin de comprendre ce qu’il se passait.
Puis, sous le regard dubitatif de tout ce petit monde, Serguei disparu alors du coche, le nain à sa suite, par la seconde porte du véhicule. Porte qui, d’ailleurs, sortit de ses gonds en un craquement de bois sous le choc qui lui fut infligé, pour retomber lamentablement au sol.
Et les deux belligérants ne tardèrent d’ailleurs pas à la suivre. Chutant tout deux sur la route, en un subtile et savant mélange de corps, dans lequel il aurait été bien difficile de distinguer le nain du rustaud. Mais cela ne dura guère… Car, déjà, le nain rendu furieux se redressait avec une vivacité des plus surprenantes pour une créature de sa taille et de son poids. Ses deux poings massifs se dressèrent, alors, vers les cieux avant de retomber avec force sur le ventre du cocher, qui ne pu en avoir que le souffle coupé.
Puis, deux yeux luisants de colère toisèrent Serguei avant qu’il ne déclare.
Si tu crois que j’en ai finit avec toi…
Le nain se détourna alors, sans autre forme de procès, pour faire route vers le carrosse qu’il venait de ruiner purement et simplement quelques secondes plus tôt en le défigurant d’un gouffre béant. Avant de s’agripper aux dorures, et autres décorations, du coche, pour se mettre à l’escalader. Se retrouvant, ainsi, quelques instants plus tard… Sur son toit d’où il toisa une nouvelle fois le cocher.
Ses épaules et son cou craquèrent alors tandis qu’il gonflait ses muscles.
Je me nomme Gaspard… Sacré à plusieurs reprises champion de lutte gréco-romaine…
Aussi souvient toi de ce nom quand tu comparaîtras dans quelques minutes devant le Créateur.
Son coude s’éleva alors, tandis que sa main libre frappa à plusieurs reprises avec fermeté son membre dressé. Se faisant, un sourire carnassier défigura son petit visage barbu et il sauta dans les airs.
L’ombre de son coude se dessinant ainsi sur la gorge du cocher halluciné, effrayé et fiévreux qui voyait se défiler sous son regard bovin et aviné ce qui semblait bien être les dernières minutes de son existence...