Elle suivit du regard chaque geste et courbure de la Dame aux plumes.
Subjuguée par la finesse de ses posés, par la maitrise de ses pointés. Elle le voyait ce fil tendu.
Fil de la vie où tout à chacun glisse comme il peut. Fil ténu où tout à chacun tente de garder un équilibre précaire.
Elle-même était sur un tel fil, en suspend entre ce qui devrait et ce qui ne devrait pas être.
En perpétuelle déséquilibre pouvant la faire basculer d'un coté ou de l'autre.
Ne pouvant se raccrocher à rien, juste à elle-même, juste faire confiance à ce fil.
Funambule de la nuit, funambule de la vie.
Elle la fixait, cette danseuse silencieuse, et elle l'entendait cette musique dans sa tête.
Elle le voyait ce fil qu'elle arpentait.
Frissonnant à chaque pas, à chaque lancé.
Envoutée par ses élans, prise complétement dans la danse.
Instant magique, suspendu à ce fil, à ses gestes à ce regard.
Son cur rata un battement quand elle chuta, surprise, elle la regarda, penchant la tête de coté.
Main tendu vers elle, regard à vous fendre l'âme en deux.
On tombe souvent d'un fil de funambule. Le plus dure n'est pas la chute, mais de se relever, retrouver cet équilibre pour continuer.
D'instinct elle avait eu un mouvement vers elle, petit pas, élan furtif vers celle dont les yeux se noyaient de pluie.
Elle se força pourtant à ne pas aller plus avant. La fixant de ses yeux gris, regard qui encourage, léger sourire qui rassure.
Elle sourit d'autant plus, la voyant se relever, la voyant se déployer tel un aigle royal libre de prendre son envole.
Et puis tourner et tourner jusqu'à s'immobiliser devant elle, le souffle court.
Voici dame. Pardonnez ma maladresse qui a presque abimé l'instant. Un jour quelqu'un d'autre dansera pour vous, et Elle ne se trompera pas.
Elle s'inclina alors, sans la quitter un instant du regarde, noyant ses yeux dans les siens.
Puis lui répondit d'une voix douce, légèrement troublée
Il n'est jamais aisé de danser funambule sur le fil des rayons de lune. Glissant d'ombre en ombre, gardant équilibre au milieu du nombre.
La chute fait partie de la danse de la vie. Le tout est de savoir se relever. Et vous l'avez fait avec une grâce sans égal.
Merci milles fois...
Elle se tut alors que l'homme au masque argenté s'approcha et caressa la joue salée de la danseuse.
Elle se redressa légèrement quand celui-ci lui fit face.
S'étonnant discrètement de la révérence, elle soutint ce regard qu'elle connaissait, qu'elle avait déjà croisé au clair de sa lune.
Quand il parla, un long frisson lui parcourut le dos, ne laissant pourtant rien paraitre, juste peut-être un bref haussement de sourcils, étonnée de sa demande.
N'ayant même pas remarqué que son accompagnateur s'était éclipsé, elle inclina légèrement la tête sans quitter le masque d'argent du regard.
Puis parla sur le même ton.
L'honneur me revient d'une telle proposition. Piètre danseuse que je suis, j'ose espérer que je ne vous ferais pas honte et...
Que je ne vous écraserais pas les pieds de mes pas maladroits.
Elle tendit sa main gantée vers lui, acceptant par ce geste de se laisser entrainer dans son monde.
Elle n'avait jamais danser avec personne d'autre que son père. Sous cette lune, en des jours bien précis.
Pieds nus, caressant l'herbe fraiche, sentant toute l'énergie de la terre.
Mais comment refuser une telle demande en ce soir particulier ?
Elle se laisserait guider comme elle l'avait appris, elle se laisserait transporter.
Étrangement elle avait confiance... sentiment qui d'ordinaire lui faisait défaut.
Mais ce soir, comme cette fameuse nuit de leur première rencontre, tout semblait tinté d'irréel.
Un tout autre monde...