Arrêtée dans mon départ, je me retournai vers le Baron, sous la poigne douce mais ferme de sa main, pour y découvrir un regard différent. Avais-je remarqué qu'il avait ces yeux d'un bleu profond ? Oui...mais...mais avais-je aussi noté qu'ils avaient cette intensité ? Hmmm...peut-être pas. Etait-ce la même personne que j'avais devant moi, qui me tendait un autre parchemin dans un geste presque violent cachant mal une colère encore à fleur de peau ?
Me voici devenue courageuse ? Depuis quand unir sa vie à celle d'un autre relève-t-il d'un quelconque courage ? Ne serait-ce pas plutôt folie, surtout dans ce cas présent ?
La lecture du document éveilla en moi un goût d'injustice flagrante. Mais cela n'était pas de mon rôle d'en parler. Je compris...comme le disait Theognis, oui, j'étais capable de comprendre.
Comprendre surtout que cet homme, derrière une apparence qu'il voulait à toute épreuve, y compris résister à de la chair fraîche, avait été blessé, sans aucun doute humilié et déçu, trahi.
Des sentiments que je connaissais même si déclinés dans d'autres circonstances, sentiments qui ferment le coeur et barricades toutes les entrées en signalant tout danger de tentative d'invasion.
Que répondre à cette demande, face à ce regard-là qui se livre et s'ouvre avec précaution.
C'est quoi, cette bouffée de douceur qui s'empare de moi ?
Ho ! La Volvent ! Reste lucide, crénom !
Secondes qui s'égrènent, silence troublé par le seul face à face de deux êtres.
Jusqu'à ce que...
Le printemps est une saison merveilleuse, sans doute la plus belle.Ca c'est dit. La suite...
Je suis certaine que Beatrice ne verra aucun inconvénient à une entrevue. Elle reçoit peu mais lorsqu'elle connaîtra la raison, elle acceptera.Ca, c'est répondu aussi. C'était assez facile, sans risque.
Je prierai pour que le Ciel vous protège lors de votre campagne en Provence. J'ai confiance en Lui.Ca, c'est déjà plus délicat. Marre des deuils, moi. Il reviendra ou j'irais le rechercher, foi de moi !
Qu'attendez-vous d'Arquian? Que désirez-vous lui donner?Quelle étrange façon de parler de lui, est-ce la crainte de se mettre en danger face à des réponses trop...délicates et personnelles ?
Ma voix dut trembler quelques fois, j'étais émue de cette soudaine incursion dans la vie du Baron.
J'osai commencer mon laïus en le nommant, cette fois, par son nom.
Theognis, je n'ai aucune expérience d'aucune sorte concernant un couple ou un mariage. Je suis peinée que votre précédente union se soit soldée par cet échec, sincèrement. La déception fait des ravages, je le conçois très bien.
Mais dire ce que j'attends de vous...cela me paraît tellement...difficile...
En fait non, je sais. Je sais ce que j'attendrais d'un époux. Oui, je le sais...la franchise et le respect confiant. Pas de mensonges foireux mais une sincère vérité entre lui et moi. Pas de vilénies sournoises mais une union respectueuse de l'un et l'autre...Rien ne peut se construire sur la méfiance et les mensonges.
Quant à ce que j'aurais à coeur de vous donner...Le silence refit son apparition tandis que je laissais mon regard se perdre dans le sien, remarquant cette fois, combien il était beau.
La réponse que tout le monde attend serait : vous rendre heureux.
Mais, le pourrais-je ? Comment savoir avant d'avoir essayé...il y a tellement de choses que nous ne maîtrisons pas et je vous connais à peine...Par contre, je sais ce que je veux être en tant qu'épouse. Je serais là si mon époux à besoin de moi, en toutes choses du quotidien comme de l'exceptionnel. Je tiendrais mon rang qui sera celui qu'il m'aura donné, je ne lui ferais jamais honte de ma propre volonté. Je ne le trahirais pas, en aucune façon. Sa vie restera sienne pour tout ce qui ne concernera pas notre mariage, je ne le ferais pas suivre jusqu'au point du jour et je ne l'accablerais pas de reproches à la moindre absence ou incartade...Je ne souhaite pas enfermer celui qui sera mon époux, je souhaiterais au contraire qu'il soit heureux de son mariage et qu'il y trouve réconfort, tendresse et force pour affronter la vie et avancer encore et malgré tout. Je souris, doucement, sans baisser le regard encore.
Je dois vous sembler bien vaniteuse avec mes idées, je comprendrais que vous doutiez...mais je pense ce que je dis. La franchise, disais-je...toujours être franc.Je fis un pas vers le bureau et y déposai l'extrait du jugement, je frôlai alors le Baron et arrivée à sa hauteur, je glissai presque en murmure, ma joue touchant presque la sienne :
Si ce mariage se fait, je ferais en sorte de ne pas vous décevoir, moi non plus...Puis, je me reculai un peu et repris d'une voix posée :
Vous n'êtes obligé à rien.
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Della de Volvent
Dame de Railly