Ses mots, elle les avait pesés tout au long de la route, dans ce cheminement qu'elle avait accompli seule : et ce qu'elle s'apprêtait à dire avait aussi cheminé dans son esprit. Elle héla un scribe, qui reçut ordre de sortir son matériel afin de retranscrire son discours. Elle ne descendit pas de cheval : une harangue perdait toujours du poids quand son auteur était invisible au yeux du plus grand nombre. Prenant place au coeur des troupes, elle prit la parole, et sa voix se fit forte, pour mieux porter.
Fidèles parmi les fidèles ! Hommes et femmes, vous qui furent Croisés jusques à hier encore ! Ecoutez à présent mes dires, qui seront portés à Rome !
Elle attendit d'avoir capté l'attention de la plupart avant de reprendre, sortant de temps à autre des documents de son aumônière, quand elle devait citer les phrases que d'autres avaient prononcées ou écrites :
A faire trop de compromis, l'on finit par se compromettre...
La déception est à la mesure de l'attente ; le sentiment de trahison, à la mesure des espoirs qui avaient été fondés ; la certitude d'avoir été abandonnés, à la mesure de la confiance qui avait été de mise lorsque nous vous avions offert sans hésiter nos vies.
Le plus grand ennemi des fidèles, ce n'est donc pas, en définitive, le lion de juda. Ce n'est même pas l'ensemble des hérésies qui grouillent telle la vermine à la surface de notre monde. Non, entendez-moi : le plus grand ennemi des fidèles, c'est la propension de Rome à tergiverser, c'est cette Rome timorée qui n'ayant pas compris et assimilé les mots de Saincte Kyrène, n'a pas voulu user du fer quand le verbe avait échoué, ce fer que pourtant Dieu a mis à notre disposition pour les cas les plus extrêmes.
Le plus grand ennemi des fidèles, c'est Rome qui s'aveugle dans la confortable crédulité apportée par un morceau de parchemin ne promettant mie, n'engageant à rien si ce n'est à « envisager » d'agir...
Rome vient de commettre une erreur dont les répercussions se feront entendre fort, loin, et longtemps. Rome a préféré ne pas heurter la sensibilité des suppôts du sans-nom, ne faisant pas le moindre geste pour défendre les hommes et les femmes qui n'ont, eux, pas hésité une seule seconde lors de son appel.
Ces hommes et ces femmes dont l'honneur a été sali, qui le leur rendra ?
Ces hommes et ces femmes qui ont préféré ne piper mot sous les pires insinuations, sous les accusations les plus mensongères, les plus éhontées, sous les menaces les plus fantaisistes, sous les calculs les plus perfides visant à faire passer leur acte de foi pour une vilénie, qui les a défendus ?
Pas Rome, qui pourtant, sans eux, n'aurait pas « gagné » le moindre geste de la part de Genève. Ce que Rome ose nommer une victoire, et qui n'est que mépris, elle n'aurait même osé en rêver sans les quatre armées qui se sont réunies devant le nid des hérétiques. Rome avait toutes les cartes en main, et a refusé de les jouer : Rome a d'ores et déjà perdu la partie, et a fait le nid des ennemis de Dieu plus sûrement encore que toutes les actions de ces derniers.
Nous avons le verbe. Mais sans le fer, le verbe est insuffisant : le verbe ne sert qu'à guider ceux qui n'ont pas encore trouvé Dieu, et ceux qui s'en sont éloignés non sans espoir de retour. Le verbe ne saurait convaincre ceux qui ont vendu leur âme.
Nous avons le fer. Mais sans le verbe, le fer n'est rien d'autre qu'un piège dangereux, que l'engeance retourne contre ceux qui le portent.
Dieu qui aime l'équilibre nous a donné les deux, parce que dans Sa grande sagesse, Il sait que nous avons besoin des deux tour à tour. Pourquoi craindre d'utiliser l'un ou l'autre ?
Nous avons été les objets d'une sombre manigance : ainsi, la Franche Comté, déclarant tantôt ne tolérer que les Croisés, puis faisant annonce qu'ils les refusent, le soir-même, et ils le savaient, où nous franchirions la frontière, par conséquent, trop tard pour faire marche arrière, n'ayant eu que le lendemain connaissance de cette volte-face alors que nous pensions avoir fait en sorte de remplir les conditions requises.
Qui a dénoncé cette vile manigance ? Rome ? Non point : nous, et nous seuls. Et il est connu que le témoignage d'un accusé n'a que peu de poids, tant coupables et innocents mettent la même ardeur à se défendre. Il aurait suffi que Rome stipule que nous n'avons en aucun cas pu avoir connaissance de cet interdit avant de faire mouvement pour que s'apaisent les tensions. Rome l'a-t-elle fait ? Non.
Les Genévois, les Helvètes, ont crié haut et fort que nous affamions nos « pauvres victimes », alors même que leur marché regorgeait de vivres, alors même que le bourgmestre de cette ville maudite sommait ses habitants de retirer lesdites denrées du marché.
Qui a dénoncé ces mensonges ? Rome ? Non point : nous, et nous seuls, en donnant liste de ce que le marché contenait, en faisant le détail des denrées qui, passant sous notre nez, entraient en ville.
Il a été dit de nous que nous venions par calcul, par intérêt. Or, nous aurions eu les mains libres si nous étions venus en tant que Français, au lieu de venir en tant que Croisés, et à l'heure qu'il est, les remparts de Genève seraient en bien mauvais état. Car, rappelons-le, c'est Genève qui, en envoyant ses mercenaires maudits en Béarn, a déclaré la guerre à la France, et nous aurions été en droit de demander justice, et l'Empire lui-même, selon les textes qui nous lient, aurait été tenu de choisir sauf à vouloir devenir l'ennemi du Royaume. Mais non ! Nous sommes partis en tant que fidèles, avec notre Foy pour tout soutien, avec notre fortune pour tout viatique, et avons choisi ces entraves avec la certitude que la grande famille des Aristotéliciens graverait dans le marbre une page de l'Histoire, avec la certitude que notre croyance trouverait son écho dans l'Empire, faisant fi des frontières pour communier...
Qui a mis en avant cette abnégation ? Rome ? Non point : personne, jusques à ce jour où je le clame, et où le Connétable de France lui a rendu hommage.
Qui peut croire que Genève tiendra promesse ? Qui le peut croire, avec ce qui s'y dit ?
Voici les mots de celui qui se dit procureur de Genève, mots datant d'hier, après la signature du torchon dont Rome se contente :
Voici les mots adressés par le bourgmestre de Genève, celle-là-même qui a signé le torchon susdit, mots datant d'hier :
Citation:Genevois, Genevoises, amis.....
En se temps de guerre 4 armées nous encerclent pour nous affamer. Ils volent nos pains sur le marché et nos autres victuailles
Mes amis, en ces temps difficiles, une guerre se prépare et c'est pourquoi je vous demande pendant que les armées ennemies nous encerclent, et parce que cette guerre sera certainement autant economique que tactique,
- ne plus vendre pain, maïs, fruits, legumes, viande ou poisson
- de retirer de la vente toutes les armes et protections
- de ne plus vendre de denrées consommables sur le marché
Nous allons également lever un petit impôt afin de vousvprotéger en ne subbissant pas ce que nous a déjà infligé Vénisia lors de la dernière prise de mairie
je vous annonce également que la taverne les retrouvailles sera toujours fournies, donc n'hésitez pas à vous y rendre lorque le marché sera vide ou trop cher.
ne perdez pas foi en Genève, nous tiendrons bon quoiqu'il arrive
Rgmax
Avoyère de Genève
Sont-là les mots de personnes prêtes à renier leurs errements ? Sont-ce là les mots de la contrition ?
Ils sont optimistes, ceux qui disent que ce n'est qu'une question de semaines avant que Genève ne montre que son engagement n'est qu'un mensonge de plus... C'est déjà fait.
Qui a dénoncé ces agissements ? Rome ? Non point : nous, et nous seuls, et sans le moindre écho de la part des Cardinaux.
Et que dire du comportement de l'évêque de Genève ? Que penser de ces mots qu'il a tenus ?
Citation:Et vu le comportement des croisées, même moi j'ai du mal avec eux !
Si les SA et les Croisées ne quittent pas Genève ce soir, c'est que la Sainte Eglise n'aura pas, une fois de plus, tenue ses engagements.
et la Curie par la même
Sont-ce là les mots d'un évêque, d'un homme de Dieu, envers ceux qui sont venus Le défendre, portant Sa bannière ? Que sait-il de notre comportement, cet évêque que pas une fois nous n'avons vu ? Cet évêque qui entretient de si bons liens avec l'engeance, cet évêque qui accepte sans broncher de voir la Cathédrale souillée, qui accepte de se faire tout petit en quémandant le droit de prêcher de temps à autre ?
Je suis fière de chacun de ces hommes et de ces femmes qui ont tout laissé pour répondre à l'appel du camerlingue. Je suis fière d'eux, de leur bravoure et de leur dévouement.
Et parce que je suis fière d'eux, et parce que j'estime qu'avoir accepté le torchon de Genève comme s'il s'agissait de paroles du Livres des Vertus, à dater de ce jour, et en tant que croyante, je ne reconnais plus en Rome les bergers que Dieu mérite, et que nous méritons. Je ne reconnais plus que les Evêques du Royaume de France, qui, eux, nous ont soutenus sans coup férir.
Je pensais renvoyer mon étoile d'Aristote, mais ce serait manquer au souvenir de feu Monseigneur Tony. Je la conserve donc, mais ne l'arborerai plus, en nul lieu. Et chaque jour, je prierai pour que les cardinaux ouvrent les yeux sur le grand danger où ils viennent de plonger la totalité des croyants.
J'irai dans le Béarn, et userai du verbe. Et partout où je devrai par la suite user du fer, j'irai aussi. Sans demander l'aval de la curie. J'irai en tant que croyante, et pour mes frères et mes soeurs dans la Foy.
Les ouailles que nous sommes sont bien seules... Bien trop seules. A ce titre, elles doivent se rassembler, et guider ceux de nos frères et de nos soeurs qui doutent ou ont déjà failli.
En le Royaume de France, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que se durcisse la position contre les hérétiques, et en faveur des fidèles. Puisque nous sommes abandonnés, sans guide, nous choisirons nous-mêmes notre voie : et ce sera sans conteste celle de la Foy, et de sa défense ardente, en tous lieux, en tous temps, en tous points.
Ce jour, moi, Armoria de Mortain, simple fidèle parmi les fidèles, croyante parmi les croyants, je retire à Rome ma confiance, qui pourtant lui était toute acquise. Une curie qui ne fait rien pour défendre ceux prêts à mourir pour leur Foy ne la mérite plus. Ma croyance, Dieu merci, est demeurée intacte, et s'est renforcée. Dieu nous a envoyé une épreuve : j'en prends conscience. Et je prie pour que Rome en prenne conscience tout autant que moi, et sache se remettre en question.
Je prends ce jour la route vers le Béarn, parce que mon devoir me l'ordonne, parce qu'ayant un jour choisi d'entrer dans la famille aristotélicienne, j'ai aussi choisi d'aider ceux de cette famille qui souffrent, et ceux que l'on en détourne.
Je vous invite à en faire autant : puisque nous avons été tenus de laisser notre fer au fourreau, usons de notre verbe, qui est libre, et sans entrave aucune. Il fera bien plus de mal au lion que les coups d'épées.
Et à nouveau, je le dis humblement : qui m'aime me suive !
Ayant tiré l'épée au clair pour sa dernière phrase, elle la leva bien haut vers le ciel, frêle silhouette sans casque, mais dont la ferveur brûlait, ardente et indomptée._________________
Vous pouvez utiliser mes lettres RP.Héraldique