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[RP ouvert] Maman plus que la vie ?

Alycianne
Oui. Oui. Oui. Oui...

La fillette déambule dans la ville. Regard éteint, bras ballants. L'allure fière qu'elle avait adoptée avec la belle cape bordée de fourrure qu'on lui a offerte est oubliée. Sa main ne vient même pas glisser derrière son oreille la mèche de cheveux qui pend devant son nez. Ses chausses tant aimées trainent par terre. Elle ne fait pas attention au joli caillou dans lequel elle va taper. Un cocher l'invective car elle empêche sa carriole de passer, mais elle ne l'entend pas.
Elle avance.
    Elle est morte ?
    Oui.
    Elle parle avec Aristote ?
    Oui.
    Elle est Très-Haut ?
    Oui.
    Comme les nonnes ont expliqué la mort ?
    Oui.
    Et on la revoit que quand on meurt ?
    Oui.
    Et on veut la revoir ?
    Oui.
    Tout plus que la vie ?
    Oui. Oui. Oui.
Maman n'est plus. Maman.
Elle s'arrête. Relève le regard, suit des yeux la pente d'un toit.
"Si je monte Très Très Très Haut -plus que Galaad sur les épaules, je pourrais voir tout tout le monde ! Même Maman !"

Maman donne la main.
Lorgne une maison à une fenêtre, et toit accessible.
"Je n'aime pas trop les calins"

Maman ne fait pas de câlins, ni de bisous.
Elle s'en approche.
"Je suis très sage, moi"

Quand Maman fait les gros yeux, ça tournechamboule le coeur. Maman doit être fière.
Accroche de chaque main une pierre du mur, se hisse à la fenêtre.
"Papa il peut aider à accrocher la tagère en haut !"

Il ne faut pas parler de papa à Maman.
Encastrée dans la petite fenêtre de la chaumine, elle tente de continuer l'ascension du mur.
"On va où ?"

On suit Maman.
Ses petits doigts s'enfoncent dans une fissure, elle pousse sur ses pieds.
"Tiens Maman, un caillou pour guérir de la maladie."

Maman crie dans son sommeil des mauvais cauchemars.

La pierre glisse. Ou sont-ce ses doigts. Elle tombe. Heurte le sol violemment sur le dos. Se recroqueville sur elle même.
"Et on revoit les morts quand on meurt ?"

Maman est morte.

La gamine prend sa tête entre ses mains. Son dos la lance. La fourrure de sa cape traîne dans la boue. A vrai dire, elle traîne toute entière dans la boue. Petite boule écarlate au coin d'une ruelle.
Ce n'est pas possible de monter Très Très Très Haut sur le toit pour voir Maman, puisqu'elle est morte. Maman est encore plus Haut, et il faut mourir pour la voir.
Elle, Alycianne, meurt ?

Et de se frapper le front contre le sol, les genoux repliés sous elle, les mains accrochant ses cheveux.
Elle tape le sol, ça tape la tête. On ne réfléchit plus. On pense juste à taper. Taper encore.

_________________
Natsuki.
-Si tu vois Alycianne, tu me préviens
-Alycianne, c'est qui ?
-La petite fille avec une cape rouge, je viens de lui apprendre que sa mère était morte
-Oh.....

Etrange discussion pour préambule n'est il pas ? Toutefois cette dernière eut bien lieu dans une taverne Semuroise (soyons précis), et, même si par la suite, d'autres sujets furent abordés, cette épineuse tâche accaparait quasi entièrement l'esprit de la petite Léméré. Pour avoir été avec Trella les jours ayant suivi la mort de son père, pour avoir vu son comportement changer de manière si brusque, elle savait parfaitement quel pouvait l'attitude de la fillette; tout du moins, de manière approximative. Etant donné qu'elles partageaient le même lieu de repos, Natsuki avait vu Alycianne une fois ou deux, et si elle ne se souvenait pas de son prénom, c'était parce qu’elle n'avait pas la mémoire des prénom (tout bêtement).

Toutefois, elle savait qui elle devait trouver, chose à ne pas négliger. Aussi, alors qu'elle se baladait dans les ruelles de Sémur, pas dans les endroits mal famés, et toujours proche d'un bâtiment connu, conformément aux instructions de Marie Alice, et qu'elle s'approcha d'une chose informe ô combien animée, de ce que ses yeux pouvaient dire tout du moins, ça gigotait sans discontinuer; comme si elle était un animal enfermé dans une cage. On ne va pas raconter des histoires (ah ? on est là pour ça ?) : Natsuki ne couru pas, telle une grande chevalière sans peur et sans reproche à l'encontre de la boule. En fait, elle cru -dans un premier temps- à une de ces créatures des enfers qu'on peut parfois lire dans certaines histoires. Aussi elle commença à rebrousser chemin, quand elle entendit de manière suffisamment distinguable la voix d'Alycianne. C'est à ce moment là qu'elle accourut vers la fillette.

Arrivée à distance suffisamment proche, elle réprima son dégoût de la boue et n'hésita pas à salir ses beaux bleus vêtements afin de stopper Alycianne dans sa tentative d'auto flagellation.

Heyyyyyyy, arrête un peu, pourquoi tu fais ça ?

Tout en disant ces paroles, elle chercha à incruster son visage dans le champ de vision de l'être à réconforter. Elle ne savait trop quoi faire, comment s'y prendre. Comme pour la dernière fois...Avec Trella, ça avait surtout été Maleus qui avait été réconfortant, là elle se sentait encore plus inutile. En plus de celà, il fallait qu'elle prévienne Marie Alice. Donc le mieux était encore de la trouver; de convaincre Alycianne de la chercher avec elle. Tâche à priori ardue, mais qu'importe, elle le ferait.

Dis, y'a Marie Alice qui voulait te voir, tu viens on va la chercher ensemble ?

Mais elle sentait que ces mots là n'étaient pas ceux qu'il fallait dire, pas exactement, elle cherchait la petite Léméré, mais elle n'y arrivait pas; pourtant tout son esprit était accaparé par cette tâche, alors elle se disait qu'elle arriverait à trouver les bons mots, peut être....
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Alycianne
Maman...

Tape, tape, et retape.
Une main l'agrippe.
C'est la fille qu'elle voit chez dame Marie, elle ne la connait pas. Va t-en !

Pourquoi elle fait ça ?
Elle se redresse, laisse tomber ses mains sur ses cuisses, cligne des yeux. Sa tête semble si lourde. Impossible de formuler une idée correcte. Les mots résonnent. Avec vous déjà eu cette impression de vide, dans lequel chaque dernière parole s'imprime pour en disparaître aussitôt sans que vous ayez réussi à la saisir ?
Dame Marie qui la cherche ?
C'est elle qui le lui a dit. La bonne idée d'envoyer la missive. Et la mauvaise d'en recevoir réponse. Depuis le début, ce ne sont que malentendus. Elle se souvient être partie rapidement du couvent, sans trop avoir écouté ce qu'on lui avait dit. Ah, c'était une grande mission que de retrouver Maman ! Pourquoi celle-ci l'aurait quittée ? Toujours avec elle, sauf à la taverne, c'était ainsi, et cela n'avait jamais changé. Maman n'était pas partie, elle s'était envolée.
Envolée sans elle !


Partie sans moi, lâche-t-elle.

Et, comme si ces trois mots avaient déclenché je-ne-sais-quel mécanisme intérieur, sa bouche se tord. Elle crie.

Andouillette de garce de foie de crotte de vilain dégénéré honteux de mal bais' de l'Enfer !

Là sont les seuls -mais au complet- gros mots qu'elle connaisse, l'enfant sage (merci Eusaias).
Cela fait du bien. Elle prend une grande goulée d'air, passe une main sur son front qui la démange. Tiens, elle saignerait ? Peu importe.
Elle a dit de vilains mots, ce n'est pas bien. Voilà qui importe.


Pardon, toutes les excuses, je ne dis plus ça jamais.
Voilà qui est mieux. Et d'ajouter, pour se rassurer : Maman dit que je le pense donc je suis encore sage.

Maman. Boule qui se forme dans sa gorge, main qui machinalement plonge dans sa poche pour y trouver le réconfort de ses cailloux. Tiens, elle aurait dû y penser plus tôt à ses cailloux. Ils sont toujours là pour elle, eux.
Elle regarde la jeune fille qui se tient à côté d'elle, bat des paupières pour refouler les larmes -rappelons qu'elle excelle en cette discipline.


Je fais quoi ?

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Natsuki.
Heureusement Natsuki en matière de gros mots, elle a eu sa dose, à force de fricoter avec la Zoko et tous leurs amis, car elle s'en serait offusquée des vilains mots d'Alycianne, ça...Reconnaissons à cette insulte une certaine classe toutefois.

Oui t'as raison : faut plus le dire, c'est pas bien, moi aussi on me dit qu'il faut pas le dire...

Alors elle cherche à essuyer ce sang boueux qui tâche tant et si bien le poupin visage de sa juvénile interlocutrice; mais là, Sisyphe des temps moderne, le sang ça coule à partir du moment où un orifice est créé; et c'est pas que l'Alycianne en a créé, et pas qu'un, mais presque...

Rolalah....Y'a trop de sang, c'est pas bien, pas bon tout ça, pourquoi tu t'es cognée la tête ? Faut jamais se cogner la tête tu sais ? Papa qui me l'a dit, et papa il est médecin, il soigne trop bien, mais papa il est pas là, alors là il peut pas te soigner....

C'est alors qu'un soupire ne put être réprimé par la gamine : son père, elle avait ce mot sans arrêt dans sa bouche, pour une fois qu'il aurait pu être utile....Mais las, c'est alors qu'une sourde angoisse s'empara lentement d'elle : les premiers soins, elle ne savait pas les appliquer, et si Alycianne perdait trop de sang, elle courait un grave danger; son père qui lui avait expliqué alors qu'elle saignait du nez, donc la situation était très grave...Il lui fallait à tout prix trouver Marie Alice, mais elle ignorait où elle se cachait, mais si ce n'est elle, au moins une personne ayant un tant soit peu de compétence, mais Marie Alice en avait, elle le sentait. Et puis Flaiche n'était il pas compétent dans la matière ?

Bon, euh, tu fais quoi ? Ben, tu te lèves, car il parait que sinon on est plus humain, et on va chercher Marie Alice ensemble...

Joignant le geste à la parole, elle aida le petit chaperon marron à se relever par une main secourable. Evidemment, elle scrutait la rue et les alentours pour voir si elle connaissait une personne, ou pas....

J'ai une idée, comme la propriété est un peu loin, on va attendre à La Sémuroise, on a des chances de la trouver comme ça, tu ne penses pas ?
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Alycianne
Un peu sonnée par les évênements, elle n'écoute que d'une oreille la fille... Ah, oui, Natsuki, c'est comme ça qu'elle s'appelle. Elle est gentille ? Peut-être. Mais elle sait que faut pas le dire des vilains mots : elle est polie, au moins.
S'essuie le front de sa manche -Haaan, la fourrure devient rouge, de la fourrure rouge, génial !- et renifle un grand coup.
Du côté des yeux, la marée de larme est refoulée, Alycianne a gagné cette bataille sans merci, et peut ralentir le rythme de battements de paupières. Hourra !

On parle de papa ? Les papas c'est nul. Sauf certains, il faut rajouter pour que les gens ils sont d'accord.
Quand on se lève pas on est pas humain ? Par Aristote, elle ne savait pas ça. Mais bon, même sans Maman, elle se trouve plutôt-assez humaine il faut croire, car elle se relève, avec l'aide de la jeune fille.
Debout, elle se rend compte de l'étendue des dégats. Chausses rouges désormais marrons -horreur !-, sa belle cape est toute tâchée, les rubans de ses nattes pendent lamentablement. Elle doit vraiment faire peur. Elle va avoir de vilains bleus au postérieur, à cause de sa chûte, et sa tête la lance.

... tu ne penses pas ?

Moi je pense...
Elle pense quoi ? Que je crois que... On parle de quoi ? Je trouve que... Fronce les sourcils. Je vois... Crotte. Qu'il faut que... Abandonne.
T'as raison.

Une menotte vient chercher la main de Natsuki, tandis que l'autre agite cailloux dans la poche. Trrinss, cling, cling, triss.
Tiens-moi la main, j'aime bien qu'on me tient la main. Comme Maman elle fait tout le temps. Maman... Maman est morte. Alerte !
Bataille perdue d'avance, la fillette éclate en sanglots. Soubresots des épaules, elle baisse la tête. Pleurer c'est pas beau. Les larmes coulent, coulent sur ses joues. Pleurer c'est moche. Impossible pourtant de s'arrêter. Ruissellement qui vient s'ajouter à la terre et au sang sur son visage.
Elle pleure pour Maman. Elle pleure parce qu'elle a mal. Elle pleure de pleurer.

Maman, ne fait pas les gros yeux parce que je pleure !
Soit fière, Maman...
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Natsuki.
Etrange esprit que celui des divers chérubins peuplant ce bas monde : c'est toujours au prix d'intenses réflexions qu'ils avouent une lapalissade. La preuve encore par le monologue difficilement fourni par Alycianne aboutissant à un timide "tu as raison", propos qu'elle aurait du énoncer dès le commencement, sans qu'elle n'ait à partir dans de vaines élucubrations; et ce même si un terrible événement venait de marquer son enfance.

A peine la menotte empoignée par sa déjà plus vigoureuse dextre, Natsuki vit la gamine se remettre à fondre en larmes, chose normale après tout, mais celà affectait tout de même la Léméré. Alors ces instincts maternels l'envahirent, et elle ne put s'empêcher de s'agenouiller dans la boue -et ainsi tâcher encore plus ses jolis habits- et d'étreindre doucement Alycianne.


Allez, pleure un bon coup va, tu as le droit je crois bien...Mais tu sais, après il faudra s'arrêter, car on peut pas pleurer toute sa vie hein ? Puis, tout en la regardant dans les yeux. Mais avant tout, il te faut soigner ces vilaines plaies, car sinon, le sang il va couler encore encore et encore, et ça c'est pas bien. Mais plus avant encore, il faudra te laver cette bouille. Mais....allez pleure va...

Une gamine désemparée car elle vient de perdre l'être le plus cher à son cœur, une autre un peu plus grande mais loin d'être adulte, déboussolée de tant d'émotions surgies brusquement. Quoi faire ? Que faire ? Visiblement Alycianne avait autant besoin de pleurer que de soin corporels, et Natsuki ne savait trop quel était le plus urgent, le plus pressé. Elle décida néanmoins de se relever, puis, gardant dans sa paume la main de la fillette, comme le plus précieux trésor qu'elle pouvait garder : la tenant fermement mais doucement à la fois. Ainsi, se souciant peu des regards obliques des passants de la rue, elle l'emmena là où elle avait dit qu'elle l'emmènerait : dans une taverne où elle espérait y croiser quelqu'un de compétent, Marie Alice ou une autre personne.

Arrivé au lieu désiré, Natsuki posa Alycianne sur un tabouret, lui demanda de rester assise là, puis se dégotta un chiffon qu'elle mouilla, et entrepris lentement, tout en essayant d'avoir des paroles réconfortantes et en lui souriant, de débarbouiller Alycianne. Les joues petit bout de choux, les yeux car c'est merveilleux, le nez comme un forcené, le menton fin de la mission. Les paroles de cette comptine impromptue accompagnèrent évidemment les différents mouvements de sa main. Pendant qu'elle s'échinait à redonner un humain visage à la petite, Natsuki espérait tout de même que quelqu'un viendrait l'aider dans cette tâche, car même si elle dépassait ses limites, elle ne savait pas trop jusqu'où elle pourrait les repousser. Ecrire une missive était hors de question : elles se trouvaient dans la même ville, mais les pigeons ne suivent pas au pas près les gens. Non, il fallait juste espérer...Et si personne ne venait, que devrait elle faire au juste ? Appliquer des bandages ? Elle savait que c'était ce que faisait son père mais elle en ignorait le maniement. Elle n'avait pas fait partie du groupe des soignants quand Maleus et Eikorc s'empalèrent sur l'armée Berrichonne. Aujourd'hui elle le regrettait. De même durant la guerre, aucune perte n'ayant été déplorée, elle n'avait pu observer cet art délicat. Bon, bien sûr, son père était médecin, donc, peut être, elle arriverait à se dépatouiller, mais rien n'était moins sûr. Restait donc à attendre, et à observer le visage se formant à mesure que la boue s'enlevait.


Ca va mieux ?
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Alycianne
Les larmes glissent sur les collines de ses joues, dévalent le précipice de son cou, et viennent mouiller la fourrure de sa cape. La gamine suit. A comme l'impression d'être vide. Gelée. C'est qu'il fait froid, dehors, en cette journée de janvier -la première, d'ailleurs, de l'année. Mais c'est à l'intérieur qu'un sombre gouffre l'entraîne dans une effrayante hébétude. C'est à se demander d'où peuvent venir ces pleurs, puisqu'il lui semble qu'elle n'a plus rien à donner. Peut-être sont-ce ces larmes qui creusent l'abîme dans lequel elle se perd. Elle tombe, lentement, dans ces abysses intérieurs, abysses du cœur.
Déconnectée de la réalité, elle se laisse guider par la jeune fille en bleu. Esprit cadenassé, peut-être pour se protéger, qui s'entête à ne pas formuler de pensée, ni d'exprimer quelque sensation. Elle bouge, cligne des yeux, pose tantôt sur le sol un pied gauche, tantôt un pied droit. Mais sans cette main qui l'accroche, la tire, elle se figerait, et attendrait que ses fonctions cérébrales lui reviennent pour mieux s'arracher les cheveux de désespoir.

Sa mère est morte, vous l'avez compris. Et quoi ? Que lui reste-t-il, à présent ?
Des amis, éparpillés entre la Méditerranée et ici. Une maison à la porte ouverte à Béziers, une Provence à visiter, un futur chevalier, une maison vide à Sémur, des cailloux dans les poches. Cela suffit-il pour continuer ? Ô combien elle échangerait tout cela contre sa Maman...
Ce ne sont que folies passagères, des rêves, illusions, d'une vie passée, d'instant de joies que l'on veut retrouver. Mais Maman, c'est une vie, c'est la vie de cette fillette, élevée sans père, mise trop souvent à l'écart des autres par une mère trop protectrice. C'est dans les jupons de cette femme qui n'a jamais marqué son amour qu'elle a vécu ces cinq premières années, sans jamais s'en séparer, trouvant toujours une main rêche à laquelle se suspendre.
Mais sans sa mère, comment tenir debout ? Comment ne pas se trouver seule, puisqu'elle n'a plus de famille ? Comment trouver la force de devenir chevalier, sans mère pour nous regarder ?
Nous regarde-t-elle, de là-haut ?

Il parait qu'on est entrées en taverne.
La main l'a lâchée, assise sur un siège. On lui nettoie le visage.

J'ai mal. La chaleur de la pièce, la douceur de cette petite toilette la fait revenir à elle. Propulsée hors de son propre gouffre, soudainement. Trop soudainement.
Maman...

Et décider de ne pas répondre à la question. Mieux que quoi ? Mieux que quand, où, comment ? Non, elle n'a jamais été aussi mal.
La fillette agite ses cailloux. Cogite silencieusement.


Je veux couper mes nattes. Je veux...

Son regard sur la tenue de Natsuki.


T'es toute sale.

Et, avec horreur, de réaliser qu'elle, est dans un bien pire état. Ferme les yeux, fronce le nez.

Je veux me laver, je veux laver mes vêtements, je veux dormir, dormir, dormir, dormir !

Et ne plus jamais me réveiller !
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Cassian_darlezac
[Au même moment, autre part, mais à Sémur quand même...]

C’est dans une vaste bicoque en plein cœur de la ville, maison bourgeoise s’il en est, que vivent les Saint Robert. Cassian, Papa et Fléance, trois mâles des plus virils qu’il soit. Si ce n’est que…


« Fléance ! Quand on est un viril on fait pas ses journées à dormir ! » Le petit môme, là, qui braille d’un air autoritaire c’est Cassian, petit blond de dix printemps. Et voici Fléance, jeune chiot au pelage gris, qui n’a rien demandé à part un peu de tranquillité et se retrouve muni d’une destinée hors du commun.

« Quand on est un futur Chienvalier-Chasseur Légendaire ben, même quand son maître se lave, on n’dort pas, je trouve ! On… On… Enfin on fait des choses, mais on n’dort pas comme de la chochotte !» Le mot est laché ; chez les Saint Robert on est des virils, on est pas "de la chochotte" ! Mais faut bien avoué que le petit Fléance n’a pas grand chose à faire. Si ce n’est mâchouiller une chausse trouver chez Marie, tout en observant le petit être nu comme un vers qui gesticule nerveusement devant lui. Et de toute façon il préfère de loin pioncer, parce bon les lauriers, même futur, ça pèse lourd. Et le Fléance, il préfère de loin s’endormir dessus plutôt que de porter couronne la tête haute. En plus c’est pas qu’il aurait l’air con avec des lauriers, mais quand même…

Bref, une fois de plus le chiot pionce et son maître se lamente. Lamentations qui ne dure qu’un temps, celui qu’il faut à un môme pour passer de son chiot à son miroir qui reflète leur image. Parce que si Cassian n’aime pas particulièrement les bains, il y a quand même trouvé un intérêt. Celui de pouvoir passer ensuite un bon quart d’heure à se regarder dans la glace. A t-il grandi ? Grossi ? Prit du muscle ? Et les poils ? Ils sont où les poils ? En somme, tout un tas de questions qu’un jeune garçon de son age est en droit de se poser, mais qui pourrait le faire passer pour ridicule dans quelques années. Et ses azurs balayent avec satisfaction l’image qui leur fait face. Le constat est aussi agréable que rassurant ; il est toujours aussi mignon que la semaine précédente. D’autant qu’en ce moment il grandit, alors c’est certain il ne finira pas d’embellir de sitôt. Oui, c’est un fait, en plus d’être viril, les Saint Robert sont vaniteux. Si ce n’est que…


« Voilà ! Au lieu de roupiller comme si tu dors, tu devrais te regarder aussi Fléance, tu as grandi je trouve ! » C’est dans un soupire que le gamin détache alors ses yeux du chiot pour poser un regard sur les lettres qu’il a commencé à écrire la veille. Non décidément Fléance n’est pas prêt, mais pas prêt du tout…

Et alors que d’autres sont sales et entame à peine leur deuil, lui fraîchement lavé poursuit le sien à sa façon. Ca avait commencé avec le frère Pierre, prieur du prieuré de Souages. Celui ci lui avait conseillé de noter tout ce dont il se rappelait concernant ses parents décédés. Puis tout en l’encourageant à les laisser monter au paradis solaire, il lui avait émis l’hypothèse de leur écrire régulièrement. Depuis le môme n’a jamais cessé de le faire, espérant vainement trouvé un jour un dragon pour leur porter ses lettres. Dans ces moments par contre Fléance lui est d’un grand secours. Avant il était seul, maintenant il prend plaisir à lire au chiot chacune de ses missives, et celui ci le rassure en ne trouvant apparemment rien à redire. D’autant que Fléance semble apprécier ses rares instant où il peut rester allongé en paix sans que l’intrépide en soit offusqué. Une fois la lettre saisit, le petit blond toujours dévêtu alla donc s’asseoir auprès du canidé.


« Fléance… Fléance ? Eh oh Fléance ! Je vais te lire là hein, alors tu écoutes ! » Un battement paupière fléancien plus tard, et la lecture peut enfin commencer.

« Père, Mère, Edwina,

Je vous écris pour vous dire que je vais plutôt bien à mon goût.

A Sémur, je continue à m’entraîner et Fléance grandit (c’est mon chien que j’avais parlé). Aleanore est toujours pas rentré d’allez brûler les hérétiques selon toutes les apparences. Aussi je pense que c’est parce qu’il doit en avoir beaucoup. Papa lui, ça ne lui plait pas trop parce qu’il a peur qu’elle devienne une dégénérée à cause des Anges de Vin. Alors c’est assez compliqué tout ça comme histoire de grands, car en plus il ne veut pas que je lui écris. Mais je le fais quand même, comme je m’en fiche et que c’est pas à lui de décider pour ça, je trouve. Pour l’exemple moi j’interdis pas Alycianne de parler à Julius alors que c’est un bougre d’andouille. Même que je pense qu’il a du être un ange de vin avant d’être un imbécile !

Sinon il y a aussi Dame Marie qui m’a demandé une question singulière, du genre bizarre, en taverne. Elle voulait savoir si j’étais déçu d’être venu avec elle à Sémur. Je lui ai dis que non, mais j’ai l’impression que ça veut dire qu’elle croit que je le suis. Du coup je ne sais pas trop quoi lui dire d’autre et Fléance quand je lui dis il s’en fiche.
Derniers mots plus qu’appuyés, regard noir posé sur Fléance et le bonhomme poursuit. Aussi je crois que j’ai pas assez remercié Marie, alors il faudra que je le fasse, puisque ça m’ennuie comme histoire.

A part ça on va revenir à Limoge avec Papa et Marie et les autres. Aussi j’espère que Léandre viendra et qu’il voudra bien de moi pour s’entraîner une nouvelle fois en taverne dans les buts que je m’améliore. Comme Léandre est très fort, il sera le parfait homme pour faire ma progression , je crois.

Malgrétou j’ai encore grandi je trouve et je gagne en force grâce à mes entraînements efficaces. Comme en plus je suis assez beau, je pense que je pourrai essayer ma première Dame assez rapidement afin de choisir vite une femme de prestige qui fait la cuisine, comme Mère faisait. Quand je vais aller chez les licornes et que Papa sera pas là pour faire j’en aurai besoin, pour l’exemple.

Alors voilà, cette fois j’ai pas grand chose à écrire mais je ferais mieux ensuite pour le voyage à Limoge. Aussi j’espère que le très haut veille bien sur vous et vous vous portez bien pour des morts !

Avec mes salutations de distingué,

Cassian. »


Une fois la lecture fini, des azurs interrogateurs se posèrent sur le chiot.

« Alors tu en pense quoi ? » Pas de réponse, aucune n’était attendu de toute façon. « Oui je trouve aussi que ça va assez. Maintenant je m’habille, j’envoie celle pour Aleanore et on va s’entraîner. Parce qu’on va pas lire toute la journée, hein ! On est pas de la chochotte ! » Voilà donc le petit blond qui s’exécute, enfile braies, chemise, chausses et mantel, range la lettre pour ses parents, saisit celle d’Aleanore, la relit, puis file trouver un messager pour la lui porter.

Citation:
De L'intrépide Paon de Bourgogne,
A l'étincelante Tortue de presque bientôt de l'Anjou,

Bonjour!

Je me décide à t'écrire de la plume -et aussi de la maison- pour avoir de tes nouvelles. Je voudrai par exemple savoir comment tu vas, ce que tu fais, si la Duchesse Dégénée est gentille et si les hérétiques ça brûlent bien. Enfin de l'ordinaire qu'on aime bien savoir quand même pour avoir des nouvelles qui intéressent, je trouve.

Pour ce qui concerne ma personne, je vais plutôt très bien, comme un garçon vaillant de pleine forme pour l’exemple. Je ne crois pas avoir trop grandi, ni des muscles, ni de la taille. Fléance par contre il a un peu, mais il dort toujours particulièrement beaucoup, de mon avis. C’est un peu comme s’il se reposait sur une couche de lauriers confortable, sauf que des lauriers… Ben il en aura pas de dans sitôt s’il se bouge pas plus le cul du popotin, je trouve ! Je lui dis mais il s’en fiche, aussi je m’essaie à être moins exigeable.

J’ai aussi été très sage et je me dispute plus en taverne. En vrai je l’ai fait que une fois avec Natsuki et une fois avec Alycianne, mais pas beaucoup. Alors c’est de la moindre importance je pense. De plus que cela, maintenant je vais tous les jours à l’écurie de Papa et de Marie, pour aider à m’occuper des chevaux avec Fléance. Dans les buts qu’on s’habitue et qu’on soit des bons écuyers.

Sinon je crois que tout le monde va bien. Ah oui ! J’ai rencontrer la sorcière gentille que Papa a amené. Aussi je lui ai quand même demandé et elle dit qu’il lui a pas détroussé de jupons. Alors je pense que c’est plutôt vrai. Mais là je ne sais plus quoi écrire alors je vais m’arrêter.

Dis bonjour à Karyl de ma part,
Avec mes salutations de distingué, je t’embrasse,

Cassian.


Plus tard le môme apprendra pour Alycianne et sa maman, s’en suivra une discussion en taverne. Mais plus tard... Pour l’instant le voilà revenu et il est bien trop occupé. Car oui, ils sont comme ça aussi les Saint Robert, ils aiment avoir des journées bien remplies. Si ce n’est que…

« Bon allez Fléance, on y va ! Tu arrêtes de faire ton mollasson ! On est pas de la chochotte nous ! »
_________________
Natsuki.
Elle ne réponds pas à la question, mais elle a retrouvé l'usage de sa langue, c'est donc qu'elle va un petit peu mieux : former des mots, des idées à peu près claire et concise, celà demande de la volonté, beaucoup plus qu'il n'en parait. Certes, penser que la fillette retrouverait le sourire et la joie de vivre suite à une petite toilette revenait à être d'un optimisme béat, et l'idiot espérant ce fait aurait été indubitablement déçu. Du reste, la question de Natsuki ne souffrait pas de ce manque de réponse : ce n'était pas sa raison d'être.Cependant, le moindre changement, le plus petit progrès était signe de bon augure. Vouloir quelque chose, même se faire du mal, même vouloir dormir à jamais, était mieux que rester hagard et passer à l'acte. Les mots sont ce qu'ils sont et blessent toujours moins qu'une dague.

Tu veux couper tes nattes, tu en es sûre ? C'est joli pourtant des nattes, puis si tu les coupes maintenant et que tu le regrettes après, il te faudra du temps pour les retrouver...

Son regard ne se posait cependant pas sur la chevelure d'Alycianne, mais bien sur son front, sur ce front qui n'en finissait pas d'inquiéter la Léméré à force de se prendre pour un volcan. Alors elle éponge ce sang qui coûle encore et toujouts. La fillette était déjà moins propre qu'après le passage du tissu, mais toujours plus qu'après la boue. En faisant les gestes simples, Natsuki se souvint. Il fallait des chiffons, beaucoup de tissu : enroûler sa tête dans du tissu, que ce dernier absorbe au fur et à mesure. Quoi faire d'autres après, elle ne savait pas, mais déjà ceci, ne serait ce que ça...Peut être que ça serait utile...

Oui, mes habits ils sont tous sâles, il faudra que je les nettoies. Mais ne t'en fait pas, j'ai l'habitude. Puis si tu veux, je laverai aussi les tiens après que tu te sois lavée, et dans ton sommeil.

Elle la regarda dans les yeux avec un sourire qui se voulait rassurant; non pas un sourire de joie, mais un sourire d'espoir : un sourire qui disait "ça ira, tout ira bien, malgré que ta maman ne soit plus là tu seras quand même heureuse dans ta vie, je te le promets". Ces paroles réconfortantes qu'elle ne pouvait encore sortir, car elle sentait que la douleur de la petite était trop vive encore. Quelle aurait été sa réaction si Natsuki avait dit ces paroles ? Elle aurait pleuré de nouveau probablement : le mot "maman" était présent. Non, le sourire suffisait pour le moment. Plus tard....Quelques jours après, peut être...Là il serait temps...

Je vais d'abord te faire un joli bandage pour que le sang arrête de coûler, puis après, comme apparemment personne ne veuille venir ici ou s'intéresser à nous.

Elle lança un regard torve aux soûlards du lieu, tellement abreuvés de houblons qu'ils n'avaient pas remarqué ce spectacle. Bûcherons et mineurs ensemble réunis dans la débauche éthylique : la terre pouvait bien s'arrêter de tourner, tant que ça n'altérait pas les bulles de leur choppes ils s'en moquaient.

Puis après on va chez dame Marie : si elle n'est pas là, au moins il y aura des servantes qui pourront s'occuper définitivement de ces vilaines blessures.

Paraître convaincue, c'était primordial. Elle savait que là bas elle trouverait forcemment de l'aide. Réellement ? Il fallait qu'elle s'en persuade au moins. Pourquoi être venue d'abord ici ? Car c'était tout de même plus près, et l'idée que personne ne s'intéresse à elles ne lui avait pas traversé l'esprit. Première désillusion sur la nature humaine donc. Ca ne sera probablement la dernière.

Hoche la tête si tu es d'accord.

Noisettes attentives à la réaction de l'enfant, tâchant de masquer son inquiétude.
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Alycianne
Elle ondoie, instable, passant d'un bouillonnement intérieur aux affres d'une coquille vide.
Ferme les yeux, se concentre, très fort. Rester calme, dans la tempête qui l'agite. Mais c'est l'impression d'exploser qui la saisit, l'impression d'être débordée par les larmes, la colère, l'incompréhension. Maman est morte, encore. Ou meurt-elle de nouveau à chaque fois que cette pensée s'imprime en elle. Et c'est d'autant plus torturant, d'avoir cette phrase devant les yeux constamment. Alors, on peut jouer l'aveugle. Ou laisser gagner le tourment, le faisant enfler si soudainement, qu'on se déchaîne. Et à la place du chapelet d'injures de tout à l'heure, un puissant :


Je veux !

Poings serré qui s'abat sur sa cuisse. Elle veut. On lui a pris Maman. Elle veut faire ce que bon lui semble, là, maintenant. Des remords, plus tard ? Ils iront mordre le futur, et ne gâcheront le passé.
Elle agrippe une des deux nattes, la fixe d'un regard larmoyant. Répugnée par ces cheveux longs qui tendent à ressembler à ceux de sa mère. Oui, certainement, elle s'en voudra. Mais maintenant, là, sur l'instant, que font ces cheveux, si longs ? Maman les aime courts. Ne le sait-elle donc pas ?
Et des yeux clairs de chercher ceux de Natsuki.


On coupe.

Lèvre inférieure qui se retrousse dans une moue décidée. Elle n'aime pas le contact du tissu sur la blessure. Non, sacrément pas. Sa main plonge dans la grande poche de sa robe, pour en sortir précautionneusement un mouchoir. C'est qu'il ne faut pas faire , en même temps, tomber de cailloux. Cailloux. Cailloux de Trésor, cailloux de mon coeur, vous m'aimez, toujours, un peu ? Vous me faites sourire, toujours ? Restez les mêmes, cailloux. Je veux.
Elle déplie le fin mouchoir, brodé d' A. à son coin, et le plaque sur son front, violemment. Appuie sur la blessure, et, par la même occasion, empêche la jeune fille de la toucher constamment.

On coupe, on va, on est propres, on dort.

Ou se fixer un semblant de but, semblant de vie. Car il ne lui reste rien. Enfin, si. La politesse, tout de même.

S'il te plait.
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Natsuki.
Comment réagir ? Que faire ? Elle est complètement désemparée devant cette situation qu'elle n'arrive absolument pas à gérer. Qui commande ? Qui subit ? Natsuki ou Alycianne ? Qui des deux vient de perdre sa mère ? Qui des deux est la plus vieille ? La plus mature ? Alycianne ou Natsuki ? Le regard se pose sur le tampon qu'elle désirait faire, le bandage qu'elle voulait mettre n'a plus qu'à être apposé. Une petite voix confuse, se confondant avec le brouhaha abominable de la godaille : les rires gras, les blagues crasseuses et autres sonorités intempestives que l'on trouve dans les tavernes, sortit de la bouche de la Léméré :

Désolée de ne pas y avoir songé plus tôt...

Mais elle se ressaisit aussitôt, elle prends le chiffon, SON chiffon, celui qu'elle trimballe depuis la Normandie, le seul souvenir qu'elle a encore de ses années du couvent, de son enfance; et pour la première fois, lui donne une réelle utilité. Tandis qu'elle le déchire pour obtenir la longueur suffisante afin d'entourer la petite tête saignante, ce sont ses derniers souvenirs qu'elle détruit. Lui qui fut utilisé pour espionner les mères supérieures -mission qui échoua pitoyablement, lui qui la réconforta quand elle fut brimée : ses larmes, ce n'est pas le sol qui les accueuillit, c'est ce chiffon. Mais que sont des souvenirs, qu'est donc la nostalgie face à une blessure à panser ? Quand elle créé le bandage, Natsuki ne se rends pas compte de tout ça, la prise de conscience arrivera plus tard. Aussi elle enturbanne Alycianne fermement; le chiffon était grand, très grand, heureusement.

Voilà, ça devrait tenir !

Elle esquissa un petit sourire de circonstance avant de répondre à la petite.

Bon, si tu veux vraiment te couper les cheveux, je ne vois pas pourquoi je te refuserai ce plaisir...Donc, je vais te les couper dans un premier temps, puis quand on sera revenu chez dame Marie, quelqu'un te les couperas mieux. D'accord ?

Devant le hochement de tête d'Alycianne, Natsuki farfouilla dans ses habits, et retira sa dague d'entraînement, la dague qui ne la quitte plus, celle d'Amberle, l'empruntée jamais rendue mais non volée, car la petite n'est pas voleuse, juste un peu distraite. De la main gauche elle empoigne l'une de ces nattes tant abominées, et de la droite la coupe en la sciant quelque peu. Ces lèvres murmurent des excuses : elle ne sait pas si ça fait mal, ça le fait probablement, mais bon...La chevelure se choit sur le sol, elle ne prends même pas la peine de la ramasser : elle attaque la seconde natte. Quelques temps après c'est une toute autre petite fille -toujours aussi polie, probablement- qui a le même nom et le même passé, mais qui est néanmoins différente, qui regarde Natsuki.

Allez viens, lève toi. On va chez dame Marie maintenant.

Et, menotte dans sa main, Natsuki sort de la taverne, toujours sans un mot pour les occupants, et c'est de nouveau le froid qui les accompagne toutes deux sur le trajet les menants à la maison désirée, et une porte close les accueuillant. Alors elle frappe, pour se faire entendre, et elle espère.

Ouvrez nous rapidement, s'il vous plait...
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Alycianne
Un instant, elle s'est demandée en quoi, en quoi une dague pourrait-elle bien l'aider. Franchement, une dague ! Une petite épée comme pour couper le cochon, non ? Un jour, elle avait vu un découpage de cochon, et c'était horrible. Déjà, c'est très rouge. Et puis, c'est à se demander si les cochons pensent. Parce que oui, s'ils pensent, où sont les pensées ? Cachée dans le corps ? Elle n'avait vu que du rouge.
Ne nous égarons pas. Alycianne n'aime pas les couteaux-découpeurs-de-cochons, et bien qu'elle veuille devenir chevalier, ne sait pas différencier une branche d'un arc, ni une dague de qualité d'un vulgaire outil de boucher.
C'est donc avec un certain soulagement qu'elle voit tomber à terre ses nattes, et non pas quelque autre partie de sa personne. C'est qu'elle n'a vraiment pas envie de se retrouver face à ses pensées sorties hors de son corps. Les cheveux, entremêlés à terre, retiennent quelques instants son regard.
Adieu, nattes. Adieu, Maman. Non !
Elle descend rapidement du siège, vient récupérer les rubans rouges qui terminaient les tresses. Non, Maman, tu es toujours là, toujours avec moi. Non ?
Répond, Maman... S'il te plait...

Un gros bandage cerclant la tête, elle doit avoir l'air fine, ainsi. Mais n'y prête pour ainsi dire aucune attention, d'ailleurs, s'occupe plutôt à suivre cette main qui la tire. Qui l'attire, quelque part, loin d'ici... Maman ?
Maman est morte. Maman...
Les voilà déjà arrivées. Ou est-ce-t-elle qui ait trop divagué. La porte, close, les accueille froidement. La Natsuki frappe, murmure quelques mots inaudibles, que la petite ne cherche même pas à comprendre, curiosité écartée pour une indifférence inhabituelle.

Et la porte s'ouvre. Car il fallait bien qu'elle s'ouvre. Et c'est qu'il y a toujours quelqu'un à l'intérieur, Alycianne l'a appris. Elle a passé beaucoup de temps à contempler le travail des domestiques. Surprise au premier abord, intriguée, ensuite. Et a fini par s'habituer, non sans poser beaucoup de questions, auxquelles certains se sont fait.

Mademoiselle Natsuki et... Mademoiselle Alyciaaaaanne ?
Mais... Entrez vite !


Un bras les tire à l'abri de la morsure du froid. Oh, ça, c'est Nestor. Il a toujours une mine agacée, mais les mots qui sortent de sa bouche n'en disent rien, c'est qu'il est d'une telle politesse qu'on a toujours l'impression d'être très important. Un majordome, qu'il parait.

Mesdemoiselles...
Sourcils froncés sur leur tenue et la nouvelle coiffure de la petite Rouge. Qu'avez vous fait ?

Heureusement qu'il n'attend pas réellement de réponse, car il serait très déçu d'Alycianne. Celle-ci se contente seulement de glisser des yeux vides sur ce qui l'entoure.
Voilà, Maman, c'est là où j'habite. Mais tu sais tout ça, je crois. Tu sais, hein ?
En fait, le majordome appelle déjà une bonne, qui arrive aussitôt.

Mais c'est qu'Mad'moiselle s'est fait mal ?!


Bien devant elle, mais loin de là, la fillette fronce les sourcils -lui tiraillant le front. Qu'avait-elle dit, déjà ?
On coupe, on va, on est propres, et on dort. On a coupé. On est là. On...

Je veux être propre.


B'en sûr qu'on va vous changer ! C'qu'vous êtes mise dans un état déplorable ! Qu'va dire Mad'moiselle Aleanore quand elle verra l'état d'votre nouvelle cape ? Et puis r'gardez moi ce sang ! C'est qu'on vous a fait du mal ? Et c'est qui qui a donc fait c'bandage ?


Hop, la voilà prise en charge, sous un tourbillon de paroles. La femme lui enlève sa cape, écarte les cheveux qui lui tombent devant les yeux, enlève le chiffon qui lui serre la tête. Fait une tête étrange. C'est une drôle de tête, juge la petite. Elle aimerait vraiment pouvoir mettre un mot sur cette tête. Les yeux légèrement écarquillés, les sourcils froncés, un menton mécontent, des cheveux fatigués, quelques rides angoissées, et un plissement des lèvres songeur. Elle demandera le mot au précepteur. Pour qu'ensuite elle puisse le mettre dans ses missives. Les mots de grands, ça fait grand.

... ardez moi cette blessure, c'est à nettoyer, et demander à not' bon Maître qu'il la r'garde. Pas l'impression que ç'soit très profond, mais la tête, ça saigne toujours beaucoup. Oui, comme mon p'tit cousin, qui s'est coupé l'arcade, j'vous assure que ça a saigné tant qu'sa mère en est devenue verte comme une pomme pas mure !
Et vous êtes toutes deux toutes crottées... Mais qu'est ce qu'il s'est bien passé ?


Elle semble parler à Natsuki, en l'aidant pour enlever ses chausses. Quelques ordres sont donnés, et un bain va les attendre, en haut.
Yeux clairs qui se lèvent pour chercher ceux de Natsuki. Retourne en quelque sorte à la réalité. Dure réalité. Trop dure.


Je veux oublier. C'est dans le possible ?

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Natsuki.
Et elles entrèrent, ce qui peut être un bon début. Sitôt pénétrées dans l'enceinte les filles furent harcelées de questions et commentaires divers traduisant bien l'émoi des serviteurs. Bon, il faut bien le reconnaître : leur état était tel que cette agitation était logique et justifiée. Mais, devant les questions s'empilant, devant ce maelstrom indescriptible de valets, de servantes, Natsuki craque. Elle implose, ou du moins, elle est sur le bord. Depuis la fin d'après midi, elle a du s'occuper d'Alycianne, chercher ses mots pour la réconforter sans toutefois évoquer le souvenir de l'être cher, la panser, même si elle ne fut pas efficace, prendre des décisions : choisir celle qui était la moins mauvaise d'entre elles et s'y tenir, affronter les regards obliques des passants, car son regard ne pouvait se porter sur ses chausses. Bref, elle a du grandir. En quelques heures à peine elle dut affronter plus de problèmes, plus de difficultés qu'en treize années d'existences. Et alors qu'elles avaient atteint la fin du voyage, l'oasis que Natsuki espérait tant et tant, ce fut pour découvrir que cette île paradisiaque était infestée d'indigènes cannibales cherchant à la torturer par d'interminables questions.

Alors elle craque, elle n'en peut plus, elle a besoin qu'on l'écoute la petite, qu'on lui pose les questions doucement, pas sur ce ton de reproche qu'elle a cru apercevoir. C'est alors que dans son ventre se réveille la bête d'un trop long sommeil. Mais il faut la faire taire. Encore un peu, un petit peu...Alycianne est là, seule elle a le droit de pleurer, seule elle connaît le chagrin. Ca serait égoïste que de s'apitoyer sur son sort. Très même. Donc il faut tenir, puiser au plus profond de soi ses dernières forces, trouver son second souffle. Du courage, encore une petite dose. Une toute petite dose...Le temps que la petite s'endort, aille aux pays des rêves, que le marchand de sable passe. Encore une petite dose...Se fixer à quelque chose d'imminent, s'y tenir comme à un espoir facile. Penser au bain et à la joie qu'il va procurer. La question est posée, il faut y répondre. Faire preuve une dernière fois d'une trop grande maturité pour elle. Qu'est ce qu'un adulte aurait répondu à cette question ? Mais il ne faut pas trop tergiverser : réponds !


Oublier...Je ne crois pas que ce soit possible. Mais, ce que je crois, c'est que tu peux être malgré tout heureuse. Je pense que tu es une petite fille courageuse et que tu vas réussir à vivre avec. Mais je crois aussi que tu as besoin d'un bon bain ! Je pense aussi que tu dois avoir sommeil, que tu vas faire un looooooooong somme, et que tu pourras penser à tout ça demain. Elle arrive péniblement à sourire, très péniblement, elle est exténuée, mais il faut sourire, quand même; car si elle ne sourit pas, qui le fera à sa place ? Allez, va en haut. Je crois qu'on t'apelle.

Et elle soupire de soulagement tandis qu'Alycianne grimpe les marches une à une : cette réponse dura en elle l'éternité, et elle sentit qu'elle dut tirer vraiment sur sa corde pour la formuler. Les souvenirs de la journée affluent en elle : la conversation avec Marie Alice, la découverte d'Alycianne, le premier projet, la taverne, la toilette, le bandage, la coiffure, le trajet, la maison, la question - la dernière question. Mais là, c'est fini, et en quelque sorte, elle est fière d'elle, même si elle aurait largement pu mieux faire - et elle en est consciente. Elle n'en peut plus, elle est épuisée...

Elle s'effondre !

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