Par la fenêtre ouverte, Lorca vit une armée de cochons envahir les quais et grogner bruyamment dans tous les coins, semblant chercher des truffes sous les tas de cordages. Le pêcheur sourit et leva la main pour saluer barry, qui, évidemment, trainait dans le coin. Il ne s'attarda pas pour lui parler, il avait plus important à faire.
Après avoir vérifié une' dernière fois que son costume était prêt, lorca se leva, gratifia le jeune chef du port d'un vague sourire, empoigna son harpon, et commença l'escalade du phare. Quelques centaines de marches, pas de quoi l'effrayer en temps normal, lui qui est capable d'escalader une falaise à la seule force des doigts, mais aujourd'hui, son dos le fait trop souffrir pour qu'il prenne plaisir à cette balade. Mais il doit surmonter la douleur, car l'évènement est de taille, bien plus que ne le soupçonne le maigre public venu assister à la cérémonie.
Arrivé à la balustrade qui surmonte l'édifice, lorca ne put s'empêcher de mettre une main devant ses yeux, légèrement éblouis par le soleil. Un geste, aussi anodin soit il, qui rappelle à son mauvais souvenir la douleur sourde qui le ronge de l'intérieur et le force à laisser échapper un grognement de douleur qu'il dissimula autant que faire se pouvait en raclement de gorge.
Chers amis Guyennois, nous sommes aujourd'hui regroupés pour célébrer un évènement important pour notre duché bien aimé : l'inauguration du premier port de Bordeaux. Un port qui, je l'espère, et je pense que vous êtes nombreux à partager mes attentes, sera une ouverture commerciale considérable vers l'extérieur, et nous attirera bénéfices, marchés et redressement de la dette ducale. Mais bien plus encore, nous pouvons attendre de lui qu'il permette à des colons d'arriver en Guyenne, afin qu'ils joignent leurs forces vives aux nôtres pour sauver la Guyenne des maux qui la rongent de jour en jour. Et enfin, le port a bien malgré lui une vocation militaire, puisqu'il devra servir à protéger la Garonne contre toute intrusion militaire ennemie.
Lorca s'appuya lourdement sur la balustrade et parcourut la zone portuaire de son regard las. Il commença par les marécages au nord de la ville, où les plus pauvres vivaient généralement, et où on remontait les navires avant la construction du port. Puis il passa aux faubourgs maritimes sis le long de la Garonne, et notamment sur la parcelle qui accueillait son bureau de président de la fédération des marins et pêcheurs, avant finalement de revenir sur le port, ses hangars, ses cales de radoub, ses quais, ses balances et grues, sa capitainerie, tout ce qu'il avait contribué à ériger depuis de nombreuses années, depuis une fameuse bataille où il avait bien failli rejoindre le grand dieu poulpe. Le pêcheur soupira et revint à son discours.
Excusez moi pour cette absence, je songeais à tout le chemin parcouru en quelques années, depuis le siège de Bordeaux pour ne rien vous cachez. je me rappelais les ruines que les gascons avaient laissé, et le désespoir que moi et mes amis ressentions à la perspective de notre capitale ruinée. Et quand maintenant je vois notre cité si belle, si prospère, si dynamique, je ne peux que ressentir une bouffée de joie, et un peu de fierté aussi en me disant que j'y ai contribué. Mais je ne suis pas seul, et au cours des mois qui ont vu l'érection progressive du port de Bordeaux, de nombreuses personnes sont venus nous prêter main forte. Certains se proposant même depuis l'autre bout de la Guyenne, c'est à dire Cahors, ou même depuis des provinces étrangères, c'est dire l'engouement suscité par notre folle entreprise. Je ne suis pas là pour citer leurs noms, mais il y eut de tout, des paysans, des voyageurs, des artisans, des érudits, des soldats, des agents de la prévôté, des ambassadeurs, bref, c'est toute la Guyenne qui - à travers ces représentants - a participé à la construction de ce port, de notre port.
Lorca s'interrompit quelques instants pour reprendre son souffle et guetter des réactions parmi la foule.
Et ça me rend fier pour la Guyenne et pour les Guyennois, car malgré les différends, malgré les haines religieuses, les désaccords politiques, la faiblesse militaire, le déclin démographique et le manque d'argent, un sujet à réussi à faire consensus parmi nous : la construction du port de Bordeaux. A l'heure où notre duché ressemble plus à un tas de villages regroupés de force dans une même entité politique qu'à un véritable peuple, ce port est peut être un élément d'unité, de reconstruction de l'identité guyennoise. J'espère que l'avenir me confirmera ces pensées.
L'avocat fut pris d'une quinte de toux irrépressible, tandis que sa bosse s'enfonçait toujours plus profondément en lui et le rongeait comme un fer porté à blanc qu'un bourreau enfoncerait dans ses entrailles. Sa prise autour de la rambarde se renforça, et tandis que ses mains blanchissaient, le bois commençait lentement à se lézarder.
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[Signature retirée par Bottée Féline.]