Le Songe dAristote
Un matin, Aristote avait une mine préoccupée. Son fidèle Sargas, qui fréquentait le lycée depuis des mois, vint à sa rencontre pour senquérir de son sort. Le maître lui fit cette réponse
Aristote : "Cette nuit, mon cher disciple, jai fait un rêve."
Sargas : "Ah oui, maître ? Racontez-moi."
Aristote : "Certes oui. Jai songé quen orient existait une cité merveilleuse."
Sargas : "Quel genre de cité ?"
Aristote : "Une cité idéale, parfaite, où tous vivaient en une fabuleuse harmonie. Léquilibre y était si solide que nul naurait pu le rompre, pas même la venue dun étranger comme je létais dans mon imaginaire. Jy ai fait intrusion, y ait importé mes murs, que je dirais à présent corrompues, mais jy ai été accueilli comme un frère."
Sargas : "Quels étaient ses principes, maîtres ?"
Aristote : "Cette cité est organisée selon le principe de trois cercles concentriques, ou trois classes de citoyens si tu préfères.
Je commencerai par te décrire ce qui constitue la plus basse de ces classes, à savoir celle des producteurs, la classe dairain. Ils constituent la majorité, et vivent paisiblement de la culture de leurs champs et de lélevage de leurs bêtes. Ils prennent ce qui est nécessaire à leur subsistance, et à celle de leurs familles, dans leur propre production, et donnent le reste aux classes supérieures. Si ces hommes constituent la base de la cité, leur sort est cependant enviable. Ils connaissent les joies de la tranquillité, dune existence simple au service de la collectivité. Ils sadonnent à lactivité physique quexige un travail régulier, et qui maintient leur corps en condition, meublent leur temps libre par la contemplation des choses de la nature, par léducation des enfants que ces gens là placent en très haute considération, et par la prière, adressant leurs louanges à Dieu qui leur a donné les plaisirs dont ils sont bénéficiaires.
La seconde classe de citoyens, la classe dargent, est celle des gardiens, des soldats. Ceux là sont autorisés à loisiveté, et profitent, en temps de paix, dune subsistance gratuite qui leur est fournie par les producteurs. Ils philosophent, admirent eux aussi les bienfaits de la nature, sinstruisent quel que soit leur age, sentraînent au maniement des armes. En temps de guerre, ils se font les plus fervents défenseurs de la cité. Leur courage na pas dégal, et ils donneraient leur vie, sans hésitation, pour la conservation de la communauté, ou pour défendre leur foy quils placent en très haute estime. Et au retour des combats, ils sont accueillis comme des héros. On dépose sur leurs têtes des couronnes de lauriers, on les traite comme des princes, et de fabuleux festins sont tenus en leur honneur. Ils sont portés en triomphe par le peuple, et aimés par les femmes.
La troisième classe de citoyens est celle des philosophes rois, la classe dor. Ceux là sont les plus anciens, recrutés parmi les gardiens qui se sont montrés les plus braves, les plus aptes au commandement, et les plus doués en matière de philosophie. Leur seul bien est la raison, car ils sont délivrés de leurs possessions terrestres. Leur foy en Dieu est leur seule arme. Ils sillustrent par la pratique des vertus de la manière la plus parfaite. Ils sont un exemple pour tous, et le peuple est heureux de sacrifier un peu de sa propriété pour assurer la survie de ses maîtres. Les philosophes rois constituent le gouvernement de la cité. Ils décident collégialement de ses destinées. Ils sont également les ministres du culte rendu au Tout-Puissant, et là réside leur légitimité. On tient leur pouvoir comme inspiré par le Très-Haut, de part leur condition de prêtres. Ils organisent lensemble de la cité, planifient la production, rendent la justice, et légifèrent."
Sargas : "Par ma foi, voilà une formidable cité que vous me décrivez."
Aristote : "Certes, cest vrai. Et jai la conviction intime quelle doit exister, quelque part."
Sargas : "Croyez-vous, maître ? Nest-ce pas là un simple songe ?"
Aristote : "Non, je crois plutôt quil sagit dune prémonition. Et je veux men assurer par moi même. Jai fait mon temps ici, et de ta condition de disciple, tu vas passer maître. Le lycée tappartient."
Sargas : "Comment, maître ? Mais jai encore beaucoup à apprendre."
Aristote : "De moi, non, mon cher ami."
Et le maître, toujours aussi grave, laissa Sargas décontenancé, pour sintéresser aux préparatifs de son voyage en orient
cf->
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