Adriendesage
"Portatz naut mordieu!"
La voix claquait quelque part dans la forêt lodévoise, au détour d'un sentier étroit. Entre un jeune charme au port téméraire et un vieux chêne biscornu, s'échinaient trois grands et vaillants hommes éreintés. Ils tentaient de tirer une cariole embourbée dans une énorme souille à sanglier... Il faisait sombre - c'était l'aurore encore - et les chevaux, fatigués, n'avaient vu venir l'obstacle. Enfoncée jusqu'à mi-roue, la charette dédaignait faire le moindre effort pour s'extirper, malgré toute la volonté des trois bougres.
Si tous trois étaient de solides gaillards, leurs allures étaient singulièrement différentes: Le premier, celui qui poussait à l'arrière, était vêtu d'une étoffe solide, verte comme la tête du hêtre aux beaux jours, flanquée d'un hibou doré. Il portait l'épée au côté, et protections de cuir aux épaules, qui lui remontaient jusqu'au cou. Bérot était son nom et d'ordinaire, son métier consistait à protéger jusqu'à la mort la baronne de La Voulte, Liloïe Desage. Le second homme, présentait un port beaucoup plus paysan. C'était d'ailleurs là son état. Brave bougre, il avait pour quelques écus loué sa charette et sa mule, ainsi que sa personne, pour quelque course au nom de la fière capitale du Languedoc, Montpellier. Si l'affaire eû paru banale à quelques amis de comptoir auxquels il l'avait aussitôt comptée, elle était autrement honorifique qu'étrange. Car jamais le brave Jehan Bradoc, comme il se faisait nommer, n'aurait imaginé conduire un jour son attelage aux côtés du troisième homme, celui qui, de l'avant, englué dans la boue jusqu'aux cuisses, faisait à l'instant porter de la voix...
Vêtu, par dessus une lourde cotte de maille, d'une tunique verte, lui aussi, frappée tout comme le garde Bérot, d'un hibou doré, celui là se distinguait par la croix d'honneur militaire qui oscillait à son cou et à l'épée ouvragée qui pendait à son côté. Sa tête, nue, mais couverte d'une dense chevelure bouclée, était ceinte d'une couronne de baron.
Ensemble, à l'injonction d'Adrien Desage, baron douairier de La Voulte, les trois hommes bandèrent leurs muscles et tirèrent de toutes leurs forces sur le bois prisonnier. La mule renacla et l'étalon bai du baron se mit à brouter quelques feuilles vertes placidement. Le chariot n'avait pas bougé d'un pet...
Le sénéchal Desage s'extirpa tant bien que mal du bain de boue porcin, se jurant que si son propriétaire s'y aventurait dans l'instant, il se verrait fendre le crâne d'un coup de lame bien placé.
"Nous n'y arriverons pas seuls. Montpellier a besoin de bois et moi j'ai besoin d'arriver à Lodève. Bérot, prend Mistral et chevauche jusqu'à la cité. Trouves-y de l'aide et reviens vite. Tu monnaieras comme tu pourras", lança le baron en tendant une bourse belle et bien grosse à son homme de main.
"Ne traîne pas et n'abîme pas mon étalon..." ajouta-t-il. Il avait pleinement confiance en l'homme, formé par ses soins qui s'éloignait à présent, bride abattue.
Le baron se retourna, pestant et frappa le jeune charme du talon, l'aspergeant ainsi copieusement de la boue qui restait prise sur le cuir de son pantalon et de ses bottes. L'arbrisseau déjà assez fort, plia mais ne céda pas. Un bon point pour l'écologie de la forêt lodévoise...
Il s'assit contre le vieux chêne, bien plus fort, et détâcha de sa ceinture une petite flasque finement ouvragée, ainsi qu'un parchemin qu'il avait reçu la veille... En le relisant silencieusement, il porta le contenant à ses lèvres, songeant qu'il avait été bien empressé, de vouloir voyager dès la nuit... Mais... comment aurait-il pu l'être moins...
Le jour se levait tranquillement et ils ne leur restait plus qu'à attendre que l'aide arrive...
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La voix claquait quelque part dans la forêt lodévoise, au détour d'un sentier étroit. Entre un jeune charme au port téméraire et un vieux chêne biscornu, s'échinaient trois grands et vaillants hommes éreintés. Ils tentaient de tirer une cariole embourbée dans une énorme souille à sanglier... Il faisait sombre - c'était l'aurore encore - et les chevaux, fatigués, n'avaient vu venir l'obstacle. Enfoncée jusqu'à mi-roue, la charette dédaignait faire le moindre effort pour s'extirper, malgré toute la volonté des trois bougres.
Si tous trois étaient de solides gaillards, leurs allures étaient singulièrement différentes: Le premier, celui qui poussait à l'arrière, était vêtu d'une étoffe solide, verte comme la tête du hêtre aux beaux jours, flanquée d'un hibou doré. Il portait l'épée au côté, et protections de cuir aux épaules, qui lui remontaient jusqu'au cou. Bérot était son nom et d'ordinaire, son métier consistait à protéger jusqu'à la mort la baronne de La Voulte, Liloïe Desage. Le second homme, présentait un port beaucoup plus paysan. C'était d'ailleurs là son état. Brave bougre, il avait pour quelques écus loué sa charette et sa mule, ainsi que sa personne, pour quelque course au nom de la fière capitale du Languedoc, Montpellier. Si l'affaire eû paru banale à quelques amis de comptoir auxquels il l'avait aussitôt comptée, elle était autrement honorifique qu'étrange. Car jamais le brave Jehan Bradoc, comme il se faisait nommer, n'aurait imaginé conduire un jour son attelage aux côtés du troisième homme, celui qui, de l'avant, englué dans la boue jusqu'aux cuisses, faisait à l'instant porter de la voix...
Vêtu, par dessus une lourde cotte de maille, d'une tunique verte, lui aussi, frappée tout comme le garde Bérot, d'un hibou doré, celui là se distinguait par la croix d'honneur militaire qui oscillait à son cou et à l'épée ouvragée qui pendait à son côté. Sa tête, nue, mais couverte d'une dense chevelure bouclée, était ceinte d'une couronne de baron.
Ensemble, à l'injonction d'Adrien Desage, baron douairier de La Voulte, les trois hommes bandèrent leurs muscles et tirèrent de toutes leurs forces sur le bois prisonnier. La mule renacla et l'étalon bai du baron se mit à brouter quelques feuilles vertes placidement. Le chariot n'avait pas bougé d'un pet...
Le sénéchal Desage s'extirpa tant bien que mal du bain de boue porcin, se jurant que si son propriétaire s'y aventurait dans l'instant, il se verrait fendre le crâne d'un coup de lame bien placé.
"Nous n'y arriverons pas seuls. Montpellier a besoin de bois et moi j'ai besoin d'arriver à Lodève. Bérot, prend Mistral et chevauche jusqu'à la cité. Trouves-y de l'aide et reviens vite. Tu monnaieras comme tu pourras", lança le baron en tendant une bourse belle et bien grosse à son homme de main.
"Ne traîne pas et n'abîme pas mon étalon..." ajouta-t-il. Il avait pleinement confiance en l'homme, formé par ses soins qui s'éloignait à présent, bride abattue.
Le baron se retourna, pestant et frappa le jeune charme du talon, l'aspergeant ainsi copieusement de la boue qui restait prise sur le cuir de son pantalon et de ses bottes. L'arbrisseau déjà assez fort, plia mais ne céda pas. Un bon point pour l'écologie de la forêt lodévoise...
Il s'assit contre le vieux chêne, bien plus fort, et détâcha de sa ceinture une petite flasque finement ouvragée, ainsi qu'un parchemin qu'il avait reçu la veille... En le relisant silencieusement, il porta le contenant à ses lèvres, songeant qu'il avait été bien empressé, de vouloir voyager dès la nuit... Mais... comment aurait-il pu l'être moins...
Le jour se levait tranquillement et ils ne leur restait plus qu'à attendre que l'aide arrive...
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