Soeli
Assise derrière un bureau une jeune femme écrit. Dans la pièce régnait un silence proche de l'absolu; silence tout juste empiété par le crissement de la plume, qu'elle tenait entre ses doigts, glissant sur le vélin et le crépitement en provenance du foyer où brulait un feu de cheminée. Autour d'elle dansaient des ombres et des formes bercées par le rythme des flammes émanant des chandelles qui les baignaient de leur lumière orangée; atmosphère tantôt chaleureuse tantôt maussade, mais surtout un savant mélange des deux. Sur la table, juste à portée de sa main dextre, un verre plein et une bouteille entamée contenant, tout deux, un liquide liquoreux verdâtre, posés parmi une multitude de parchemins de toutes sortes.
La femme quant à elle avait de fausses allures de princesse; vêtue d'une magnifique robe satinée bleu saphir, ses longs cheveux noirs tombant librement partagés entre ses épaules, ses avant-bras, sa poitrine et son dos; son visage était fermé, ses lèvres closes, seuls ses yeux semblaient expressifs brillant d'une lueur particulière.
Dans la pénombre, on vit son poignet imposer un mouvement brusque autant que rapide à la plume qui dessina de son encre noir sa signature au bas du document:
Soeli de Margny-Riddermark
La plume fut ensuite déposée soigneusement et l'encrier refermé. Redressant son dos qu'elle colla au dossier du fauteuil elle porta sa main sénestre vers la dextre, pour attraper entre ses doigts une chevalière qu'elle fît glisser le long de son index; elle s'arrêta pour l'observer un instant avant de la déposer par dessus le parchemin; elle fit ensuite de même avec la médaille Aristotélicienne qu'elle portait autour de son cou depuis son baptême, puis se leva faisant grincer la chaise sur le parquet.
Elle attrapa le verre posé sur la table, le vida d'une traite, le remplit à nouveau et se dirigea en dansant vers la fenêtre. Ses pieds étaient nus. Dehors la nuit était tombée occultant de son voile obscur le paysage, c'est sont reflet qui lui fut logiquement renvoyé par les vitres; elle se sourit, leva son verre, bu une gorgée et se remit à danser au rythme d'une musique imaginaire; elle le fit longtemps.
Ses gestes devinrent moins gracieux à mesure que l'absinthe, car il s'agissait bien de cela, faisait son effet; elle était prête. Tout en virevoltant, elle éteignit chacune des bougies allumées du bureau du Comte de Beaufort sauf une qu'elle garda pour se guider au travers des couloirs et allumer toutes les autres. Elle descendit l'escalier central, et le regarda longuement d'en bas avant de commencer à allumer chacune des chandelles qu'elle avait fait placer -de part et d'autre- sur chacune des marches et ce jusqu'au premier étage; le hall devint instantanément plus chaleureux; tout était fin près pour accueillir le Comte après une longue journée de travail au château. Tout en haut de la double volée d'escaliers, elle attrapa une longue tresse de rubans multicolores, qu'elle avait soigneusement confectionnée la veille, et l'attacha méticuleusement -face à l'escalier central faisant face elle même à la porte d'entrée- à la rampe en pierre blanche; assise sur le sol, entourée de ses jupons qui formaient autour d'elle un cercle presque parfait, elle tenta d'exécuter un nud, tout aussi solide, à l'autre extrémité.
Tandis que glissait entre ses doigts le doux tissu satiné, la Margny leva la tête pour regarder l'homme qui assis sur la dernière marche l'observait de ses yeux sombres et froids; que les tâches semblant si simples d'ordinaire peuvent être compliquées lorsque l'on a, comme Soeli, quelques verres dans le nez, elle fût obligée de s'y prendre à plusieurs reprises avant de parvenir à obtenir le résultat escompté. Se maintenant d'une main sur la rampe, tenant l'épais ruban de l'autre, elle se releva; c'est alors que sa voix retentit dans la salle à moins que ce ne soit dans sa tête:
Petite sotte!
Ce à quoi elle se répondit à voix basse:
Oh, la ferme! Je le sais! On aura l'éternité pour en débattre...
Tout en passant la corde fortunée -plus que de fortune- autour de son cou, prenant bien soin de ne pas y coincer le moindre cheveu, elle enjamba la rambarde et s'y assit un moment. Son coeur accéléra à n'en plus pouvoir; elle se sentit vivre quelques secondes encore; sur ses joues perlaient des larmes, non pas de tristesse mais celles d'un corps qui désespère; elle frissonna, elle sentit le doute et la peur l'envahir, elle hésita encore et encore; devant ses yeux défilaient quelques images heureuses, comme un dernier appel à son bon sens, dernier sursaut d'un cerveau imbibé qui n'a plus raison du reste du corps. Et alors qu'elle manquait de courage, l'ombre se prononça encore:
Tu n'oseras pas!
Puisqu'elle fut incapable de discernement; en réponse elle sourit à la mort, à son père; ferma les yeux; prit une dernière inspiration puis se laissa tomber dans le vide...
Bien en vue sur le bureau du Comte de Beaufort:
La femme quant à elle avait de fausses allures de princesse; vêtue d'une magnifique robe satinée bleu saphir, ses longs cheveux noirs tombant librement partagés entre ses épaules, ses avant-bras, sa poitrine et son dos; son visage était fermé, ses lèvres closes, seuls ses yeux semblaient expressifs brillant d'une lueur particulière.
Dans la pénombre, on vit son poignet imposer un mouvement brusque autant que rapide à la plume qui dessina de son encre noir sa signature au bas du document:
Soeli de Margny-Riddermark
La plume fut ensuite déposée soigneusement et l'encrier refermé. Redressant son dos qu'elle colla au dossier du fauteuil elle porta sa main sénestre vers la dextre, pour attraper entre ses doigts une chevalière qu'elle fît glisser le long de son index; elle s'arrêta pour l'observer un instant avant de la déposer par dessus le parchemin; elle fit ensuite de même avec la médaille Aristotélicienne qu'elle portait autour de son cou depuis son baptême, puis se leva faisant grincer la chaise sur le parquet.
Elle attrapa le verre posé sur la table, le vida d'une traite, le remplit à nouveau et se dirigea en dansant vers la fenêtre. Ses pieds étaient nus. Dehors la nuit était tombée occultant de son voile obscur le paysage, c'est sont reflet qui lui fut logiquement renvoyé par les vitres; elle se sourit, leva son verre, bu une gorgée et se remit à danser au rythme d'une musique imaginaire; elle le fit longtemps.
Ses gestes devinrent moins gracieux à mesure que l'absinthe, car il s'agissait bien de cela, faisait son effet; elle était prête. Tout en virevoltant, elle éteignit chacune des bougies allumées du bureau du Comte de Beaufort sauf une qu'elle garda pour se guider au travers des couloirs et allumer toutes les autres. Elle descendit l'escalier central, et le regarda longuement d'en bas avant de commencer à allumer chacune des chandelles qu'elle avait fait placer -de part et d'autre- sur chacune des marches et ce jusqu'au premier étage; le hall devint instantanément plus chaleureux; tout était fin près pour accueillir le Comte après une longue journée de travail au château. Tout en haut de la double volée d'escaliers, elle attrapa une longue tresse de rubans multicolores, qu'elle avait soigneusement confectionnée la veille, et l'attacha méticuleusement -face à l'escalier central faisant face elle même à la porte d'entrée- à la rampe en pierre blanche; assise sur le sol, entourée de ses jupons qui formaient autour d'elle un cercle presque parfait, elle tenta d'exécuter un nud, tout aussi solide, à l'autre extrémité.
Tandis que glissait entre ses doigts le doux tissu satiné, la Margny leva la tête pour regarder l'homme qui assis sur la dernière marche l'observait de ses yeux sombres et froids; que les tâches semblant si simples d'ordinaire peuvent être compliquées lorsque l'on a, comme Soeli, quelques verres dans le nez, elle fût obligée de s'y prendre à plusieurs reprises avant de parvenir à obtenir le résultat escompté. Se maintenant d'une main sur la rampe, tenant l'épais ruban de l'autre, elle se releva; c'est alors que sa voix retentit dans la salle à moins que ce ne soit dans sa tête:
Petite sotte!
Ce à quoi elle se répondit à voix basse:
Oh, la ferme! Je le sais! On aura l'éternité pour en débattre...
Tout en passant la corde fortunée -plus que de fortune- autour de son cou, prenant bien soin de ne pas y coincer le moindre cheveu, elle enjamba la rambarde et s'y assit un moment. Son coeur accéléra à n'en plus pouvoir; elle se sentit vivre quelques secondes encore; sur ses joues perlaient des larmes, non pas de tristesse mais celles d'un corps qui désespère; elle frissonna, elle sentit le doute et la peur l'envahir, elle hésita encore et encore; devant ses yeux défilaient quelques images heureuses, comme un dernier appel à son bon sens, dernier sursaut d'un cerveau imbibé qui n'a plus raison du reste du corps. Et alors qu'elle manquait de courage, l'ombre se prononça encore:
Tu n'oseras pas!
Puisqu'elle fut incapable de discernement; en réponse elle sourit à la mort, à son père; ferma les yeux; prit une dernière inspiration puis se laissa tomber dans le vide...
Bien en vue sur le bureau du Comte de Beaufort:
Citation:
Faict le septième jour de Janvier de l'an de grâces 1458
Par Soeli de Margny-Riddermark
à Sa Grandeur Jontas de Valfrey, Comte de Beaufort.
Mon cher ami,
Permettez que je vous nome ainsi pour une fois. Je ne vous demanderai pas de ne pas pleurer ma mort car il n'en est nul besoin, mais si tant est que vous ayez un tant soit peu d'égards pour moi ne vous montrez pas trop heureux. Je vous confie ici mes dernières volontés et vous fait confiance pour qu'elles soient respectées.
A vous Jontas de Valfrey, Comte de Beaufort, je vous lègue notre fille, Cyrielle. Vous ne la connaissez pas encore, mais je suis certaine que vous saurez en prendre soin et l'éduquer comme il se doit. Vous verrez mon ami, vous serez surpris de voir à quel point elle vous ressemble, tant de par son caractère que de par son physique d'ailleurs. Je vous laisse également, l'ardoise chez la couturière qui aura eu la délicatesse de coudre la belle robe dans laquelle vous me trouverez ce soir, en espérant qu'elle fut à votre gout. Remarquez également tout le soin que j'aurais pris à ne pas tacher votre parquet, je sais que vous y tenez, remarquable effort de ma part méritant tout de même d'être pris en considération.
Sachez aussi que je vous aurait aimé et apprécié malgré tout.
A notre fille, Cyrielle je laisse la chevalière ayant appartenu à mon père, ainsi que ma médaille Aristotélicienne. Vous les trouverez sur votre bureau à côté de cette lettre. Ainsi que la Seigneurie que vous m'aviez promise quelques années plutôt.
Je souhaite qu'elle apprenne mon trépas par Leandre et non par vous. Il n'est pas à démontrer que vous n'êtes pas un exemple pour ces choses là. Qu'elle sache qu'elle fût ma plus belle réussite et que je l'aurais aimée plus que tout.
A Leandre Lazare de Valfrey, qu'il reçoive mon épée et mon bouclier, ils n'ont que très peu servi. Ce cadeau n'a pas grande valeur matérielle, qu'il le prenne comme un geste symbolique. Il me rendit la vie bien difficile quelques fois, mais je l'aimais comme s'il avait été mon fils, il le sait.
A mon amie Dina, tous mes effets personnels se trouvant en ma demeure de Dôle, y compris la bague que m'avait offert son frére Franky de Galli. Qu'elle sache qu'elle fut une amie appréciée, mais rarement à sa juste valeur.
A ma marraine, la Comtesse Erine de Sparte et à mon parrain, le Comte Debenja; toute ma gratitude et ma reconnaissance pour leur aide et leurs conseils, ainsi que mes excuses pour ce geste.
A tous ceux que j'oublie; rien. Si je les ai oubliés, c'est qu'il y avait une raison.
Ainsi, je vous fait mes adieux mon ami
Éternellement votre
Soeli de Margny-Riddermark
Faict le septième jour de Janvier de l'an de grâces 1458
Par Soeli de Margny-Riddermark
à Sa Grandeur Jontas de Valfrey, Comte de Beaufort.
Mon cher ami,
Permettez que je vous nome ainsi pour une fois. Je ne vous demanderai pas de ne pas pleurer ma mort car il n'en est nul besoin, mais si tant est que vous ayez un tant soit peu d'égards pour moi ne vous montrez pas trop heureux. Je vous confie ici mes dernières volontés et vous fait confiance pour qu'elles soient respectées.
A vous Jontas de Valfrey, Comte de Beaufort, je vous lègue notre fille, Cyrielle. Vous ne la connaissez pas encore, mais je suis certaine que vous saurez en prendre soin et l'éduquer comme il se doit. Vous verrez mon ami, vous serez surpris de voir à quel point elle vous ressemble, tant de par son caractère que de par son physique d'ailleurs. Je vous laisse également, l'ardoise chez la couturière qui aura eu la délicatesse de coudre la belle robe dans laquelle vous me trouverez ce soir, en espérant qu'elle fut à votre gout. Remarquez également tout le soin que j'aurais pris à ne pas tacher votre parquet, je sais que vous y tenez, remarquable effort de ma part méritant tout de même d'être pris en considération.
Sachez aussi que je vous aurait aimé et apprécié malgré tout.
A notre fille, Cyrielle je laisse la chevalière ayant appartenu à mon père, ainsi que ma médaille Aristotélicienne. Vous les trouverez sur votre bureau à côté de cette lettre. Ainsi que la Seigneurie que vous m'aviez promise quelques années plutôt.
Je souhaite qu'elle apprenne mon trépas par Leandre et non par vous. Il n'est pas à démontrer que vous n'êtes pas un exemple pour ces choses là. Qu'elle sache qu'elle fût ma plus belle réussite et que je l'aurais aimée plus que tout.
A Leandre Lazare de Valfrey, qu'il reçoive mon épée et mon bouclier, ils n'ont que très peu servi. Ce cadeau n'a pas grande valeur matérielle, qu'il le prenne comme un geste symbolique. Il me rendit la vie bien difficile quelques fois, mais je l'aimais comme s'il avait été mon fils, il le sait.
A mon amie Dina, tous mes effets personnels se trouvant en ma demeure de Dôle, y compris la bague que m'avait offert son frére Franky de Galli. Qu'elle sache qu'elle fut une amie appréciée, mais rarement à sa juste valeur.
A ma marraine, la Comtesse Erine de Sparte et à mon parrain, le Comte Debenja; toute ma gratitude et ma reconnaissance pour leur aide et leurs conseils, ainsi que mes excuses pour ce geste.
A tous ceux que j'oublie; rien. Si je les ai oubliés, c'est qu'il y avait une raison.
Ainsi, je vous fait mes adieux mon ami
Éternellement votre
Soeli de Margny-Riddermark
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