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Une vieille enluminure bâclée

Erwelyn
Une nuit comme tant d’autres ces derniers temps, mais le paysage avait changé. Chinon. Ils y étaient arrivés la veille, sous la neige qui ne les avait pas quittés depuis le Poitou. Les chevaux, poneys roses et autres bestioles à plumes laissaient de petits nuages blancs à chaque respiration. Pour les périgourdins et la mainoise, c’était la même à chose, à rajouter cependant une haleine hautement chargée en alcool. Forcément, il fallait bien se protéger du froid ambiant. Des voyages en plein hiver elle en avait fait une tripotée, mais n’avait jamais autant picolé depuis qu’elle était avec la joyeuse troupe bergeracoise. C’était pas plus mal, d’ailleurs, d’être dans un état d’alcoolisation quasi-permanente, ça lui permettait un peu d’oublier ce qui lui trottait dans la tête depuis plusieurs mois déjà.
Routine habituelle à l’arrivée, chacun s’était dispersé, soit seul, soit par petits groupes, l’un pour se rendre au marché, l’autre pour se rendre chez le tisserand, d’autres encore étaient partis directement en direction d’une taverne. Taverne vite rejoint par tout le monde, ou plutôt devrait-on dire, prise d’assaut par les poneys roses. A grands coups de câlins pour se redire bonjour et de présentations diverses, ils avaient fait la rencontre de la propriétaire, drôlement abîmée par une armée qui lui était passée dessus peu de temps auparavant. Sadnezz était son nom. Sans savoir trop comment, Lynette était arrivée à lui demander de l’aider à se servir d’une épée, celle qu’elle portait n’ayant été sortie qu’une seule fois, pour intimider un brigand qui leur avait sauté dessus en Limousin. Mais elle ne s’en était pas vraiment servi, c’était plutôt Dim et Robb qui avait fait fuir les deux lascars, dont un qui l’avait traitée de bûcheron, soit dit en passant. Au lieu de cela, la tenancière, qui l’appelait sans cesse mon petit, lui avait proposé un cours de maniement du balai, encore trop faible pour se lancer dans celui des armes. Marché conclu, bien évidemment, et en moins de temps qu’il n’en faut pour dire tarte à la myrtille, Erwelyn s’était retrouvée derrière le comptoir, à écouter sagement les leçons données par son nouveau maître.

En bref, une journée plutôt commune, à cela près qu’elle n’avait quitté des yeux Sad, observant sa démarche claudicante, son sourire, ses grimaces à la vue des poneys se sautant dessus pour des câlins, ses « mon petit » lancés à chaque phrase. A la regarder évoluer, tout simplement. Un mélange de respect envers cette femme qui avait réchappé seule d’une armée ducale et un elle ne savait quoi de curiosité qui la poussait à vouloir creuser un peu plus pour connaître la dame. Elle était restée jusqu’à tard à côté de l’âtre qui crépitait, dans lequel elle remettait des bûches régulièrement, pour entretenir le feu, et enfin s’était décidée à prendre une chambre dans La garce aux nières. Et une nuit comme une autre, encore. Seule dans un grand lit, elle préférait s’asseoir devant la fenêtre, emmitouflée dans sa cape, à s’enfiler de la liqueur de poire jusqu’à ce que l’alcool l’emporte dans un sommeil sans rêve. Mieux valait ne pas rêver si c’était pour regretter de se réveiller le lendemain.
L’aube la réveilla, comme à chaque fois. La bouche pâteuse, des tambours jouant leur mélodie après cuite, frissonnante de s’être endormie à peine couverte, le feu éteint. Soupirant, elle s’appuya contre le chambranle de la fenêtre, yeux rivés au soleil qui perçait difficilement. Finalement, on se retrouvait toujours seul avec soi même… Oui, depuis plusieurs mois elle ne quittait plus le Périgord et Orka et Mahaut, oui, elle rencontrait régulièrement de nombreux diplomates pour son travail, oui elle avait des amis, disséminés un peu partout à travers le Royaume, mais un cœur tout froid, ou comme avait dit Mahaut, tout sec. Une Erwelyn seule et qui commençait à se faire vieille. Plus le temps passait, plus il creusait de petites rides sur son visage et filait plus vite que l’ombre. Tout ceci avait été confirmé la veille par ses compagnons de route, alors qu’elle se faisait traiter gaiement de vieille enluminure, bâclée, pour parfaire le tout.

Son regard tomba sur le bâton confié par Sadnezz la veille, posé à côté du lit. Apprendre le maniement du bâton, tu parles d’une histoire. Même ça, elle n’en était pas capable, c’était encore pire qu’une épée. Même pas foutue d’imaginer faire souffrir quelqu’un de ses propres mains. Elle prônait la paix, elle, ouais m’sieurs, dames.
M’enfin, prôner la paix quand on est même pas fichue de trouver la paix intérieure, ça faisait pas très sérieux tout ça…

Descendant du rebord de la fenêtre, ses grosses chaussettes de laine touchèrent le sol, la menant jusqu’au bout de bois, saisi à deux mains et levé au-dessus de sa tête. A peine vêtue de sa chemise de nuit toute rapiécée, un courant d’air lui chatouillant le cou, elle s’essaya à quelques coups dans le vide, se demandant bien ce que la sensation d’assommer un assaillant de plein gré pouvait donner. De plein gré, parce que la dernière fois qu’elle avait pris seule la route du Limousin, elle n’avait rien trouvé de mieux que de se faire attaquer par un homme sur le chemin. Et par un pur hasard, avait réussi à l’assommer avec une branche qui avait cédée, alors qu’elle grimpait à un arbre pour lui échapper. Tsss, elle aurait fait une piètre guerrière la chambellan…
Elle s’essaya à nouveau, donnant un coup un peu plus sec. Coup qui atterrit directement dans le bougeoir, l’envoyant valser au sol en mille morceau.


Bordel !

Un coup d’œil dehors, le bourg était à peine réveillé, les poneys devaient être en train de cuver chacun de leur côté. Rapidement, elle enfila ses braies, sa chemise, ses bottes et sa cape, et attrapant le balai au passage, se glissa hors de sa chambrée, pour se diriger vers l’étable placée derrière l’établissement. Un bref regard à la façade de l’auberge, où derrière seulement une fenêtre brillait faiblement la lueur d’une bougie. Elle n’était donc pas seule à être réveillée tôt. Bifurquant sur sa droite, elle se retrouva rapidement au milieu des canassons encore endormis pour la plupart, certains la tête déjà plongée dans le foin, ce qui était le cas pour Tralala, qui souffla en la voyant arriver. Souriant, elle lui caressa l’encolure. Sa jument aussi se faisait vieille depuis qu’Yvon lui avait revendue. Le canasson se mit à souffler dans le froid matinal, entourant ses naseaux d’une épaisse buée. Ses doigts coururent sur sa tête et allèrent s’arrêter dans sa crinière, pensive.

Brave bête… peut-être que toi aussi tu manques d’amour…

La phrase était sortie de but en blanc, sans même la voir venir. Voilà ce que c’était de se cacher des choses à soi-même, l’esprit finissait toujours par jouer des tours quand on s’y attendait le moins, persuadée qu’elle était que l’amour, ça ne servait pas à grand chose finalement.
Essayant de chasser cette idée en secouant la tête, elle glissa un peu plus sur le côté, fouillant dans la sacoche encore attaché à la selle et trouva ce qu’elle cherchait. La corde qu’elle avait saisie ferait parfaitement l’affaire. Et à côté, un lourd sac rempli de blé qu’elle se trimballait avec elle depuis des lustres, sans vraiment savoir pourquoi. Un dernier baiser déposé sur le museau de Tralala et elle fila à travers les ruelles du bourg, repassant devant la taverne.
Ses bottes crissaient sur la neige immaculée qui était tombée pendant la nuit, bruit qui emplissait la ville encore ensommeillée, laissant de grandes marques au sol. Enfin, après être sortie des remparts, elle descendit sur les rives de la Vienne et trouva ce qu’elle cherchait : un vieux chêne noueux.

Lynette avait toujours aimé les chênes. Pour leur robustesse, pour la forme qu’ils prenaient en fin de vie, se creusant peu à peu, vieux sages de la forêt. D’un côté de la corde, elle noua le sac de blé. L’autre côté fut attrapé et elle se mit à grimper à l’arbre, atteignant assez rapidement les premières branches. On ne passe pas plus de la moitié de sa vie à vivre en forêt sans savoir faire ce genre de choses. Enfin, elle tira de toutes ses forces pour faire monter le sac à hauteur d’homme, parfaisant son ouvrage avec un nœud bien solide, avant de redescendre et de saisir à nouveau le bâton.

Un coup, tout d’abord. Léger. Trop léger.


Bon sang, c’est tout c’que t’as dans les bras Lynette ?

Encore un autre asséné, mais pas assez fort à son goût. Ses pensées allèrent vers un conseil qu’elle avait entendu un jour, alors qu’elle assistait à un cours d’arme dans une salle du château mainois, auquel elle n’avait pas participé bien entendu : imagine ton ennemi le plus féroce, fais remonter ta rage la plus profonde, ce qui te touche le plus, ce qui te met en colère !
Les yeux rivés à la rivière, elle se mit à sonder son cœur, remontant plusieurs années en arrière, quand la gamine de dix-sept ans qu’elle était avait débarqué à Mayenne. Cette gamine qui en pinçait féroce pour LUI, le regardant avec des yeux scintillants, emplis d’étoiles. Elle le croyait trop vieux pour elle, et elle, si insignifiante. Mais ils en passaient des heures à discuter, et ils en avaient passé tous deux des parchemins durant toutes ces années, jouant souvent au chat et à la souris, alors qu’au fil du temps, la jeune fille qu’elle était alors était devenue une femme, plus sûre d’elle, mais qui se renfermait de plus en plus.

Et elle songea à leur dernière rencontre, à leur dernier baiser échangé, à son corps contre le sien, à ses mains qui avaient parcouru son dos, ses épaules. Et surtout, à ce qu’il lui avait chuchoté à l’oreille, la laissant muette, le front sur son épaule, avant de le repousser, le traitant de menteur et de fou : j’vous aime, Erwe…
Et elle était repartie, parce que c’était plus facile, parce qu’elle avait la trouille, parce qu’elle ne lui faisait pas confiance, parce que… elle en avait trouvé une multitude d’excuses à ce moment. On en trouve toujours des bonnes, quand on a peur.

Alors avant de taper, elle songea à cet amour qui la rongeait depuis des années, qu’elle enfouissait au plus profond d’elle, jusqu’à se persuader qu’il avait complètement disparu.
Elle y mit toute sa force, toute sa colère, celle qu’elle avait contre elle-même, d’être une pleutre qui a la trouille d’aimer, tout simplement. Sa colère d'être encore seule après toutes ces années, d'avoir repoussé toutes les chances qu'on lui avait donné.

Mieux vaut vivre avec des remords qu'avec des regrets.
Dans la vie il faut prendre des décisions que l'on peut regretter...

Et de crier, dans l’air froid :


J’en crève !
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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
Sadnezz n'avait pas dormi. La présence de Lynette lui avait levé toute envie de sommeiller au delà même de la fatigue de son corps usé et blessé. Dans son bahut, au milieu d'une pile d'affaire , le parchemin. Il en avait vu des visages, des noms et des taches d'encre... L'idée même qu'il était à portée de main et qu'elle ne devait pas le toucher était rude, intenable. Lorsqu'elle avait vu entrer la gamine, car pour elle c'est ce qu'elle était, elle avait tout de suite refoulé l'idée de faire un geste, de dire une parole de trop. Il y avait bien trop de monde autour, une bande de gais lurons assoiffés, de braves jeunes. Ils avaient réussi à réchauffer un peu l'ambiance glaciale qu'elle instaurait chez elle, la déridant malgré elle. Elle avait cherché le moment, sans le trouver.

Attablée devant une miche de pain et un bol de lait encore chaud, elle réfléchissait. Il ne fallait point trop hésiter et attendre, la gamine partirait vite, peut-être demain. Elle ne savait pas vraiment combien de temps la troupe avait prévu de rester. Elle monta à l'étage, écoutant aux portes. Si tôt, tous les gaillards dormaient et cuvaient. La veille ils lui avaient copieusement vidé la cave, du jamais vu. Arrivé devant celle de Lynette, elle se figea. La porte était entrebaillé, sa chambre visiblement vide. Sad s'appuya le front contre le mur, il était temps d'agir, ne pas laisser la chose lui filer entre les doigts. Elle entreprit de se couvrir allègrement et de sortir à la recherche de la petite. Après avoir demandé aux villageois quelques indices de son passage, elle stoppa lorsqu'elle l'aperçut au bord de l'eau, battant un sac suspendu comme une furie... Hésitation. Elle s'approcha dans son dos et s'assit, déposant sa béquille sur ses genoux. Ne voulant pas la surprendre, elle détailla en silence sa silhouette, et sourit avant que de ne reprendre un air grave.


Lynette, mon petit...


Le visage de la gosse lui apparu comme un vieux souvenir, celui de Floraine. Sadnezz avait attendu de revoir la petite depuis longtemps, mais lorsqu'elle s'était coupé de la famille, laissant ses enfants livrés à eux mêmes, fuyant leur père... Lorsqu'elle avait appris la mort de son fils , puis celle de son père... Elle avait abandonné l'espoir de la retrouver et l'envie de la rechercher. Le temps avait fait son oeuvre, la laissant amère, rétive face à toute envie de se lier de nouveau avec son sang. Mais la vie avait voulu que ce soit la petite qui vienne à elle, comme un défi à ses réticences.

Au début prise au dépourvu, elle avait cherché des raisons de se persuader que ce n'était pas celle qu'elle avait recherché, mais de fil en aiguilles, les langues se déliant, le doute n'avait plus vraiment eut de place. La famille était grande, l'arbre enfoui dans son bahut sur un vélin rapé en attestait. Non loin du nom de Sadnezz, celui d'Erwelyn dormait, jaunit par le temps, comme une promesse de retrouvailles. Une part d'elle même avait envie de sortir du silence, mais l'autre lui rappelait combien il était douloureux d'évoquer les Corleone au grand complet... Ces Corleone qu'elle avait pour la grande majorité abandonnés.

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Erwelyn
Le balai s’était abattu plusieurs fois, allant frapper le sac empli de blé de plus en plus fort. Tout ça lui faisait un bien fou, autant que de pousser un grand cri pour se vider la tête, même avec un Intendant de la Chancellerie qui vous dévisage, blasé tout de même à force de vous voir faire n’importe quoi. Elle avait l’impression que toutes ses tensions s’évacuaient au fur et à mesure que la toile se craquelait sous les coups, sachant tout de même que son esprit ne lui ferait pas de cadeau, que ses idées noires reviendraient la hanter insidieusement, quand elle s’y attendrait le moins. Mais pour l’instant, elle s’acharnait sur le blé, le bruit du bâton frappant le sac claquant dans l’air sec et froid des bords de Vienne. Un tourbillon de pensées l’assaillaient, passant de ses amours perdus à une image d’elle, vieille et seule, regardant la vie s’en aller peu à peu, son visage se rider, son corps s’endolorir à chaque mouvement, sa vue baisser. Amour perdu parce qu’elle savait qu’elle l’avait laissé filer, qu’il était trop tard, et qu’elle était sans doute la seule fautive. Même si tout ceci n’aurait peut-être rien donné de constructif et de définitif, elle aurait du faire face à ses peurs à ce moment là et ne pas s’enfuir, comme une lâche qu’elle était.

Un dernier coup lancé avec véhémence la fit basculer en arrière, son talon allant se ficher sur la neige glissante, ce qui la fit basculer en arrière. Le souffle coupé, elle se retrouva sur le dos, étalée dans la neige qui se glissa dans son cou, de grands frissons lui parcourant l’échine. Ce n’est pas la chute qui la surprit le plus, elle en avait l’habitude, mais ce fut le rire qui monta doucement en elle. Passer du rire au larme, était-ce là première marque de la folie ? Pour l’instant, elle n’en avait cure, et le rire se déploya dans sa gorge sans qu’elle n’arrive à le retenir, grimpant en petite notes aiguës jusqu’au ciel nuageux. Elle n’avait pas conscience de la présence de Sadnezz qui l’avait rejoint il y avait un petit moment déjà. Son murmure ne lui était pas parvenu, mais elle l’aurait reconnue tout de suite s’il était arrivé jusqu’à son oreille. Non pas grâce aux liens familiaux qui les unissaient, non, loin de là, mais simplement à cause du « mon petit », qu’elle avait entendu maintes fois depuis la veille.

Les liens familiaux, Erwelyn les croyaient brisés depuis longtemps, depuis la mort de sa mère, Floraine. Doucement, tout en fixant les bas nuages gris qui semblaient s’étirer sans fin au-dessus du bourg de Chinon, elle se mit à bouger les bras et les jambes. Petit à petit, la forme d’un ange se forma dans la couche épaisse de neige. Le rire se transforma en sourire, qui s’emplit de tristesse et de mélancolie alors que ses pensées partaient bien plus loin que son arrivée à Mayenne. Petite, bien plus petite, les joues rougies par le froid, les genoux écorchés de trop tomber et de traîner dans les buissons autour de leur maisonnée, ou plutôt devrait-on l’appeler cabane, et les bras remplis de bois pour alimenter le feu, un jeune garçon du village était soudain apparu devant elle. Lynette savait qu’elle n’avait pas droit de lui parler, ordre de sa mère. Les seules fois où elle pouvait croiser des gens, c’est quand elle se rendait au bourg voisin pour chercher un peu de viande, quand les pièges posés par sa mère ne fonctionnaient pas, et encore, à peine avait-elle le droit de s’adresser au boucher rougeaud qui lui foutait un trouille bleue.
L’enfant l’avait regardée longtemps, un sourire édenté aux lèvres, la bouille sale, et il s’était approché. Un pas en arrière de la gamine qu’elle était l’avait accueilli, mais il ne s’était pas démonté et avait encore avancé d’un pas. Le petit jeu avait duré quelques instants, jusqu’à ce qu’elle se retrouve coincée par un arbre. Pas un mot n’avait été échangé. Et puis, il avait pris la parole.


Dis, tu sais faire l’ange ?

L’ange ? La gamine qu’elle était l’avait regardé avec des yeux ronds. En vérité, elle ne savait même pas ce qu’était un ange, sa mère ne lui ayant jamais expliqué. Elle connaissait les plantes, déjà, les soins que l’on pouvait prodiguer avec certaines, mais pas toutes encore, car elle était trop jeune pour tout savoir, d’après maman. Mais jamais elle n’aurait avoué au garçon son ignorance, pour rien au monde.
Elle avait levé les épaules, l’air sûre d’elle.


Bien sûr que je sais !

Alors, il s’était jeté dans la neige, sur le dos, et avait crié

Alors viens !

Et il avait commencé à bouger les bras et les jambes, riant aux éclats. Doucement, Lynette avait baissé les bras, faisant tomber le bois qu’elle tenait serré contre sa poitrine, sans s’en rendre compte, le regardant avec des yeux ronds. Et enfin, l’avait rejoint. Rire avec un enfant de son âge, voilà une chose qui ne lui était jamais arrivé encore. Et elle avait fait l’ange, même si elle avait mis encore quelques années avant d’en connaître vraiment la signification.
Son amusement n’avait duré que quelques instants, assez pour se rendre compte qu’elle aurait aimé que tout ça lui arrive plus souvent. Mais sa mère avait mis fin au petit jeu des deux enfants, déboulant non loin d’eux, leur jetant des regards noirs. Tous deux s’étaient relevés rapidement, Lynette ramassant à toute vitesse le bois éparpillé, et le garçon filant ventre à terre. Enfin, Floraine s’était accroupie devant elle, l’aidant à récupérer les derniers branchages, un sourire mystérieux mais qui se voulait rassurant et confiant flottant sur ses lèvres.


Ne parle pas aux garçons, tu ne pourras en être que déçue.

Et sa phrase préférée

Les hommes, ça ne sert à rien ma petite, à part provoquer des ennuis.

Plus tard, elle avait compris. Elle n’avait pas imaginé les ennuis comme cela. Pas comme un garçon plus âgé qu’elle, alors que ses quinze printemps venaient de faire d’elle une jeune femme. Elle l’avait suivi, malgré les recommandations de sa mère, avait quitté ce foyer qui l’avait vu grandir, parce qu’elle avait tout simplement envie de voir ce qu’il y avait autour de cette forêt, plus loin que le bourg, encore plus loin que la grande ville à plusieurs lieues de là. Elle avait connu là son premier amour. Premier amour fauché par la mort si vite. Les ennuis, c’était donc un chagrin infini, un cœur brisé, des rêves qui s’achèvent dans la douleur.

La remarque de Mahaut sur sa mère lui revint en mémoire : Et bien, elle était pas bien gaie ta maman ! Non, elle n’était pas gaie, mais lui avait tout appris. A part peut-être tout ce qui touchait à son enfance, avant sa naissance. Il y avait une multitude de questions qu’elle aurait voulu lui poser, mais la faucheuse était, pour elle aussi, venue la chercher beaucoup trop vite…

Enfin, elle perçut un mouvement derrière elle. Tournant la tête, Sadnezz lui apparut enfin, assise non loin d’elle. Depuis combien de temps était-elle installée là, à l’observer, Lynette n’en avait aucune idée. Pendant un instant, elle resta silencieuse, se redressant pour la fixer longuement, sa poitrine se soulevant à un rythme rapide, marqué par le panel de sentiments qui l’avaient envahis depuis son arrivée sur la berge. Encore une fois, cette buée qui ne quittait plus leurs respirations l’entoura et tourbillonna en nuages épais autour de son visage.
Son regard essaya de sonder le sien, essayant de comprendre pourquoi cette dame blessée, qu’elle avait rencontré la veille, se tenait là, en face d’elle, assise dans le froid de janvier, sans dire un mot. Gêne, embarras, pudeur, toujours est-il que le fait que quelqu’un ait pu assister à ce débordement de sa part la perturbait. Se relever, pleine de neige, tapoter sa cape pour que le trop plein rejoigne le sol et ne la laisse pas frigorifiée, avant de lancer, yeux rivés aux siens.


Qu’est-ce que vous faites là ?
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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
Affichant un léger sourire elle remit une mèche de ses cheveux derrière l'oreille . Elle n'avait pas osé déranger Erwelyn dans son petit numéro et l'avait regardé sans mot dire. Un petit frisson parcouru son échine.

Je te regarde, et tu es plutôt douée pour me dérider ... S'enquit-elle.


Elle mit une bonne minute à se redresser, grinçant des dents sous ses douleurs non anesthésiées par le froid ambiant. Se rapprochant doucement de la jeune femme, elle tenta de gagner du temps pour réfléchir à comment aborder le sujet. Dieu qu'elle détestait ça... Pas douée pour les relations familiales la Sad.

Je suis venue te trouver pour des choses sérieuses, plus que le maniement du balais ou le saucisson de poney vois-tu... Lâches- donc ce bâton et viens marcher avec moi.

Elle lui montra du doigt la longueur de la berge et se mit en marche sans vraiment l'attendre. Pas après pas elle se remémora la seule fois où elle avait vue Erwelyn enfant, emmaillotée dans des langes épais. Lorsqu'elle l'avait apperçue sur le seul de sa taverne, sûre qu'elle n'avait plus rien du nourrisson braillard de sa mémoire... Mais elle avait la chance d'avoir un prénom jamais entendu auparavant.

Longtemps il avait été lu et relu sur le vélin de l'arbre de famille, les enfants l'avaient questionnée sur l'origine de ce nom, sur les liens qui les unissaient à cette petite qu'ils n'avaient pas connue. Peut-être bien des années plus tard, s'étaient-ils croisés dans une ruelle, sans savoir qu'ils étaient du même sang. Les Corleone étaient nombreux dans le centre.

Elle ne pouvait pas affirmer s'attacher à sa nièce de but en blanc, il faudrait du temps, si celle ci acceptait ses origines transalpines... Et encore. Ce qu'elle s'apprêtait à faire ne tenait que du cas de conscience, elle ne recherchait ni l'affection de Lynette ni la reconnaissance de son geste. Juste lui apporter une part de vérité, comme elle aurait aimé qu'on le fasse pour elle si elle était en tel cas.

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Erwelyn
Etonnée, c’était le mot. Etonnée que Sadnezz l’ait suivie jusque là, étonnée qu’elle se soit mis à l’observer, étonnée que la scène dont elle avait été témoin ait réussi à la dérider, alors qu’elle l’avait rendue si amère pour sa part. Regard lancé dans sa direction, Erwelyn leva un sourcil peu convaincu. Voire même les deux, parce que lever un seul sourcil, elle avait toujours eu du mal. Le temps que la tenancière se lève fut mis à profit pour l’observer plus longuement, sans même penser à s’approcher pour l’aider à se relever. Non pas qu’elle n’avait pas envie de l’aider, aider les autres, c’était peut-être ce qu’elle faisait le mieux finalement à défaut de s’aider elle-même, mais parce qu’elle était sûre que Sadnezz l’aurait envoyée balader si son aide avait été offert. La fierté se lisait dans ses yeux, il n’y avait pas besoin d’être né de la dernière peau de l’ours pour le deviner.

Enfin, d’une démarche peu assurée, la silhouette marquée par cette rencontre avec l’armée tourangelle s’approcha de la sienne, plus frêle, cachant de nombreuses peurs connues d’elle seule. Le but de sa présence était encore loin d’être clair, il y avait sûrement une explication à celle-ci, mais c’est tout de même avec étonnement qu’elle l’entendit lui annoncer qu’elle désirait lui parler de choses sérieuses. Pas de balai, ni de saucissons. Evidemment, il aurait été incongru d’imaginer qu’elle se soit déplacée jusque là pour lui prodiguer la leçon numéro six du planté de bâton, ou pour lui faire goûter son saucisson de poneys. Tiens, d’ailleurs elle n’avait pas fait attention si les poneys roses de leur petite troupe étaient encore présents dans l’étable, Sadnezz ayant eu un regard fort intéressé et gourmand à l’évocation des équidés qu’ils avaient amenés avec eux.

Des choses sérieuses avait-elle annoncé. Comme une marque de fabrique familiale, un frisson lui monta également le long du dos, terminant sa course à la naissance de son cou. En quoi Sadnezz pouvait bien l’entretenir de si sérieux alors que les deux femmes venaient à peine de se rencontrer. L’idée d’une éventuelle rencontre avec quelqu’un de sa famille ne lui serait jamais venu à l’esprit, impossible. Comment s’imaginer une famille alors que vous avez grandi avec une mère qui vous a toujours éloignée de tout, et surtout des gens.
Emboîtant le pas de la gérante de La garce aux nières, elle hocha légèrement la tête, ne sachant trop comment réagir face à cette intrusion dans sa vie privée. Intrusion, parce que pour venir lui parler de choses sérieuses, c’est que la dame voulait forcément pénétrer dans sa bulle. Et dans sa bulle, parce qu’Erwelyn ne parlait que rarement d’elle même, préférant être évasive quant à son passé, évitant même de donner le prénom de sa mère quand on lui posait la question.


Je vous écoute…

La phrase qui était sortie de ses lèvres avait été dite à voix basse, alors qu’elle aurait pensé beaucoup plus assurée en ouvrant la bouche. A vrai dire, elle était un peu perdue la Lynette, c’était pas le genre de choses qui lui arrivait souvent. Tout ceci ne lui était d’ailleurs jamais arrivé. Dans la logique, ça aurait du. Lors d’une éducation normale, chaque adolescent recevait un jour la visite d’un de ses parents pour lui « parler sérieusement ». En résumé, pour lui expliquer les choses de la vie. Sauf que chez elle, sa mère ne souhaitait en aucun cas que sa fille prenne connaissance de « ces choses ». Aussi, même si des questions lui avaient titillé l’esprit sur sa venue au monde, la gamine qu’elle était n’aurait jamais osé les poser à sa mère. De toute façon, la réponse était courue d’avance. La découverte s’était faite sans son aide, avec toute la naïveté dont elle pouvait être capable, alors que Meiryl, le jeune homme rencontré en sa forêt natale l’avait emmenée loin de son foyer. Fort étonné d’ailleurs que ses connaissances se résument à néant sur le sujet. Avait-il profité à l’époque de la jeune fille candide qu’elle était, elle n’avait pas la réponse. Pourtant, elle avait eu l’impression à ce moment là de partager quelque chose de fort, et de ne pas être la seule à se laisser aller à ces sentiments. Mais comment, à quinze ans, démêler le vrai du faux lorsque l’idée même de la traîtrise et de la moquerie ne venait pas à l’esprit. Il avait été son premier amour, et c’était tout ce qui comptait.
La suite avait été nettement plus brutale pour elle, ce qui expliquait aujourd’hui un refus total de s’abandonner à un quelconque amour.

Son esprit était encore parti dans un vagabondage dont il avait le secret, mais le silence qui s’était installé n’avait toujours pas été rompu. Levant son visage qui était resté fixé au sol, les bottes jouant avec les petites boules de neige qui s’étaient formées sur le sol, elle se tourna vers Sad, attendant une réponse.

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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
Marchant le long de la rive, elle observe les recoins enneigés dessiner des formes inattendues sur le sol. Ses chères poulaines s'enfoncent dans le moelleux du tapis blanc et sa cape traine lentement, voyant son extrémité mouillée. Lynette a suivit, semblant saisir que l'heure et aux discussions sérieuses. Elle jurerait que c'est de la peur qu'elle lit dans son regard, comme la peur que Sad éprouve lors des périodes noires en ouvrant une missive scellée... Les périodes noires. C'est ainsi qu'elle appelle les périodes d'avant deuil, le deuil qu'elle a trop porté.

Pour une fois ce n'est pas un deuil qu'il faudra porter, mais un verre à un nouveau membre, à une nouvelle entrée Corleonniene. Floraine avait toujours eu un caractère abominable, du moins à ses yeux. Ce n'est pas comme si Sad, elle, en avait un des plus agréable non plus, mais les relations des deux soeurs avaient été plus ou moins... Inexistantes. D'ailleurs pour être plus clair, Sadnezz n'évoquait jamais l'existence de sa soeur, considérant que seul le sang les unissait. Elle avait toujours trouvé sa soeur égoïste. Preuve en est, elle s'était faite engrossé et Sad n'avait appris l'existence de sa nièce qu'un an après sa naissance... Mieux encore, elle ne l'avait revue qu'à cette seule occasion, avant de re-disparaitre sans laisser d'adresse.

Coté père, aucune information. Ce ne serait pas simple pour la jeune femme de retrouver son géniteur. Floraine emportant dans sa tombe toues les informations susceptibles d'aider... Non décidément, les deux soeurs ne s'étaient jamais porté en amour. Scrutant le visage de celle qui l'accompagnait, elle cherchait à se rassurer sur la nette différence entre la mère et la fille. Difficile à dire pour l'heure, la gamine n'était pas là depuis bien longtemps. Elle l'avait trouvée plutôt gaie, mais en proie à une mélancolie mal dissimulée.

Se raclant la gorge elle se dit qu'il fallait y aller, débiter son petit discours longuement préparé dans sa tête... S'il faudrait répondre à des questions gênantes, car oui il y en a toujours dans une famille pleine de secrets, elle le ferait... Non sans mal.


Je t'ai écoutée longuement ces derniers soirs en taverne tu sais. Nathalie n'a jamais existée, n'est-ce pas...

Petite pause, juste le temps d'un regard vaguement accusateur quoi qu'elle comprenait que la gamine n'eut pas envie de parler de sa mère... Tout comme elle de sa soeur.

Je ne sais pas ce qui te pousses à te préserver des questions sur ton passé et ce qui s'y rattache, ou à éluder copieusement tes origines. Mais même si je n'avais pas particulièrement d'affinité avec elle, Floraine aurait sûrement apprécié que sa fille ne se cache pas d'être... Sa fille.

Vague sourire tout en regardant la neige s'écraser sous ses pieds. Sad avait lié ses mains dans son dos et un pli soucieux s'était dessiné sur son front.

Peut-être que la raison est ton igorance pure sur le sujet, ce qui s'est rattaché par le passé à son univers, à ta famille. Nous ne sommes pas les fruits d'engeances hasardeuses, mais des chainons liés à d'autres chainons , formant à eux tous réunis une grande... Chaine.

Tu t'égares Sad, restes pragmatique. du Concret.

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Erwelyn
Un regard déconcerté se porta sur la brune qui cheminait à ses côtés. Vu le manque d’aptitude d’Erwelyn à mentir, il n’était pas compliqué d’avoir deviné que le nom donné ce soir là en taverne n’était forcément pas le bon. Mais seulement, la question était surtout de savoir pourquoi Sadnezz débutait par cette entrée en matière. Après tout, qu’est-ce qu’elle en avait à faire du vrai prénom de sa mère… Ses lèvres s’entrouvrirent pour bredouiller une explication qui allait sans doute être tirée par les cheveux, elle même ne sachant pas encore ce qui allait en sortir, quand elle capta le regard accusateur posé sur elle. Et bien quoi, voilà qu’elle ne devait plus mentir maintenant ? Elle referma la bouche, un peu perdue, se demandant pourquoi diantre un si petit boniment pouvait provoquer telle réaction de la part d’une personne qu’elle connaissait à peine.

Son regard se porta discrètement sur la rivière, puis revint sur la brune, une folle idée lui traversant la tête. Non, tout de même… Mais pourtant… Etait-ce une personne que le mensonge rendait dingue ? Sadnezz serait-elle prête à carrément la pousser dans cette eau glacée, tellement froide qu’elle sentirait des milliers de lames lui traverser la peau et la ferait couler à pic ? Dans sa tête, le scénario prenait forme, combinant les plus improbables situations, se voyant balayée par un coup de béquille, ne pouvant même pas se défendre de cet assaut inattendu. En plus, elle avait laissé son balai à côté du sac de blé ! Enfin, soyons pragmatique, même blessée, il était fort probable que Sadnezz ne mette qu’un instant à l’envoyer balader, même avec un bâton en main, vu la méconnaissance d’Erwelyn sur toute forme de combat.

Lynette avait toujours eu une imagination débordante, ce devait sûrement être du au fait qu’elle n’avait pas pu faire grand chose étant jeune, à part aider sa mère au foyer. Alors son esprit vagabondait souvent, hors de la cabane, hors de la forêt, dans ce qu’elle imaginait être le monde. Et là, il ne faisait pas exception à la règle. C’est donc naturellement qu’elle s’éloigna de la brune, s’attendant à devoir parer un coup.
Le coup ne vint cependant pas de sa béquille, mais du prénom qui passa ses lèvres, la laissant encore une fois sans voix, chose assez inhabituelle pour le souligner. Elle lui avait tout d’abord parlé de son passé, de sa façon de s’en détacher, de ses origines. Encore une fois, Erwelyn n’avait pas compris pourquoi Sadnezz s’évertuait à lui parler de ce sujet, après lui avoir annoncé vouloir avoir une conversation sur des choses sérieuses. Pas très maligne sur le coup la Lynette là…

Comme un coup de fouet, elle prit le prénom de sa mère en pleine figure. Prénom qu’elle n’avait que très rarement prononcé depuis sa mort. Était-ce possible qu’elle se retrouve encore plus perdue que lorsqu’elles avaient entamée leur étrange conversation ? Sa voix ne semblait plus être qu’un filet lorsqu’enfin les mots sortirent de sa bouche.


Je… je ne me cache pas…

Ou si peu… Ce n’était pas forcément qu’elle se cachait, mais elle n’avait aucune envie de s’étendre sur le sujet, aucune envie de répondre aux questions, aucune envie de se replonger dans ce qu’elle avait essayé d’oublier durant si longtemps. Sa mère, elle ne la reniait pas. Oui, elle avait été dure sur bien des points, la préservant plus qu’autre chose, ne lui expliquant d’ailleurs pas pourquoi elle tenait tant à préserver sa fille dans un tel cocon. Oui, la vie était parfois rude, l’hiver difficile lorsqu’il fallait aller couper du bois, les mains gelées par le froid, ou ramener les seaux d’eau de la rivière voisine, pesant lourd dans ses mains de gamine. Mais elle lui avait pourtant appris tant de choses. Surtout, sa passion des plantes, de leurs vertus. Cet enseignement, elle en avait profité chaque instant, à chaque mot prononcé. Toutes ces images étaient encore bien présentes en son esprit. Elle l’avait aimé. D’un amour pur, profond, de tout son cœur d’enfant. A son retour de son escapade avec Meiryl, la mort était sur le point de l’emporter. Le pas était vite franchi pour se dire que l’abandon de sa fille lui avait été fatal, et Erwelyn en portait le poids depuis ce jour, persuadée que si la faucheuse était venue la chercher, elle en était totalement responsable.

A sa dernière phrase, elle s’arrêta net, reprenant ses esprits. Bien, la brune connaissait le prénom de sa mère, et savait qu’elle était sa fille, soit. Peut-être s’étaient-elles connues toutes deux avant, et même après sa naissance. Pour sa part, elle n’en avait aucun souvenir. Mais de là à parler de chaînes, de famille, de personnes réunies en un seul et même… lien…
Elle regarda quelques instants Sadnezz marcher, puis la rattrapa en quelques pas, lui attrapant fermement le bras pour la stopper. C’est d’un ton ferme qu’elle s’adressa à elle.


Bien, maintenant ça suffit avec vos métaphores ! Soit vous crachez le morceau tout de suite.. soit vous… ben euh… vous crachez le morceau, voilà !
Vous avez connu Floraine, soit, est-ce là une raison pour me baratiner avec de sombres histoires de liens et de chaînons manquants ?


Ceux qui connaissent bien Lynette savent qu’elle a plusieurs facettes, cachant ses peurs et ses interrogations derrière un visage souriant, une forte attirance pour l’alcool, quel qu’il soit, un second degrés et une propension à la bouffonnerie et au délire. C’était d’ailleurs pour ça qu’elle s’était si bien entendu avec Orka et Mahaut, dès leur première rencontre. Les deux jeunes filles et leur joie de vivre inégalable lui faisaient oublier ce qui la rongeait peu à peu. Mais d’un autre côté, et ce caractère devait lui venir d’un de ces deux parents ; ne connaissant pas son père elle ne pouvait savoir de qui il était tiré ; elle pouvait faire preuve d’un grand sérieux et d’une grande fermeté. Tout ceci avait été renforcé à son arrivée à la Chancellerie, et par la suite lorsque le poste de chambellan lui avait été offert.

C’est donc un regard froid et qui exigeait une réponse qui se planta dans celui de Sadnezz, la main encerclant toujours le bras de la brune.
En attente.

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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
Sadnezz vit le trouble créé chez la jeune Lynette. Touchée, juste comme il faut. Ne s'attendant pas à être attrapée avec autant de fermeté, elle grimaça. Son bras avait été soigneusement laminé sous l'épée ducale un mois auparavant, ce qui réveilla de vieilles douleurs point toutes cicatrisées... Se dégageant doucement, le visage devenus plus sombre que jamais elle se mordit la langue en persifflant:

Impatiente jeunesse...

Elle détourna alors ses yeux de ceux de sa jeune nièce, grimaçant sous cette réaction plus vive qu'elle ne l'avait espérée. Puisqu'elle voulait tout savoir, elle saurait tout, sans plus de ménagement que celui qu'elle offrait aux vieux os Corleoniens.


Puisque tu ne me laisse pas y mettre les formes, j'ai peu à dire. Tu es Corleone, Floraine était mon... Egoïste soeur. J'ose espérer que tu n'as pas hérité de tous les cotés que je détestais en elle.

Ses mains noueuses froissèrent le tissus de sa chemise en caressant ses chairs meurtries, et son coeur pulsa plus fort à ses tempes. L'évocation simple de la famille lui donnait une rage insensée, sortie du fond des âges. Elle ne savait pas si le sentiment qui l'étranglait désormais et lui donnait se gout si amer dans la bouche était celui du remord. Peut-être aurait-elle du laisser la gamine dans l'ignorance, cela l'aurait épargner d'évoquer ce qu'elle détestait, juste pour jouer les bon samaritaines de la vérité. Au fond, tout le monde se foutait de la vérité. Elle compris.

Fais-en ce que tu en veux, maintenant permet moi d'aller me reposer, je suis fatiguée.


Rabattant un pan de sa cape sur sa silhouette, elle se détourna de la route initiale dans un soupir. Sad se mordit la lèvre, et plongea précautionneusement ses pieds dans la neige plus épaisse des talus alentours. Elle laissa Lynette en plan, l'esprit déjà loin dans des pensées noires. Echapper à ses questions, filer.

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Erwelyn
Oui, elle avait été sèche, mais à quoi la Corléone s’était-elle attendue ? A des embrassades ? A un sourire jovial ? A ce qu’elle sorte une bouteille de liqueur de poire pour trinquer à sa « nouvelle famille » ? Elle lut dans ses yeux la douleur provoquée par son étreinte, vit son visage grimacer. Lynette n’était pas habituée à être source de souffrance chez quelqu’un d’autre. Se mordant les lèvres, elle desserra sa main alors que Sadnezz se dégageait lentement. Le regard de la brune s’était fait plus dur, plus froid, ce qui lui provoqua un léger geste de recul, avant de se détourner d’elle. Le dernier coup porté fut plus rude que le précédent, les révélations faites plus difficiles encore à encaisser. Une sœur, sa tante, sa mère traitée d’égoïste, elle ne savait quelle réaction elle devait avoir. Fuir en courant, pour oublier tout ce qui venait de se dire, ou assumer et aller jusqu’au bout dans les confidences.

Le choix était à faire maintenant. Bientôt, ils reprendraient la route, et sa… tante, dieu que ce mot était difficile… sans nul doute aussi. Comment la retrouver dès lors si elle coupait les ponts dès aujourd’hui. Le regret risquerait d’être immense d’avoir encore fui la vérité. Mais le choix lui fut imposé. Déjà, la Corléone bifurquait sur le chemin, rabattant sa cape, coupant court à cette discussion qui les mettait toutes deux dans un état pas possible. Restant plantée là pendant quelques instants, elle se mit à lui crier :


Vous pouvez pas me balancer ça au visage et vous faire la malle ! C’est quoi, un autre trait de famille Corléone ? Moi aussi je sais fuir, j’le fais tout le temps d’abord !

Enfin, son corps se mit en mouvement, et se pointant devant la brune, elle suivit difficilement ses pas dans la neige épaisse, Sadnezz avançant, elle reculant, les yeux rivés aux siens. Manquant plusieurs fois de tomber à la renverse, elle continua tout de même. Non, elle ne la laisserait pas en paix, pas avant de tout savoir. Lynette avait toujours reculé, toujours fui, mais plus aujourd’hui, elle voulait savoir. Et saurait. Quitte à mettre sa tante dans une rage folle, elle ne la lâcherait pas avant d’avoir tout appris. Tout.

Pourquoi être venue me trouver si c’est pour en rester là ? Pour le plaisir de me voir me poser mille questions, pour que je me torture avec ces révélations ?

Et d’un ton un peu plus aigu.

Bordel mais…tu es ma tante !
Ma mère est morte, mon père a filé dès qu’il a appris ma naissance !
Toi tu vis, tu respires, et j’te lâcherais pas !

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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
Elle l'entendit crier derrière, une vérité si bien servie... Et oui fuir c'est ce qu'elle faisait toujours de mieux dans cette vie, la petite l'avait vite cernée. Sad marmonna un vague 'Ouais, c'est ça... ' à peine audible et continua son chemin, lèvres pincées. La neige avait ralenti sa course, mais elle ne cilla pas, un pas devant l'autre, sa bouche exhalant des nuages de buée comme un taureau dans l'arène froide...

Elle sentit que Lynette ne lâcherait rien lorsqu'elle l'entendit marcher dans ses pas, lui criant sa rage et son indignation. Pourquoi être venue te trouver hein Lynette... Elle l'avait devancée, Sad vrilla son regard noir dans le sien, toujours aussi fermé.


Tout le monde a droit à sa part de vérité, aurais-tu préféré mourir ignorante? allons ne sois pas sotte. Je ne retient aucun plaisir à te parler des Corleone, ça m'est même... Très difficile. Mais le temps m'a appris que malgré toutes les barrières et les lieues qu'on mettait entre notre sang et nous, il nous rattrapais toujours. Je me suis sentie obligée de le faire.


Pour ma conscience, pour espérer dormir un peu mieux le soir, pour éviter de te regarder en te parlant comme à la dernière des inconnue alors que tu ressemble tant à ... Elle. Erwelyn manqua de se ramasser sur le manteau blanc, ce qui fit tressaillir Sad. Réflexe maternel, certainement. Vite repris par l'indifférence. Bordel mais… 'tu es ma tante !'

Et alors?! Tu crois que ça me donne des droits et des devoirs sur ta personne? Tu crois que je dois t'adopter parce que nous portons le même nom? Je ne suis PAS ce qui t'aideras dans ta vie, tu le comprendras vite... Je ne suis pas un exemple. Je ne te demande pas de m'aimer, ni de me détester, fais ce que bon te semble mais ne me reproche pas de te sortir du néant de tes souvenirs!


Sad bifurqua à nouveau, et accéléra le pas jusqu'à la taverne. Elle sortit de son corsage la petite fiole salvatrice qu'elle huma férocement les paupières mi closes. Poussant la porte de la Garce Aux Nières, elle tangua une seconde, l'esprit embrumé par les vapeurs opiacées. L'esprit anesthésié, elle ne saurait pas replonger dans les affres des vieilles douleurs physiques et morales... Du moins c'était l'espoir qu'elle nourrissait.

Elle s'affala sur un siège près de l'âtre, les lèvres vaguement bleuies et la tête comme une enclume. Ses yeux se perdirent dans les flammes dansantes...
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Erwelyn
Leur lente avancée continuait dans le froid de l’hiver, la Vienne s’éloignant peu à peu de leur vue, et les remparts faisant courir leur ombre protectrice sur le visage de Sadnezz. Inexorablement, la brune avançait, sans se soucier des questionnements de sa nièce, lui servant de piètres excuses. La colère commençait à la prendre, son cœur tambourinant dans sa poitrine, la gorge serrée, les phalanges blanchies de trop crisper les poings. Si sa tante n’avait pas été si mal en point, elle l’aurait secouée comme une poupée de chiffon. Mourir ignorante ? Mais bien sûr qu’elle aurait préféré ! Ce que les yeux ne voient ne fait pas mal au cœur… C’était tellement juste.

Me servir une moitié de vérité, croyais-tu m’ôter d’un insupportable fardeau d’être dans l’ignorance la plus totale sur ma famille ?
Finis donc, puisque tu as commencé !
Pseudo samaritaine que tu es !


La pousser à bout, voilà ce qu’Erwelyn essayait de faire, mais nulle réflexion ne semblait faire changer d’avis la Corleone qui continuait son chemin. Bon sang, la brune se comportait ici exactement comme Floraine, lorsqu’elle se taisait, lorsqu’elle gardait pour elle tous ses secrets, lorsqu’aucune réponse ne lui était donnée sur ses multiples questions d’enfants. C’était comme donner à un chien affamé un os plein de moelle et lui reprendre dans la minute qui suit. Sadnezz lui servait maintenant l’excuse de la tante dangereuse et pernicieuse, celle qui ne fallait surtout pas approcher. Que croyait-elle ? Qu’elle était le genre de femme à juger les autres, à tourner le dos aux mauvais ? Dieu qu’elle se trompait. Croyait-elle également vraiment qu’elle avait besoin d’un exemple, de quelqu’un sur qui s’appuyer, à suivre ? La pensait-elle si malléable ?

Non, en effet, tu n’as aucun droit, AUCUN ! Mais celui de m’en apprendre plus sur moi même alors que je n’avais rien demandé, tu l’as pris, et sans gêne !

La regardant s’éloigner en claudiquant, elle lui cria une dernière fois, avant de la laisser s’enfuir.

Ta conscience est-elle plus légère maintenant ?
Parce la mienne NON !!!


Essoufflée, son regard se porta sur la silhouette de sa tante qui disparut peu à peu. Les bras ballants, elle resta là quelques instants. Assez longtemps pour se rendre compte que le bas de sa cape ayant trop traîné dans la neige s’était gorgé d’eau glacée. Ravalant le goût amer qui s’était formé dans sa bouche, elle se résigna à faire demi-tour, lentement. La neige se remit à tomber alors qu’elle reprenait le chemin inverse, d’un pas plus lourd, dans l’incompréhension la plus totale de ce qui venait de se dérouler.
Quelques flocons eurent le temps de s’écraser sur ses cheveux et son visage avant qu’elle ne remonte sa capuche sur sa tête, s’enveloppant plus chaudement dans sa cape de laine. Visiblement, Sadnezz avait résolument décidé de lui gâcher sa journée, voire même les semaines à venir. Ses pas la ramenèrent à côté du chêne, qu’elle observa longuement, se demandant combien de scènes dans le même acabit avait-il bien pu voir. Secouant la tête, un sourire amer se forma sur son visage, déçue de la tournure qu’avait pris cette journée. Il était sans doute temps de reprendre la route et de rejoindre le Maine…

Doucement, elle remonta la berge, se dirigeant vers le centre-bourg, espérant tomber rapidement sur un de ses compagnons de route. Rester seule dans ces moments là n’était pas très bon. Elle se serait sûrement replongée dans l’alcool et serait partie cuver dans un coin de la ville, mais sûrement pas à la Garce aux nières, n’ayant plus aucune envie de croiser sa pseudo-tante. En tous les cas, pour la fuite, elle savait maintenant de qui elle tenait ce gêne…


[Quelques jours plus tard, toujours à Chinon]

Son baluchon avait été fait, les chevaux sellés, la charrette attelée, tout le monde était prêt pour prendre la route. Depuis cette fameuse matinée, elle n’avait pas recroisé Sadnezz. Hasard ou arrangement de la brune pour soigneusement l’éviter, Erwelyn n’en avait aucune idée. De toute façon, elle s’était rendue l’après-midi à l’auberge pour vider sa chambre et laisser quelques pièces sur le comptoir pour régler sa note. Comme sa tante lui avait fort bien fait remarquer, elles ne se devaient rien toutes deux, elle n’avait donc aucune envie de lui quémander une quelconque hospitalité du à leur lien familial. Elle avait donc payé sa chambrée, point.

Réunis sur la grand place, elle s’enquit de la présence de tout le monde avant de grimper sur Tralala. Elle allait donner le départ, prête à repartir vers de nouveaux horizons, laissant la famille Corleone s’enterrer d’elle même dans les limbes de ses souvenirs, pour finir par disparaître totalement, lorsque finalement elle redescendit de Tralala, se tournant vers ses compagnons.


Vous permettez un instant ?

Pas très sûre de ce qu’elle s’apprêtait à faire, elle se dirigea vers l’auberge de sa tante et prit une grande inspiration avant de pousser la lourde porte. Comme elle s’y attendait, la pièce était vide. C’était ce qu’elle avait espéré, pas encore prête pour une nouvelle confrontation avec sa tante. Le feu crépitait tout de même dans l’âtre, signe que la brune ne devait pas être loin. Le comptoir fut rejoint et sa besace fouillée pour en sortir un bout de parchemin, sa plume et de l’encre. Elle y griffonna quelques mots.

Citation:
A celle qui, malgré tout, est et restera toujours ma tante

Il est l’heure pour moi de reprendre la route.
Le message que tu as essayé de me faire passer la dernière fois est clair, j’ai compris que le lien qui nous unissait ne te semblait en aucun cas être un prétexte pour que des relations puissent se créer entre nous.

Sache tout de même que ma soif de savoir ne s’est pas éteinte, mais je ferai selon ton désir, puisque la suite, tu ne veux me la raconter.

Il est possible que je reste quelque temps en Maine, si jamais l’idée folle te prenait de changer d’avis et de me faire parvenir des nouvelles de toi.

Erwelyn

On peut tout fuir, sauf sa conscience *


Elle apposa sa signature au parchemin, avant de le relire, ne sachant pas encore vraiment si elle allait le laisser là, ou l’emporter avec elle. Finalement, le papier alla rejoindre le comptoir, et elle fit demi-tour, posant un dernier regard sur la taverne, laissant le peu de souvenirs qu’elle avait de sa tante s’imprégner en elle. Elle se remémora leur première rencontre, ses « mon petit » qu’elle n’entendrait peut-être plus, ses leçons de maniement du balai qui finalement n’avaient pas été menées à terme. Un sourire un peu plus doux que celui qui s’était figé sur ses lèvres après leur dispute se dessina peu à peu. Plus affectueux et indéchiffrable.
Les liens du sang ? Peut-être…

La grande place fut vite rejointe, et elle remonta sur Tralala, poussant légèrement le bout de bois qui la gênait pour chevaucher.
Le même sourire qu’un instant auparavant vint caresser à nouveau son visage.
Elle avait gardé le balai…


* Stefan Zweig

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Le risque, c'est la vie même. On ne peut risquer que sa vie.
Et si on ne la risque pas, on ne vit pas.
Sadnezz
La pulpe d'un doigt hésitant caressant les lignes qui lui étaient adressées, le regard velouté d'un sentiment indicible, les lèvres proférant ces écrits silencieusement, presque comme une prière. Bien des jours qu'elle n'avait pas relu le mot laissé, presque abandonné par Erwelyn.

Elle y répondit, il était grand temps, même pour babiller quelques mots désordonnés, un geste est toujours plus doux qu'un silence. Ce dernier semblerait mépris alors qu'il n'est que gêne et maladresse... Aristote la pardonne.
Citation:

Mon petit,

Quelques terres en bourgogne et le Castel où je vais enfin retrouver mon petit chez moi, les routes me manquent, elles ont bercé ma vie. Prend soin de toi et à la revoyure, le vent sera toujours ton meilleur allié il amènera tes pas dans les miens, sans doute.

Sad Corleone


Le visage tourné vers une aube trouble, un soupir la prit. Il était temps de rentrer au bercail...

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