Xmanfe1999
Malgré les rumeurs de guerre qui grondaient depuis quelques jours, Xm était bien peu préoccupée du sort de la ville. Elle avait accompli son devoir de sergent en effectuant comme prévu ses trois journées et trois nuits de garde, puis après avoir mis le point final à son dernier rapport elle avait pris le chemin de la forêt.
La veille, elle avait remis à Cael à la taverne, après une discussion houleuse, la boîte contenant la vingtaine de pilules nécessaires au traitement de Musaraigne, accompagnée des instructions pour leur administration.
Xm avait tenté de faire passer l'abandon partiel de son patient pour de la fatigue extrême, mais elle se doutait bien que la sagace et sensible Cael subodorerait qu'il y avait anguille sous roche et qu'elle ne se satisferait pas de ses excuses. Elle avait dû, de mauvaise grâce, lui promettre d'être prudente et raisonnable, alors que la seule envie qui la tenaillait était de dormir jusqu'à en oublier le monde, et pour y parvenir, d'utiliser tous les moyens, dont aucun n'était raisonnable, dont elle disposait.
Xm passa donc la journée à mettre en ordre des affaires et à rassembler ce qui lui serait nécessaire pour les jours et les nuits à venir.
Elle fourra pèle-mêle dans une grande sacoche, couvertures, nourriture, boisson - il lui restait encore une fiasque de la fameuse grappa de son ami Gianni, celle là même que Lefier avait tenté de lui voler l'année précédente.
Elle enveloppa soigneusement dans un grand châle sa pipe et la boîte d'ivoire qu'elle avait pris soin de garnir plus tôt dans la matinée. Enfin prête, elle ferma soigneusement son échoppe et pris la route vers le sud, vers la montagne et la forêt.
Il était sans doute assez tard, puisqu'elle se rappelait avoir entendu sonner nones un long moment auparavant. Le jour tombait et Xm savait qu'il ne tarderait pas à faire nuit noire. Elle hâta le pas. Il était vital qu'elle soit à l'abri avant que le froid, qui avait été féroce ces derniers jours, ne rende sa progression trop pénible.
A mesure qu'elle gravissait les premières pentes après l'orée du bois, et que les bruits de l'activité humaine devenaient de plus en plus lointains, Xm prenait conscience de l'immensité glaciale autour d'elle.
Si elle n'avait entendu ses pas, qui faisaient sourdement crisser la neige sous ses pieds chaussés de chaudes bottes fourrées, elle aurait pu se croire seule dans un monde à jamais voué au silence. Seul l'aboiement d'un chien, porté par le vent du nord, la rattachait encore au monde des vivants.
Xm se retourna pour contempler la vallée et le lac à des milliers de lieues , tout en bas.
Les lumières derrières les fenêtres des maisons et les fanaux à l'entrée du port en construction, s'allumaient les uns après les autres.
Xm eut même l'impression qu'elle apercevait, dans la lumière tremblotante d'une lanterne, au dessus de la porte de la Taverne Municipale - qu'elle ne pouvait se résigner à appeler la Taverne de la Ville Fantôme - deux silhouettes- un homme et une femme, mais de si loin et par cette lumière agonisante comment aurait-elle pu en être sûre? - qui semblèrent s'immobiliser un moment, comme pour discuter, puis se séparèrent et partirent dans des directions opposées.
Quelque chose dans l'allure de la femme lui rappelait Cael, le pas décidé, presque rageur, le nez levé haut, le dos droit. La silhouette masculine dans ce cas avait dû être Musaraigne. D'ailleurs la femme ne lui avait-elle pas donné quelque chose qu'elle avait tiré de sa poche?
Xm secoua la tête. Ses yeux pleuraient à cause du vent froid. Comment aurait-elle pu distinguer quoi que ce soit de si loin? Son imagination lui jouait des tours. La fatigue sans doute.
Elle remonta son col sur sa tête et y enfouit son nez, dont elle ne sentait déjà presque plus le bout et se remit en marche.
Dans le jour finissant une masse sombre se profila soudain derrière les arbres. Elle était enfin arrivée à destination. Sa maison de thé, son improbable "chashitsu" , son refuge secret était toujours là. Sa silhouette fantomatique se découpait avec une élégance immatérielle sur le blanc de la neige. Dans la clarté lunaire qui montait du sol, on aurait pu la croire surgie de nulle part.
Xm s'arrêta à l'orée de la clairière qu'elle avait élargie pour y bâtir cette merveille de simplicité. Si elle n'avait en ce moment été plongée dans la mélancolie la plus profonde, elle en aurait apprécié à sa juste valeur la perfection des proportions et la modestie de la mise en uvre. Mais elle ne ressentait à l'instant d'y pénétrer pour la première fois depuis plusieurs mois, qu'un chagrin lancinant et un sentiment d'échec qui la ramenait toujours au même point. La souffrance. Le manque . Le deuil.
Xm s'avança et gravit les quelques marches qui la séparaient du seuil. Elle se défit de ses bottes et s'agenouilla devant la porte qu'elle fit coulisser. Le bois en avait un peu gonflé et elle dut se redresser sur ses genoux pour parvenir à l'ouvrir suffisamment pour se glisser à l'intérieur. Elle fit passer son sac devant elle et se courba pour en franchir l'entrée volontairement basse, toujours à genoux.
La maison, qui ne comportait que deux petites pièces, était froide et silencieuse. Xm referma la porte coulissante derrière elle.
A travers les panneaux de parchemin huilé qui faisaient office de fenêtres, la lumière de la lune, qui inondait maintenant la clairière, découpait les ombres des modestes objets que Xm y apporté pendant l'été. Une table basse, à peine plus grande qu'un échiquier qui était censée servir pour le "chanoyu" la cérémonie du thé.
Un"tatami", qu'elle avait confectionné à ses heures perdues avec du roseau récolté sur les rives du lac.
Un "futon" que, faute de coton,'elle avait patiemment bourré de la laine de ses moutons, était soigneusement roulé dans un coin. Il ne manquait plus pour son confort, que d'allumer un brasero et de s'enrouler dans une des couvertures qu'elle avait apporté.
Toujours en progressant sur ses genoux , Xm alla dans la minuscule cuisine attenante, récupérer brasero, le charbon de bois et le briquet pour allumer le feu. Elle déposa le tout sur un plateau et revint dans la pièce. Le froid était si vif derrière les minces parois de bois et de papier que Xm dut souffler longuement sur ses doigts avant de parvenir à obtenir une étincelle en frottant son briquet d'acier sur un silex. Elle finit néanmoins à enflammer l'étoupe et les morceaux de charbon de bois qui brûlèrent bientôt d'une belle flamme jaune.
Xm poussa un soupir soulagé et s'enroula frileusement dans sa cape, prenant bien soin de cacher ses pieds déchaussés dans ses plis. Elle tendit les mains vers les flammes. La clarté du petit feu rendait le reste de la pièce plus sombre par contraste.
Les flammes faisaient danser des ombres sur les cloisons peintes. Un reflet de métal attira l'il de la jeune femme.
Dans le coin le plus sombre de la pièce, là où quelques secondes auparavant il n'y avait rien, Xm distinguait les contours vagues d'une forme accroupie. Un frisson glacé parcourut son échine et elle crut que son cur allait s'arrêter de battre. Paralysée et muette, elle vit l'homme, calmement assis en tailleur, se redresser. Elle vit son visage ascétique animé par le reflet des flammes, étrangement pâle et comme éclairé de l'intérieur. Alors que Xm avait la sensation que son cur et que son cerveau allaient exploser elle entendit une voix familière lui murmurer:
Konbanwa, Kiku chan, je t'attendais...
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La veille, elle avait remis à Cael à la taverne, après une discussion houleuse, la boîte contenant la vingtaine de pilules nécessaires au traitement de Musaraigne, accompagnée des instructions pour leur administration.
Xm avait tenté de faire passer l'abandon partiel de son patient pour de la fatigue extrême, mais elle se doutait bien que la sagace et sensible Cael subodorerait qu'il y avait anguille sous roche et qu'elle ne se satisferait pas de ses excuses. Elle avait dû, de mauvaise grâce, lui promettre d'être prudente et raisonnable, alors que la seule envie qui la tenaillait était de dormir jusqu'à en oublier le monde, et pour y parvenir, d'utiliser tous les moyens, dont aucun n'était raisonnable, dont elle disposait.
Xm passa donc la journée à mettre en ordre des affaires et à rassembler ce qui lui serait nécessaire pour les jours et les nuits à venir.
Elle fourra pèle-mêle dans une grande sacoche, couvertures, nourriture, boisson - il lui restait encore une fiasque de la fameuse grappa de son ami Gianni, celle là même que Lefier avait tenté de lui voler l'année précédente.
Elle enveloppa soigneusement dans un grand châle sa pipe et la boîte d'ivoire qu'elle avait pris soin de garnir plus tôt dans la matinée. Enfin prête, elle ferma soigneusement son échoppe et pris la route vers le sud, vers la montagne et la forêt.
Il était sans doute assez tard, puisqu'elle se rappelait avoir entendu sonner nones un long moment auparavant. Le jour tombait et Xm savait qu'il ne tarderait pas à faire nuit noire. Elle hâta le pas. Il était vital qu'elle soit à l'abri avant que le froid, qui avait été féroce ces derniers jours, ne rende sa progression trop pénible.
A mesure qu'elle gravissait les premières pentes après l'orée du bois, et que les bruits de l'activité humaine devenaient de plus en plus lointains, Xm prenait conscience de l'immensité glaciale autour d'elle.
Si elle n'avait entendu ses pas, qui faisaient sourdement crisser la neige sous ses pieds chaussés de chaudes bottes fourrées, elle aurait pu se croire seule dans un monde à jamais voué au silence. Seul l'aboiement d'un chien, porté par le vent du nord, la rattachait encore au monde des vivants.
Xm se retourna pour contempler la vallée et le lac à des milliers de lieues , tout en bas.
Les lumières derrières les fenêtres des maisons et les fanaux à l'entrée du port en construction, s'allumaient les uns après les autres.
Xm eut même l'impression qu'elle apercevait, dans la lumière tremblotante d'une lanterne, au dessus de la porte de la Taverne Municipale - qu'elle ne pouvait se résigner à appeler la Taverne de la Ville Fantôme - deux silhouettes- un homme et une femme, mais de si loin et par cette lumière agonisante comment aurait-elle pu en être sûre? - qui semblèrent s'immobiliser un moment, comme pour discuter, puis se séparèrent et partirent dans des directions opposées.
Quelque chose dans l'allure de la femme lui rappelait Cael, le pas décidé, presque rageur, le nez levé haut, le dos droit. La silhouette masculine dans ce cas avait dû être Musaraigne. D'ailleurs la femme ne lui avait-elle pas donné quelque chose qu'elle avait tiré de sa poche?
Xm secoua la tête. Ses yeux pleuraient à cause du vent froid. Comment aurait-elle pu distinguer quoi que ce soit de si loin? Son imagination lui jouait des tours. La fatigue sans doute.
Elle remonta son col sur sa tête et y enfouit son nez, dont elle ne sentait déjà presque plus le bout et se remit en marche.
Dans le jour finissant une masse sombre se profila soudain derrière les arbres. Elle était enfin arrivée à destination. Sa maison de thé, son improbable "chashitsu" , son refuge secret était toujours là. Sa silhouette fantomatique se découpait avec une élégance immatérielle sur le blanc de la neige. Dans la clarté lunaire qui montait du sol, on aurait pu la croire surgie de nulle part.
Xm s'arrêta à l'orée de la clairière qu'elle avait élargie pour y bâtir cette merveille de simplicité. Si elle n'avait en ce moment été plongée dans la mélancolie la plus profonde, elle en aurait apprécié à sa juste valeur la perfection des proportions et la modestie de la mise en uvre. Mais elle ne ressentait à l'instant d'y pénétrer pour la première fois depuis plusieurs mois, qu'un chagrin lancinant et un sentiment d'échec qui la ramenait toujours au même point. La souffrance. Le manque . Le deuil.
Xm s'avança et gravit les quelques marches qui la séparaient du seuil. Elle se défit de ses bottes et s'agenouilla devant la porte qu'elle fit coulisser. Le bois en avait un peu gonflé et elle dut se redresser sur ses genoux pour parvenir à l'ouvrir suffisamment pour se glisser à l'intérieur. Elle fit passer son sac devant elle et se courba pour en franchir l'entrée volontairement basse, toujours à genoux.
La maison, qui ne comportait que deux petites pièces, était froide et silencieuse. Xm referma la porte coulissante derrière elle.
A travers les panneaux de parchemin huilé qui faisaient office de fenêtres, la lumière de la lune, qui inondait maintenant la clairière, découpait les ombres des modestes objets que Xm y apporté pendant l'été. Une table basse, à peine plus grande qu'un échiquier qui était censée servir pour le "chanoyu" la cérémonie du thé.
Un"tatami", qu'elle avait confectionné à ses heures perdues avec du roseau récolté sur les rives du lac.
Un "futon" que, faute de coton,'elle avait patiemment bourré de la laine de ses moutons, était soigneusement roulé dans un coin. Il ne manquait plus pour son confort, que d'allumer un brasero et de s'enrouler dans une des couvertures qu'elle avait apporté.
Toujours en progressant sur ses genoux , Xm alla dans la minuscule cuisine attenante, récupérer brasero, le charbon de bois et le briquet pour allumer le feu. Elle déposa le tout sur un plateau et revint dans la pièce. Le froid était si vif derrière les minces parois de bois et de papier que Xm dut souffler longuement sur ses doigts avant de parvenir à obtenir une étincelle en frottant son briquet d'acier sur un silex. Elle finit néanmoins à enflammer l'étoupe et les morceaux de charbon de bois qui brûlèrent bientôt d'une belle flamme jaune.
Xm poussa un soupir soulagé et s'enroula frileusement dans sa cape, prenant bien soin de cacher ses pieds déchaussés dans ses plis. Elle tendit les mains vers les flammes. La clarté du petit feu rendait le reste de la pièce plus sombre par contraste.
Les flammes faisaient danser des ombres sur les cloisons peintes. Un reflet de métal attira l'il de la jeune femme.
Dans le coin le plus sombre de la pièce, là où quelques secondes auparavant il n'y avait rien, Xm distinguait les contours vagues d'une forme accroupie. Un frisson glacé parcourut son échine et elle crut que son cur allait s'arrêter de battre. Paralysée et muette, elle vit l'homme, calmement assis en tailleur, se redresser. Elle vit son visage ascétique animé par le reflet des flammes, étrangement pâle et comme éclairé de l'intérieur. Alors que Xm avait la sensation que son cur et que son cerveau allaient exploser elle entendit une voix familière lui murmurer:
Konbanwa, Kiku chan, je t'attendais...
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