Ewaele
[Pour lui... Au-delà de tout]
Elle était redevenue une petite fille, fragile, cassante et posa sur le gamin des yeux implorants, demandant grâce, suppliant. Elle ne comprenait pas, ou peu, ne savait pas ce qu'elle faisait. Elle tentait vainement de se rappeler, ses doigts sur son front, cette cicatrice marquée à jamais dans sa chair et l'incompréhension, des sensations qu'elle avait éprouvées tout au long de ces derniers jours, de l'envie de changement qu'elle désirait. Que désires-tu vraiment lui chuchotait une voix dans sa tête. Son cur battit plusieurs fois, entre incertitude et soumission envers la fatalité. Et quelque chose s'enclencha en elle, comme de l'eau coulant dans une rigole, les engrenages se remettant en place. Ce qu'elle était capable de faire, elle pouvait le défaire, facilement, aisément, du bout des doigts. Sa main droite descendit de la gorge de Grim et se posa sur sa poitrine, elle la leva lentement, le corps du môme fléchit, suivant le mouvement. Sa senestre lui maintint le crâne au sol, le protégeant de la douleur d'un assommement bien dérisoire en comparaison de la mort. Vide, paix et sérénité. Elle sentait une brûlure dans son ventre, s'étonnant que le gosse ne soit pas décédé sur le coup.
Ses mains lui faisaient mal, lancinantes, comme des braises ardentes au bout de ses bras, tombant pour venir caresser le sol d'une illusoire affection, d'une douceur feinte. Et son cur, dans sa poitrine, battait des pulsations vides de ceux qui appellent la mort de leurs vux, que la fin les foudroie sur place selon leur volonté. Mais ni la mort ne vint, ni la disparition et, si elle l'avait pu, la jeune femme serait rentrée sous terre pour s'enrouler autour de sa honte, s'éteindre à cette réalité. Ewaele leva lentement les yeux vers lenfant, plein de larmes, brillant des sanglots cherchant à s'enfuir, à peine contenu dans sa gorge par la profondeur de sa crainte. Elle navait su le protéger, elle navait su lemmener hors de ces terres tueuses Un frisson parcourut son corps, la brûlure se tut. Son visage se recomposa. Elle se détendit et, du revers d'une de ses mains marbrées de noir, essuya lémail de cristal qui coulait sur sa joue, tentant de réabsorber par la force de sa volonté, les autres larmes qui pointaient malgré elle. Tout le reste se passa vite. Le murmure du métal sortant du fourreau - dieu qu'elle s'étonnait à aimer ce bruit -, la rage, la haine, le départ. Elle avait gardé le silence tout du long, murée dans le mutisme normal de sa honte, toute entière se consumant au brasier vorace de la vergogne qu'elle éprouvait. Les bras tendus, raides, le long du corps, elle aurait préféré mourir. Elle ne méritait pas la confiance de cet enfant.
Elle le souleva, oubliant ses propres douleurs, oubliant le mal qui la rongeait. Elle devait lemmener ailleurs, le sauver, prendre soin de lui comme elle navait pas su le faire. Dans la déflagration et le bouleversement de l'ordre. Dans l'éparpillement de la bienséance. Dans son démantèlement résolu, elle sentit son corps se briser un peu plus en soulevant le gamin C'était maintenant que tout commençait. Dans la déconstruction asymétrique, dans le dérangement et le bouleversement à crever les yeux. Le plus fou des jardins perçait le sol de son indocilité. Le sien. Elle vivait, elle vivait et se devait de le voir vivre Ecouter le courant d'air des perce-murailles, son insolence, sa persévérance, sa rébellion en déchirures d'encore un peu à tomber ici ou là, sans calcul ni revendication. Elle vivait et devait tout faire pour le sauver. Ses côtes la brulaient à la plier mais elle ne flancherait pas, son front la lançait, une croute de sang sétait formée dessus, et elle était tailladée de partout, ses habits en lambeaux Mais quimportait son apparence, pour lheure la seule chose envisageable était de retourner à Brignoles Alors, elle serra le sale gosse contre elle, faisant fi de ce qui la martelait au plus profond delle, lenroula au mieux avec elle dans sa cape, sentant un liquide chaud se répandre sur son ventre Son sang, sa blessure, poisseux, rouge garance liant la femme à lenfant.
Cette nuit là, elle aurait aimé être perchée tout en haut du grand phare de Cork, sa ville depuis toujours jusquà jamais. Solidement harnachée à la rambarde, tout en haut, elle aurait attendu linstant précis où ses doigts aurait senti quil était le moment de les frotter, de les frotter, de les frotter si fort, comme au temps de linvention du feu. Cette nuit là, le ciel se serait embrasé, brusquement transpercé par ces trainées en brûlures dastres pulvérisés. Cette nuit là, lorage le plus dévastateur naurait fait mine que de parent pauvre, face à lapocalypse en lifting acide sur le visage du néant. A lheure sans heure, le temps aurait arrêté sa course, pour la première fois il aurait fait mentir la parole des hommes. Alors, une main tirée de linvisible-incommensurable-indicible aurait posé la caresse délicate de lheure exacte, de lheure sans lheure. Issue de lunion de lavant et de laprès, elle unique et absolue Nulle poésie naurait pu la décrire. Nul mot damour naurait su lapprocher. Nul peintre pour la peindre, ni même de musique pour lévoquer, elle serait restée à jamais un mystère inviolable. Le rouet pervers des petites minutes continuerait à tourner dans lesprit des hommes. Vaines marques aux repères aléatoires dans la suspension de lheure sans heure. Lenfer des gestes à destination perdue reprendrait comme avant, la course éperdue prendrait lapparence dun but minable, la mort ne viendrait jamais au bon moment, les petites croyances fleuriraient, les canons reviendraient à laube des printemps, la terre saignerait, la terre pleurerait, les hommes oublieraient, encore, encore une fois Il faudrait un miracle sans renaissance, pour tuer lardeur destructrice. Une sorte de néant reconstitué. Un vide. Elle ne parviendrait jamais à Brignoles...
Et son cheval avançait pourtant, sans doute plus vite quelle ne laurait voulu, comme sil sentait que le temps pressait. Elle avait calé la tête de Grimoald sur son épaule, les lèvres de lenfant frôlant son cou, ni chaudes, ni froides, comme son corps. Elle se maudissait et ne cessait pourtant de lui parler Pour elle, pour lui, pour garder les yeux ouverts et éviter de suffoquer sous la douleur, pour éviter de le perdre définitivement et sa voix comme une douce mélopée vint lui murmurer un poème en gaëlique que son père lui avait appris
Ní chasfaidh tusa thart do chloigeann [Tu ne tourneras pas le dos à la mort]
agus an bás ag rolladh chugat mar an t-aigeán. [quand elle déferlera sur toi comme l'océan.]
Coinneoidh tú ag stánadh air go seasta [Tu lui feras face sans reculer]
agus é ag scuabadh chugat isteach ina spraisteacha geala [quand elle avancera vers toi des profondeurs de l'éternité]
ó fhíor na síoraíochta. [en poudroiements de blanche écume.]
Coinneoidh tú do chíall [Tu garderas la raison et]
agus do chéadfaí agus é ag siollfarnaigh [conserveras tes sens lorsqu'elle submergera]
thar chladaí d'inchinne [les rives de ton esprit]
go dtí go mbeidh sé ar d'aithne, [ainsi tu sauras ce qu'elle est,]
go huile agus go hiomlán, [totalement, intimement,]
díreach mar a rinne tú agus tú i do thachrán [comme quand tu étais gamin]
ar thránna Mhachaire Rabhartaigh [sur les plages de Machaire Rabhartaigh]
agus tonnta mara an Atlantaigh [et que les grandes vagues de l'Atlantique]
ag sealbhú do cholainne. [s'emparaient de ton corps.]
Ach sula ndeachaigh do shaol ar neamhní [Mais avant que ta vie ne soit réduite à néant]
shroich tusa ciumhais an chladaigh. [tu es parvenu jusqu'au rivage,]
Tarlóidh a mhacasamhail anseo, [la même chose se produira alors.]
Scroichfidh tú domhan na mbeo [Tu atteindras le monde des vivants]
tar éis dul i dtaithí an duibheagáin le d'aigne, [après avoir fait l'expérience des abîmes,]
ach beidh séala an tsáile ort go deo, [l'eau de mer marquera ton corps à jamais]
beidh doimhneacht agat mar dhuine, [ta personnalité prendra son épaisseur,]
as baol an bháis tiocfaidh fírinne. [du danger de la mort te viendra la vérité.]*
Elle vit enfin les feux du campement, ralentit sa monture en tirant légèrement sur la longe, ne sentait plus son corps, vibrait au léger rythme de celui de lenfant, une seule question en tête. Comment pourrait-il lui pardonner? Parce que ce n'était "pas de sa faute"? Baste! Elle se rappelait encore de la pulsion meurtrière qui l'avait prise face à ces hommes, impossible à endiguer, plus puissante que la marée, du goût de la colère au fond de la gorge, libératrice après la peine qu'elle avait ressentit. Contre elle, le corps de Grim comme un fleuve puissant ondulant entre ses cuisses. Contre son ventre. Il lirradiait de chaleur et d'assurance, la retenant pour qu'elle ne tombe pas. Le vent lui fouettait le visage, et le ciel, juste à portée de main, était un présent plus précieux que la vie. C'était du bonheur, de la joie pure qui faisait danser ses cheveux, des éclats de feux dans tant de noirceur. Malgré elle, elle partit dans un rire caractéristique des gens innocents, des étoiles dans les yeux. Le paysage s'étendait devant eux, carrés de culture, maisonnettes... Et les forêts comme des tapis de mousse. Puis la réalité se troubla et elle pénétra dans un tuyau où les couleurs fanaient, les formes s'étiraient. Un froid lui prit les os mais elle l'accepta, ne dit-on pas quavant de mourir on voit tout toujours plus beau? Etait ce le cas? Un moment de sursis avant de senvoler vers léternel Elle sourit, que pouvait-elle faire dautre? Ils étaient arrivés et elle navait plus rien à faire. Elle se sentit tomber impuissante, agrippa le corps fragile de lenfant tout contre elle pour ne pas lui faire subir ce quelle ne maitrisait plus Sa vie. Elle dût toucher le sol mais de cela elle nen garderait aucun souvenir!
* Extrait : Le chemin du retour (Pilleadh an Deoraí), poèmes gaéliques / Cathal Ó Searcaigh
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Elle était redevenue une petite fille, fragile, cassante et posa sur le gamin des yeux implorants, demandant grâce, suppliant. Elle ne comprenait pas, ou peu, ne savait pas ce qu'elle faisait. Elle tentait vainement de se rappeler, ses doigts sur son front, cette cicatrice marquée à jamais dans sa chair et l'incompréhension, des sensations qu'elle avait éprouvées tout au long de ces derniers jours, de l'envie de changement qu'elle désirait. Que désires-tu vraiment lui chuchotait une voix dans sa tête. Son cur battit plusieurs fois, entre incertitude et soumission envers la fatalité. Et quelque chose s'enclencha en elle, comme de l'eau coulant dans une rigole, les engrenages se remettant en place. Ce qu'elle était capable de faire, elle pouvait le défaire, facilement, aisément, du bout des doigts. Sa main droite descendit de la gorge de Grim et se posa sur sa poitrine, elle la leva lentement, le corps du môme fléchit, suivant le mouvement. Sa senestre lui maintint le crâne au sol, le protégeant de la douleur d'un assommement bien dérisoire en comparaison de la mort. Vide, paix et sérénité. Elle sentait une brûlure dans son ventre, s'étonnant que le gosse ne soit pas décédé sur le coup.
Ses mains lui faisaient mal, lancinantes, comme des braises ardentes au bout de ses bras, tombant pour venir caresser le sol d'une illusoire affection, d'une douceur feinte. Et son cur, dans sa poitrine, battait des pulsations vides de ceux qui appellent la mort de leurs vux, que la fin les foudroie sur place selon leur volonté. Mais ni la mort ne vint, ni la disparition et, si elle l'avait pu, la jeune femme serait rentrée sous terre pour s'enrouler autour de sa honte, s'éteindre à cette réalité. Ewaele leva lentement les yeux vers lenfant, plein de larmes, brillant des sanglots cherchant à s'enfuir, à peine contenu dans sa gorge par la profondeur de sa crainte. Elle navait su le protéger, elle navait su lemmener hors de ces terres tueuses Un frisson parcourut son corps, la brûlure se tut. Son visage se recomposa. Elle se détendit et, du revers d'une de ses mains marbrées de noir, essuya lémail de cristal qui coulait sur sa joue, tentant de réabsorber par la force de sa volonté, les autres larmes qui pointaient malgré elle. Tout le reste se passa vite. Le murmure du métal sortant du fourreau - dieu qu'elle s'étonnait à aimer ce bruit -, la rage, la haine, le départ. Elle avait gardé le silence tout du long, murée dans le mutisme normal de sa honte, toute entière se consumant au brasier vorace de la vergogne qu'elle éprouvait. Les bras tendus, raides, le long du corps, elle aurait préféré mourir. Elle ne méritait pas la confiance de cet enfant.
Elle le souleva, oubliant ses propres douleurs, oubliant le mal qui la rongeait. Elle devait lemmener ailleurs, le sauver, prendre soin de lui comme elle navait pas su le faire. Dans la déflagration et le bouleversement de l'ordre. Dans l'éparpillement de la bienséance. Dans son démantèlement résolu, elle sentit son corps se briser un peu plus en soulevant le gamin C'était maintenant que tout commençait. Dans la déconstruction asymétrique, dans le dérangement et le bouleversement à crever les yeux. Le plus fou des jardins perçait le sol de son indocilité. Le sien. Elle vivait, elle vivait et se devait de le voir vivre Ecouter le courant d'air des perce-murailles, son insolence, sa persévérance, sa rébellion en déchirures d'encore un peu à tomber ici ou là, sans calcul ni revendication. Elle vivait et devait tout faire pour le sauver. Ses côtes la brulaient à la plier mais elle ne flancherait pas, son front la lançait, une croute de sang sétait formée dessus, et elle était tailladée de partout, ses habits en lambeaux Mais quimportait son apparence, pour lheure la seule chose envisageable était de retourner à Brignoles Alors, elle serra le sale gosse contre elle, faisant fi de ce qui la martelait au plus profond delle, lenroula au mieux avec elle dans sa cape, sentant un liquide chaud se répandre sur son ventre Son sang, sa blessure, poisseux, rouge garance liant la femme à lenfant.
Cette nuit là, elle aurait aimé être perchée tout en haut du grand phare de Cork, sa ville depuis toujours jusquà jamais. Solidement harnachée à la rambarde, tout en haut, elle aurait attendu linstant précis où ses doigts aurait senti quil était le moment de les frotter, de les frotter, de les frotter si fort, comme au temps de linvention du feu. Cette nuit là, le ciel se serait embrasé, brusquement transpercé par ces trainées en brûlures dastres pulvérisés. Cette nuit là, lorage le plus dévastateur naurait fait mine que de parent pauvre, face à lapocalypse en lifting acide sur le visage du néant. A lheure sans heure, le temps aurait arrêté sa course, pour la première fois il aurait fait mentir la parole des hommes. Alors, une main tirée de linvisible-incommensurable-indicible aurait posé la caresse délicate de lheure exacte, de lheure sans lheure. Issue de lunion de lavant et de laprès, elle unique et absolue Nulle poésie naurait pu la décrire. Nul mot damour naurait su lapprocher. Nul peintre pour la peindre, ni même de musique pour lévoquer, elle serait restée à jamais un mystère inviolable. Le rouet pervers des petites minutes continuerait à tourner dans lesprit des hommes. Vaines marques aux repères aléatoires dans la suspension de lheure sans heure. Lenfer des gestes à destination perdue reprendrait comme avant, la course éperdue prendrait lapparence dun but minable, la mort ne viendrait jamais au bon moment, les petites croyances fleuriraient, les canons reviendraient à laube des printemps, la terre saignerait, la terre pleurerait, les hommes oublieraient, encore, encore une fois Il faudrait un miracle sans renaissance, pour tuer lardeur destructrice. Une sorte de néant reconstitué. Un vide. Elle ne parviendrait jamais à Brignoles...
Et son cheval avançait pourtant, sans doute plus vite quelle ne laurait voulu, comme sil sentait que le temps pressait. Elle avait calé la tête de Grimoald sur son épaule, les lèvres de lenfant frôlant son cou, ni chaudes, ni froides, comme son corps. Elle se maudissait et ne cessait pourtant de lui parler Pour elle, pour lui, pour garder les yeux ouverts et éviter de suffoquer sous la douleur, pour éviter de le perdre définitivement et sa voix comme une douce mélopée vint lui murmurer un poème en gaëlique que son père lui avait appris
Ní chasfaidh tusa thart do chloigeann [Tu ne tourneras pas le dos à la mort]
agus an bás ag rolladh chugat mar an t-aigeán. [quand elle déferlera sur toi comme l'océan.]
Coinneoidh tú ag stánadh air go seasta [Tu lui feras face sans reculer]
agus é ag scuabadh chugat isteach ina spraisteacha geala [quand elle avancera vers toi des profondeurs de l'éternité]
ó fhíor na síoraíochta. [en poudroiements de blanche écume.]
Coinneoidh tú do chíall [Tu garderas la raison et]
agus do chéadfaí agus é ag siollfarnaigh [conserveras tes sens lorsqu'elle submergera]
thar chladaí d'inchinne [les rives de ton esprit]
go dtí go mbeidh sé ar d'aithne, [ainsi tu sauras ce qu'elle est,]
go huile agus go hiomlán, [totalement, intimement,]
díreach mar a rinne tú agus tú i do thachrán [comme quand tu étais gamin]
ar thránna Mhachaire Rabhartaigh [sur les plages de Machaire Rabhartaigh]
agus tonnta mara an Atlantaigh [et que les grandes vagues de l'Atlantique]
ag sealbhú do cholainne. [s'emparaient de ton corps.]
Ach sula ndeachaigh do shaol ar neamhní [Mais avant que ta vie ne soit réduite à néant]
shroich tusa ciumhais an chladaigh. [tu es parvenu jusqu'au rivage,]
Tarlóidh a mhacasamhail anseo, [la même chose se produira alors.]
Scroichfidh tú domhan na mbeo [Tu atteindras le monde des vivants]
tar éis dul i dtaithí an duibheagáin le d'aigne, [après avoir fait l'expérience des abîmes,]
ach beidh séala an tsáile ort go deo, [l'eau de mer marquera ton corps à jamais]
beidh doimhneacht agat mar dhuine, [ta personnalité prendra son épaisseur,]
as baol an bháis tiocfaidh fírinne. [du danger de la mort te viendra la vérité.]*
Elle vit enfin les feux du campement, ralentit sa monture en tirant légèrement sur la longe, ne sentait plus son corps, vibrait au léger rythme de celui de lenfant, une seule question en tête. Comment pourrait-il lui pardonner? Parce que ce n'était "pas de sa faute"? Baste! Elle se rappelait encore de la pulsion meurtrière qui l'avait prise face à ces hommes, impossible à endiguer, plus puissante que la marée, du goût de la colère au fond de la gorge, libératrice après la peine qu'elle avait ressentit. Contre elle, le corps de Grim comme un fleuve puissant ondulant entre ses cuisses. Contre son ventre. Il lirradiait de chaleur et d'assurance, la retenant pour qu'elle ne tombe pas. Le vent lui fouettait le visage, et le ciel, juste à portée de main, était un présent plus précieux que la vie. C'était du bonheur, de la joie pure qui faisait danser ses cheveux, des éclats de feux dans tant de noirceur. Malgré elle, elle partit dans un rire caractéristique des gens innocents, des étoiles dans les yeux. Le paysage s'étendait devant eux, carrés de culture, maisonnettes... Et les forêts comme des tapis de mousse. Puis la réalité se troubla et elle pénétra dans un tuyau où les couleurs fanaient, les formes s'étiraient. Un froid lui prit les os mais elle l'accepta, ne dit-on pas quavant de mourir on voit tout toujours plus beau? Etait ce le cas? Un moment de sursis avant de senvoler vers léternel Elle sourit, que pouvait-elle faire dautre? Ils étaient arrivés et elle navait plus rien à faire. Elle se sentit tomber impuissante, agrippa le corps fragile de lenfant tout contre elle pour ne pas lui faire subir ce quelle ne maitrisait plus Sa vie. Elle dût toucher le sol mais de cela elle nen garderait aucun souvenir!
* Extrait : Le chemin du retour (Pilleadh an Deoraí), poèmes gaéliques / Cathal Ó Searcaigh
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