Valnor
Valnor entra dans le corps massif de la forteresse, là où se concentrait la vie même de La Rabatelière. Dans le hall d'entrée, Gontrand comme à son habitude vêtu de fort belle manière attendait le comte. L'homme, au long manteau bleuté richement brodé aux passepoils de fourrure blanche, était coiffé d'un chapeau rubané. Sa main se porta sur son coeur et il s'inclina respectueusement à l'arrivé de son Seigneur.
- Je vous souhaite la bienvenue, j'espère que vous avez fait bon voyage.
Aubeterre salua le régisseur du domaine.
- Le bonsoir, Gontrand. Merci ça peut aller.
Gontrand s'approcha pour aider le comte à ôter son lourd manteau et récupéra les gants de ce dernier. Les chandelles disposées dans le hall vacillaient de temps à autre sous les courants d'air malins. Belle bâtisse que La Rabatelière, mais il ne fallait pas se méprendre, elle restait ce pourquoi elle avait été érigée : une place forte. Même si les occupants avaient peu à peu pris le parti de l'aménager pour rendre l'endroit agréable à vivre, il n'en restait pas moins que l'existence pouvait se révéler rustique en ces murs.
- Très jolis atours sieur Gontrand, ajouta le Comte à l'adresse de son interlocuteur. Il était vrai que le Comte n'était pas à son avantage. Mais il n'avait pas le temps pour le moment de faire un brin de toilette.
- Merci Monseigneur. La Comtesse va être ravie de vous savoir à La Rabatelière.
- Elle n'est pas aux faits de mon arrivée ?
- Non, Votre Grandeur, elle est occupée à soigner « l'inconnue de la forêt. »
Valnor se dit intérieurement qu'il ne fallait guère de temps pour que des légendes voient le jour à l'intonation de voix de Gontrand. Il reprit le même timbre de voix que son administrateur.
- L'inconnue de la forêt ?! Me dites-vous. Bien allons voir de ce pas à quoi elle ressemble cette miraculée.
Gontrand se saisit d'un chandelier pour éclairer les sombres escaliers en colimaçon menant à l'étage suivit du Comte. Après une courte ascension, ils débouchèrent dans un couloir éclairé par des torches sur appliques. Quelques mètres plus loin, ils s'arrêtèrent devant une porte, là Gontrand indiqua de la main l'endroit et d'une voix proche du murmure dit.
- Dame votre épouse et des femmes de maison sont ici pour soigner la blessée.
- Merci, mon bon. Vous pouvez disposer. Alors que le régisseur repartait il ajouta. Messire Bouquetdenerfs est dans nos murs ce soir, faîte en sorte qu'il ne manque de rien, j'irai le saluer et me restaurer avec lui un peu plus tard. Excusez-moi auprès de lui pour le moment.
Gontrand acquiesça du chef et repartit en direction du hall d'entrée. Le Comte attendit quelques secondes puis poussa la porte doucement afin d'entrer sans bruit.
Là allongée sur le lit de la chambre trônait la soi-disante femme blessée et à son chevet Manon et Dame Elayne. Malgré ses efforts, il n'avait pu couvrir les bruits de son entrée et se fut Manon qui de face aperçut la première le Comte. Elle portait une bassine pleine de linge et autres tissus souillés de sang. Immédiatement, elle sourit et fit une révérence, qu'Elayne ne put s'empêcher de constater. Elle se retourna pour s'apercevoir que son époux était de retour.
Comme à chaque fois, ils ne purent s'empêcher d'oublier l'étiquette. La Châtelaine se ruant sans mot dire dans les bras du Comte qui comme au premier jour l'enserra très fort avant d'entamer quelques tours sur lui-même, l'emportant dans un petit tourniquet. Bonheur simple et enfantin, partagé dans le seul bruissement des frottements du cuir de l'habit de Valnor et des feutrines de la robe d'Elayne. Les lèvres se scellèrent avant toute parole. Échange des regards, sourires de plaisirs, enfin les coeurs se réunissent. Valnor prit le premier la parole.
- Vous m'avez tant manqué ma douce aimée. J'ai tremblé pour vous lorsque je vous ai su à Angoulême assiégée dans la cité. Puis se rendant compte soudain qu'il la serrait très fort dans ses bras il relâcha son étreinte et gauchement il demanda tout en portant la main sur le ventre de son épouse.
- Je vous ai pas fait mal j'espère ? Je suis un sot je n'aurai pas dû vous malmener ainsi.
Le Comte oublia presque le pourquoi de sa visite. C'est Manon qui, bougeant afin de quitter la pièce, lui rappela ce qu'il était venu faire.
- Est-ce donc cette personne que l'on a trouvé dans les bois alentours ? demanda-t-il d'une voix basse.
Il s'approcha du lit. La femme allongée arborait un crâne nu et semblait connaître un sommeil agité. Il regarda le visage par endroit tuméfié ou mordu par le froid et tenta de se remémorer la scène de bataille nocturne à laquelle il avait pris part devant Saintes. Est-ce là son adversaire couché sur ce lit ? Le Comte n'en était pas tout à fait sûr, mais les indices étaient troublants. Le seul moyen d'en être réellement certain était de vérifier si cette femme était blessée sur le flanc, mais il hésitait à relever la couverture et de le faire lui même. Se tournant vers Elayne il demanda.
- Mon aimée, quelles sont les blessures qu'a reçu cette dame et a-t-elle dit quelque chose qui laisserait deviner son identité ?
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