Un jour, deux jours, une ville frontalière. De passage à Épinal, dernière ville de Lorraine, il était temps d'envoyer quelques messages pour prévenir du départ imminent, ainsi que de donner une adresse de contacte pour le chemin à venir. Ainsi donc quelques plis furent envoyés à des amis qu'il serait difficile de revoir.
Dans une auberge, un parchemin sur lequel étaient couchées des lettres arrondies reposait sur une table. Elenion posa sa plume dans l'encrier. Il avait emporté son nécessaire à écrire. Cela ne prenait que peu de place et de poids dans les bagages, tout pouvait même être mis dans une besace. Le tout était de bien la caler pour éviter que l'encre ne subissent les âpres du froids. Bref passons sur les détails du rangement des bagages.
Or donc le plis était adressé à un ami qu'Elenion avait rencontré lors de ses pérégrinations, incessantes à l'époque des faits dira-t-on. Il s'appelait Uriel, diacre itinérant et membre de la Garde Épiscopale de Trêve. Depuis Uriel avait fait beaucoup de chemin bien qu'il ait peu changé au final, toujours cette personne d'esprit digne de confiance et au cur empli d'amour pour son prochain. Combien de soirées en taverne avaient-ils passer à discuter de tout et de rien? Bien qu'à chaque fois sérieux en tout domaine qu'il soit politique, religieux ou culturel. Elenion ne s'en rappelait plus.
Toujours est-il que grâce à lui Elenion avait progressé, ne serait-ce que pour son baptême, Uriel l'ayant guidé lors de sa préparation comme pendant la cérémonie. Souvent, quand Elenion s'emportait dans de trop grands débordements sentimentaux que la politique avait gonflé et fait débordé, Uriel était là pour le calmer, lui inspirant courage, calme et humilité. Il n'était pas seul à avoir ce talent, Pétronille, la marraine d'Elenion avait un don similaire également inspiré de vécu comme de réflexion religieuse.
Dans ce plis donc, Elenion confiait à son ami ses différents choix tout en donnant les premières nouvelles depuis un long moment. D'étranges nouvelles s'il en était, tout du moins pour qui connaissait Elenion un minimum. Parmi l'enchevêtrement de phrases, un curieux passant la tête par dessus l'épaule d'Elenion aurait peut être pu apercevoir les mots suivants : "Je suis devenu théologien de l'Église aristotélicienne".
Impensable pour lui, Elenion, l'homme politique tiraillé et tyrannique, le combattant de première ligne de la politique lorraine, le pourfendeur au verbe implacable et aux manières de bourgeois orgueilleux, qui osait même défier la noblesse décadente du Duché et la trainer plus encore dans la boue où elle se complaisait.
Ce revirement en avait surpris plus d'un, qui croyaient à une farce. Et pourtant!
L'idée était là, la réflexion avait pris fin après deux mois de remise en question. Le raisonnement était simple!
Mon but, disait Elenion quand il avait expliqué son choix à sa marraine, est d'apporter le bonheur aux gens. C'est orgueilleux mais c'était la vision de mon demi-frère et je la partage, car c'est un enseignement dont il a mis la graine en moi, il y a longtemps en me sortant de la ferme de mes parents. Je pensais qu'en étant actif en politique, en étant le meilleur bien entendu - car agir dans l'inconscience et dans l'absence de savoir n'est que folie destructrice au final - était la meilleure façon d'apporter le bien être à la majorité, voire la totalité. Le triste fait est que j'ai échoué face à la lie des politiciens de tout poils qui ne veulent que titres et charges pour leurs égos, alors qu'il n'ont pas la science ni la conscience pour la charge qui se veut bienfaitrice des habitants. J'étais bon, mon orgueil a causé ma chute.
J'aurais grand peine à m'en défaire, il me faudra du temps pour oublier la douleur de l'échec et l'amertume des affronts. C'est par là que je pourrais mettre fin à mon orgueil. Cependant il faut pour cela que je m'éloigne de la politique. Comment, alors, faire en sorte de continuer mon chemin, ce chemin que mon demi frère à emprunté et que je veux suivre? Comment aider autrui et lui faire trouver le bonheur. Alors l'idée m'est venue... Une fois que je serai calmé et que j'aurais appris ce qui me manque pour cela, que j'aurais aperçu ce qui peut rendre heureux ceux qui m'ont aidé à sortir de mes troubles.
Car oui! Je dois ma réflexion à des gens de biens qui savent ce qu'est le bonheur, qui l'ont déjà rencontré ou qui y uvrent. La paix de l'âme est un critère d'accès au bonheur, la réflexion aussi. Or tout ceci nous est enseigné, avec l'amour, par les textes. Uriel et toi m'avez montré cette voie. Oui, oui! Toi aussi!
Or donc je veux aider qui je peux à trouver la paix intérieure, peut être des paroles sages plutôt qu'un gouvernement sage leur sera utile!
C'est sur le chemin qu'il avait pris sa résolution : Il entrerait dans les ordres, chercherait le calme et le courage d'aider son prochain, en l'aimant, pour lui faire trouver le chemin de Dieu et de la paix par l'amour.
Le lendemain la route reprenait, les amis étaient derrière ou à ses côtés, Uriel lui avait donné de précieux conseils avant son départ (il était ravi de cette soudaine vocation). Le chemin vers l'apprentissage lui laisserait le temps de plus de réflexion en la matière. Elenion pourrait peut être mieux comprendre ce qu'il recherche et comment accomplir son but juré. La charrette traversa le poste frontière, la Lorraine était derrière, il n'y retournerait sans doute plus jamais car sa route l'envoyait loin à l'Ouest, vers l'océan.