Le malaise, la surprise et toutes les émotions avaient fait battre son coeur un peu plus vite et altéré sa concentration s'en étaient allés. Elle prit une profonde mais discrète inspiration et retrouva son calme en songeant à une personne si chère à son coeur que même ses pensées vous en tairont le nom.
Elle reprit pied dans la réalité, l'esprit aiguisé et focalisé sur la dernière partie de cette longue mais belle cérémonie. Le meilleur pour la fin, murmura-t-elle à Brehamont tandis qu'il s'agenouillait. Tu n'avais qu'à arriver plus à l'heure, ajouta-t-elle avec un sourire un brin moqueur mais franchement amical.
Elle se perdit quelques instants dans les méandres de ses souvenirs, essayant vainement de retracer l'histoire qui avait fait se croiser, il y a si longtemps déjà, le destin de sa famille et celui de l'homme agenouillé devant elle... A bien y réfléchir, c'est un peu comme s'il avait toujours été à ses côtés, à leurs côtés.Messire Bréhamont,
commença-t-elle enfin, c'est avec bien trop de retard qu'arrive ce jour. Vos qualités, vos mérites, vos faits et vos actes, votre dévouement, pour qui que ce soit, sont à mes yeux si grands et si sincères que je m'excuse par avance de ne pouvoir en faire qu'un résumé succinct, qui ne vous rendra hélas pas complètement les honneurs qui vous sont dûs.
Vous êtes arrivé à Vienne, il y a des années de cela. Je n'étais alors qu'une jeune bourgmestresse, pas encore mariée, tout juste fiancée...
Son regard se perdit quelques instants dans le vague avant de se porter sur Enguerrand puis de revenir sur Bréhamont. C'était... il y a bien longtemps... Je n'étais encore quasiment qu'une enfant...
Bref instant de silence songeur, un sourire paisible aux coins des lèvres tandis que revenaient les souvenirs heureux.Feu Alynerion et moi-même vous avons aidé comme nous avons pu, sûrement pas autant que nous l'aurions voulu. J'aurais voulu faire plus pour vous. Mais était-ce seulement nécessaire ? Des maigres graines de nos conseils, vous avez fait le champ florissant de votre réussite incontestable. Vous vous devez bien plus à vous-même que vous ne sauriez l'imaginer... Votre parcours, qui vous mena de la maréchaussée au siège de bourgmestre en passant par l'échevinage, n'est pas sans me rappeler celui de quelqu'un qui serait aujourd'hui bien fier de vous... Je m'étais grandement réjouie lorsque vous fûtes décoré, par deux fois, pour services rendus à la Maréchaussée car ces récompenses, j'en connais peu qui les méritaient autant que vous. Et vous voici à présent instructeur à l'école de la Prévôté, transmettant à votre tour votre savoir à ceux qui désirent servir leur prochain.
Votre énergie, votre intelligence, votre humour sans pareil ont laissé et continuent de laisser au poste de police, à la mairie et dans tout Vienne une trace qui ne s'effacera pas de sitôt. Vous n'avez pas été fait citoyen d'honneur pour rien.
Vos mérites sont grands, à n'en pas douter et je suis bien consciente de n'en avoir fait qu'un vague tour d'horizon. Mais il est une chose bien plus précieuse que tout cela pour moi, c'est votre amitié, que vous nous avez offert, à moi mais aussi à toute ma famille. Vous avez toujours été là pour nous, avec nous. Dans les moments de joie... comme dans les heures les plus sombres... Aristote ne m'a à ce jour pas donné de demi-frères et de demi-soeurs que je pus rencontrer. Et quand bien même il le ferait, je suis convaincue que les liens du sang ne parviendraient pas à rivaliser avec les liens du coeur. Je n'ai ni honte ni hésitation à dire que je vous considère comme faisant partie de cette famille qui est la mienne, comme mon propre frère.
Bon aristotélicien, ami loyal et fidèle...
-elle hésita quelques instants puis ajouta dans un sourire un peu plus triste, le regard plein de compassion- mari... exemplaire...
Elle se retint de rajouter un "vous" qui serait sans nul doute malvenu. Je veux vous témoigner toute mon amitié et ma gratitude mais aussi faire savoir au reste du monde quel grand et honnête homme vous êtes. Pour tout cela, moi, Francesca-Amalya d'Avencourt, vicomtesse de Guillestre, souhaite vous octroyer les terres de Risoul.
Acceptez-vous ceci ?