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Maëlie s'épanche et raconte son histoire...

[RP]Mémoires d'une luciole

Maelie
Il s'agit d'un RP fermé. En terme de RP, seules les personnes ayant pu se trouver dans la demeure de Maëlie (quelqu'elle soit, à partir de janvier 1458) ont pu avoir connaissance de ce texte et le lire : si tel est le cas, vous êtes libres d'utiliser toutes les informations divulguées via ces mémoires. Il est probable que ce RP soit long à la rédaction, de part l'ambition qu'il sous-tend, mais j'espère que vous prendrez plaisir à sa lecture.

Ah ! On me murmure à l'oreillette qu'il pourrait y avoir confusion alors je précise que "luciole" ne se réfère pas à un groupuscule de brigand ou un truc dans ce genre, mais que c'est simplement une référence aux divers surnoms "lumineux" dont on a affublé Maëlie au cours de sa petite vie (fée, étoile, et des moins mignons ).




La bougie crachota un peu, puis la flamme se stabilisa, projetant une ombre allongée de la silhouette féminine penchée sur le parchemin vierge.
Entre ses mains, une plume non taillée d'un oiseau qu'elle n'avait jamais vu, mais dont elle chérissait l'image ainsi qu'on le lui avait demandé. La plume tournait, valsait avec lenteur, ajoutant ses ombres torturées à celle de la femme, par ailleurs immobile. Son souffle jouait sur les filaments légers, régulier et paisible.

Finalement, au bout de longues minutes, de ses doigts fins, elle prit une autre plume, taillée, qu'elle trempa dans l'encre avant de commencer sa rédaction.


Citation:
Lodève, janvier 1458


On dit qu'écrire aide à clarifier la pensée, et le Très-Haut sait si la mienne en a besoin. On dit aussi qu'il n'y a que les orgueilleux qui écrivent leur histoire eux-même sans laisser le soin à l'Histoire de retenir ce qui en vaut la peine. Qui sait comment l'on jugera ma démarche ? Peut-être ne la jugera-t-on jamais, car je n'ai nulle intention de partager cet exercice cathartique avec autrui. Pourtant, le risque existe, et il me plaît de considérer un éventuel lecteur comme le témoin objectif de mon histoire, l'oeil par lequel peut-être je parviendrai à comprendre...

J'entame ce jour le récit de ma courte histoire, sans promettre qu'il soit exhaustif ou pertinent, avec l'espoir simplement qu'il m'apporte la paix à laquelle j'aspire tant et que le ciel m'a semble-t-il refusée.


La plume s'immobilisa au dessus de l'encre, tandis que l'esprit se cabrait devant les pensées qu'il lui fallait formuler. Pensive, la jeune femme demeura ainsi quelques minutes, plongée dans ses souvenirs, sans parvenir à trouver la forme à donner à son projet. Cela lui avait paru jusqu'alors tellement nécessaire qu'elle n'avait pas songé au comment.

Citation:
J'ignore par où commencer. Certains diraient "le commencement", mais qu'est-ce ? Est-ce le moment de ma naissance ? Je ne le connais pas. J'ignore le jour et l'année de ma naissance comme j'ignore encore qui est ma mère. Ainsi donc, même le commencement ne peut commencer ce récit sans susciter des questions auxquelles je n'ai pas les réponses, pas encore.
Peut-être ce récit ne sera-t-il d'ailleurs qu'une série de questions. Mais je m'égare.

Le commencement se situera donc dans la famille dans laquelle j'ai grandi. Mon père, Gauderic, et ma mère, Nadalena*, étaient éleveurs bovins dans le village languedocien de Donnadieu, non loin au sud de Lodève. J'y ai grandi simplement, comme le font tous les enfants de paysans, du moins c'est ce qu'il m'a semblé. Mes parents adoptifs étaient très stricts sur certaines choses, notamment le respect des ainés et du savoir des anciens; ils ont très tôt insisté pour que je m'instruise et apprenne l'alphabet auprès des soeurs d'un couvent voisin, qui acceptaient de leur faire cette faveur en échange de leurs produits laitiers. Pour m'encourager, ma mère m'offrit un pendantif précieux, sur le revers duquel étaient gravés trois mots : "dum spiro spero". Je n'eu de cesse d'apprendre jusqu'à ce qu'un jour je puisse en comprendre le sens. "Tant que je respire, j'espère". Cette phrase est devenue mon mode de vie et ma philosophie, au point même d'orner mon scel, lorsque j'en avais un.

Je n'ai compris que bien plus tard que ceci était une exception, et que les paysans voyaient rarement l'utilité de l'instruction : de fait, il n'y avait qu'un seul autre enfant du village qui recevait la même éducation, mais chez les moines, un garçon nommé Ernst. C'est un nom germanique, parce que ses parents avaient fui leur pays pour se réfugier en Languedoc. De part ce lien, nous devinmes très proches, malgré notre différence d'âge : Ernst devait bien avoir quatre ans de plus que moi, et je crois bien que j'en tombais amoureuse. Peu de temps après, à la mort de ses parents, il prit la décision de quitter Donnadieu, non sans promettre de m'écrire et de m'entretenir de ses aventures. Je ne devais plus jamais le revoir, et de lui je ne reçu que son testament...

Voilà que je m'égare à nouveau et évoque les choses dans le désordre. Mais n'est-ce pas mieux ainsi ? L'ordre et le temps ne sont-ils pas des illusions que s'offrent les hommes pour se protéger du monde ?

Ainsi commencent mes mémoires.



*Il se peut qu'un autre prénom soit apparu dans des RP précédents, mais comme je m'en rappelle pas, ce sera Nadalena, pouet !

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Maelie


Le bruit de la pluie frappant les carreaux rythmait ses pensées, tandis que ses yeux vers cherchaient les étoiles dans la nuit noire qui régnait au dehors. Une fois encore, elle jouait avec la plume non taillée, l'esprit à la recherche des mots que sa main coucherait : des mots, mais aussi de leur sens et de leur but.

Elle posa la plume et prit l'autre.


Citation:
Lodève, janvier 1458


Je ne mets pas de date à dessein. Pour moi, les jours s'égrainent et se ressemblent, il n'y en a qu'une poignée qui méritent d'être retenus, et celui-ci n'en fait pas partie. Qu'il me suffise de me rappeler que nous sommes au début de l'année 1458, un an et demi après mon départ de Donnadieu et mon arrivée à Lodève, jour que j'ai choisi pour mon anniversaire puisqu'il fallu bien que j'en choisisse un lorsque la mairie me fit des papiers afin de m'octroyer un terrain et un champ. C'était en août 1456.

J'eu de la chance, à cette période-là : j'arrivais peu avant les moissons, et un couple venait de perdre leur fils, perdant par là-même les seuls bras capables d'entrenir le champ. Ils m'ont embauchée tout l'automne et j'ai pu gagner de quoi racheter leur ferme. J'ignore ce qu'ils sont devenus.

J'ai oublié de parler de Ceselha. Lorsque j'ai quitté Donnadieu, mes parents ne purent me donner que cinquante écus, ce qui était déjà une petite fortune, de quoi manger une pleine semaine. Hélas, il advint un de ces gros orages d'été, qui me trempa jusqu'aux os et me laissa tremblante sur le bas côté de la route, à une demi-journée de Lodève. C'est alors que j'ai trouvé cette ferme, isolée, où vivait une vieille dame. Elle m'a recueillie pour la nuit avec une gentillesse que je n'oublierai jamais, et m'a offert deux miches de pain en plus du dîner. J'ignore si elle sait qu'elle me sauva la vie, car si loin de tout et sans abris, avec les malendrins qui rodent sur les routes, je n'aurais probablement pas tenu bien longtemps. Plus tard, pour payer ma dette, j'ai pris Ceselha à mon service à Lauzières, et elle y vit toujours. J'espère qu'elle est heureuse.

L'équipe municipale de l'époque était apparemment nouvelle : Poulette était le maire, tandis que son épouse, Alyssonna, était tribun. Maëlis de tourraine et son époux, ainsi que Spartan, appartenaient au conseil. Je cite des noms que beaucoup ne connaissent probablement pas ou ont oublié, mais qui ont pour moi une considérable importance, encore aujourd'hui.
A Poulette, je dois la chance d'avoir été acceptée dans l'équipe communale : hélas, ma jeunesse et mon impulsivité créèrent très vite des désaccords qui me firent quitter précipitamment mon poste de responsable à la communication, non sans avoir ouvert un bureau de Secrétariat Municipal, bureau où les lodévois étaient appelés à communiquer ouvertement avec le Conseil.
A Maëlis de tourraine, dont la pondération et la gentillesse n'ont jamais pu être pris à défaut, je dois le réconfort d'avoir pu me rendre utile et d'avoir trouvé une oreille suffisamment attentive pour me redonner l'envie de participer à la vie municipale.
A Alyssonna, je dois mon baptême et ma quête aristotélicienne : c'est dans cette jeune femme si pleine de sourires que j'ai souvent cherché la réponse, à mes débuts.
A Spartan, enfin, je dois mes amitiés d'aujourd'hui. Mais c'est une autre histoire.
Peu de temps après, je fis également la connaissance de ma très chère Christina, aujourd'hui ma filleule et mon amie, fidèle entre tous.
Aujourd'hui encore, ils sont presque tous là, sauf ceux qui ont rejoint Aristote, laissant deux veuves derrière eux.

La vie s'écoulait paisiblement pour moi, entourée de toutes ces personnes, innocente et heureuse de ma simple vie. Je crois que je n'ai plus jamais retrouvé ce bonheur simple; il ressemblait à un second état de l'enfance. A l'époque, j'ignorais encore les difficultés du Comté à se redresser de son pillage, j'ignorais les différends politiques, les partis, les complots; j'ignorais tout ce qui n'était pas le quotidien et mon champ de blé. Je songe souvent à ce temps béni : je crois que si j'ai fait ce que j'ai fait par la suite, c'était dans l'espoir de l'offrir aux autres... Peut-être.



La bougie était en train de mourrir, lorsque la jeune femme s'étira langoureusement. Elle sabla le parchemin, avant de le rouler avec précaution près du précédent. Enfin, elle se leva et disparut dans l'ombre de la pièce. La pluie s'était tue.
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Maelie


Un bol de soupe fumante embaumait l'air tandis qu'un chandelier lumineux élairait le visage fatigué de la jeune femme : au milieu de ses traits tirés, deux yeux d'émeraude brillaient vivement, reflets d'une réflexion intense qui ne souffrait aucune interruption.
Voilà déjà deux fois qu'elle avait été tirée de ses pensées, ce qui avait le don de l'agacer prodigieusement, surtout lorsqu'elle s'apprêtait à rédiger ses mémoires. Elle était bien obligée de constater que ce projet l'avait rendue plus impatiente et plus nerveuse qu'autre chose... Remuer le passé avait cet effet-là, surtout sur la période qu'elle s'apprêtait à décrire et qui, aujourd'hui encore, lui pesait.


Citation:

Montpellier, janvier 1458


Voilà longtemps, très longtemps que je n'ai plus mis les pieds à Montpellier, capitale du Languedoc, siège du Conseil Comtal. Et quel autre lieu pour évoquer les souvenirs qui suivent mon précédent récit ?

Le temps parfois semble confus, les souvenirs s'étiolent et se fondent dans un grand flou dont on ne garde qu'une impression, un sentiment. Mais cette période m'apparaît avec une clareté douloureuse.

Sur une grand place, la foule s'était assemblée pour observer un débat, dont je ne me rappelle plus le propos, car il n'avait, à ce moment-là, aucune espèce d'importance. Le coeur de ce souvenir réside dans ses acteurs.
Il y avait là le superbe et terrifiant Baron Djahen Shaggash, incarnation de la noblesse et de son faste, de sa fierté et de sa supériorité sur le commun des mortels. C'est ainsi que je l'ai perçu, écrasée par son charisme implacable et sa verve acide, alors qu'il faisait punir un manant par ses hommes de mains. Je me rappelle cette impression parce qu'elle est restée indélébile, et que, malgré tout ce temps, il me revient encore le même frisson de crainte lorsque je croise, rarement, le Baron. Lorsque je m'imagine ce que doit être un noble, son image de ce jour-là s'impose presque toujours : il est ce côté ferme et droit que je n'ai jamais pu avoir. C'est à lui que je dois la révérence que m'inspira la Noblesse Languedocienne.
Il y avait aussi Phelipe de Saunhac, dont à l'époque je ne connaissais rien, mais qui, tout à sa diatribe, fit tout de même attention à la petite lodévoise qui osa - comble du courage ! - s'exprimer après deux nobles du Languedoc. C'est à lui que je dois mon entrée en politique.

Qu'a-t-il vu dans ma personne ? Je l'ignore encore... Comment ont-ils pu faire confiance à une inconnue, venue de nulle part, et qui ne connaissait rien d'autre que ses vaches et l'alphabet ? Mystère.
Je fus contactée par celui qui allait devenir la pierre angulaire de ma vie, ma raison d'être, mon phare : Cristòl de Siarr. Phelipe et lui m'inclurent dans leur aventure, dans l'aventure JAVEL, "J'Aime Vivre En Languedoc". Et ô que j'aimais vivre en Languedoc !

Je leur avais fait comprendre que je ne souhaitais qu'apprendre, participer aux débats et observer. Il n'était pas prévu que j'entre au conseil comtal, bien entendu : a-t-on jamais vu quelqu'un rentrer au Conseil comtal en ayant à son actif trois mois de propriété et un mois au conseil municipal ? Enfin, peut-être l'avait-on vu, mais cela me paraissait de la dernière absurdité.

Durant ces mêmes élections, alors qu'au calme les membres de JAVEL s'exclamaient avec enthousiasme sur divers projets qu'aujourd'hui encore je trouve extrêmement intéressants, en face, d'autres listes se préparaient à la bataille. Et ce fut une véritable boucherie. Tous mes rêves, ma naïveté fut balayée en un seul petit mois. Cristòl fut mêlé à des histoires de complot, dont je ne compris que plus tard qu'ils étaient sinon vrais, du moins plausibles. A l'époque, cependant, je ne pouvais pas douter de ceux à qui j'avais donné ma confiance : dans ma jeune tête naïve, ils ne pouvaient pas être mauvais, puisqu'ils étaient bons avec moi, et aujourd'hui encore, je n'ai pas appris à me méfier de ceux à qui je fais confiance. Ma confiance est absolue, de même que mon amitié. Absolus et inconditionnels. Ce fut ma première erreur et je devais la répéter bien souvent par la suite.

Accusé, donc, de traitrise par ses opposants, il fut considéré comme responsable de leur démission et de leur défection : cela, aujourd'hui encore, je le trouve profondément injuste. Qu'ils n'acceptent pas la défaite et se sentent spoliés parce que Cristòl, pourtant membre de la liste minoritaire, fut élu Comte à la place de Debba, soit; c'est compréhensible. Mais que les perdants mutilent de leur plein gré le Conseil et le Languedoc par orgueil, cela je ne le comprendrai jamais. Il y avait parmi eux des personnes telles que Pachillou, Jhaampe, Samkookai, Debba et d'autres, des personnes qui depuis sont devenus des amis que j'estime et que j'admire. Je ne parviens toujours pas à comprendre comment des gens de leur trempe ont pu commettre un tel acte et le faire peser sur les épaules de Cristòl. Je ne le comprends pas, mais j'accepte aujourd'hui que cela appartienne totalement au passé : je ne tolèrerai pas qu'une rancoeur mal placée me prive de leur amitié; et ce me sont des gens bien trop précieux pour que je leur tienne rigueur de cette décision. Et s'il arrive parfois encore à Debba d'évoquer cette époque avec amertume, tous les autres ont la délicatesse de n'y jamais faire allusion en ma présence.

Un dernier drâme vint ponctuer ce triste carnage : Esme de la Voulte fut tuée alors qu'elle s'était exilée, suite à sa démission du Conseil, dégoûtée du Languedoc disait-elle, et décidée à s'en éloigner le plus possible. De ce jour, je garde encore une profonde culpabilité : suis-je réellement responsable de sa mort ? Personne ne l'a exprimé ainsi, mais en accusant l'homme que j'avais décidé de suivre, on m'accusait aussi. Involontairement, j'ai toujours assumé une partie des erreurs de Cristòl, et je ne parviens pas à me débarrasser de cette culpabilité, d'autant moins que je suis proche de la fille et du veuf de la défunte Esme. Et si Cristòl n'avait pas été élu, serait-elle morte ?

Drôle d'entrée en matière... Première élection couronnée par un décès et des démissions aussi nombreuses que brutales... Ces démissions déclanchèrent un jeu de chaises musicales qui me propulsa au Conseil Comtal, moi l'inconnue qui ne savait rien, qui ne connaissait personne et que personne ne connaissait.
Ce qu'il faut garder en tête, c'est que je ne connaissais personne d'autres que les membres de JAVEL. Par défaut, je prête aux autres des valeurs qu'ils n'ont pas forcément, des valeurs qui me semblent universelles mais qui finalement ne le sont pas tant, ce qui conduit à beaucoup de désillusions et de malentendus. J'ai tendance à croire que chacun veut le bien commun, que chacun peut m'apprendre quelque chose, et que la méchanceté n'est qu'une erreur de parcours. Il m'arrive souvent d'être confrontée à une profonde incompréhension des autres, croyant - à tort ou à raison - que j'agis par faiblesse ou par lâcheté. J'agis par choix : je choisis de ne voir que le bon en chacun jusqu'à ce qu'on me démontre que j'ai tort. J'ai appris à ne pas porter sur autrui la culpabilité de ma propre naïveté. Le Sénéchal Spartan s'est souvent moqué de ma faiblesse et de mon incapacité à voir le mal et la méchanceté alors qu'elle est si répendue, ce à quoi j'ai toujours répondu que je ne pourrais probablement pas supporter de vivre avec cette vision du monde, et que c'est trop contraire à ma façon d'être pour que je m'y résolve, même pour mon propre salut.

Pourtant, tout ne fut pas aussi sombre qu'on l'aurait cru. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ce fut au contraire une période intensément riche en joies et en satisfactions, à égale mesure avec les déceptions et les douleurs.

C'était l'automne 1456 et j'entrai pour la première fois au Conseil Comtal du Languedoc.


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Maelie


Le jour se levait sur la ville, tandis que la plume reprenait sa danse. La nuit avait été brêve et agitée par le fracas des armes, comme la nuit d'avant et celle d'avant encore. Les yeux cernés se concentrèrent sur le parchemin vierge bientôt noirci d'une écriture un peu nerveuse.

Citation:
Montpellier, janvier 1458


Le temps me manque pour rédiger ces mémoires, or qu'il me reste encore tant et tant à raconter. Les choses changent à une allure folle et me forcent à constater que le temps passe et que le passé s'éloigne tout aussi vite. Il me faut le figer avant de l'oublier. De m'oublier.

L'automne 1456 me vit accéder pour la première fois au Conseil comtal, dans les circonstances houleuses que j'ai précédemment décrites. Une jeune fille comme moi aurait pu être impressionnée, mais je me sentais alors investie d'une mission sacrée, sentiment qui ne m'a depuis jamais quitté : cette place au conseil était une responsabilité, un honneur et avant tout un devoir inviolable envers le peuple, surtout après les desillusions qu'il venait de traverser. Dès lors, je me suis totalement effacée derrière mes devoirs.

L'équipe comtale était composée de six personnes : Cristòl de Siarr, le Comte, Phelippe de Saunhac, Klanacier, Mastre, Bbred et moi-même. La petitesse de notre équipe nous força d'une part à multiplier les postes, et d'autre part à jouer aux chaises musicales, exercice que nous maîtrisames assez vite.

Je crois me souvenir que Senhèr Phelippe souffrit quelques temps et s'éloigna un moment de ses responsabilités. Par ailleurs, il ne me semble pas que Mestre Mastre fit preuve d'une grande assiduité, mais là encore, ce ne sont que mes impressions pour ce qu'elles valent. Ceci pour souligner que nous étions très lourdement handicapés par rapport au conseil précédent, que d'ailleurs je ne connaissais pas du tout (on se souviendra que je débutais totalement dans le milieu politique).
Pour ma part, il me fut confié trois postes, dont je ne devais mesurer l'importance que bien plus tard : Prévôt des Maréchaux, Déléguée à la Chancellerie et Co-conseillère aux cultes (pour finir titulaire en l'absence de mon coéquipier Mestre Mastre).
Je me dois de développer plus avant chacune de ses expériences, pour mieux comprendre combien elles furent décisives dans le déroulement de ma vie.

Sans conteste le poste le plus exigeant, la Prévôté me prit énormément de temps. Le Prévôt ne se contente pas d'embaucher et de payer la maréchaussée. Il aide les lieutenants et l'Etat Major dans la gestion de la protection du territoire, en participant à la prise de décision, notamment pour la circulation des lances armées. Il participe aussi à l'appareil judiciaire, car c'est lui qui coordonne les brigades de la maréchaussée et s'assure de la validité des plaintes qu'il dépose ensuite auprès du Procureur.
La prise de contact avec l'armée fut étrange : il faut avouer qu'ils n'avaient pas eu de Prévôt stable depuis des mois, ce poste connaissant des valses de changements permanents qui désorganisaient totalement la fonction et ce qui y était rattaché. Les lieutenants m'accueillirent donc avec un enthousiasme mitigé, partagés entre le soulagement d'avoir quelqu'un à qui parlé, et la constatation que ce quelqu'un était parfaitement novice. Mes rapports avec la hiérarchie militaire n'ont pas toujours été des plus calmes, puisqu'ils avaient pris l'habitude de fonctionner par eux-même et que l'on connaît l'amour des soldats pour la paperasse, pourtant jamais je n'ai eu à déplorer le moindre manque de respect ou de coopération de leur part, au contraire. Cette longue collaboration de deux mois a tant et si bien forcé mon respect que j'ai décidé de rejoindre la Caserne de ma ville par la suite, sous les ordres du Lieutenant Spartan. J'eu à coeur, durant ce mandat, de nettoyer les locaux, de réorganiser les archives et de raffraichir l'organisation de la Prévôté, toujours un peu chamboulée : je pense avoir tenu la barre de façon positive, même si sur la fin, des soldes furent impayées du fait de nos retards de trésorerie et de l'indisponibilité de notre connétable.
Du côté de la maréchaussée, j'ose dire que c'était à mi-chemin entre le chaos et le désert, malgré le travail entamé par mon prédécesseur Actarius d'Euphor, durant le peu de temps qui lui fut imparti. Bien que les maréchaux fassent de leur mieux, le manque de stabilité s'était là aussi fait sentir. Je fus donc chargée de remettre à jour les locaux, de renouer contact avec les brigades, de faire l'inventaire des forces en présence et de structurer le travail d'équipe. C'est à cette occasion que j'ai lancé entre autre le projet de la rénovation des insignes de la Maréchaussée, parce que toutes ces personnes travaillant dans l'ombre méritaient la reconnaissance du peuple. La densité et le caractère ingrat de la mission de la maréchaussée ne rebutait aucun de ces braves gens, et aujourd'hui encore, je garde d'eux le souvenir de cette abnégation sur laquelle je pris modèle. Il y avait Mijo de Nîmes, il y avait Corbeaunoir de Lodève, il y avait Antoinelefrogeron de Montpellier, Sévérant et tant d'autres...
Parmis eux, il y avait Jhaampe, l'un des démissionnaires des élections, qui s'occupait notamment du suivi des brigands. Aujourd'hui encore, je suis heureuse d'avoir pu travailler en si bonne intelligence avec lui, et d'avoir tant appris.
Ce temps d'apprentissage à la prévôté ne serait rien sans la présence, tellement précieuse, de celui qui accepta d'être mon adjoint, Actarius d'Euphor, aujourd'hui Vicomte de Tournel. De lui, j'appris ce que je devais savoir, mais aussi la patience et l'amour du travail bien fait. Sans lui pour m'aider et me seconder sans faillir, jamais je n'aurai pu tenir, et ses rapports quotidiens m'étaient autant de pierres solides sur lesquelles je construisais mon propre travail, tout comme son amitié m'aidait à construire ma confiance.
A la même époque s'ouvraient de nouveaux locaux à la Curia Regis, afin que les Prévôts du Royaume s'entraident et se coordonnent. Là encore, Senhèr Actarius me seconda de façon remarquable.

On m'a longuement reproché d'avoir travaillé avec lui : beaucoup croyaient qu'il faisait le travail et que je me contentais d'acquiécer. A ceux-là, j'ai toujours répondu la tête haute que si Actarius me conseillait, j'étais, moi, seule responsable des décisions que je prenais. Malgré tous ses conseils et toute son aide, Actarius était totalement dédié à la surveillance des brigands et ne gérait en rien toutes les autres missions de la Prévôté. Quiconque tentait de me prendre à défaut était forcé de constater que je savais de quoi je parlais, que j'étais bel et bien maîtresse de mon poste. De cela, je suis fière.

Le second poste le plus prenant fut celui de Déléguée à la Chancellerie. Dieu, quelle expérience ! Quelle révélation ! En Languedoc, il existait un poste de conseiller dédié à la communication entre le Conseil et la Chancellerie. Il faut savoir que la Chancellerie est dirigée par un Grand Chambellan qui n'appartient pas au Conseil. Par la suite, le poste de Délégué à la Chancellerie a été supprimé, pour des raisons que j'expliquerai surement plus tard.
J'aime la diplomatie, éperdument. Cette expérience m'a ouvert un univers dans lequel je me sens tellement à l'aise qu'il m'est désormais impossible d'imaginer ne pas y appartenir. Je pourrais parler des heures durant des passionnantes discussions sur les traités, des rencontres et des nouvelles têtes, de l'ouverture infinie sur le monde que m'offrait Melgueil. Ma plus grande victoire, durant ce mandat, fut de parvenir à faire enfin signer un traité de coopération judiciaire avec le Rouergue, traité qui avait été jusque là refusé à maintes reprises. J'aurai bientôt l'opportunité de travailler sur sa refonte, d'ailleurs.
Durant cette période, j'eu le plaisir de faire connaissance avec le Grand Chambellan, Pachillou. Il avait aussi été des démissionnaires durant les élections, et j'avoue que j'avais peur de son mépris : pourtant, ce fut les bras et le coeur grands ouverts qu'il m'accueillit et me guida. Je lui dois tant...

Enfin, le troisième et dernier poste fut celui de Conseiller aux cultes. Ce poste a aujourd'hui disparu, et je le déplore fortement. Il me paraît absolument nécessaire qu'il existe un pont entre le temporel et l'intemporel, afin que le peuple soit guidé dans le respect des préceptes aristotéliciens, avec bonté et amour, avec générosité et sagesse. Durant ce mandat, j'eu l'honneur de cotoyer Son Altesse Ingeburge, qui fut mon interlocutrice pour la rédaction du tant attendu traité entre le Languedoc et les Saintes Armées, ainsi que Monseigneur Rehael. Si ce traité fut signé au mandat suivant en ma présence, j'ai la prétention de croire qu'il fit sa plus grande avancée à ce moment là. En effet, il n'y avait pas eu de conseiller aux cultes depuis des lustres lorsque je repris la fonction, et l'Eglise me fit bien comprendre combien grande était son impatience et sa colère face à cet inexplicable retard. La diplomatie me fut d'un très grand secours, je l'avoue, et je ne suis pas peu fière des compliments qui me furent accordés lors de la conclusion de ces négociations.

Il me reste encore a traiter la partie la plus importante de ce mandat, mon rôle de Conseiller et mon expérience du conseil, mais hélas le temps presse car je dois bientôt quitter Montpellier pour prendre la route. Peut-être pourrais-je rédiger quelques lignes lors d'une étape.



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