Jehanne_elissa
[Quelques jours avant]
Cétait à vrai dire une scène devenue bien commune. Un véhicule aux portes frappées des armes Volpilhat et aux rideaux tendus de rouge masquant à peine la compagnie de lhabitacle traversait la grande place encombrée de Montpelhier pour se rendre au château Comtal. La petite équipée, composée de Martha, une dame suivante et la jeune Vicomtesse venait de Mende et sapprêtait vers midi à sarrêter manger avant de travailler au nouvel aménagement du bureau du Secrétaire dEtat sis au cur château, épicentre du pouvoir Languedocien et accessoirement de prises de bec remarquables. Ce jour, comme tant dautres, la place était tellement encombrée que le véhicule sobstinait à rester à larrêt au grand dam du cochet mais certainement pas de la petite rousse qui, en parfaite adéquation avec les prédisposition que la Nature lui a données avait trouvé un nouveau jeu pour passer le temps : elle dessinait sur un velin des visages de proches et tentait de les faire deviner à la suivante bien plus jouasse que Martha. Ainsi on voyait sous des traits caricaturaux un Actarius sublimé, un Cristol isolé, une Tante Pol bien en formes, un homme à tête de loup représentant collégialement les mâles Bourguignons, une dame trop apprêtée effigie des françaises dont lui avait si bien appris à moquer Et a la fin de chaque esquisse sétait le rire pétillant de la jeune fille que lon entendait par delà les rideaux. Mais quant elle eu fini de dessiner toutes ces figures, elle passa la tête par les fenêtres et demanda au cochet ce qui les retenait : elle avait faim, on ne brime pas la faim dune enfant qui na jamais connu manque.
- « Un enfant qui pleure dans les j'pons d'sa mère! »
Froncement de sourcil et la petite Vicomtesse saffale, presque avec colère contre le dossier du fauteuil. Les dames connaissent cette expression qui met fin à toute tentative de jeu : la petite Vicomtesse est contrariée. Les bras viennent se croiser sous la poitrine. Non elle ne sortira pas cest encore une quelconque affaire de justice à laquelle elle ne veut pas se mêler et sil avait été question de la mort dun troupeau de moutons pour impayés au Comté elle ne sen serait pas mêlée non plus mais par contre, elle ne sen serait sûrement pas autant contrariée. Il est, même chez les enfants de nature joyeuse comme elle des sujets sensibles qui ne souffrent aucune explication.
Quelques heures plus tard, la jeune Vicomtesse avait refusé son repas et travaillé, sourcils froncés et muée dans un silence de plomb à trier les dossiers du Secrétariat dEtat. En une phrase sur le sujet maternel le climat était passé de frivole à morose. Changement climatique bien trop commun ces temps-cis.
[Quelques jours plus tard]
La nuit avait enveloppé les terres du Languedoc de son manteau de ténèbres et sa parure de froid. A Mende, dans lhôtel de la famille dAlanha le calme régnait enfin. Les bruits de pas enfantins sétaient tus, les rires étaient devenus des murmures et les représailles des contes aidant à faire venir le sommeil. Le Comte était à Paris, Eirwen était partie border les jumelles, Aimelina bien jeune dormait déjà dun sommeil sans rêves, Lop Guilhem nétait pas encore parmi eux. Mais dans une autre pièce de la maison, dans la grande salle ou lon mange deux personnes veillaient encore, toutes deux profitant dun calme salutaire et de la douceur des sentiments réchauffant tout aussi bien les curs que le feu crépitant dans lâtre réchauffait les corps. La Comtesse dAlanha était assise face au feu, sempiternellement vêtue de blanc et caressait dune main calme une chevelure rousse. Cette même chevelure rousse appartenait à une tête lovée contre les genoux de la Comtesse et elle même à un petit corps assis sur un tapis de damas à même le sol.
Cétait un de ces rares moments de calme et de tendresse dont la jeune Vicomtesse, aux alentours de sa dixième année aimait tant profiter. Elle avait pris la suite dActarius par souhait mais en réalité en dehors du temps quelle consacrait au Secrétariat elle nétait quune enfant, une enfant rieuse et en quête quasi constante de douceur, damour et de quiétude. De toute sa vie elle navait été que choyée, maternée, aimée et protégée, elle avait toujours eu ce quelle désirait et bénéficiait dune éducation plus que parfaite et exigeante : trivium et quadrivium ne lui avaient pas été épargnés. Jamais la jeune héritière Goupil navait manqué de quoi que se soit et ce malgré labsence de parents et ça, elle le devait tout entier à celle quelle appelait sa Tante Pol dont elle était la bien trop aimée pupille. Plus le temps passait, plus Jehanne devenait possessive et demandeuse dinstants pareils, ces bulles temporelles, éphémères et additives, ou elle avait sa Tante juste pour elle, sans ses « frères et surs », justes elles deux et le lien tendre qui les unissait. Rien de plus. Mais plus le temps passait plus elle se rendait compte de substituer ce lien du coeur à un lien du sang, un lien dun être sortant des entrailles dun autre, un lien de mère et de fille. Quelle naurait jamais.
Les yeux verts se lèvent vers le visage marqué de sa Tante. Oh oui elle laimait. Mais contrairement à ce quelle sétait toujours évertuée à ressentir elle nétait pas sa mère. Elle était un être tendre et aimant layant éduquée comme sa fille, mais elle nétait pas sa mère. Mais elle nétait pas sa mère. Mais elle nétait pas sa mère Marguerite de Volpilhat, mariée à Louis-Raphaël dAppérault elle la connait comme on bien voulu la conter au fil des discussions ou telle quelle la vue sur des portraits. Un être pur, pieux, bon, beau, presque évanescent et inspirant un respect et une déférence sans bornes. Aussi un être torturé, souffrant dun mal peu commun. Et quelquun de jeune qui sétait vu enlever la vie bien tôt alors quelle venait de mettre au monde son second enfant. La personne elle pensait la cerner même sil est très réducteur de penser comprendre un être aux dires des gens, la psychologie nétant pas une de ces sciences daffabulateurs et charlatanas mais, comme nous lavons déjà dit, envers et contre tout elle ladulait. Une idole pour un jeune pèlerin ; elle ladorait comme on adore les images des disparus, comme lon adore les représentations sculptées ou peintes de saints. Mais quelle mère aurait-elle été ? Aurait-elle eu avec ladorée Marguerite de Volpilhat une relation aussi tendre quavec la Comtesse dAlanha ? Cette personne inspirant le respect quon lui avait peinte était-elle une mère dans le sens plein du terme, aimant sans bornes ? Aurait-elle était dure ?
Elle soupire, la jeune Vicomtesse, et laisse à nouveau son regard se perdre dans lâtre. Cette jeune fille avait un conte, un conte préférée quelle demandait très souvent à sa Tante. Si les autres enfants aimaient entendre de belles histoires de chevalier et de princesse, de troubadour et de Comtesse, de fées et dogres elle les aimait aussi ces histoires chimériques et naïves si douces au coeur mais préférait par-dessus tout une autre, plus spéciale, plus propre à elle, plus sentimentale. A chaque fois elle la demandait à chaque fois elle ajoutait une question. Un peu redondant ? Non car la pire crainte de ceux qui ont perdu est deffacer le souvenir de ces êtres regrettés. Et quand on adore un être que lon na jamais vu vivre, il est bien nécessaire de posséder des images, histoires et anecdotes pour lui donner vie dans lintimité de son imaginaire. Alors pour la énième fois, sur le ton du murmure la jeune Goupil quémande
- « Tante Pol, parle-moi de mère »
_________________
Cétait à vrai dire une scène devenue bien commune. Un véhicule aux portes frappées des armes Volpilhat et aux rideaux tendus de rouge masquant à peine la compagnie de lhabitacle traversait la grande place encombrée de Montpelhier pour se rendre au château Comtal. La petite équipée, composée de Martha, une dame suivante et la jeune Vicomtesse venait de Mende et sapprêtait vers midi à sarrêter manger avant de travailler au nouvel aménagement du bureau du Secrétaire dEtat sis au cur château, épicentre du pouvoir Languedocien et accessoirement de prises de bec remarquables. Ce jour, comme tant dautres, la place était tellement encombrée que le véhicule sobstinait à rester à larrêt au grand dam du cochet mais certainement pas de la petite rousse qui, en parfaite adéquation avec les prédisposition que la Nature lui a données avait trouvé un nouveau jeu pour passer le temps : elle dessinait sur un velin des visages de proches et tentait de les faire deviner à la suivante bien plus jouasse que Martha. Ainsi on voyait sous des traits caricaturaux un Actarius sublimé, un Cristol isolé, une Tante Pol bien en formes, un homme à tête de loup représentant collégialement les mâles Bourguignons, une dame trop apprêtée effigie des françaises dont lui avait si bien appris à moquer Et a la fin de chaque esquisse sétait le rire pétillant de la jeune fille que lon entendait par delà les rideaux. Mais quant elle eu fini de dessiner toutes ces figures, elle passa la tête par les fenêtres et demanda au cochet ce qui les retenait : elle avait faim, on ne brime pas la faim dune enfant qui na jamais connu manque.
- « Un enfant qui pleure dans les j'pons d'sa mère! »
Froncement de sourcil et la petite Vicomtesse saffale, presque avec colère contre le dossier du fauteuil. Les dames connaissent cette expression qui met fin à toute tentative de jeu : la petite Vicomtesse est contrariée. Les bras viennent se croiser sous la poitrine. Non elle ne sortira pas cest encore une quelconque affaire de justice à laquelle elle ne veut pas se mêler et sil avait été question de la mort dun troupeau de moutons pour impayés au Comté elle ne sen serait pas mêlée non plus mais par contre, elle ne sen serait sûrement pas autant contrariée. Il est, même chez les enfants de nature joyeuse comme elle des sujets sensibles qui ne souffrent aucune explication.
Quelques heures plus tard, la jeune Vicomtesse avait refusé son repas et travaillé, sourcils froncés et muée dans un silence de plomb à trier les dossiers du Secrétariat dEtat. En une phrase sur le sujet maternel le climat était passé de frivole à morose. Changement climatique bien trop commun ces temps-cis.
[Quelques jours plus tard]
La nuit avait enveloppé les terres du Languedoc de son manteau de ténèbres et sa parure de froid. A Mende, dans lhôtel de la famille dAlanha le calme régnait enfin. Les bruits de pas enfantins sétaient tus, les rires étaient devenus des murmures et les représailles des contes aidant à faire venir le sommeil. Le Comte était à Paris, Eirwen était partie border les jumelles, Aimelina bien jeune dormait déjà dun sommeil sans rêves, Lop Guilhem nétait pas encore parmi eux. Mais dans une autre pièce de la maison, dans la grande salle ou lon mange deux personnes veillaient encore, toutes deux profitant dun calme salutaire et de la douceur des sentiments réchauffant tout aussi bien les curs que le feu crépitant dans lâtre réchauffait les corps. La Comtesse dAlanha était assise face au feu, sempiternellement vêtue de blanc et caressait dune main calme une chevelure rousse. Cette même chevelure rousse appartenait à une tête lovée contre les genoux de la Comtesse et elle même à un petit corps assis sur un tapis de damas à même le sol.
Cétait un de ces rares moments de calme et de tendresse dont la jeune Vicomtesse, aux alentours de sa dixième année aimait tant profiter. Elle avait pris la suite dActarius par souhait mais en réalité en dehors du temps quelle consacrait au Secrétariat elle nétait quune enfant, une enfant rieuse et en quête quasi constante de douceur, damour et de quiétude. De toute sa vie elle navait été que choyée, maternée, aimée et protégée, elle avait toujours eu ce quelle désirait et bénéficiait dune éducation plus que parfaite et exigeante : trivium et quadrivium ne lui avaient pas été épargnés. Jamais la jeune héritière Goupil navait manqué de quoi que se soit et ce malgré labsence de parents et ça, elle le devait tout entier à celle quelle appelait sa Tante Pol dont elle était la bien trop aimée pupille. Plus le temps passait, plus Jehanne devenait possessive et demandeuse dinstants pareils, ces bulles temporelles, éphémères et additives, ou elle avait sa Tante juste pour elle, sans ses « frères et surs », justes elles deux et le lien tendre qui les unissait. Rien de plus. Mais plus le temps passait plus elle se rendait compte de substituer ce lien du coeur à un lien du sang, un lien dun être sortant des entrailles dun autre, un lien de mère et de fille. Quelle naurait jamais.
Les yeux verts se lèvent vers le visage marqué de sa Tante. Oh oui elle laimait. Mais contrairement à ce quelle sétait toujours évertuée à ressentir elle nétait pas sa mère. Elle était un être tendre et aimant layant éduquée comme sa fille, mais elle nétait pas sa mère. Mais elle nétait pas sa mère. Mais elle nétait pas sa mère Marguerite de Volpilhat, mariée à Louis-Raphaël dAppérault elle la connait comme on bien voulu la conter au fil des discussions ou telle quelle la vue sur des portraits. Un être pur, pieux, bon, beau, presque évanescent et inspirant un respect et une déférence sans bornes. Aussi un être torturé, souffrant dun mal peu commun. Et quelquun de jeune qui sétait vu enlever la vie bien tôt alors quelle venait de mettre au monde son second enfant. La personne elle pensait la cerner même sil est très réducteur de penser comprendre un être aux dires des gens, la psychologie nétant pas une de ces sciences daffabulateurs et charlatanas mais, comme nous lavons déjà dit, envers et contre tout elle ladulait. Une idole pour un jeune pèlerin ; elle ladorait comme on adore les images des disparus, comme lon adore les représentations sculptées ou peintes de saints. Mais quelle mère aurait-elle été ? Aurait-elle eu avec ladorée Marguerite de Volpilhat une relation aussi tendre quavec la Comtesse dAlanha ? Cette personne inspirant le respect quon lui avait peinte était-elle une mère dans le sens plein du terme, aimant sans bornes ? Aurait-elle était dure ?
Elle soupire, la jeune Vicomtesse, et laisse à nouveau son regard se perdre dans lâtre. Cette jeune fille avait un conte, un conte préférée quelle demandait très souvent à sa Tante. Si les autres enfants aimaient entendre de belles histoires de chevalier et de princesse, de troubadour et de Comtesse, de fées et dogres elle les aimait aussi ces histoires chimériques et naïves si douces au coeur mais préférait par-dessus tout une autre, plus spéciale, plus propre à elle, plus sentimentale. A chaque fois elle la demandait à chaque fois elle ajoutait une question. Un peu redondant ? Non car la pire crainte de ceux qui ont perdu est deffacer le souvenir de ces êtres regrettés. Et quand on adore un être que lon na jamais vu vivre, il est bien nécessaire de posséder des images, histoires et anecdotes pour lui donner vie dans lintimité de son imaginaire. Alors pour la énième fois, sur le ton du murmure la jeune Goupil quémande
- « Tante Pol, parle-moi de mère »
_________________