Actarius
L'Emeraude rencontra le Sienne, la terre d'ocre. Le doux filet d'une chaleur à peine perceptible par cette âme désemparée. Puis, deux mots s'élevèrent comme un lointain écho.
- Mon aimé...
- ...
Il sentit la caresse de l'amour, mais le ravage en son coeur était trop important. Ses lèvres n'avaient plus la force de se mouvoir et devenaient barrière infranchissable. Pourtant, il fallait se ressaisir, ne pas s'abandonner comme il l'avait abandonnée. Un ange passa, puis un autre... Le défilé de chérubins se poursuivaient alors que la lutte interne battait son plein jusqu'à cette lueur, cette flamme dans le regard. Le phénix magnifique renaissait petit à petit. Ce ne fut certes pas une métamorphose, mais une chancelante lumière dans le coin de l'oeil rien de plus, rien de moins.
La barrière implosa, les lèvres s'épanouirent en un baiser.
- Ma douce, j'ai bien cru t'avoir perdue à jamais. Tant de fois tu m'as compris et pardonné...
La gorge se serra, la voix vibra.
- Fais-le ce jour encore aussi difficile que cela puisse te paraître. Le temps des discussions n'est pas encore arrivé, la guerre est loin d'être terminée.
Un geste tendre pour compenser la fraicheur de mots dictés par le devoir.
- Nous sommes à Toulon où les forces françaises se sont regroupées. La ville est franche et In Phooka Memoriam a été reformée. A l'ouest, les renforts se sont réunis et les premières batailles ont eu lieu. Remets-toi vite ma douce, nous allons avoir besoin de toi, nous avons besoin de tout le monde.
Un léger soupir avant de poursuivre.
- Mais de tristes nouvelles me sont également parvenues. Legueux est mort.
Un frisson lui parcourut l'échine.
- Je vais te faire amener de quoi te restaurer. Il faut que tu sois vite sur pied.
Il lâcha la main de son épouse et se releva. Elle demeurait silencieuse, que pouvait-elle bien penser ? Lui en voulait-elle, lui en voudrait-elle longtemps ?
- Il me faut te laisser. Je reviendrai te voir aussi souvent que faire se pourra. Remets-toi vite.
Un dernier regard aimant. La guerre, le devoir ne laissaient guère de répit à la passion, telle fut l'excuse qui se forma dans l'esprit du fuyard. L'ombre de Margot planait encore, elle ne quitterait jamais le Vicomte. Quelque chose en lui s'était brisé, la passion avait cédée et la raison du devoir avait pris le dessus. Serait-ce à jamais ?
Les jours suivants coulèrent. Le Mendois passait du temps avec son épouse, mais évitait soigneusement de revenir sur l'épisode douloureux, préférant deviser de la situation actuelle et du futur. De son espoir de retour, de son envie d'agrandir la famille encore, de faire perdurer le nom d'Euphor. L'amour était là bien entendu, il était fort, puissant. Mais le jeune poète était définitivement mort. Aimer à vingt ans loin de la guerre, loin de la politique n'était pas aimer à la fleur de l'âge au coeur de la guerre, non loin des vaines querelles où il s'était à nouveau bêtement engouffré. Les temps changeaient au fil des saisons et l'homme comme un fruit mûrissait au gré des aléas du ciel. A la question de savoir s'il serait doux ou amer, personne si ce n'était le Très-Haut pouvait avoir la réponse.
Au-delà de l'horizon guerrier qui meublèrent les jours, le Vicomte et son épouse appréciaient la vue de la mer avant de prendre leur garde. Ils partageaient souvent leur soirée avec Insanius, Hildegarde, Corbeaunoir, les compagnons, les amis. Mais une nouvelle blessure vint frapper le couple. L'aimée fut touchée par un de ses Espagnols qui avaient installé le siège de la ville portuaire et bientôt Actarius se retrouva seul à contempler les vagues, comme si l'espoir pouvait venir de l'horizon humide de la Méditerranée...
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